Résumé

En chrétienté, la réception des sciences fut très variée : elle va du refus et de la méfiance à l’admiration, voire à la fascination. Quoi qu’il en soit, nous devons reconnaître que la physique et les sciences en général n’ont pas cessé de secouer les idées issues du sens commun et les croyances de tous ordres. Leur exigence de rigueur intellectuelle a largement contribué à une clarification des spécificités propres à chaque domaine et notamment à une lecture plus fine des textes bibliques.

Copernic

La révolution copernicienne

En 1530, lorsque Nicolas Copernic achève son manuscrit De revolutionibus orbium celestum présentant un nouveau modèle astronomique, l’héliocentrisme, il ne peut se douter qu’il initie un changement radical, appelé plus tard la révolution copernicienne. Avec l’historien des sciences Thomas Kuhn, auteur de l’ouvrage : Structure des révolutions scientifiques, (1962), on peut affirmer qu’elle constitue un changement de paradigme qui a eu des conséquences majeures pour l’astronomie, la physique et la cosmologie, mais aussi pour la philosophie et la théologie.

Embarrassé par la complexité toujours plus grande du modèle astronomique de Ptolémée, Copernic propose un modèle qui honore le Créateur par des critères esthétiques de simplicité. Pour y satisfaire, il construit un système du monde où les planètes accomplissent des révolutions sur des orbites parfaitement circulaires autour du Soleil, l’astre le plus brillant auquel revient de droit la place centrale. Mais cela implique que la Terre est en mouvement autour du Soleil (108 000 km/h) et en rotation sur elle-même. Inconcevable ! Si la Terre est en mouvement, ne devrait-on pas le ressentir et les objets s’envoler ? objecte-t-on alors. La simple observation du Soleil ne nous oblige-t-elle pas à reconnaître que son mouvement est réel et non pas une apparence ? Pourtant, contre l’observation immédiate, Galilée propose le principe de relativité des mouvements et le principe d’inertie : un objet lancé sur un plan horizontal lisse continue son mouvement de lui-même indéfiniment, ce qui ne s’observe pas ! Les principes de base de la nouvelle physique sont posés, contre celle d’Aristote.

Mise sur orbite, la Terre est assimilée aux autres planètes ; il s’ensuit que le monde n’est plus un cosmos hiérarchisé mais un univers régi par les mêmes lois physiques en tout lieu et en tout temps. En outre, Galilée construit des instruments d’observation et inaugure, avec Johannes Kepler, la mathématisation de la nature, ce que Isaac Newton accomplira de façon magistrale dans son œuvre : La théorie mathématique de la philosophie naturelle (1687). Cette compétence a donné aux physiciens la possibilité de faire des prédictions de phénomènes encore inobservés qui, si elles se réalisent, les confortent dans l’idée que leurs théories représentent bien la réalité. Le retour de la comète de Halley en 1759, prédite en 1705 par Halley à partir des lois de Newton, a constitué une confirmation éclatante de leur validité.

L’héliocentrisme bouleverse aussi les représentations religieuses du monde : Jérusalem, où le Christ est venu, n’est plus le centre du cosmos. Certains textes bibliques, qui parlent du point de vue de l’observateur terrestre, deviennent invraisemblables ; par exemple, le récit où Josué, chef de l’armée d’Israël, demande au Seigneur d’arrêter le soleil et la lune dans leur course pour terminer une bataille (Josué 10,11-12), arrêt qui aurait provoqué un cataclysme mondial.

Fervent croyant, Galilée ne met pas seulement en question la physique d’Aristote, mais distingue vérité scientifique et vérité théologique, ce qui lui vaudra sa condamnation par la papauté en 1633. Ces vérités ne sont pas sur le même registre de langage : « l’Écriture ne peut jamais ni mentir ni errer » pour autant « que son vrai sens soit saisi ». Or, ajoute-t-il, « bien souvent, ce sens est caché et il est très différent du sens littéral ». On connaît sa célèbre maxime :

