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Présentation

Le troisième RDV de la pensée protestante s’est tenu du 25 au 27 juin 2021 dans le cadre fabuleux (!) de la Faculté Adventiste de Théologie à Collonges-sous-Salève (74).

Pour mémoire, les RVPP rassemblent les facultés protestantes de tous bords pour des discussions non seulement académiques mais aussi publiques autour de différents thèmes permettant l’expression d’une pensée théologique protestante contemporaine dans sa diversité.

Le thème 2021 prolongeait celui de l’an passé et portait sur l’autorité des Ecritures. 

La réunion publique du 26 « Loi de Dieu, lois de la République » a été diffusée sur la chaine du Campus de la faculté adventiste et est disponible ici :  https://youtu.be/pJa917ShDBE

Organisation

Outre la session publique du samedi 26, le WE s’articulait principalement autour de trois grands débats donnant à chaque fois l’occasion à deux facultés de proposer et de confronter leur thèse. L’assistance pouvait ensuite poser ses questions.

Voici les trois thématiques abordées  :

  • Sola Scriptura (l’Écriture seule). Pertinence et impertinence d’un principe d’autorité.
    • Cindy Lüthi et Erwan Cloarec de la Faculté libre de théologie évangélique de Vaux-sur-Seine vs Annick Vanderlinden et André Birmelé de la Faculté de théologie protestante de Strasbourg
  • Les usages de la Bible pour « faire » autorité : travail à partir d’un cas concret (le rapport à l’argent, à la prospérité et à la pauvreté.)
    • Christophe Singer et Arnaud Van den Wiele de l’Institut protestant de théologie de Montpellier vs David Bouillon et Frédéric Hammann de la Haute école de théologie de Saint-Légier (HET-PRO en Suisse).
  • Comment l’autorité de la Bible peut-elle être mise en œuvre dans une société plurielle ?
    • Daniela Gelbrich et Nuvind Seenundund de la Faculté adventiste de théologie de Collonges-sous-Salève vs Bernard Coyault et François Choquet de la Faculté de théologie protestante de Bruxelles

Pour information, le contenu des thèses complètes ainsi que la teneur des échanges ont été enregistrés (hormis les questions de l’assistance il me semble) et seront repris en intégralité dans la revue Foi et Vie.

En marge de ces exposés, quelques activités de groupes ont pu se tenir mais de durée assez limité (moins d’une heure à chaque fois).

Résumé & commentaires

Vous pouvez télécharger ici les thèses complètes des binômes  (ne contient pas les échanges entre les facultés, donc la réponse aux thèses, mais ça fait déjà une bonne lecture 😀 ).

Thématique 1 : Sola Scriptura :

C’est le sujet qui touchait au plus près une des préoccupations récurrentes de ce site, dans quel sens pouvons-nous entendre « l’Écriture seule » encore aujourd’hui ? Je vous conseille donc si ce sujet vous intéresse, de lire au moins les deux premières thèses du document en lien ci-dessus pour en exploiter tous les détails.

Contrairement à l’ordre du document, c’est Vaux-sur-Seine qui a présenté sa thèse en premier. Conformément au protocole, Strasbourg a donc répondu à la thèse formulée avant d’avancer la sienne. Une première discussion a eu lieu. Ce premier débat a mis en évidence une particularité de cette troisième rencontre des RVPP que l’on soulignera encore avec le dernier échange, c’est l’intérêt d’aborder en toute franchise des sujets clivants qui avaient plutôt été évités lors de la session de l’an passé. Par exemple on relèvera dans la thèse de Vaux, le terme « d’inerrance biblique » qui n’a pas manqué d’être interrogé par Strasbourg, quel sens donner à ce mot ? Quelle est la place du lecteur dans le processus d’interprétation du texte biblique ? Strasbourg a comme l’impression d’une lecture confessante de la part de Vaux, les éléments externes viennent confirmer des présupposés. « J’ai décidé que Dieu me parle donc Dieu me parle ».

En général les échanges débutaient plutôt par une reconnaissance de points d’accord voire de points communs entre les thèses, cela pourra rassurer ceux qui imaginent que les théologies évangéliques et luthero-réformées sont séparées par  des abimes infranchissables. Ainsi par exemple, les deux parties  s’accordent pour affirmer que c’est l’Eglise qui procède de l’Ecriture, non pas l’inverse ou sur les liens entre les différents sola issus de la Réforme.

Le point de friction principal a porté sur le fait de croire en l’Écriture ou de croire l’Écriture. Pour Vaux – et c’est une position rencontrée dans la majorité des confessions de foi évangéliques – « la Bible EST la Parole de Dieu, Elle ne la contient pas seulement, elle ne le devient pas, mais elle EST Parole de Dieu. » Strasbourg donne une vision plus nuancée  : La Bible devient Parole de Dieu par l’Esprit Saint, L’Ecriture rend témoignage au salut, elle ne communique pas le salut elle-même, c’est le Christ qui le fait. Dans la discussion, Vaux précise que la formulation « la Bible est Parole de Dieu »  n’est pas dans les faits si rigide car elle passe par l’intermédiaire d’hommes inspirés, c’est donc un raccourci qui prend bien en compte le facteur humain.

