Article 7 sur un total de 48 pour la série :

L'évolution expliquée ♥♥♥


 La sélection naturelle et le lignage humain.

Dans l’article précédent, nous avons décrit quelques premières étapes du chemin vers le gène d’amylase humain d’aujourd’hui, et le rôle qu’a joué la sélection naturelle dans le processus. Maintenant que nous avons posé le cadre, nous pouvons continuer l’histoire (article original ici)  ; et nous le verrons, le chemin qui mène jusqu’à aujourd’hui est long et sinueux.

Rappelons les premières étapes de l’évolution dans ce processus :

  • (a)le gène d’amylase pancréatique humain a été dupliqué et
  • (b)l’activité d’une des copies a ensuite été changée, de sorte qu’il n’était plus produit dans le pancréas, mais dans la salive.

Nous avons de plus noté que cette nouvelle variante (que nous pouvons abréger par « 1 pancréas/1 salivaire ») a été soumise à la sélection et a remplacé la variante de laquelle elle provient,  « 2 pancréas/0 salivaire ». A ce point nos ancêtres auraient sécrété l’amylase dans l’intestin grêle par le pancréas, et auraient acquis une nouvelle fonction, la sécrétion d’amylase de la glande parotide dans la salive. Cette amylase salivaire aurait offert un avantage dans un environnement avec un accès à de la nourriture amidonnée, puisque l’amylase peut casser plus d’amidon en glucose avec des enzymes fabriqués dans les 2 lieux qu’avec  2 copies faites dans le pancréas.

Mais ce n’est pas la fin de l’histoire : le cadre était posé pour permettre d’autres étapes de mutation qui seraient aussi sélectionnées.

Les événements qui suivent sont de l’ordre d’une duplication plus directe, similaires aux événements de duplication que nous avons vu précédemment. Cette fois, cependant, la duplication copie les gênes d’amylase plus récents. Cette duplication résulte en une nouvelle variante (1 pancréas/ 2 salivaires) qui est sélectionnée aussi, puisqu’elle présente un avantage sur la variante (1 pancréas/ 1 salivaire) de laquelle elle provient. Plus tard, une autre duplication  couvre les deux copies salivaires pour donner une combinaison de copies 1 pancréas/4 salivaires. A ce moment là, nous trouvons cinq copies de gênes distinctes, toutes côte à côte dans le génome, et cette variante remplace aussi la version précédente à cause de la sélection.

La prochaine étape, cependant, opère un retournement. Rappelons qu’à l’origine, c’est l’insertion d’une séquence ADN rétrovirale qui a converti le second gêne d’amylase de l’enzyme du pancréas en une enzyme salivaire . Cette séquence du rétrovirus est copiée avec le reste du gêne lorsqu’il est dupliqué et pour le moment, elle est encore présente dans chaque copie du gêne salivaire. Plus tard, le rétrovirus s’extrait de l’une des quatre copies (en ne laissant qu’une petite « empreinte » derrière lui), et fait revenir la production au pancréas. Cela a pour résultat une nouvelle variante (2 pancréas/3 salivaires). Cette nouvelle variante est aussi soumise à la sélection et remplace la variante (1 pancréas/4 salivaires) dont elle provient, puisque l’enzyme du pancréas doublée offre un avantage à ce moment, même au prix d’un gêne salivaire. La copie salivaire, convertie à nouveau en gêne pancréatique, garde la « cicatrice » d’avoir été un jour un gêne salivaire – avec une histoire « d’aller-retour » à raconter.

Si tout cela vous semble un peu alambiqué, je ne peux pas vous le reprocher ; c’est alambiqué. Mais c’est là l’idée ; voici l’histoire alambiquée qui est écrite dans cette région de nos génomes. Elle démontre que nous avons été modelés par la mutation et la sélection naturelle. Ce sont les mêmes types d’événements mutationnels et de sélection que les scientifiques ont observé en temps réel dans des organismes expérimentaux, et ils démontrent que la mutation par le hasard (encore une fois, hasard au sens biologique du terme, comme nous l’avons dit précédemment) est très capable de produire de nouveaux gênes qui possèdent de nouvelles propriétés, et que la sélection naturelle est capable de déplacer une population vers de nouvelles variantes avantageuses qui surviennent.

Et ça continue, jusqu’à aujourd’hui.

Vous pensez peut-être que l’histoire est terminée, que tous les humains possèdent maintenant la version « 2 pancréas/ 3 salivaires » du groupe de gênes d’amylase. En fait, et c’est ce qui est intéressant, ce n’est pas le cas. Certains êtres humains possèdent encore plus de copies des gênes d’amylase salivaires – on a identifié des individus qui possèdent jusqu’à 10 copies salivaires qui se tiennent côté à côté. A l’autre extrémité de l’échelle, certains humains ont moins de la version « normale » possédant 3 copies, ils n’en possèdent peut-être que deux voire une seule. Ces variantes sont survenues comme des suppressions de la version « normale » 2 pancréas/ 3 salivaires. En d’autres termes, les gênes d’amylase salivaires chez les humains sont très variables ; en tant que population, nous ne sommes pas uniformes. Certains d’entre nous ont plus d’amylase dans notre salive que d’autres.

