Un article récent sur ce même blog traitait de la sagesse Canada Dry. Une sagesse qui en a le gout, la couleur, mais n’en est pas. Il se trouve qu’il existe également (au moins une) Science Canada Dry. Elle en a le gout, la couleur, mais elle n’en est pas. Je veux parler de la dénommée « science créationniste » (SC). Voyons cela.

 

Créationnisme Scientifique

La SC, prétend employer ce qu’on appelle la méthode scientifique pour établir que le monde a 6000 ans, et que la lecture littérale des premiers chapitres de la Genèse est factuellement exacte. On peut s’étonner qu’étant donné l’état de guerre ouverte entre la science et le créationnisme, ce dernier ait voulu la récupérer. Je suppose que ses artisans se sont dits que la science n’étant après tout qu’une affaire de bon sens, il vaut mieux l’avoir de son côté.

Mais comme la science « laïque » (SL) ne corrobore absolument pas une lecture littérale de la Genèse, il a fallu en fabriquer une autre, parallèle, dont c’est la mission. C’est la fameuse SC.

 

Quels sont donc les ingrédients de la SL qui « font scientifiques » ?

Il nous faut des universités, ou bien des instituts de recherche. Il faut aussi des gens, docteurs si possible, pour mettre dedans. Il faut enfin que ces gens publient leurs recherches dans des revues spécialisées. Il existe surement d’autres signes extérieurs, mais je m’arrête là.

Tous ces ingrédients ont été reproduits par le créationnisme. Liberty University, par exemple, enseigne ouvertement, au niveau universitaire, le créationnisme jeune terre en tant que représentation fidèle de l’histoire de l’univers. Des instituts comme Institute for Creation Research font de même.

Passons au deuxième ingrédient, les gens. Les institutions que je viens de mentionner sont donc peuplées de docteurs et d’étudiants supposés faire de la recherche. Concernant les docteurs, il serait prudent de remplacer « peuplées » par « saupoudrées », car ils ne sont pas très nombreux. En astrophysique, par exemple, 3 noms reviennent sans cesse : Jason Lisle, Andy McIntosh et Russel Humphreys. Seul le premier a vraiment travaillé en astrophysique (physique solaire, plus exactement). Mais, comment se permettre d’être exigeant quand il n’y a presque personne d’autre ? Bref, les docteurs en physique, qualifiés en astrophysique et soutenant la thèse d’un univers vieux de 6000 ans, se comptent sur les doigts des 2 mains.

 

Finissons par les revues spécialisées. Comme il a déjà expliqué sur ce blog, les chercheurs de la SL ont coutume de publier leurs trouvailles dans des revues dites à comité de lecture. « Comité de lecture » signifie simplement qu’avant qu’un article y soit publié, au moins un expert en effectue une lecture critique. Il va sans dire que l’expert en question doit être un spécialiste du sujet de l’article. A la réception d’un article, le responsable de la revue, son « éditeur », va donc contacter un ou plusieurs experts pour avoir leur opinion.

 

Vous avez dit « expert » ?

Je voudrais ici faire un commentaire important sur ce qu’est un « expert » dans ce contexte. La frontière de la connaissance est vaste. Très vaste. C’est une chose de savoir ce qui s’y passe dans les grandes lignes, c’en est un autre, bien différente, de travailler sur l’un de ses tronçons. Un exemple : j’ai déjà publié 7 fois dans « Astrophysical Journal » et passé, en temps cumulé, 1 an au département d’astrophysique de Harvard. Est-il arrivé qu’un éditeur demande mon avis sur un article de recherche en cosmologie ? Jamais. Et si cela arrivait, je refuserais de le faire. Je connais la ville, dans son ensemble, mais je ne connais pas les souterrains, les ruelles dont on ignore si elles sont sans issues ou pas, les galeries souterraines. Ce n’est pas parce que l’on va souvent à New York qu’on peut y être chauffeur de taxi (sans GPS). Les experts que contactera l’éditeur, ce sont les chauffeurs de taxi[1].