On voit néanmoins que le statut de l’Ecriture est différent selon les parties et cela est important quand on considère son rapport à la science ou à l’histoire, le principe de souveraineté invoqué par Vaux place la Bible au sommet de la hiérarchie en terme d’autorité, Strasbourg conteste les revendications des déclarations de Chicago, Vaux les défend. Malheureusement les textes ne sont pas disponibles et ne peuvent pas être présentés à l’assistance. Science & Foi connaît bien ces déclarations et il est vrai que les derniers textes, les deuxième et  troisième déclarations, sont très conservateurs et ne peuvent prétendre représenter l’ensemble des sensibilités évangéliques, l’influence créationniste y est très perceptible.  Erwan Cloarec a lu un extrait très généraliste de ces déclarations lors du débat pour tenter de montrer  l’ouverture évangélique et répondre à André Birmelé, il a rappelé qu’Henri Blocher était lui-même signataire de ces déclarations. On peut en effet s’en étonner ! Roger Lefèvre dans son ouvrage Le Faux Problème de L’évolution a montré la radicalisation de ces déclarations à partir des 2e et 3e éditions qui entraine le croyant dans un parti pris de lecture historique et pseudo-scientifique des récits bibliques comme en témoigne l’article  XXII de la 2e déclaration que voici :

Art. XXII : Nous affirmons que Genèse 1– 11 raconte des faits comme tout le reste de ce livre. Nous rejetons la théorie selon laquelle les enseignements de Genèse 1– 11 sont mythiques comme nous rejetons l’idée que les hypothèses scientifiques sur l’histoire de la terre et l’origine de l’homme puissent être invoquées pour renverser ce que l’Ecriture enseigne sur la création.

Il aurait été intéressant de pouvoir disposer d’une version de ces textes pour mener plus loin le débat, mais c’était déjà intéressant de pouvoir avancer dans ces discussions.

J’ai eu l’impression que dans cet échange Strasbourg a davantage challenger Vaux sur sa thèse que l’inverse. Vaux a cherché à savoir plus précisément comment pouvait s’articuler les sphères spirituelles et sociales, c’est à dire comment pouvait s’exprimer une éthique protestante dans notre société d’aujourd’hui. La réponse a été que l’éthique ne peut se formuler que sous forme de proposition dans une société laïque.

J’ai été étonné de l’absence de questions et donc de débat sur le  fait que Strasbourg ait présenté le Sola  compris comme « unique » au sens de subjectif. Il me semble que traditionnellement la position évangélique conçoit plutôt le sola dans une dimension objective et un message universel et unifié plutôt que pluriel et subjectif. Or dans la thèse de Strasbourg, I. b) il est question  d’une vérité « qu’on détiendrait en soi […] faillible […], ce dont témoignent la pluralité des témoignages bibliques. » Il y aurait certainement eu là l’occasion d’un sujet passionnant de discussion…

Thématique 2 : Usages de la Bible pour « faire » autorité, un cas concret, le rapport à l’argent

Je serai un peu plus bref ici. Si vous lisez les thèses, vous verrez que les réflexions des deux facultés proposent des angles d’approche différents. La faculté helvétique a traité le sujet au travers d’études de cas, celui des règles communautaires en protestantisme qui touchent à l’argent et aux biens matériels. Cela a amené les deux groupes à s’interroger sur le lien entre le matériel et le spirituel, mais aussi le rapport entre évangile et règles. Quant à Montpellier, l’exposé amène à une réflexion en théologie pratique sur la manière dont l’autorité des Ecritures peut s’exercer concrètement chez le chrétien sur son rapport à l’argent.  Le chrétien est alors sous la loi mais comme ne l’étant pas. Dans les échanges, j’ai eu l’impression que c’est sur ce thème que les différences ont été les moins marquées. Le plus souvent, les intervenants finissaient par trouver une conclusion sous une forme consensuelle.

La synthèse énoncée par Christophe Singer de l’IPT de Montpellier m’a paru assez intéressante pour la partager ici : quand il est question de la Bible et de notre rapport à l’argent, il est possible de proposer une « herméneutique du soupçon »,  c’est à dire une interprétation qui veut éviter de tomber dans les tentations de deux positions extrêmes que Jésus a surmonté lui-même dans le désert face au tentateur (cf Matthieu 4:1-10). Jésus a faim et le diable évoque un miracle pour combler ce besoin matériel, or la réponse de Jésus est que « L’homme ne vivra pas de pain seulement, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu. » Or vivre de la Parole de Dieu ne signifie aucunement, une foi aveugle, voir la 2e tentation où le diable propose à Jésus de se jeter du temple, cela pourrait revenir à dire : « l’argent ne sert à rien, seule la foi compte (le saut dans le vide) ». Et ce n’est pas non plus dépendre complètement de l’argent, la troisième tentation : « si tu te prosternes devant moi ». Vivre de la Parole de Dieu est libérateur, ce n’est ni vivre exclusivement de spiritualité, ni vivre du pouvoir de l’argent.

