Mes derniers échanges avec Yogi ont été pour le moins virils (voir les commentaires de La loi morale inscrite dans le cœur des hommes est-elle simplement une convention sociale, quelque idéal que nous inculque l’éducation ? ). Ils ont au moins eu le mérite de faire surgir de vraies questions, d’un côté comme de l’autre. Certaines de ces questions n’ont pas toujours de réponses simples et rapides, mais elles méritent au moins d’être posées. A cause précisément de la difficulté de répondre dans un format blog, en quelques lignes à des questions qui ont parfois suscitées l’écriture de livres entiers, je me permets de rebondir quelquefois sur l’une ou l’autre d’entre elles pour apporter quelques éléments de réponse supplémentaires. Yogi avait posé il y a quelques semaines une question sur laquelle j’aimerais revenir aujourd’hui (voir les commentaires de Objection 9 : « La théorie de l’évolution implique que l’homme n’est pas plus spécial qu’un chimpanzé, un lézard, une fourmi, une bactérie. Ceci est donc incompatible avec une humanité créée à l’image de Dieu. »).

Yogi :

Les diverses discussions citées ne m’ont pas paru aborder le sujet sous l’angle du libre arbitre : je suis toujours troublé par l’aspect de « guet-apens » que peut revêtir l’Arbre et l’avertissement de Dieu à Adam, en tant que condition posée par le Créateur à Sa propre créature, alors qu’on peut supposer qu’Il en connaît les processus mentaux voire les choix finaux avant Adam lui-même.

Ainsi si l’on pose que l’homme a été créé par Dieu véritablement libre et maître de son destin, et que la présence de l’Arbre et l’avertissement divin constituaient un choix véritablement libre, je peux admettre que face à ce choix, un seul individu particulier, Adam, ait hélas choisi de désobéir (à la grande surprise de Dieu peut-on penser, ce qui me semble poser le problème de l’omniscience mais passons).

Alors que si ce choix funeste a finalement été le fait unanime de nombreux individus, ou s’il s’agit d’un choix « symbolique » effectué par l’humanité dans son ensemble, il me semble alors plus difficile de dédouaner le Créateur de toute responsabilité dans le fait que Sa création choisit le Mal, et que tous les modèles de Sa gamme présentent le même défaut, si je puis m’exprimer ainsi.

Tout d’abord, qu’Adam soit historique ou pas, la responsabilité du péché ne saurait être mise sur ses seules épaules. C’est peut-être en effet la vision qu’avait Augustin du péché originel d’Adam dont tous les hommes étaient coupables à ses yeux, mais les évangéliques ne souscrivent pas à cette interprétation là puisqu’ils ne baptisent pas leurs enfants nouveaux nés pour les « laver du péché d’Adam ». Dans l’épître aux Romains, Paul parle bien de la responsabilité de l’humanité toute entière, et il n’aborde la question d’Adam qu’au chapitre 5 :

“ Que faut–il donc conclure ? Nous les Juifs, sommes–nous supérieurs aux autres hommes ? Pas du tout. Nous avons, en effet, déjà démontré que tous les hommes, Juifs ou non, sont également coupables. L’Ecriture le dit : Il n’y a pas de juste, pas même un seul,  pas d’homme capable de comprendre, pas un qui cherche Dieu.  Ils se sont tous égarés, ils se sont corrompus tous ensemble. il n’y en a pas qui fasse le bien, non, pas même un seul.” (Romains 3:9-12)

Il n’est pas fait question une seule fois dans les évangiles de la responsabilité d’Adam pour toute l’humanité.

La vraie question que vous soulevez est à mon sens la suivante :

Pourquoi Dieu a –t-il choisi de créer l’humanité alors qu’il savait pertinemment que l’homme pécherait et qu’il serait condamné à cause de son péché, s’il ne se tournait pas vers le Christ ?

(Un chrétien ne doute pas un instant que Dieu l’ait su à l’avance, et je ne fais pas non plus partie de la catégorie des « universalistes » qui pensent que tous les hommes seront sauvés, même ceux qui ne le « souhaitent pas » !)

C’est une question très difficile j’en conviens, et les différentes traditions chrétiennes (occidentales et orientales par exemple) y ont parfois répondu de façon différente.

Tout d’abord, nous ne sommes pas Dieu et c’est difficile pour nous de savoir ce qui le motive exactement, dans telle ou telle décision. En tant que pécheurs, notre façon d’aborder ces questions est forcément faussée par notre péché. Soyons humbles dans nos tentatives et soumis à ce que la Bible nous en révèle.

Bien que la situation ne soit pas en tout point comparable, en tant que parent de trois enfants, je devrais peut-être me poser la question de savoir pourquoi ma femme et moi avons désiré avoir trois enfants, sans avoir la certitude qu’il deviendraient eux-mêmes disciples du Christ, mais en sachant qu’ils devraient un jour, tout comme nous l’avons fait un jour, décider d’accepter ou de refuser la proposition divine de salut en Jésus-Christ. L’amour que nous voulions donner à nos enfants a été notre motivation, la confiance que nous désirions placer en eux aussi.

