Article 6 sur un total de 48 pour la série :

L'évolution expliquée ♥♥♥


Introduction (Pascal Touzet)

Aujourd’hui, Dennis Venema (article original ici) utilise l’exemple du génome du chien et de l’Homme pour expliquer les mécanismes clés de l’évolution que sont la mutation, qui génère de la variation aléatoire (vis-à-vis d’une possible adaptation à l’environnement) et la sélection naturelle qui favorise certains variants au dépens d’autres. La domestication du chien, s’est accompagnée d’une adaptation à un régime alimentaire riche en amidon. Une variation aléatoire consistant en la duplication d’un gène codant pour une enzyme capable de casser l’amidon en molécule de glucose assimilable, a permis aux individus portant cette variation de produire plus de cette enzyme et donc de mieux assimilées cette source carbonée. Une histoire similaire s’est produire dans la lignée des primates avec dans un deuxième temps la captation d’un virus qui a amené à la spécialisation des deux copies dans le génome des humains. Une histoire bien belle et complexe que celle du vivant !

Bonne lecture !

 

 

Comment ça marche, la sélection naturelle ?

Lors des deux derniers billets de cette série, nous avons examiné la manière dont la sélection artificielle et naturelle avait modelé le génome du chien à travers le temps. L’un des exemples que nous avons discuté était la duplication du gène de l’amylase chez les chiens. Rappelons que l’amylase est une enzyme (protéine particulière) produite dans le pancréas qui permet de casser l’amidon. La duplication augmente la quantité d’amylase sécrétée dans le système digestif du chien et a donc permis aux chiens possédant la duplication de mieux exploiter le régime fort en amidon qu’ils recevaient des hommes. Puisqu’elle permettait un bénéfice nutritionnel aux chiens qui le portaient, ils se reproduisaient un peu plus que les chiens n’en possédant pas.

L’événement originel de la duplication aurait été une erreur lors de la reproduction des chromosomes chez un chien. A travers beaucoup de générations, la variante du « gène d’amylase dupliqué » serait devenue de plus en plus commune dans la population, puisque des chiens la possédant auraient laissé plus de chiots en moyenne que ceux ne la possédant pas. Plus tard, des duplications se seraient ajoutées à la duplication originale, donnant à certains chiens une quantité encore plus importante d’amylase. Finalement, la variante originale non dupliquée aurait disparu de la population du chien dans son ensemble, bien qu’elle eût persisté chez les loups. Notez bien qu’il y a une probabilité raisonnable qu’une duplication similaire ait eu lieu chez le loup à un certain moment, mais elle n’aurait pas été sélectionnée, puisque les loups n’auraient reçu aucun bénéfice d’une meilleure performance dans la digestion de l’amidon. Une telle duplication, si elle a eu lieu, aurait été perdue par la population du loup.

Pour résumer, le processus dans son ensemble a quelques étapes qui peuvent être généralisées :

La mutation par le hasard :

le terme de hasard peut être un mot lourd théologiquement, mais en vue de notre objectif, nous utiliserons une définition biologique : l’évènement de mutation (la duplication) était « hasardeux quant à la santé, la performance… » Cela signifie que l’événement de mutation n’était pas connecté avec ni ne prévoyait le bénéfice qu’il permettrait. C’était juste l’une des nombreuses mutations qui avaient lieu chez les chiens ancestraux. Nous le savons parce que la mutation a été transmise aux chiens d’aujourd’hui (étant donné son avantage sélectif). J’ai souvent rencontré l’idée fausse parmi les non-biologistes que les mutations étaient toujours nuisibles, ou alors retiraient toujours des fonctions et des informations. Comme cet exemple l’illustre, les mutations peuvent être avantageuses dans beaucoup de cas, ajouter des copies de gènes, de nouvelles fonctions et de l’information à l’organisme aussi. Dans un prochain billet de cette série, nous explorerons un large éventail de mutations différentes et examinerons comment elles peuvent ajouter ou retirer des fonctions – mais pour notre objectif présent, il est suffisant de dire que toutes les mutations ne sont pas nuisibles et que certaines sont clairement avantageuses.