L’intention du Saint Esprit est de nous enseigner comment on va au ciel et non comment va le ciel 

le mot ciel n’ayant toutefois pas la même signification dans les deux occurrences. Pour le savant florentin, le texte biblique n’a plus les compétences d’expliquer les phénomènes naturels. Reprenant alors l’idée des deux livres que Dieu a mis sous nos yeux : la Nature et la Bible, il insiste pour que l’on ne confonde pas leur langage, même s’ils ont le même auteur. L’ébranlement suivant arrivera avec la théorie de l’évolution de Darwin en 1859.

fort

A l’aube de la nouvelle physique

Au tournant du 20e siècle, de nouvelles théories surgissent : la mécanique quantique (MQ) et les deux théories de la relativité d’Albert Einstein : la Relativité Restreinte en 1905 (RR) et la Relativité générale en 1916 (RG). Ces théories bouleversent alors la physique classique dont les fondements semblent inébranlables : les mouvements des corps sont régis par les lois de Newton ; les phénomènes liés aux gaz et à la chaleur sont expliqués par la thermodynamique et la mécanique statistique ; les phénomènes électriques, magnétiques et optiques sont synthétisés en quatre équations dans l’électromagnétisme de Maxwell (1873). Certains en viennent à penser que la physique est achevée, son succès étant amplifié par la révolution industrielle censée apporter bonheur et progrès à l’humanité comme l’exprime triomphalement en 1897 Marcellin Berthelot chimiste et ministre de la 3e République Française :

 La science métamorphose l’humanité, … en améliorant la condition matérielle des individus, … en imprimant dans toutes les consciences la conviction morale de la solidarité universelle, … La science domine tout : elle rend seule des services définitifs… 

Cette conception s’inscrit dans le courant philosophique du scientisme, propre à la fin du 19e siècle, mais toujours présent.

Einstein

Les théories de la Relativité restreinte et générale d’Einstein

Ces deux théories transforment les concepts de la mécanique de Newton : la vitesse de la lumière dans le vide est constante, quel que soit le mouvement de la source ou du récepteur ; le temps et l’espace ne sont plus des absolus, ils se transforment l’un dans l’autre, et la masse d’un corps croît avec la vitesse. De multiples domaines sont concernés, depuis les particules élémentaires jusqu’aux galaxies en passant par le réglage des GPS. A partir de la RG, Georges Lemaître et Alexandre Friedmann ont élaboré, dans les années 1925, indépendamment l’un de l’autre, un modèle d’univers en expansion. En 1965, ce modèle est confirmé par la mesure de la température du fond cosmique de l’univers (2,7 K) permettant de lui donner un âge : 13,8 milliards d’années. L’astrophysicien Hoyle, son détracteur, lui donne ironiquement le nom de Big Bang, car il soupçonnait Lemaître, mathématicien et théologien, de plagier la Genèse : que la lumière soit ! La Relativité mériterait des développements plus amples, mais regardons les surprises apportées par la MQ.

physique quantique

La mécanique quantique, une théorie déroutante !

En 1900, Max Planck étudie le rayonnement d’un métal chauffé (corps noir), mais la théorie classique ne marche pas. Il imagine alors une distribution de l’énergie par sauts, ce qui est une ineptie du point de vue de la physique. En 1905, Einstein reprend cette idée pour expliquer l’effet photo-électrique en faisant l’hypothèse que la lumière est « granulaire » : un quantum d’énergie lumineuse, nommée plus tard photon, est capable d’arracher un électron de la surface d’un métal, pour autant que son énergie liée à la fréquence de l’onde associée (la couleur de la lumière) soit suffisante. Ce faisant, Einstein réunit paradoxalement les notions de corpuscule et d’onde dans une même équation.

Une expérience illustre ce concept : des électrons ou des photons sont envoyés un à un sur une plaque munie de deux fentes ; ceux qui passent à travers elles sont recueillis sur un écran où ils forment des impacts ponctuels. Peu à peu, avec le grand nombre, ces points forment une image d’interférence sur l’écran (des bandes claires et sombres), spécifique d’un comportement ondulatoire. Cela revient à dire que le photon ou l’électron nous joue le drôle de tour de passer par les deux trous à la fois ! Il voyage comme une onde tant qu’on ne le détecte pas et comme une particule ponctuelle au moment où on le détecte. Ce comportement bizarre exige donc l’usage simultané de deux modèles incompatibles, ce que l’on a désigné par la dualité onde-corpuscule. Avant que le photon ou l’électron ne soit observé, sa position n’est prédite que par un spectre d’états probables : la superposition d’états, et lors de l’observation un seul des états se manifeste. L’indéterminisme est au cœur de la MQ !

