Article 24 sur un total de 48 pour la série :

L'évolution expliquée ♥♥♥


Dans le dernier billet de cette série, nous avons introduit le concept de coévolution, qui consiste en l’interaction réciproque entre deux espèces qui peut avoir une influence évolutive majeure sur ces deux espèces. Dans certains cas, deux espèces peuvent s’influencer mutuellement voire entretenir une relation proche et à long terme. De telles relations sont des exemples de symbiose (littéralement, « vivre ensemble »). Comme on peut s’y attendre, des relations symbiotiques sont d’excellents lieux pour explorer la coévolution. De fait, la proximité d’une relation symbiotique peut conduire à ce que l’on appelle la co-spéciation : la spéciation simultanée  de deux espèces en tandem en conséquence de leur association proche.

Parasitisme et co-spéciation

On trouve un type (plutôt désagréable) de relation symbiotique entre les parasites et leurs hôtes. Certains parasites sont obligatoires, au sens où ils se restreignent à une seule espèce hôte et dépendent d’elle pour leur survie et leur reproduction. Dans ce cas, l’espèce hôte constitue effectivement l’environnement de l’espèce des parasites. Etant donnée l’association étroite des deux espèces, il n’est pas surprenant que dans de nombreux cas on trouve des preuves de la co-spéciation des parasites avec l’espèce hôte. Lorsque l’espèce hôte passe par la spéciation (à commencer par une isolation reproductive entre deux populations, comme nous l’avons vu précédemment), un parasite obligatoire se divisera aussi en deux populations distinctes génétiquement isolées. Si au cours du temps l’espèce hôte se divise en deux espèces complètement séparées (rendant l’isolement génétique permanent), alors il est probable que les populations parasites divergeront aussi suffisamment pour être reconnues comme deux espèces différentes. Dans le cas de la co-spéciation, la phylogénie de l’espèce hôte et de l’espèce parasite correspondent, avec des temps de convergence identiques :

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« Host species »: espèce hôte.  » Parasite species »: espèce parasite

On peut trouver un exemple de  co-spéciation hôte/parasite dans des études sur les poux des primates. Les poux sont des parasites obligatoires qui se nourrissent du sang de leurs hôtes, et de nombreuses espèces de primates ont une espèce unique de poux (humains inclus). Pour les humains, les chimpanzés et les gorilles, la phylogénie de leurs poux correspond à celle des leurs primates hôtes, et l’on trouve les parents les plus proches des poux sur les parents les plus proches des primates :

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« Lice » = poux

Au-delà de la correspondance entre les patrons de spéciation, les dates de divergence des poux du corps de l’humain et du chimpanzé correspondent à celles de la spéciation entre l’humain et le chimpanzé. Les poux de corps de l’humain et du chimpanzé se sont séparés il y a environ 5,6 millions d’années, ce qui concorde avec l’âge estimé de la divergence entre l’humain et le chimpanzé (il y a 4.5-6.0 millions d’années), bien que cette estimation soit basée sur un échantillon très limité de séquences de gène de l’espèce de pou.

