1En 587 avant JC, l’empereur Nabuchodonosor de Babylone envahit le pays de Juda (partie sud du royaume d’Israël, le royaume du nord a été envahi en 722 par les Assyriens et a disparu). Il détruit Jérusalem, le temple (centre de la foi israélite), tue le roi et emmène une grande partie du peuple en exil.

 

2C’est durant l’exil à Babylone que de nombreux textes de l’AT sont écrits. Les rédacteurs du récit de création de Genèse 1 sont des prêtres (les textes rédigés par cette école font partie du corpus appelé le « sacerdotal »). Le récit de Gn1 est de type liturgique mais il comporte également un aspect polémique à l’égard des mythes babyloniens qui divinisent les éléments naturels comme le soleil, la lune, etc.

 

3La plupart des peuples de la terre ont des récits d’origine, appelés « mythes » racontant la « création » du monde et celle des êtres humains. Leur rôle est surtout d’être une histoire fondatrice et identitaire d’un peuple ou d’une ethnie ; les rites qui l’accompagnent permettent de se rapprocher de l’origine. Généralement, on y voit le monde des dieux se confondre avec celui des humains, alors que le récit biblique marque une nette distinction entre le Dieu créateur et sa créature. (Aujourd’hui, nous avons le récit du Big Bang, et celui de la théorie de l’évolution, généralement sans divinité, sinon la science elle-même.)

 

4Dans le mythe babylonien, le devenir des hommes est déjà déterminé dans le monde des dieux. Les êtres humains n’ont pas d’avenir personnel, mais un destin fixé que l’on tente de deviner, d’où la pratique de la divination, notamment au moyen de l’astrologie.

 

5Le genre littéraire du récit de Genèse 1 est un hymne poétique, un texte de louange au Dieu créateur.

 

6Dieu crée : « Au commencement Dieu créa les cieux et la terre », en traduction littérale : « Dans un commencement de : Dieu créa les cieux et la terre (titre du récit), … Dieu dit, que la lumière soit… ». Le verbe créer (bara’ en hébreu) ne peut avoir comme sujet que Dieu. Il n’indique pas un mode de faire, mais une action propre à Dieu sans qu’il ne soit possible de la décrire ou de l’expliquer.

 

7Dieu fait advenir le monde comme « devant lui » par sa parole : « Dieu dit » et la chose existe. Dieu crée par sa Parole, ce qui signifie que le monde est autre que lui mais en relation avec lui. Dieu ne se confond pas avec sa création, de la même façon qu’un sculpteur ne se confond pas avec sa sculpture.

 

8L’expression « Dieu dit » revient dix fois, comme il y a dix 10 Paroles ou commandements révélés à Moïse, règles de conduite donnée au peuple d’Israël, libéré de l’esclavage en Egypte, pour définir sa relation à Dieu et aux autres.

 

9L’originalité de ce récit est qu’il présente une création totalement dédivinisée ; tout est objet de création de Dieu. Elle est donnée aux êtres humains pour leur émerveillement et leur louange devant sa beauté (voir les Psaumes 8, 104, ou 148), pour leur nourriture (l’herbe des champs) et leur rôle et leur responsabilité (v.26) nécessitant observation et compréhension (tâche de la sagesse (Proverbes 8).

 

10La structure du récit est très soignée témoignant de la mise en ordre effectué par l’acte créateur qui arrache le monde au chaos. Au v.2, il est dit : « Or la terre était informe et vide (tohu-bohu) » ; à quoi répondent la formation et la séparation des espaces dans les jours 1 à 3, et le « remplissage » ou la création des habitants de ces espaces, dans les jours 4 à 6. Une correspondance thématique apparaît entre les jours 1 et 4 (lumière – astres) ; entre les jours 2 et 5 (mer et ciel – animaux marins et oiseaux) ; entre les jours 3 et 6 (terre et végétation – animaux terrestres et humains). Des répétitions de mots ou d’expressions rythment le récit : 10 fois « Dieu dit » ou « faire » ; 7 fois « Dieu vit que bon » ou « et ce fut », etc. Et même les mots (en hébreu) sont comptés pour former des multiples de 7.

 

11L’action créatrice de Dieu se déroule dans le temps, dans le cadre d’une semaine symbolique, celle fournie par la semaine des Israélites : six jours de travail et un jour de repos. Le mot jour, « yom » en hébreu, est bien celui qui désigne le jour de 24 heures ; mais, comme dans beaucoup de cultures, il a aussi un caractère symbolique. Le récit lui-même fait cette distinction puisque le jour de 24 heures est créé ou formé au 4ème jour créateur. C’est la semaine symbolique de la création ; inutile donc d’attribuer à ces jours une notion de durée.