Une fois récoltés les précieux commentaires des taxis, l’éditeur décide de publier l’article, ou non.

 

Publications et partage avec la communauté scientifique

Quels sont les principaux critères d’acceptation d’un article ? Vous trouverez ici ceux de Physical Review Letters. Ils sont représentatifs de tous les journaux que je connais en physique. La méthode exposée doit être exempte d’erreur de raisonnement, ou de calcul. Le résultat annoncé doit être nouveau, et intéressant. S’il s’agit d’une expérience, le protocole expérimental doit être décrit avec suffisamment de détails pour que d’autres puissent la reproduire. Rien de très surprenant. On le voit, ce qui est sanctionné, c’est la méthode. Pas le résultat. La conduite, pas la destination.

 

L’ensemble des journaux à comité de lecture constitue l’arène où débattent les spécialistes. A ce titre, ils représentent une composante vitale du monde scientifique. Mais comme les articles issus de la SC n’arrivent pas à passer la barrière des experts, cette dernière a fini par se doter de son propre système de revues spécialisées. Voyons le premier paragraphe du texte énonçant les exigences du Journal of Creation envers ses auteurs potentiels :

« Journal of Creation » a pour but de soutenir l’autorité des 66 livres de la Bible, en particulier en ce qui concerne les origines. Tous nos éditeurs adhèrent à la profession de foi du « Creation Ministries International » (CMI), et la plupart des articles publiés seront conçus pour la soutenir. En de rares occasions, d’autres articles seront publiés sur leur mérite, s’ils peuvent clarifier certains problèmes[2].

 

Conclusion

Tout est dit[3]. Quel est le premier critère de sélection énoncé ? Le travail publié doit être conçu de sorte qu’il soutienne la profession de foi du CMI. Sauf erreur de ma part, tous les autres critères portent sur la forme (taille des caractères, structure de l’article, etc), pas sur le fond. Il s’agit là d’une illustration magistrale des propos de Peter Enns traduis sur ce même blog : « Le vrai scandale de la réflexion évangélique, c’est que la doctrine dicte les conclusions académiques ».

Si la SL avait ainsi verrouillé en amont ses conclusions, jamais l’ADN, le Big Bang, la mécanique quantique, la tectonique des plaques, la théorie du chaos, la relativité, et j’en passe, n’auraient été découverts, pour la bonne en simple raison que personne, 20 ou 30 ans avant, ne s’attendait à trouver tout cela.

Pour être absolument certaine que l’observation, le raisonnement, la logique, bref, la « science », ne déboulonnera jamais ses conclusions, la SC a choisi de la museler ; D’en faire un animal domestique qu’elle peut dès lors revendiquer. Il est dès lors tout à fait normal de n’y trouver que des articles soutenant une vision terre jeune ou bien niant l’évolution, puisque les travaux publiés n’ont pas le droit d’aboutir à une autre conclusion.

 

 


Notes

[1] Enfonçons le clou : l’un de mes amis est docteur en astrophysique de l’université de Princeton. Il vient de passer 4 ans au département d’astrophysique de Harvard, et prendra en septembre 2016 ses fonctions de professeur au département d’astrophysique de l’université Columbia, à New York. A-t-il jamais été démarché par un éditeur pour faire un rapport sur un article traitant, par exemple, de spéculations sur le Big Bang ? Jamais.

[2] Cette dernière phrase est, je l’avoue, assez obscure. Voici l ’original: « Rarely, other papers may be accepted for publication on merit so that certain issues can be clarified.”

[3]  « Answers Research Journal », autre revue du même acabit, est à l’avenant. Sa page de présentation stipule « ARJ diffusera des recherches menées par des experts créationnistes en théologie, histoire, archéologie, anthropologie, biologie, géologie, astronomie… qui démontrent la validité du modèle terre jeune, du déluge globale, de la non-évolution… ». Ici encore, l’objectif clairement avoué est de soutenir des conclusions préétablies. Un article qui ne va pas dans ce sens ne sera pas publié.