La sélection naturelle :

Une fois que la nouvelle variante dupliquée est survenue, elle a permis un avantage reproductif par comparaison à la version non dupliquée. A chaque fois qu’une variante se reproduit plus rapidement qu’une autre, il  s’agit de la sélection naturelle. La variante dupliquée est devenue de plus en plus commune dans la population (puisque les chiens la possédant se reproduisaient en moyenne plus souvent que ceux ne la possédant pas). Souvent, la sélection naturelle est vue comme un massacre soudain et dramatique des « non-adaptés » où ne survivraient que les nouveaux individus, « très évolués ». Ceci est une compréhension populaire mais elle est inexacte : la sélection naturelle peut être aussi simple qu’une petite augmentation du taux de reproduction à travers de nombreuses générations. Dans ce cas, les chiens sans les gènes d’amylase dupliqués continuaient à se reproduire, mais juste un peu moins souvent que les chiens possédant cette duplication.

Changement dans les caractéristiques moyennes de la population à travers le temps :

Au début du processus, seul un chien avait une capacité augmentée de produire de l’amylase. A la fin du processus, bien des générations plus tard, tous les chiens avaient cette capacité, parce qu’ils avaient tous hérité de cette version dupliquée (c’est-à-dire qu’elle avait remplacé la variante non-dupliquée dans la population). A travers le temps, la capacité moyenne de la population de digérer l’amidon a augmenté. Encore une fois, une fausse idée de l’évolution est de la considérer comme un processus dramatique et soudain, avec des progénitures qui diffèrent beaucoup de leurs parents. Ce n’est pas le cas : l’évolution est un processus graduel, avec des caractéristiques moyennes se déplaçant lentement à travers le temps à l’intérieur d’une population qui se développe.

En résumé, les mutations introduisent des variations ; toutes les variantes ne se reproduisent pas à la même fréquence dans un environnement donné (c’est-à-dire que l’environnement agit comme un filtre sélectif). A travers de nombreuses générations, ces effets peuvent déplacer les caractéristiques moyennes d’une population.

                     selection-naturelle

La sélection naturelle a-t-elle formé le génome humain ?

Parfois certains étudiants ayant appris ce qu’était la sélection naturelle dans d’autres organismes se braquent à l’idée que ce processus ait eu lieu dans nos propres origines. Malgré cette hésitation, il y a beaucoup de preuves qui permettent d’avancer que notre propre lignage a été sujet à la sélection naturelle à travers la longue histoire qui a conduit à notre espèce. Un exemple de cette preuve vient de l’histoire de nos propres gènes d’amylase. Cette histoire partage des similitudes avec ce que nous avons vu concernant le lignage des chiens, mais elle possède aussi des différences intéressantes.

Contrairement aux chiens, les humains ont deux types distincts de gènes d’amylase. Les deux types ont la même fonction enzymatique (casser l’amidon), mais ils sont produits dans différents lieux du corps. L’un des types est produit dans le pancréas, exactement comme l’enzyme équivalente des chiens. Mais contrairement aux chiens, les humains ont de l’amylase dans leur salive aussi. Cette amylase « salivaire » travaille assez rapidement pour que nous percevions les aliments amidonnés comme sucrés lorsque nous les mâchons –l’amylase travaille sur l’amidon, la casse en glucose assez rapidement pour que nous le goûtions. Des études ont aussi montré que l’amylase salivaire continue à briser l’amidon jusqu’à l’estomac et nos intestins – augmentant ainsi la quantité de glucose que nous pouvons extraire d’aliments riches en amidon.

Comme on s’y attend[i], les gènes d’amylase humains pancréatique et salivaire se situent côte à côte dans nos génomes, et montrent par des signes clairs qu’ils sont des duplications l’un de l’autre. Tous les mammifères ont des gènes d’amylase pancréatiques, et le premier événement de duplication a produit une seconde copie, exactement comme nous l’avons vu pour les chiens. Ce doublement de l’amylase pancréatique aurait probablement été un avantage et aurait été naturellement sélectionné comme ce qui a eu lieu pour les chiens. Le fait que les humains et d’autres grands singes partagent le même événement de duplication indique que cet événement a eu lieu chez l’ancêtre commun de ces espèces, il y a quelque chose comme 16-20 millions d’années.