Le physicien Carlo Rovelli résume les choses ainsi :

La MQ nous enseigne à ne pas penser au monde en termes de choses qui sont dans tel ou tel état, mais en termes de processus. Un processus est le passage d’une interaction à une autre. Les propriétés des choses se manifestent de façon granulaire seulement au moment de l’interaction, c’est-à-dire au bord du processus, et ne sont telles qu’en relation à d’autres choses ; elles ne peuvent pas être prévues de façon univoque, mais seulement de façon probabiliste.
(Rovelli, p.125.).

Il en vient même à dire : « La réalité est réduite à la relation » (idem p.123).

Une autre propriété quantique trouble encore davantage : lorsque deux particules interagissent, elles restent corrélées ou intriquées quelle que soit la distance qui les sépare. Tout se passe comme si chaque particule d’une paire intriquée transmettait instantanément à sa jumelle le résultat de la mesure faite sur elle, sans qu’aucune information n’ait eu le temps de passer de l’une à l’autre ; situation totalement contre-intuitive, nommée la non-séparabilité. C’est la seconde révolution quantique dont une des applications attendues est la transmission de messages cryptés.

Ces situations ont perturbé les physiciens fondateurs de la MQ : pourquoi le micro-monde a-t-il un comportement totalement différent de celui du monde de nos dimensions ? Et pourtant, cette théorie si troublante en ses fondements permet d’expliquer un grand nombre de phénomènes, tels que la stabilité de la matière, la supraconductivité, le spectre de lumière émis par des atomes excités ; et aussi de construire de nombreux appareils tels que lasers, transistors, IRM. De plus, sa capacité prédictive est sidérante : Paul Dirac prédit l’existence de l’antimatière en 1928, elle est détectée en 1932 ; Wolfgang Pauli celle du neutrino en 1930, il est découvert en 1956 ; le boson de Higgs, prédit en 1964, est mis en évidence en 2012 au CERN. Cette dernière découverte est venue compléter le tableau des douze particules élémentaires subatomiques du modèle standard, théorie qui rend compte de la structure de la matière. Ces particules sont gouvernées par quatre forces fondamentales dont trois sont unifiées : les forces dites faible, forte et électromagnétique. Selon la RG, la quatrième, la force de gravitation, correspond, à une courbure d’espace due à la présence d’un corps massique. Le boson de cette interaction, le graviton, reste encore à découvrir ; néanmoins, en 2016, des physiciens ont pu détecter des ondes gravitationnelles (prix Nobel 2017). Celles-ci avaient été prédites par Einstein en 1916 ! Carlo Rovelli résume la situation ainsi :

Cette théorie (la MQ) a obtenu un succès expérimental sans égal, conduisant à des applications qui ont changé notre vie quotidienne, mais un siècle après sa naissance, elle reste enveloppée d’un voile d’obscurité et d’incompréhensibilité.
 (idem p.101).

Philosophie

Remue-ménage philosophique en physique !

Malgré ces succès, les physiciens ont eu et ont encore des difficultés à reconnaître leur bébé. Leurs désaccords ne portent pas sur sa paternité, mais sur sa normalité, ils proviennent de leurs présupposés philosophiques personnels quant à la nature de la connaissance de la réalité apportée par la MQ. La philosophie revient en force là où on ne l’attend plus, au cœur de la science la plus élaborée qui soit !

Grosso modo, trois courants philosophiques se manifestent alors, ceux des réalistes, des idéalistes et des empiristes. Pour les réalistes, dont Einstein est le plus éminent représentant, la réalité étant rationnelle les théories mathématiques doivent la représenter telle qu’elle est. Mais Einstein pense que la MQ présente des incohérences, preuve qu’elle est incomplète, d’où son fameux « Dieu ne joue pas aux dés ». Avec d’autres, il multiplie les expériences de pensée afin de contredire les physiciens dits idéalistes, comme Nils Bohr, Wolfgang Pauli, Max Born, Werner Heisenberg. Pour ceux-ci, la MQ implique une nouvelle conception de la connaissance :

