Article 3 sur un total de 5 pour la série :

La doctrine du péché originel peut-elle s'écrouler ?


Partie 3 : Et le serpent dans tout cela ?

Dans l’article précédent, nous avons dit qu’une relecture attentive du second récit fondateur (Ge 2-3) de la Genèse laissait clairement entendre que l’intention de l’auteur n’était pas de présenter une création paradisiaque et idyllique ni même une humanité sainte et achevée dès le départ. Le portrait est beaucoup plus réaliste.

Qu’en est-il maintenant de la conception augustinienne du péché originel voulant que la désobéissance du premier couple soit uniquement le résultat de la liberté humaine et par conséquent que l’homme soit le seul responsable de son malheur ? C’est ce qu’on peut appelé la conception morale de l’origine du mal.

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Bien que l’humain soit effectivement responsable de sa faute, il n’est pas certain que le narrateur veuille présenter Adam comme le seul responsable du péché originel. L’auteur met en scène un récit complexe dans lequel plusieurs personnages sont impliqués. Le narrateur n’hésite pas à insérer dans la trame narrative de l’histoire un personnage mythique : un serpent qui parle. Que faisait-il là ? Pourquoi une telle adversité ? Le texte ne donne aucune explication sur sa présence, sinon qu’il est là, issu des champs, créé par Dieu dans un monde qualifié de « très bon ».

À l’évidence, « très bon » et épreuve, adversité, tentation ne sont pas incompatibles.

« Le serpent était le plus rusé de tous les animaux des champs que l’Éternel Dieu avait faits. Il dit à la femme : Dieu a–t–il réellement dit : Vous ne mangerez pas de tous les arbres du jardin ? » (Ge 3.1)

Nous avons mentionné dans la partie 2 de cette série le « modèle céleste » du premier chapitre, puis le « décor réaliste » du second chapitre. Nous voilà maintenant au chapitre 3, celui de la « confrontation », lorsque le caoutchouc rencontre l’asphalte. Ce chapitre pourrait certainement être classé comme « chefs d’œuvre » dans la catégorie des films dramatiques. On voit difficilement venir le drame. Il n’y a pas de longue montée dramatique. Notre couple primordiale semble prêt à tout. Or ce n’est pas le cas. Au premier test, il échoue…

Après un début enthousiasmant, où l’homme reçoit la vocation de représenter Dieu, de travailler et de garder le jardin, le narrateur filme et saisit une scène surprenante. Il zoom sur une scène qui nous place directement dans l’intimité d’une conversation entre la femme et son pire ennemi: le serpent. Il semble que le narrateur omniscient le sait et veut en informer ces lecteurs. Seule la femme semble l’ignorer. Le narrateur est en train de préparer le choc qui va suivre.

En général dans les histoires, le personnage principal rencontre d’abord les petits adversaires. Une fois vaincus, il peut enfin se mesurer au chef des méchants. Ici, le narrateur focus sur l’affrontement ultime. le face-à-face avec « le plus rusé de tous les animaux des champs que l’Éternel Dieu avait faits », lequel, en fin de compte, lui proposera de le rejoindre dans sa réalité animale.

La lecture augustinienne minimise à l’extrême le rôle joué par le serpent, animal issu de la création, créé par Dieu. dans le récit. Or le narrateur montre qu’il y a, dans la création bonne de Dieu, une césure entre le « jardin » et les « champs » (en hébreu, sadé), lequel est la patrie des animaux sauvages. Nous avons d’un côté, en Adam, le représentant du Roi de l’univers, et de l’autre le serpent, le roi des champs, le plus rusé des animaux qui habite à l’extérieur du jardin.

Comme il n’a pas accès à l’arbre de vie, il connaît par conséquent la mort. Le narrateur ne dit rien sur l’absence de souffrance et de mort. Il semble qu’au contraire l’adversité et la mort était une réalité pour les animaux des champs.

Le serpent révèle que la tentation vient de la création elle-même, et non de Dieu ni uniquement de la condition charnelle de l’homme. Le serpent est le déclencheur, l’occasion qui fait le larron. Il est le symbole de toutes forces hostiles au sein de la création, de tout ce qui vient confronter l’homme dans son existence physique et spirituel.

Dans les mythologies du POA, le serpent était vu comme un animal mythique, symbole de mort mais aussi de guérison et de vitalité (pensons au serpent élevé par Moïse dans le désert) parce qu’il avait la capacité de muer. Le serpent faisait l’objet d’un culte chez les Cananéens. Le cobra se retrouvait sur les couronnes royales en Égypte. Pharaon était appelé « le grand serpent », et Marduk, la principale divinité babylonienne était représenté par un serpent rouge.

Non seulement le serpent était l’objet de la peur au quotidien à cause de sa morsure, mais le serpent incarnait le polythéisme régnant dans la culture, tentation constante pour Israël de tomber dans l’idolâtrie.

Dans un manuel scolaire pour étudiants de plusieurs facultés évangéliques, le professeur Henri Blocher, une des sommités théologiques pour les évangéliques réformés, identifie le serpent à l’ange déchu qu’est Satan. Ce faisant, il admet le problème que cela soulève: si le serpent est Satan, alors le péché a existé déjà avant l’homme et qu’on est obligé de « faire commencer le péché plus tôt, avant Éden »[1]. Mais en repoussant le premier péché dans un monde angélique, Blocher repousse aussi le problème du mal et le rend plus troublant encore : si les premiers être créés étaient de purs consciences spirituelles et s’ils ont péché sans avoir subi eux-mêmes de tentations… alors comment Dieu pouvait-il penser que le premier couple humain pouvait, lui, ne pas céder, contre cette tentation du prince des démons lui-même? Je vous laisse faire vos propres conclusions.

Cette lecture augustinienne pose plus de problèmes qu’elle n’en résout. Il faut explorer quelque chose. En dépit de nous ne sommes pas des docteurs en théologie, nous ne pouvons tolérer que nos élites académiques maintiennent le statut quo sur ce texte capital.

Dans le dernier billet, nous évoquions l’idée de plus en plus répandu que la « bonté » du monde n’exclue pas l’adversité, la faillibilité, l’angoisse, la fragilité, l’incertitude et les dangers inhérents à l’existence humaine. Genèse 3 est le prototype de toutes les tentations que connaîtra Israël devant l’imminence de la conquête, ainsi que celle de chaque homme devant le choix de suivre Dieu. Le serpent est le symbole de toutes forces hostiles, qu’elles soient naturelles ou spirituelles, que l’homme trouve toujours sur sa route, le testant, l’éprouvant, lui révélant son cœur, et lui montrant son besoin de Dieu.

 

Et ces forces hostiles sont présentes depuis le début du monde. Ils sont là à côté du jardin. Ge 3 révèle qu’il est impossible à l’homme de les surmonter par ses propres moyens. Sans Dieu, l’homme ne peut vaincre le serpent.Pour cela, il devra expérimenter sa grâce divine qui seul peut le sauver et l’amener dans la plénitude de la vie.

Notes


[1] P. 54

[2] Il est vrai que la figure du serpent finira par représenter Satan « le prince de ce monde » (Jean 12.31), la puissance des ténèbres (Actes 2616), le diable (Ap 12.9). Mais le serpent représente aussi d’autres figures dans l’AT, comme celle des monstres marins (Ps 74. 13-14; 89.11; Job 7.12).

Si on peut inclure la figure de Satan dans celle du serpent, on ne peut pas résumer le serpent à la figure de Satan. Le serpent est le symbole qui incarne les forces hostiles qui font la guerre à l’humanité.

 


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