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L'évolution expliquée ♥♥♥


Dans le dernier billet de cette série, nous avons introduit le concept de mutualisme, relation symbiotique entre deux espèces qui peut être mutuellement bénéfique. Dans le cas des figues et des guêpes, une espèce (le figuier) se fait logement pour l’autre (la guêpe de figuier) contre une portion de son cycle de vie. Malgré la proximité de ce type d’interaction mutualiste, les figues et les guêpes, bien sûr, se distinguent comme entités séparées. En effet, on trouve des  preuves montrant que certaines espèces de guêpes ont changé d’arbre hôte dans le passé, ce qui démontre leur indépendance (partielle). Cependant, certaines relations mutualistes sont si anciennes et si entremêlées qu’on ne considère plus les deux entités comme séparées. On pense que les mitochondries et les chloroplastes – organites[1] responsables de la conversion de l’énergie chez les eucaryotes – sont un exemple de ce mutualisme ancien. De nombreuses lignes d’évidence soutiennent l’hypothèse selon laquelle ces organites sont les descendants de bactéries endosymbiotiques (littéralement, « vivre ensemble, au sein de »).

Les mitochondries et les chloroplastes : des endosymbiotes ?

Les mitochondries, s’il vous reste quelques souvenirs de vos cours de biologie, sont des organites délimités par des membranes responsables de la conversion de l’énergie chez les eucaryotes. Les eucaryotes sont des cellules qui ont un noyau, autre structure délimitée par une membrane qui abrite de l’ADN. Les eucaryotes sont l’un des trois « domaines » de la vie, les deux autres étant les lignages qui n’ont pas de noyau (ceux qu’on appelle les domaines procaryotes, les bactéries et les archées). Tous les animaux, plantes et champignons sont des eucaryotes, et tous les eucaryotes ont des mitochondries, exception faite de certains lignages qui les ont perdues.

D’autre part, les chloroplastes sont des organites qui peuvent opérer la photosynthèse (c’est-à-dire qu’ils utilisent la lumière pour la convertir en énergie). Alors que tous les eucaryotes ont des mitochondries, seuls quelques eucaryotes ont des chloroplastes (les algues vertes et les plantes).

Les mitochondries et les chloroplastes ont des caractéristiques qui ont longtemps posé problème aux biologistes. Les deux organites ont leur propre génome (un cercle fermé d’ADN), et une activité de traduction des protéines (ribosomes) qui est distincte de celle des ribosomes cellulaires codés par le noyau. Ils se divisent tous les deux par scissiparité binaire (en se divisant en deux), et ne participent pas à l’échange de vésicules cytoplasmiques avec d’autres organites. Un examen plus approfondi de ces caractéristiques et d’autres a montré que dans tous les cas, ces similitudes les rapprochaient plus des bactéries que des eucaryotes: les bactéries ont des génomes ADN circulaires ; les ribosomes des mitochondries et des chloroplastes ressemblent plus à des ribosomes bactériens ; et la scissiparité  binaire est un mode de réplication bactérien. Peu à peu, l’hypothèse selon laquelle les mitochondries et les chloroplastes sont les vestiges endosymbiotiques d’une bactérie libre est devenue une théorie au sens scientifique du terme. Des séquençages récents ont montré la proximité de tous les lignages des mitochondries, bien plus proches entre eux que des bactéries libres (les lignages vivants les plus proches étant le groupe des alpha-proteobacteria Candidatus Pelagibacter ubique), et soutiennent ainsi l’hypothèse d’un événement endosymbiotique qui aurait conduit aux mitochondries il y a très longtemps dans l’histoire de l’évolution (il y a environ 1,45 milliards d’années ou plus, soit avant ou juste après l’origine des eucaryotes). De même, les génomes des chloroplastes sont bien plus proches entre eux lorsqu’on les compare à des cyanobactéries existantes, leurs parents vivants et libres les plus proches.

Une arrivée tardive

Jusqu’à récemment, on pensait que les chloroplastes étaient les descendants d’un seul événement endosymbiotique ayant eu lieu il y a bien longtemps (il y a environ 1 milliard d’années). Des travaux sur l’amibe[2] Paulinella chromatophora a cependant donné des preuves fortes en faveur d’un second événement endosymbiotique indépendant, conduisant à un organite photosynthétique. P. chromatophora porte ce nom à cause de ses deux « chromatophores » photosynthétiques, des structures endosymbiotiques et photosynthétiques qui ressemblent de façon encore plus frappante que les chloroplastes à une cyanobactérie libre photosynthétique. L’ADN des chromatophores de P. chromatophora ne se regroupe pas de près avec les chloroplastes, mais plutôt avec un autre lignage de cyanobactéries libres. Morphologiquement, les chromatophores des P. chromatophora retiennent un peu de la structure de la paroi de la cellule bactérienne de leurs ancêtres cyanobactériensque les chloroplastes ont perdue. De plus, le mécanisme de transfert des protéines codées par le génome hôte dans les chromatophores se distingue du mécanisme de le transport des protéines dans le chloroplaste.