La question de savoir si ces particules existent « en elles-mêmes » dans l’espace et le temps ne peut donc plus être posée sous cette forme (…) La conception de la réalité objective des particules élémentaires s’est donc étrangement dissoute (…) dans la clarté transparente d’une mathématique qui ne représente plus le comportement de la particule élémentaire mais la connaissance que nous en possédons. 
dit W. Heisenberg (La nature dans la physique contemporaine, Gallimard 1962, p.18)

Pour les empiristes ou positivistes, la vérité ne dépend que de l’observation de faits élémentaires. Construites par induction, l’accumulation de faits singuliers, les théories n’en sont que la condensation. Un groupe de philosophes des sciences et du langage, réunis au sein du Cercle de Vienne dans les années 1930, ont formalisé ce que l’on a appelé l’empirisme logique, son but étant de construire une science dénuée de tout a priori. Mais des épistémologues, tel que Karl Popper, en ont montré l’aporie. En effet, les théories ne peuvent s’élaborer sans axiomes, par exemple celui de l’homogénéité de l’espace et du temps ou sans principes comme la conservation de l’énergie. Généralement, la théorie précède l’expérimentation.

Dans la même ligne du réalisme d’Einstein, John Bell propose en 1964 un théorème, appelé inégalités de Bell afin de prouver l’incomplétude de la MQ. Or, en 1982, Alain Aspect mène une expérience avec des photons intriqués qui violent les inégalités de Bell, ce qui donne raison à l’interprétation idéaliste. Ainsi, le MQ met-elle en question trois principes du réalisme : la localité : deux objets séparés ne peuvent avoir d’influence l’un sur l’autre ; la causalité : l’état d’une particule est le résultat des influences précédentes ; et la thèse réaliste : les particules possèdent des propriétés intrinsèques.

Ainsi, l’indéterminisme fondamental de la théorie quantique impose-t-il une limite à la connaissance objective. De plus les phénomènes tels que la dualité onde-corpuscule et l’intrication mettent en évidence son aspect paradoxal. Ainsi les théories physiques les plus élaborées qui soient, d’une efficacité explicative, prédictive et opératoire prodigieuse, ne peuvent-elles prétendre à une connaissance absolue : la réalité est toujours plus riche et subtile que ce que l’on peut en dire ; ne se réduisant pas à l’analyse scientifique, elle ne s’épuise pas. C’est pourquoi la recherche scientifique ne connaîtra pas de fin.

Le domaine de compétence des sciences a été clairement délimité par l’épistémologie développée au 20e siècle. Toutefois la tentation de tout soumettre au discours scientifique subsiste. Stephen Hawking, un physicien génial, exemple de courage étant donné son handicap, affirme :

Parce qu’il y a des lois comme la gravitation, l’univers peut et doit se créer lui-même à partir de rien. … Quand vous observez l’immensité de l’univers et en son sein l’insignifiance d’une vie humaine accidentelle… je pense que l’explication la plus simple, c’est qu’il n’y a pas de dieu. Personne n’a créé l’univers… 

C’est sa conviction, mais il ne peut demander à la physique de se prononcer sur l’existence de Dieu. Réciproquement, affirmer que le monde est créé par Dieu relève d’un acte de foi.

vérité

Et la vérité dans tout cela ?

La prétention d’accéder à la vérité du monde par la seule connaissance scientifique est illusoire, d’autant que les théories changent au cours de l’histoire, parfois radicalement. Il est courant de dire que les sciences sont vraies car elles se basent sur les faits. Mais les faits n’existent pas d’eux-mêmes sans cadre théorique préalable. « Un fait est imprégné de théorie » dit Karl Popper. La vérité est à considérer comme une exigence méthodologique de la théorie qui requiert un cadre de référence et des critères dans un domaine limité. « Le réel n’est pas vrai, il se contente d’être » dit Henri Atlan. Chaque science, chaque langage garde un rapport spécifique à la vérité. Le sens commun a aussi ses critères : le témoin d’un crime peut encore être pris au sérieux quand il dit : « c’est arrivé au coucher du soleil. », sinon les relations humaines seraient impossibles.