Au contraire, la séparation entre la population ancestrale commune des deux espèces Pendiculus et Pthirus (il y a environ 11.5 millions d’années) ne correspond pas aussi bien à l’événement de spéciation des primates (la divergence du lignage du gorille de celui  qui a conduit à la population ancestrale commune des humains et des chimpanzés, il y a environ 6-8 millions d’années). Les données suggèrent ainsi un événement de co-spéciation simple pour le Pendiculus humanus et le Pendiculus schaeffi,  mais une histoire plus complexe pour le Pthirus. Il est possible (le fait que cette date soit aussi basée sur des données limitées mis à part) que les temps de divergence du pou et du primate soient corrects, et que l’événement de spéciation du pou précède celui du primate. Cela peut arriver si le parasite maintient des populations séparées au sein de la population hôte pendant une longue période, d’autant plus s’il y a possibilité d’échange entre des hôtes à parenté proche. Chose intéressante, il y a des preuves d’un tel effet dans des populations d’aujourd’hui de Pendiculus humanus – certaines populations du parasite semblent avoir été séparées il y a plus longtemps que la date d’existence de notre espèce. Un ancien lignage du Pendiculus humanus découvert dans le Nouveau Monde seulement (Amérique du Nord et du Sud) a divergé du Pendiculus humanus de l’Ancien Monde il y a environ 1 million d’années et est arrivé avec les humains qui ont migré par le pont terrestre de la Béringie en venant d’Asie. Cette séparation ancienne entre les lignages du Pendiculus humanus précède l’arrivée de notre propre espèce dans les traces fossiles il y a environ 200 000 ans. Que nous portions un lignage si ancien d’un parasite obligatoire parce que certaines populations humaines l’ont attrapé par un lignage hominidé apparenté dans l’Ancien Monde, et ce avant la migration vers l’Amérique du Nord, est une première hypothèse : un exemple d’échange d’hôte. Cette hypothèse a reçu récemment le soutien de preuves génomiques indiquant une reproduction entre certaines populations humaines et d’autres groupes d’hominidés (les hommes de Néandertal et les hominidés de Denisova), ce qui donnerait le contact proche nécessaire pour un échange d’hôte, surtout si les lignages des Néandertaliens et/ou des hominidés de Denisova étaient auparavant en contact avec des groupes plus anciens comme ceux des Homo erectus. Il sera intéressant de voir si cette hypothèse continue à être soutenue alors qu’on rassemble et analyse plus de données génétiques des populations des poux du corps humain.

Mutualisme et co-spéciation

Au contraire du parasitisme, certaines relations symbiotiques mutuellement bénéfiques peuvent survenir entre les espèces. La relation frappante entre certaines plantes et leurs insectes pollinisateurs est un exemple de cet effet (que l’on nomme mutualisme). Certains insectes et plantes ont une relation réciproque obligatoire : l’insecte est le seul pollinisateur de la plante, et la plante et la seule source d’alimentation pour le développement des larves de l’insecte. Dans ce cas, la relation est bénéfique aux deux espèces : la plante a pour bénéfice un pollinisateur hautement efficace, et l’insecte une source d’alimentation ajustée à ses larves.

Les nombreuses espèces de figuiers sont un groupe de plantes qui utilisent l’insecte pollinisateur obligatoire. Presque chaque espèce de figuier (et il en existe des centaines de par le monde) abrite une espèce séparée de guêpes du figuier qui agit comme son pollinisateur obligatoire et en retour ne peut développer ses larves que sur ce figuier. Les guêpes du figuier doivent se développer à l’intérieur d’une figue en développement, et les figuiers ont besoin des guêpes du figuier pour être pollinisés. Sans grande surprise, cette relation mutuelle et symbiotique est aussi une recette pour la co-spéciation. Une analyse récente de plus de 200 paires de figuiers/guêpes (parmi les plus de 750 paires d’espèces connues dans le monde) soutient fortement l’hypothèse de la co-spéciation pour la vaste majorité, avec un échange d’hôte limité entre les groupes à parenté proche. Pour ces guêpes, la large diversification de leurs arbres hôtes a été une force majeure dans leur évolution.

Dans le prochain billet de cette série, nous explorerons un niveau encore plus profond de la symbiose : l’endosymbiose, lorsqu’une espèce vit au sein d’une autre, et nous examinerons les preuves que les mitochondries et chloroplastes modernes descendent de procaryotes libres.

Pour en savoir plus

Reed DL, et al., (2004). Genetic Analysis of Lice Supports Direct Contact between Modern and Archaic Humans. PLoS Biol 2(11): e340. http://www.plosbiology.org/article/info:doi/10.1371/journal.pbio.0020340

Reed DL, et al., (2007). Pair of lice lost or parasites regained: the evolutionary history of anthropoid primate lice.BMC Biology, 5:7. http://www.biomedcentral.com/1741-7007/5/7

Cruaud, A et al. (2012). An extreme case of plant-insect codiversification: figs and fig-pollinating wasps. Syst. Biol. 61: 1029-1047. http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC3478567/


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