La variation, bien sûr, n’est qu’une partie de la recette pour le changement évolutif. Afin de déplacer la moyenne des caractéristiques d’une population à travers le temps, la sélection naturelle a besoin d’agir sur cette variation. Pour tester l’hypothèse selon laquelle la sélection naturelle agit sur la variation du nombre de copies de l’amylase salivaire, des chercheurs ont étudié des populations humaines ayant un régime riche en amidon pour déterminer si elles avaient une moyenne différente du nombre de copies que les populations humaines ayant un régime pauvre en amidon.

Les résultats sont saisissants et soutiennent l’hypothèse selon laquelle la sélection naturelle agit sur la variation du nombre de copies chez les humains modernes. Chez des populations qui, historiquement, ont un régime riche en amidon, la moyenne du nombre de copies d’amylase salivaire est significativement plus élevée que pour des populations qui, historiquement, ont un régime pauvre en amidon. Une analyse moléculaire détaillée de la région du génome qui contient le groupe de gênes d’amylase dans des populations ayant un régime riche en amidon a aussi montré des signes de sélection, en ce qu’elles avaient grandement réduit la variabilité (ce qu’on attendrait de la sélection si elle agissait). Cette variabilité réduite n’a pas été vue chez ces mêmes populations pour d’autres régions de génomes contenant des nombres de copies variables. Pris ensemble, ces résultats soutiennent l’hypothèse selon laquelle la sélection naturelle agit sur la région du groupe de gênes d’amylase dans les populations humaines. Ainsi, il semble que cette histoire se développe encore, et que nous pouvons avoir un aperçu de ce processus actuellement, dans notre histoire.

Le cercle complété : de l’homme au chien.

Il reste encore deux leçons que nous pouvons tirer de cet exemple, et qui nous demandent de réfléchir au processus similaire qui a eu lieu lors de la domestication du chien. Chez les chiens, il existe de nombreuses copies des gênes d’amylase pancréatique, et le nombre de copies qu’ont les chiens varie encore actuellement. Ces événements de duplication dans la lignage du chien doivent leur avantage sélectif aux événements de duplication d’amylase antérieurs dans le lignage humain. Ces duplications humaines ont participé à l’amélioration de notre succès reproductif alors que nous nous déplacions vers un régime plus amidonné. Alors que les humains opéraient ce déplacement, les populations de chien associées avec les humains ont expérimenté un déplacement similaire dans l’environnement ; eux aussi avaient accès à de plus grandes quantités d’amidon.

Cet environnement altéré a donné un avantage sélectif à des variantes dans les populations canines qui, de même que leurs compagnons humains, pouvaient bénéficier d’une consommation augmentée en amidon. Le déplacement de la première espèce (les humains) a un lien direct avec le déplacement d’une seconde espèce (le chien). C’est un exemple de ce qu’on appelle co-évolution ; elle a lieu quand, de deux espèces au contact proche, l’une agit sur les caractéristiques de l’environnement de l’autre espèce, et les changements sélectifs d’une espèce déplacent ce qui est avantageux pour une autre espèce. Cette histoire de l’amylase de l’humain et du chien est aussi un exemple de l’évolution qui se « répète » dans deux lignages importants ; en l’occurrence, des événements de duplication de gênes similaires qui ont augmenté la quantité d’amylases pancréatiques de façon indépendante chez les chiens et chez les humains. Le terme technique qui désigne cette réalité est l’évolution convergente ; des chemins évolutifs qui arrivent indépendamment à la même « solution » dans deux lignages.

Si nous regarderons plus en détail la co-évolution et l’évolution convergente dans de prochains billets, il vaut la peine de noter ces caractéristiques dès à présent, pendant que l’exemple est encore frais. Le message à retenir ici est simple : l’évolution n’est pas seulement un processus basé sur la chance, mais aussi un processus qui se répète, au moins jusqu’à un certain degré. Cette possibilité de se répéter est en partie fondée sur des organismes qui rencontrent des environnements similaires, et sur ces environnements qui sélectionnent des résultats similaires dans les deux espèces. Dans le cas d’espèces au contact proche, un déplacement d’une espèce peut ouvrir une nouvelle opportunité pour la seconde espèce.

Dans le prochain billet de cette série, nous examinerons plus en détail la façon dont la variation génétique survient dans les populations, et la façon dont la sélection peut ou ne peut pas agir dessus.

Article original disponible ici

Pour en savoir plus

Samuelson, L.C. et al., (1996). Amylase gene structures in primates: retroposon insertions and promoter evolution. Molecular Biology and Evolution 13; 767-779. (source)

Meisler, M.H. and Ting, C.N. (1993). The remarkable evolutionary history of the human amylase genes. Crit Rev Oral Biol Med 4; 503-509. (source)

Perry, G.H. et al., (2007). Diet and the evolution of human amylase gene copy number variation. Nature Genetics 39; 1256 – 1260. (source)


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