Thématique 3 : Comment l’autorité de la Bible peut-elle être mise en œuvre dans une société plurielle ?

Là également les facultés ont proposé des thèses avec des approches différentes, mais l’écart théologique m’a paru plus important que pour la session précédente. La Faculté adventiste de  Collonges a présenté une thèse sur la vulnérabilité de Dieu qui tranche avec les discours théologiques habituels sur sa toute-puissance. Dans la discussion et aussi avec l’assistance il a été convenu que cette vulnérabilité présente dès l’Ancien Testament et qui culmine en Christ dans le NT ne devrait peut-être pas être alliée à une non-puissance de Dieu mais plutôt révéler d’une autre manière la puissance de Dieu. Cet exposé répond de manière indirecte à la question posée, d’un Dieu qui se rend accessible à tout un chacun de part sa vulnérabilité.

La FUTP de Bruxelles a présenté sa thèse en deux volets. Le premier s’attachait à présenter la pertinence d’une « théologie publique » adaptée aux contraintes d’une société plurielle et laïque. Comment la Bible peut-elle parler à nos contemporains dans le contexte qui est le nôtre aujourd’hui ?  Plusieurs pistes ont été évoquées sur le choix des textes, sa place aux côtés d’autres livres religieux, etc. C’est sur ce sujet que l’assistance a le plus réagi lors du temps des questions, preuve certainement qu’il doit être une préoccupation pour beaucoup.

Le deuxième volet de l’intervention bruxelloise portait sur la théologie queer.  Ceux qui désiraient voir aborder des sujets clivants seront donc servis (nous les premiers) ! Pour ceux qui découvrent le terme de queer, vous pourrez vous reporter au II. de la dernière thèse. Cette théologie consciente des difficultés que pose l’autorité des Ecritures, interroge la manière dont les personnes LGBTQI+ peuvent se percevoir au travers de la Bible et de la tradition. Une exégèse d’Actes 8.26-40 est proposée selon la perspective queer, il s’agit du récit de la rencontre de Philippe avec l’eunuque éthiopien.  Le lecteur a la possibilité de s’identifier aux personnages du récit. Un lecteur eunuque, gay ou transgenre pourrait s’identifier au personnage de l’eunuque et demander à recevoir le baptême, puisque dans l’antiquité le terme d’eunuque est  un terme ambivalent employé notamment pour injurier les homosexuels (comme « queer » aujourd’hui !).

On aurait pu s’attendre à des discussions assez vives, pour le moins soutenues entre les parties sur ce sujet loin de faire l’unanimité au sein du protestantisme. La réponse adventiste a été très concise et surtout non argumentée :  « la théologie queer ajoute des pages à la Bible ». François Choquet répond par la négative, selon lui, chacun vient avec ses questions et ses angoisses, et veut trouver dans la Bible un refuge. Il y aura également eu peu d’interventions du public sur ce sujet pendant le temps des questions et aucune contestation de la thèse ne s’est exprimée.

Conclusion

Cette troisième édition des RDV de la pensée protestante aura permis d’aborder les sujets plus franchement. A force de se fréquenter la confiance semble s’installer et on ose davantage aborder les vrais sujets clivants. Il aurait été cependant profitable d’aller plus loin dans les débats, on note encore une certaine retenue pour des discussions plus engageantes permettant d’éclaircir les points de différenciation, d’expliquer la raison du désaccord, de donner des arguments.

Les thèses ont toutes été bien présentées, et les sujets bien travaillés. En revanche je n’ai pas eu l’impression que les thèses adverses ont toujours été travaillées avec une aussi grande attention, c’est peut-être ce qui explique le manque de répartie dans les débats. Les autres années la partie adverse devait reformuler la thèse de l’autre, cet exercice n’a pas été réédité, c’est pourtant  une bonne méthode pour impliquer les deux camps dans la discussion.

Les échanges sont respectueux et dignes d’un niveau académique. Chacun marque sa reconnaissance dans ce que l’autre apporte, conscient de la diversité au sein du protestantisme et plus largement du christianisme.

Les échanges en groupes ont été un peu courts, mais en 2 jours ça restait difficile de faire mieux. C’est une expérience très enrichissante aux plans académique et personnel. La question qui se pose est de savoir comment faire vivre de tels moments de partage et de débats apaisés dans le respect des opinons et de la diversité chrétienne à nos membres d’Église ?