En théologie, on distingue la quête de vérité qui relève de la connaissance, tels que l’étude des textes et l’élaboration théologique recourant à la philologie, à l’histoire, à l’archéologie, et ce qui relève de l’expérience personnelle de la foi. Les connaissances sont nécessaires, mais la foi peut surgir sans connaissances préalables : l’Esprit souffle où il veut ! La foi ne résulte pas d’un savoir :

Je ne sais pas si Dieu existe, mais je crois qu’il existe

aime à dire dans ses conférences l’écrivain Eric-Emmanuel Schmitt.

Les textes bibliques ne peuvent pas être interprétés selon des critères scientifiques comme essaie de le faire le biologiste Richard Dawkins. De plus, ils n’ont pas pour but de fournir des connaissances scientifiques : l’héliocentrisme ou la cosmologie contemporaine n’ont pas été suggéré par eux. En ce sens, la lecture littéraliste que font les créationnistes des récits de création est non seulement irrespectueuse des textes mais elle mène à une idéologie absurde quant à la réalité. Ce qu’il faut relever dans ces récits, c’est que la foi au Dieu créateur conduit à dédiviniser la nature, conception révolutionnaire dans l’Antiquité, qui a permis ensuite aux sciences de se développer, ce dont a bénéficié l’Occident chrétien.

Vérité

L’Évangile un message paradoxal

Si l’exégèse biblique doit développer ses méthodes avec rigueur, il s’agit de reconnaître dans un même élan l’aspect paradoxal et même fou du message de l’Évangile, comme l’apôtre Paul l’a magistralement exprimée :

Le langage de la croix est folieOù est le sage ? … Où est le raisonneur de ce siècle ? Dieu n’a-t-il pas rendue folle la sagesse du monde ? En effet, puisque le monde, par le moyen de la sagesse, n’a pas connu Dieu dans la sagesse de Dieu, c’est par la folie de la prédication [de la croix] que Dieu a jugé bon de sauver ceux qui croient
(1 Corinthiens 1,20-21)

Les quatre évangiles ne manquent pas non plus d’insister sur l’aspect paradoxal de la révélation, comme les premiers mots de l’évangile de Marc :

Commencement de l’Évangile de Jésus, Christ, Fils de Dieu 

comme les derniers mots de Jésus en croix :

Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ?

comme les mots du centurion romain voyant mourir celui qu’il a fait mettre à mort :

Vraiment cet homme était Fils de Dieu.

Jésus, un maudit pour les chefs religieux juifs, un banni pour le pouvoir romain, un fou pour la sagesse grecque, et pourtant Dieu a donné raison à celui à qui tous donnaient tort : il l’a ressuscité.

Dans son livre Relire le relié, le philosophe Michel Serres a écrit une louange qui exprime cette dimension paradoxale de la révélation chrétienne :

Louons … deux personnes. D’abord l’Absent de ce monde, indépendant de toutes échelles, …à la limite infinie de ses échelons vides. Ni prince, ni puissant, si haut, cependant, qu’Il s’absente de ce monde. Quant à celui qui, présent dans ce monde et Messie incarné, descend de l’Absent, louons-le aussi, puisque, au bas de l’échelle, il ne trouva pas de place dans l’hôtellerie, … introuvable dans les Annales, nulle Histoire ne le citera, trop bas. Hors décompte, hors classe, il erre trois ans sans domicile fixe, entouré d’autres errants, … d’adultères, de putains. Il finit entre deux larrons, lui-même condamné à un supplice infâme.
(p.195-196)

Vertige et émerveillement

Les théories physiques qui rendent compte de « l’infiniment » petit comme de « l’infiniment » grand ont élargi nos connaissances du monde. Nous savons maintenant que l’univers a une histoire, son immensité suscitant le vertige. Blaise Pascal l’avait déjà éprouvé :

Quand je considère la petite durée de ma vie absorbée dans l’éternité précédente et suivante, […] le petit espace que je remplis et même que je vois abîmé dans l’infinie immensité des espaces que j’ignore et qui m’ignorent, je m’effraie … 

Contrairement à Hawking, son vertige a fait place à la reconnaissance de Dieu :

Dieu d’Abraham, Dieu d’Isaac, Dieu de Jacob non des philosophes et des savants. Certitude. Certitude. Sentiment. Joie. Paix. Dieu de JésusChrist…

écrit Pascal dans le mémorial de sa conversion.

