Une théorie, une hypothèse ou un modèle éprouvé?

 

Le débat Science & Foi est souvent le théâtre d’un sous-débat autour du sens du mot « théorie ».

Quand ils disent « l’évolution n’est qu’une théorie », certains entendent la rabaisser au niveau d’une simple hypothèse. L’opposant s’empressera alors de souligner qu’une théorie est plus qu’une hypothèse. S’ensuit en général une partie de ping-pong sémantique où les dictionnaires font office de raquettes.

Le problème dans tout ça et qu’à l’heure d’employer le mot « théorie », les scientifiques se fichent pas mal de la définition exacte qu’en donnent les dictionnaires[1]. La même étiquette « théorie » se trouve ainsi collée sur des idées très spéculatives, tout autant que sur des connaissances amplement vérifiées par l’expérience et/ou l’observation.

Voyons un exemple de chaque.

 

La théorie des cordes

Elle est actuellement l’une des meilleures candidates à l’unification de la mécanique quantique et de la relativité générale. Que ce soit en français en anglais ou en espagnol, on la désigne toujours de cette manière : théorie des cordes. Et là, il s’agit d’une théorie hautement spéculative qui n’a pour le moment reçu aucune confirmation expérimentale ou observationnelle. Ce n’est pas qu’on ne veuille pas le faire, c’est juste que c’est très difficile. En conséquence, comme l’écrit le théoricien des cordes Joseph Conlon au chapitre 7 de son ouvrage Why String Theory ?, chapitre le plus court de l’histoire de la littérature scientifique dont je copie ici la page,

 

théorie des cordes

Il n’y a pas de preuve expérimentale directe de la théorie des cordes

 

Passons maintenant à une autre théorie.

 

La théorie quantique des champs

C’est la version la plus aboutie de la mécanique quantique, aventure scientifique qui a commencé il y a à peu près 100 ans. Que ce soit en français en anglais ou en espagnol, on la désigne toujours de cette manière : théorie quantique des champs. Mais là il s’agit de l’une des théories les mieux confirmée par l’expérience ou l’observation. Le pompon est détenu par la mesure du « moment magnétique anormal de l’électron » où l’accord théorie/expérience atteint l’équivalent d’une erreur de 3 cm sur la distance Paris-Madrid[2]. Une grande partie du monde industriel actuel repose sur la mécanique quantique. Bref, c’est bien plus qu’une simple hypothèse.

 

Qu’est-ce qu’une théorie ?

Ainsi donc nous avons là affaire à 2 théories complètement différentes l’une de l’autre quant à leur caractère spéculatif. La première, la théorie des cordes, est pour le moment complètement spéculative. La seconde, la théorie quantique des champs, est confirmée expérimentalement avec un degré de précision incroyable et vous vous en servez tous les jours. Pourtant l’usage veut qu’on les désigne toutes les deux par le même mot « théorie ».

Qu’est-ce donc qu’une théorie ? Je crains fort qu’en l’occurrence, un dictionnaire ne puisse remplacer une réelle compréhension de ce dont on parle.

 

 

 

Notes


[1] Je parle en physicien. J’ignore si un biologiste dirait la même chose.

[2] L’erreur est de 3 mètres pour une autre particule dénommée « muon » ce qui donne lieu a pas mal de débat.