En 1994, l’historien Mark Noll, de confession évangélique a publié un ouvrage qui a beaucoup fait parler de lui dans les milieux intellectuels protestants Nord Américains : « The scandal of the evangelical mind ».

D’un côté, l’auteur est profondément attaché à ses racines évangéliques, mais d’un autre côté, il ne peut que reconnaître la superficialité de la réflexion qui caractérise parfois cette branche du protestantisme, en ce qui concerne les rapports science et foi en particulier et dans bien d’autres domaines. Bien entendu, la situation Américaine est très différente de la situation européenne. Aux Etats-Unis, l’immense majorité des évangéliques est créationniste de la jeune Terre (environ 90%), autrement dit le fondamentalisme y est très influent, bien plus que chez nous. Nous sommes pourtant très influencés par ce qui se passe Outre Atlantique. J’ai donc trouvé intéressant de traduire quelques extraits d’une critique du livre de Mark Noll faite par Bill Hamilton, membre de l’ASA (American Scientific Affiliation).

 

« Les évangéliques et les fondamentalistes ont été accusé d’anti-intellectualisme depuis des années. Certains ont franchement accueilli cette accusation avec fierté,  d’autres s’en sont profondément sentis indignés. Beaucoup d’entre nous se sont inquiétés que cette accusation ne soit fondée, et se sont demandés comment le monde évangélique en est arrivé là, et comment y remédier. Mark Noll ne laisse aucun doute sur son jugement personnel de l’état de l’intelligence évangélique.

La première phrase du livre est

« Le scandale de l’intelligence évangélique est qu’il n’y a guère d’intelligence évangélique. »

 

Sans ménagement, Noll poursuit : « La principale accusation que l’on peut faire au mouvement fondamentaliste, et en particulier au dispensationnalisme qui a fourni les interprétations les plus systématiques de la Bible aux fondamentalistes et aux évangéliques les plus récents, c’est sa stérilité intellectuelle. Lors de son processus d’accouchement, la communauté évangélique n’a pour ainsi dire fourni aucune explication sur le fonctionnement du monde naturel soumis à Dieu, à propos du fonctionnement des sociétés humaines, pourquoi les hommes agissent comme ils le font, ou bien ce qui constitue les bénédictions et les dangers de la culture.

Les fondamentalistes et leurs descendants ne manquaient certainement pas de convictions profondes sur ces sujets—des convictions d’ailleurs appuyées par des versets bibliques. Certaines de ces convictions étaient tout à fait justes. Pourtant ces croyances manquaient cruellement d’une connaissance profonde du monde créé dans lequel on les appliquait. Le résultat fut une théologie qui ne pouvait servir de guide pour une vie intellectuelle plus large. Il n’y a pour ainsi dire aucune philosophie fondamentaliste, aucune histoire des sciences fondamentaliste, aucune esthétique fondamentaliste, aucune critique littéraire fondamentaliste, et aucune sociologie fondamentaliste. Ou tout au moins, il n’y en pas eu qui ait accordé  suffisamment d’attention à la façon dont Dieu a créé le monde et a placé l’homme sur cette planète. Et parce que les évangéliques ont largement conservé la mentalité du fondamentalisme quand il s’agit d’observer le monde, bien qu’ils se soient souvent distanciés de certains traits caractéristiques du fondamentalisme, la moisson évangélique en terme de vie intellectuelle a aussi été très maigre…

Le chapitre 7 du livre discute des réactions des évangéliques et des fondamentalistes au développement des sciences. La plus grande partie de la discussion tourne autour de la controverse création/évolution. Les premières réactions à l’évolution parmi les chrétiens ont été très variées. B.B. Warfield, James Cosh et d’autres pensaient que l’évolution pouvait être incorporée au cadre traditionnel du Christianisme. Jusque dans les années 30, la plupart des protestants conservateurs (au sens théologique) pensaient que les 7 jours de création étaient de longues périodes de temps. Ce qui a fait basculé les évangéliques américains vers le créationnisme de la jeune terre, c’est la sécularisation rapide des universités. Celle ci a donné aux évangéliques et aux fondamentalistes l’impression qu’ils perdaient leur capacité à influencer la culture. George Mac Ready Price, un adventiste du 7ème jour (un des promoteurs du créationnisme) n’avait que peut d’influence à ce moment là, mais lorsqu’en 1961, Morris et Whitcomb publient « The Genesis Flood » (le déluge de la Genèse), ils répondent à une frustration très forte due à la sécularisation de la culture environnante. Noll attribue la popularité du créationnisme « scientifique » à l’impression intuitive qu’avaient beaucoup d’évangéliques que cela rendait compte des enseignement simples de la Bible, à l’intrusion fédérale grandissante dans les affaires locales, en particulier dans l’éducation, au ressentiment contre la connaissance des élites qui se validaient entre elles, à la dynamique issue de la théologie fondamentaliste, à la particularité de l’eschatologie fondamentaliste et sa fascination pour les dispensations. Noll reproche donc au créationnisme de rendre toute réflexion à propos des origines de l’homme difficile, ainsi qu’à l’âge de la terre, aux mécanismes du changement biologique. En effet, le créationnisme mine toute possibilité d’observer le monde et de comprendre ce que nous voyons quand nous le faisons…

En conclusion, Noll souligne les caractéristiques qui contribueront à ses yeux au renouveau de la vie intellectuelle évangélique. Alors que les évangéliques ont mis l’accent dans l’Ecriture sur le surnaturel d’une façon qui n’a pas encouragé l’activité intellectuelle, ils ont maintenu le christianisme vivant. Ils ont maintenu la transcendance divine vivante. Nous avons peut-être utilisé les Ecritures superficiellement, mais nous les connaissons. Nous savons que nous avons désespérément besoin de salut. Même notre activisme évangélique a une très grande valeur pour nous permettre de construire une vie intellectuelle chrétienne. Alors que nous avons évangélisé des personnes de différentes culture, celles-ci nous ont appris beaucoup sur la signification de la pensée chrétienne…L’incarnation de Jésus signifie que ce monde matériel est important pour Dieu. Le sacrifice de Jésus nous apprend que Dieu a racheté des personnes pour vivre dans ce monde et dans le monde à venir.

…La plus grande partie du livre paraîtra un peu déprimante et familière pour ceux qui s’inquiètent du déclin de l’intelligence évangélique. Mais Noll nous aide à comprendre pourquoi nous en sommes là, et nous montre que les ingrédients pour la convalescence sont déjà disponibles, et ils sont précisément contenus dans les valeurs conservées par les évangéliques. »

Pour ceux qui voudraient lire la revue complète du livre de Mark Noll, voici le lien.

http://www.asa3.org/ASA/topics/College%20ScienceTeaching/HamiltonReview.html

Je suis persuadé que pour comprendre les raisons complexes qui ont conduit une bonne partie du monde évangélique à être pour le mieux méfiant vis-à-vis des sciences, et de l’évolution en particulier, il faut effectuer un travail historique de réflexion à propos des racines profondes de cette hostilité. Nous poursuivrons cette réflexion dans d’autres articles.