Les sciences, en mettant en lumière la complexité et la beauté de la nature, nous poussent à redoubler notre émerveillement et notre louange, lesquels concernent aussi l’intelligence donnée à l’être humain qui perce tant de mystères de la nature.

Il arrive que des scientifiques soient émus aux larmes quand un phénomène inobservé se manifeste à eux après des années de recherche. Lors de l’annonce de la découverte du boson de Higgs, le 4 juillet 2012, le CERN tremblait d’émotion ! Parfois certains vivent une expérience personnelle quasi-mystique. Lorsqu’il met au point la théorie quantique, une nuit, sur une île du Danemark, Heisenberg en est bouleversé :

Au premier moment, cela me remplit d’une profonde angoisse. J’avais l’impression qu’il m’était donné de regarder, à travers la surface des processus atomiques, un phénomène plus profond, d’une étrange beauté intérieure .
(La Partie et le Tout, p.92)

Plus l’être humain sonde la réalité et la connaît, plus elle se manifeste dans son altérité et sa beauté gratuite.

Compare

Y a-t-il des analogies entre physique contemporaine et théologie ?

La physique contemporaine a d’abord suscité une réflexion épistémologique et philosophique mais sa complexité et son degré d’abstraction sont tels que, pour la plupart, elle reste difficile d’accès. Dans le cadre de la faculté de théologie protestante de Genève, à l’initiative des professeurs Gabriel Widmer, théologien, et Martin Peter, physicien, un groupe de réflexion, nommé Interfaces physique-théologie a réuni entre 1980 et 2006 des physiciens et des théologiens. Au cours d’échanges passionnants, nous avons trouvé certaines conjonctions entre processus de pensée en physique et en théologie, mais nous ne pouvions que reconnaître leur radicale distinction. Cependant, toutes proportions gardées, il est possible de repérer certaines analogies entre ce que le physicien et le croyant peuvent éprouver dans leur démarche : l’étonnement et même l’effarement face à un donné cohérent et néanmoins paradoxal ; la rencontre d’une altérité dans son surgissement imprévisible ; le saisissement dans la découverte devenant source d’émotion et d’émerveillement ; la liberté d’esprit permettant d’oser penser et agir autrement. On pourrait dresser le même genre de parallèles avec l’expérience artistique.

Les enjeux actuels

Aujourd’hui, ce qui éblouit davantage que les avancées scientifiques ce sont les réalisations techniques, bien que de façon ambivalente car si elles apportent des bienfaits incontestables, elles sont aussi cause d’effets destructeurs, d’où une certaine méfiance. Les réactions face aux avertissements des scientifiques concernant le changement climatique ou le scepticisme à l’égard du vaccin contre la Covid sont significatifs, complotisme aidant.

La distinction entre sciences et théologie n’empêche pas le dialogue et les critiques mutuelles. Ainsi la réflexion épistémologique et éthique est-elle absolument nécessaire étant donné les problèmes environnementaux, le surarmement, les avancées du numérique et de la génétique. Les chrétiens peuvent y contribuer, notamment par la réflexion éthique, tout en rappelant le mystère insondable de l’existence qui affleure dans les sciences contemporaines. La quête spirituelle devrait se faire avec la même ténacité que celle de la recherche scientifique.

 


Pour aller plus loin : 

Arnold Benz, astrophysicien, L’avenir de l’univers. Hasard, chaos ou Dieu ? Labor et Fides, 1997

Pierre Bühler et Clairette Karakash (éd) Science et foi font système, Labor et Fides, 1992

Werner Heisenberg, La Partie et le Tout – Le Monde de la physique atomique, Albin Michel 1972 ; réédit.

Flammarion, 1990

Carlo Rovelli, Par de-là le visible, Ed Odile Jacob, 2014

Revue La Recherche : 20 scientifiques répondent à 20 questions métaphysiques. Hors-série n° 27, oct-nov 2018 Julien Bobroff, La quantique autrement, Ed Flammarion, 2020

Roland Benz, La conjonction dans la disjonction Revue de théologie et de philosophie, Université de Lausanne, Vol 145, 2013 II, p. 153).

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