Une fois que les deux gènes d’amylase pancréatiques ont été présents dans notre lignage ancestral, un deuxième événement a eu lieu qui a altéré l’une des copies : un rétrovirus endogène inséré dans le génome à côté de l’une des copies. (Un rétrovirus est un virus qui insère son propre génome dans le génome de son hôte et fait ainsi partie de son cycle d’infection. Un rétrovirus endogène (ou endovirus) s’insère dans le génome de cellules reproductrices, comme l’ovule ou le sperme – et une fois inséré, il peut persister à un endroit  spécifique dans le génome hôte et être transmis ensuite de génération en génération.) Cet événement d’insertion du rétrovirus a altéré la séquence d’ADN qui contrôlait le moment et le lieu où l’amylase était faite – et au lieu d’être fabriquée dans le pancréas, la copie altérée a commencé à la fabriquer dans les glandes salivaires[ii]. A travers le temps, cette nouvelle combinaison (une copie pancréatique et une copie salivaire) est passée par la sélection naturelle et a remplacé la version précédente qui lui a donné naissance (deux copies pancréatiques).

Pour résumer.

L’histoire du gène d’amylase humain rassemblée jusqu’ici indique par des signes clairs des mutations répétées (comme des duplications) couplées avec la sélection naturelle pour produire les gènes que nous voyons chez les humains aujourd’hui. Bien entendu, si les humains avaient été directement créés sans un ancêtre commun, il n’y aurait aucun besoin de créer ces gènes directement puis de leur implanter des indices d’une histoire alambiquée – pourtant ce que nous voyons, encore et encore, est la preuve de la mutation et de la sélection naturelle. Il semble que Dieu se réjouît de créer cet aspect de notre biologie lentement, à travers ce que nous percevons comme un processus « naturel » — mais bien entendu, ce que nous percevons comme « naturel » n’est rien d’autre que le travail constant de la providence ordonnée et soutenue de Dieu, travail accessible à l’enquête scientifique. En devenant humains, déplaçant notre régime alimentaire par l’agriculture vers une alimentation amidonnée, ce mécanisme donné par Dieu nous a autorisés à profiter du changement de notre environnement.

Demain, nous continuerons cette histoire et l’utiliserons pour discuter des preuves d’une sélection naturelle toujours à l’œuvre dans les populations humaines.


[i] Le format de cet article ne nous permet pas d’avoir une discussion détaillée des caractéristiques des nombreuses copies des gènes d’amylase qui révèlent l’histoire de leur duplication et/ou  de leur mutation. Les lecteurs intéressés par les détails peuvent lire les articles publiés suivants :

Samuelson, L.C. et al., (1996). Amylase gene structures in primates: retroposon insertions and promoter evolution. Molecular Biology and Evolution 13; 767-779. (link)

Meisler, M.H. and Ting, C.N. (1993). The remarkable evolutionary history of the human amylase genes. Crit Rev Oral Biol Med 4; 503-509. (link)

[ii] Pour les lecteurs qui suivent la littérature du Dessein Intelligent (ID) de près, la production de la séquence promotrice salivaire est ce que Michael Behe, partisan de l’ID, décrit comme une mutation de « gain d’élément codé fonctionnel » (FCT). La séquence promotrice est partiellement dérivée de la séquence du rétrovirus et de celle de l’ADN qui se situe à côté du lieu de l’insertion du rétrovirus. En tant que tel, ni le virus ni l’ADN hôte ne contiennent  ce FCT qui se produit dans la glande salivaire. Leurs séquences combinées créent le FCT et ce FCT est perdu quand le virus se retire d’une des copies, la faisant revenir à une production pancréatique. Les lecteurs peuvent se rappeler que j’ai critiqué les arguments de Behe basés sur les FCT dans un article précédent.


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