Une chose est sûre, Dieu n’a pas été pris au dépourvu. Le Christ savait qu’il démontrerait l’amour de Dieu en mourrant sur la croix pour payer le prix qu’exigeait la justice de Dieu avant que le monde ne soit créé. Il savait ainsi qu’il allait « payer »  le salut de sa création au prix fort on se saurait le qualifier de « piégeur »!

 

Père, je veux que là où je suis, ceux que tu m’as donnés soient aussi avec moi, afin qu’ils contemplent ma gloire, celle que tu m’as donnée, parce que tu m’as aimé avant la fondation du monde. (Jean 17:24)

En Jésus, Dieu nous a élus avant la fondation du monde, pour que nous soyons saints et sans défaut devant lui. (Ephésiens 1:4)

Jésus a été désigné d’avance, avant la fondation du monde, et manifesté à la fin des temps, à cause de vous. (1 Pierre 1:20)

«  »Vous avez été libérés de cette manière futile de vivre que vous ont transmise vos ancêtres et vous savez à quel prix. Ce n’est pas par des biens qui se dévaluent comme l’argent et l’or. Non, il a fallu que le Christ, tel un agneau pur et sans défaut, verse son sang précieux en sacrifice pour vous.  Dès avant la création du monde, Dieu l’avait choisi pour cela, et il a paru, dans ces temps qui sont les derniers, pour agir en votre faveur.  Par lui, vous croyez en Dieu, qui l’a ressuscité des morts et lui a donné la gloire. Ainsi votre foi et votre espérance sont tournées vers Dieu. » (1 Pierre 1:18-21 )

C.S. Lewis (encore lui !) aborde ce problème dans « les fondements du Christianisme », voyons ce qu’il en pense.

« Les chrétiens croient qu’une puissance mauvaise s’est instituée comme Prince de ce monde dans les temps présents. Mais naturellement, ce fait suscite des problèmes. Cet état de chose serait-il en accord avec la volonté de Dieu ? Si oui, ce Dieu est un Dieu étrange, direz-vous ; soit dans la négative, comment peut-il se produire quoi que ce soit de contraire à la volonté d’un être doté d’un pouvoir absolu ?

Quiconque ayant autorité sait qu’une chose peut être en accord avec votre volonté dans un certain sans mais pas dans l’autre. Il peut être tout à fait valable pour un mère de dire aux enfants : « Je ne vais pas rester chaque soir dans votre chambre. Il vous faut apprendre à la tenir en ordre tous seuls. » Un soir, elle monte à l’improviste et trouve l’ours en peluche, l’encrier et le livre de grammaire tout en vrac dans un coin. C’est un défi à sa volonté. Elle préférerait que les enfants aient mis de l’ordre. Mais, d’une part, c’est sa décision qui a laissé les enfants libres de mettre la pagaille. Les mêmes événements se produisent dans tout régiment, syndicat ou établissement scolaire. Lorsque vous rendez une chose optionnelle, plus de la moitié des intéressés ne la respectent pas. Ce n’est pas que vous le vouliez, mais votre volonté l’a rendu possible.

Il en va probablement de même dans l’univers. Dieu a créé des êtres pourvus d’une volonté libre. Cela implique que des créatures peuvent opter autant pour le bien que pour le mal. Certains pensent qu’on peut concevoir une créature qui, tout en étant libre, n’aurait pas la possibilité de choisir le mal. Pour ma part je ne le puis. Si une chose a le droit d’être bonne, elle a aussi le droit d’être mauvaise. Or c’est notre volonté libre qui rend le mal possible. Pourquoi Dieu la donna-t-il aux hommes à l’origine ? Parce que cette volonté, quoique laissant le champ libre au mal, est la seule chose rendant possible l’amour, la bonté ou la joie qui nous réjouissent. Un monde d’automates, de créatures se mouvant comme des machines, ne mériterait guère d’être créé. Le bonheur conçu de Dieu pour ses créatures les plus évoluées est le bonheur d’être librement et volontairement lié à lui et à tout être humain en une extase d’amour et de ravissement. En comparaison, l’amour d’un homme et d’une femme sur cette terre n’est que de l’eau de rose. Pour en arriver à cette communion entre les hommes et Dieu, il faut que les êtres soient libres.

Evidemment, Dieu savait ce qui arriverait si les hommes usaient à tort de leur volonté ; il estimait cependant que ça valait le risque. Peut-être sommes nous enclin à désavouer Dieu. Mais se trouver en désaccord avec lui est difficile. Il est la source de tout notre pouvoir de raisonnement : nous ne pouvons avoir raison et lui tort pas plus qu’une rivière ne peut remonter plus haut que sa source. Quand nous discutons avec Dieu, nous contestons la puissance même qui nous a donné la faculté de raisonner. … »

Sans répondre de façon définitive, j’espère que ces quelques réflexions auront apporté un peu de lumière.

 


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