Un récent sondage à propos du monde protestant a  apporté un éclairage très intéressant à propos des « mutations sociologiques » chez ces chrétiens (dont je fais partie). En parcourant l’étude à propos des pasteurs, j’ai constaté que l’interprétation du récit de la création constituait pour les sociologues qui ont préparé ce sondage un test en ce qui concerne leurs inclinaisons théologiques. Voici les résultats de ce sondage dont vous trouverez l’intégralité à l’adresse suivante :

http://www.protestants.org/fileadmin/user_upload/Protestantisme_et_Societe/documentation/pasteurs-ifop.pdf

Je ferai quelques commentaires après.

 

« Les pasteurs de France au miroir d’une enquête effectuée par l’IFOP en 2010 sur la base de 750 réponses 

Les pasteurs de France au miroir d’une enquête effectuée par l’IFOP en 2010 sur la base de 750 réponses. Le questionnaire à la base de cette enquête sur les pasteurs de la Fédération Protestante de France a été élaboré par Sébastien Fath et Jean-Paul Willaime. Ces derniers l’ont élaboré en concertation avec l’IFOP et en consultant la Fédération Protestante de France qui s’est chargée de l’envoi du questionnaire aux 1605 pasteurs relevant de l’une de ses Eglises membres. …750 réponses, arrivées dans les délais, ont été traitées…

Les différentes sensibilités se traduisent aussi au plan herméneutique dans la façon de considérer le texte biblique.

Le sens donné au récit biblique de la création

Un texte exprimant le sens de la création du monde

Pasteurs : 56 % / / Protestants : 46 %

Un mythe signifiant la condition de l’homme dans la création du monde

Pasteurs : 33 % / / Protestants : 31 %

Un récit historique

Pasteurs : 10 % / / Protestants : 22 %

Les pasteurs sont nettement moins nombreux que leurs fidèles à percevoir le récit biblique de la création comme un récit historique. Mais, comme le montre le tableau ci-après, les pasteurs exerçant dans une Eglise évangélique ou dans une Eglise pentecôtiste sont nettement plus nombreux que leurs confrères réformés et luthériens – même s’il s’agit d’une minorité à considérer le récit biblique de la création comme un récit historique : respectivement 23 % et 21 % alors qu’une infime minorité (1 ou 2 %) de pasteurs réformés et luthériens vont dans ce sens. L’autre clivage très net concerne la perception du récit biblique de la création comme un mythe : si 52 et 54 % des pasteurs réformés et luthériens partagent cette vision du texte biblique, c’est seulement le cas de 4 % des pasteurs évangéliques et pentecôtistes.

Un texte exprimant le sens de la création du monde

Pasteurs exerçant leur ministère dans une Eglise

réformée : 45 %  ; luthérienne : 48 % ;  évangélique : 72 % ;  pentecôtiste : 79 %

Un mythe signifiant la condition de l’homme dans la création du monde

Pasteurs exerçant leur ministère dans une Eglise

réformée : 52 % ;  luthérienne : 54 % ; évangélique : 4 % ; pentecôtiste : 4 %

Un récit historique

Pasteurs exerçant leur ministère dans une Eglise

réformée : 2 %  ; luthérienne : 1 % ; évangélique : 23 % ; pentecôtiste : 21 %. »

Quelques commentaires personnels :

A propos des questions posées aux pasteurs, je suppose qu’il fallait donc choisir une de ces trois affirmations. J’y vois une réelle difficulté, parce que ces affirmations ne s’excluent pas mutuellement. Par exemple, je suppose que tous les pasteurs seraient d’accord avec l’affirmation du fait que le récit de la création est un texte indiquant son sens, ceci n’a rien de contradictoire avec le fait d’y voir un récit historique. Je suppose donc que les pasteurs ont répondu par l’affirmation qui leur paraissait la plus importante, je doute que seulement 20% des pasteurs évangéliques et pentecôtistes croient que le récit de la création est historique. Un croyant (et un pasteur !) pourrait pourtant être d’accord avec les trois affirmations en même temps. Il est clair que la plus grande proportion de « créationnistes » se trouvent chez les évangéliques et les pentecôtistes.

D’ailleurs, que signifie croire que le récit est « historique » ? C’est très vague. Ce qualificatif pourrait s’appliquer à un pasteur qui croit que Dieu a créé la terre en six jours de 24 heures il y a quelques milliers d’années, ou bien à quelqu’un qui croît que ces 6 jours de la création correspondent à des époques géologiques de plusieurs millions d’années…Une interprétation « historique » pour l’un sera considérée comme « libérale » par un autre. Fallait-il croire dans l’existence d’un serpent « réel » qui perd ses pattes ? D’Eve tirée littéralement de la côté d’Adam, et d’Adam littéralement façonné à partir de la glaise ?

La notion de mythe est-elle d’ailleurs contradictoire avec celle d’historicité ? Dans le sens populaire, la notion de mythe est pratiquement synonyme de récit « mensonger », et on comprend bien pourquoi certains chrétiens refusent par conséquent de qualifier un passage biblique de « mythe ». Pourtant, d’autres chrétiens pensent qu’Adam et Eve sont des personnages mythiques au sens technique du terme, que le récit de leur histoire et de leur « chute » relate des évènements qui ont bel et bien un caractère historique, même s’ils ne se sont pas passés littéralement comme cela est raconté par l’auteur de la Genèse.

Pour être franc, je suis surpris de voir aussi « peu » de pasteurs évangéliques et pentecôtistes affirmer que pour eux, le récit de la création est un récit « historique ».  Ils ont préféré mettre en avant le « sens » du récit plutôt que son historicité.  Le sondage reflète-t-il la réalité? Si oui, il semble bien que le créationnisme anti-évolutionniste ne constitue pas une caractéristique du monde évangélique français, contrairement à ce qui se passe aux Etats-Unis. J’ai des doutes sur la capacité du sondage à répondre à cette question (ce n’était pas son but), mais si tel est le cas, je ne pourrai que m’en réjouir !