 

12Les judéens (issus du Royaume de Juda) exilés ont tout perdu : leur lieu (espace) de culte, à savoir le temple de Jérusalem, leur roi et leur terre. Dès lors, Dieu est leur roi, la loi est leur terre et le temple, le sabbat. Ils ont alors mis l’accent sur le temps, avec une semaine rythmée par le Sabbat (le 7e jour de la semaine) plutôt que sur le lieu. Le sabbat essentiel dans la piété juive peut être vécu où que l’on soit pourvu qu’on en prenne le temps. Ce jour « chômé », libre du travail, a donc pour fonction la célébration du Dieu créateur et sauveur. Il s’agit dès lors de se réjouir de la création et des autres, de retrouver le sens de l’existence dans la gratuité (hors de tout rendement) du temps de la célébration. Privé de leur lieu de culte, le temple, les judéens exilés ont mis à part un temps pour célébrer Dieu, quel que soit le lieu, temps marqué également par des fêtes. Ainsi ils ont vécu un changement radical : le transfert de l’importance de l’espace sur celle du temps. Dans cette valorisation du temps s’est construit une histoire ouverte avec Dieu, pour les israélites, d’abord, puis en conséquence, aussi pour les chrétiens.

 

13L’être humain, homme et femme, est créé à l’image de Dieu, c’est-à-dire comme son vis-à-vis et son représentant ; ce qui ne signifie pas que nous puissions nous faire une image de Dieu. Dans les temples de l’Antiquité, il y avait l’image ou la statue de la divinité vénérée dans le sanctuaire qui lui était dédié. Ici ce n’est pas une statue qui représente la divinité mais l’être humain et tout humain est appelé à le représenter (pas seulement le roi ou l’empereur). Le verbe créer intervient à trois reprises pour marquer l’importance de la création de l’humain.

 

14Il est établi gérant ou responsable de la création, c’est-à-dire qu’il est appelé à veiller sur la création comme un berger sur son troupeau ; c’est le sens du verbe traduit par « dominer ». Dans le texte, le verbe dominer n’a en tout cas pas la signification d’un pouvoir tyrannique et exploiteur mais celle de la responsabilité respectueuse de la création.

 

15La création est qualifiée de bonne, voire de très bonne. Elle est, en une certaine façon, idéalisée. Elle est sans mal ni violence puisque les hommes et les animaux sont végétariens, comme si la mort n’existait pas.

 

16Au 7e jour, il est dit que Dieu se repose ou chôme, il met un arrêt à son travail de création. Il s’en retire pour lui donner son autonomie, donc qu’il peut continuer avec ses lois propres. Ce qui signifie que le créateur ne vient pas corriger sa création ou empêcher des catastrophes naturelles.

 

17Trois fois « Dieu bénit » : il bénit les animaux (v.22), l’être humain (v.28) le septième jour (le sabbat qui est le jour du repos dédié au culte rendu à Dieu) (v.2,2). L’être humain est donc appelé à respecter la vie : c’est la responsabilité écologique ; à respecter l’autre : la responsabilité éthique ; à honorer Dieu : la responsabilité cultuelle.

 

18Le monde est don d’un Autre. Il est donc à recevoir comme un don, c’est-à-dire comme un lieu de partage et non de possession et d’exploitation. Chaque être humain peut reconnaître que son existence est un don, totalement gratuit et inestimable.

 

19Le récit de Genèse 1 ne nous fournit pas un savoir sur la façon dont le monde s’est formé. Dieu le créateur n’a pas à être expliqué mais à être reconnu, honoré, loué, célébré pour le don de la vie et du monde dans sa diversité, sa beauté et son aspect insolite.

 

20Genèse 1 n’est pas un texte scientifique ; il affirme, en utilisant les représentations du monde propre à son époque, que Dieu est l’auteur du monde, sans dire comment il a fait pour créer. Ce récit ne prétend pas dire comment le monde s’est formé, même s’il nous présente une création qui se déroule dans le temps, à l’instar des sciences actuels (théories de l’évolution du cosmos et de la vie). Il dit le pourquoi, le sens de la création ; il exprime que le monde a son origine en Dieu, autrement dit que sa vérité et son sens ne sont pas à trouver dans son analyse scientifique. Les sciences, aussi précises soient-elles, ne peuvent pas donner le sens de la vie. Mais ce monde dédivinisé est offert à la compréhension humaine : les sciences y sont possibles comme une action d’émerveillement face à sa beauté et sa complexité. La connaissance scientifique est possible.