D’un point de vue fonctionnel, l’amibe dépend des chromatophores pour la photosynthèse, et les chromatophores ne peuvent pas survivre en tant que cyanobactéries libres. Une analyse de séquence indique que plusieurs gènes chromatophores clés ont été transférés au génome hôte (nucléaire), phénomène observé égalementchez les mitochondries et les chloroplastes. Une analyse de séquence ADN a estimé la date de la divergence entre le chromatophore et la cyanobactérie (et ainsi l’événement d’endosymbiose) à 60 millions d’années, ce qui n’est rien par comparaison au milliard d’années depuis lesquelles les ancêtres des chloroplastes sont entrés dans leur cellule hôte. Ce second événement d’endosymbiose est ainsi un autre exemple d’évolution convergente, dans le  sens qu’ il produit un organite obligatoire, endosymbiotique, et photosynthétique, mais divergent dans les détails : l’organisme ancestral libre était une cyanobactérie distincte, et les détails de l’intégration moléculaire de l’hôte ainsi que les endosymbiotes sont différents.

Une limace en photosynthèse

La capacité d’utiliser l’énergie solaire pour la convertir en énergie dans la cellule est de toute évidence un grand avantage pour les organismes photosynthétiques. Il est intéressant de voir que certains lignages animaux ont développé une relation quasi endosymbiotique qui leur permet de photosynthétiser en utilisant des chloroplastes capturés. Par exemple, plusieurs espèces de limaces de mer sont capables de retenir les chloroplastes à partir des algues qu’elles mangent, de les distribuer dans leurs propres tissus et ensuite de les utiliser pour la photosynthèse, ce qui les libère du besoin d’ingérer plus de nourriture pendant plusieurs mois.

La limace de mer Elysia chlorotica utilise les chloroplastes des algues dont elle se nourrit pour photosynthétiser à partir de ses propres tissus.

La limace de mer Elysia chlorotica utilise les chloroplastes des algues dont elle se nourrit pour photosynthétiser à partir de ses propres tissus.

Bien que cet événement ne soit pas vraiment endosymbiotique (les chloroplastes n’étaient pas libres au départ, meurent sans se reproduire, et doivent ainsi être remplacés), il est tentant de spéculer qu’un arrangement similaire entre l’eucaryote ancestral et sa proie cyanobactérienne a pu conduire à l’ancêtre originel des chloroplastes d’aujourd’hui. La formation de chromatophores dans les P. Chromatophora a peut-être commencé de façon similaire aussi, hypothèses qui peuvent guider la recherche  dans ce domaine. Les événements endosymbiotiques qui ont conduit aux mitochondries et aux chloroplastes ont été des étapes majeures dans l’histoire de l’évolution. Dans le prochain billet de cette série, nous examinerons un autre événement majeur dans l’évolution : ce qu’on appelle l’explosion cambrienne.

Pour en savoir plus :

Martin, W. & Mentel, M. (2010) The Origin of Mitochondria. Nature Education 3(9): 58. http://www.nature.com/scitable/topicpage/the-origin-of-mitochondria-14232356

Thrush, J.C. et al., (2011). Phylogenomic evidence for a common ancestor of mitochondria and the SAR11 clade. Scientific Reports 1; 13doi:10.1038/srep00013. http://www.nature.com/srep/2011/110614/srep00013/full/srep00013.html

Archibald, J.M. (2006). Endosymbiosis: Double-Take on Plastid Origins. Current Biology 16: R690 – R692. http://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0960982206019804

Nakayama T. and Archibald, J.M. (2012).  Evolving a photosynthetic organelle. BMC Biology, 10:35. http://www.biomedcentral.com/1741-7007/10/35

 



[1] Structures spécialisées entourées d’une membrane que l’on trouve au sein des cellules eucaryotes dans le liquide cellulaire qu’on appelle le cytoplasme

[2] Organisme eucaryote constitué d’une seule cellule


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