L’article suivant a été co-écrit par Dennis Venema, professeur associé de biologie au Trinity Western University à Langley, en Colombie britannique, et par l’ancien président de la fondation BioLogos  Darrel Falk.

Les preuves génétiques de l’évolution : l’ordre des gènes

En 1962, l’auteur de science fiction Philip K. Dick a publié The Man in the High Castle, un roman d’ « histoire alternative » dans lequel Roosevelt était assassiné en 1933 et les Alliés perdaient la seconde guerre mondiale. Le roman a fasciné le public car ce scénario alternatif basé sur des « et si… ? » montrait que de petits évènements de l’histoire pourraient induire de grands bouleversements. L’arrière plan commun entre les lecteurs et le livre rendait ces changements dans le roman encore plus terrifiants.

D’une certaine façon, comparer la séquence d’ADN entre des organismes reliés entre eux est comme lire un roman d’ « histoires alternatives ». L’hypothèse d’un ancêtre commun entre différents organismes permet de faire des prédictions très précises concernant leur génomes : cela suppose tout simplement,  qu’à un moment donné, les génomes étaient identiques dans l’espèce ancestrale. Cette hypothèse permet de prédire que ces deux génomes, après avoir divergés dans des espèces différentes auront accumulé des changements depuis leur séparation. Comme une histoire alternative, chaque génome a le même arrière plan, et puis une histoire indépendante après le point de séparation.

Ainsi, les génomes d’espèces ayant un ancêtre commun doivent être proches. Par exemple, les chercheurs possèdent maintenant les génomes complets de 12 espèces sœurs de mouches Drosophila, y compris la Drosophila melanogaster. Comme prévu, les génomes de ces espèces sont très proches. On pense que les espèces ayant des génomes les plus ressemblants ont eu un ancêtre commun plus récemment, et celles dont les génomes se ressemblent un peu moins l’ont eu moins récemment. Ces découvertes au niveau des gènes sont en bon accord avec les caractéristiques physiques.

La connaissance complète des  douze génomes a permis aux chercheurs de comparer l’ordre des gènes entre ces génomes.

Les espèces Drosophila possèdent environ 14 000 gènes alignés le long des chromosomes. Ci-dessous, vous pouvez voir une représentation d’une petite portion d’un chromosome de Drosophila melanogaster. Chaque nombre correspond à un gène différent. Notez bien que les gènes 2799, 2807, 2808, et 2828 (et d’autres qui ne sont notés que par des points de suspension) forment un groupe de gènes alignés. De même, les gènes de droite (avec d’autres non représentés) forment un autre groupe.

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Examinons maintenant ces mêmes gènes chez une espèce soeur, Drosophila ananassae:

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Comparons l’ordre des gènes des deux espèces soeurs. Pouvez vous imaginer ce qui s’est passé pour que le premier groupe (de gauche : 2799, 2807, 2808, et 2828) ait été disloqué ?

Voici une suggestion :

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Vous avez saisi? Il y a eu deux ruptures simultanées dans l’histoire si bien que les gènes 2799, 2807, 2808, et 2828 ne sont plus dans le même ordre. L’autre groupe est aussi dans un ordre différent. Remarquez bien que chez ananassae, les mêmes gènes sont présents, mais dans l’ordre inversé. Les deux groupes de gènes initiaux se sont scindés. Nous savons ce qui s’est passé.

Imaginez maintenant que nous fassions une analyse de ce genre pour les douze espèces et que –dans chaque cas- nous examinions les 14 000 positions (environ) des gènes. La position de chaque « cassure » dans les chromosomes a ainsi été cartographiée depuis que les douze espèces de mouches ont eu un ancêtre commun. On a pu reconstituer 40 millions d’années d’histoire1 évolutive en mettant en évidence la série de modifications qui ont eu lieu depuis que la série initiale de gènes alignés a été modifiée chez ces espèces. Nous savons même la fréquence avec laquelle ces cassures se produisent dans une lignée : des scissions telles que les deux décrites ci-dessus ont lieu tout les 200 000 ans environ. Ce taux a été à peu près constant durant les 40 millions d’années d’histoire de ces douze   lignées. Les espèces qui n’ont divergé que récemment n’ont qu’un nombre limité de « cassures » et des gènes dans le même ordre la plupart du temps. Au contraire, les espèces qui ont divergé depuis plus longtemps ont un plus grand nombre de « cassures » et un ordre relatif des gènes moins similaire.

D’un point de vu théologique, ces considérations laisseront indifférent le plus grand nombre. Il ne s’agit que de mouches ! Après tout, il ne s’agit que de divergence parmi une même « espèce » (expression biblique). Certains diraient de la micro évolution et pas de la macro évolution.

Cette histoire, pourtant, ne s’arrête pas là. Pendant que ceci se produisait chez les mouches, cela se produisait aussi chez des organismes bien plus gros.

Les primates, par exemple.

Il y a 18 millions d’années, il n’y avait pas d’humains ni de chimpanzés, ni de gorilles, ni de gibbons sur la terre. Leur dernier ancêtre commun, lui était bien présent.

Tout comme pour les mouches, nous pouvons retracer l’histoire de ces changements évolutifs à partir de l’ordre initial des gènes chez cet ancêtre. Examinons le chromosome 1 de l’homme et comparons le à l’ordre des gènes chez le gibbon avec lequel nous partageons un ancêtre commun il y a environ 20 millions d’années.

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L’image ci dessus nous montre chromosome 1. Les rayures dans le chromosome sont des « marqueurs géographiques » qui ne nous préoccupent pas ici. Ce chromosome contient environ 4 200 de nos 21 000 gènes (approximativement). Le gibbon a environ le même nombre de gènes. Notez pourtant, qu’il y a eu deux inversions (en pointillés) au cours de cette période. Remarquez aussi qu’il y a eu d’autres remaniements. Les gènes situés à l’extrémité gauche du chromosome 1 de l’homme (environ 250) forment un groupe continu du chromosome 5 du gibbon. De même, si nous considérons les gènes juste à droite de ce premier groupe, le groupe suivant d’environ 200 gènes se retrouve dans le chromosome 9 chez le gibbon…et ainsi de suite. Il y a donc eu des remaniements, mais relativement peu nombreux. Tout comme pour Drosophila, les groupes sont tout à fait identifiables.

Le séquençage complet des génomes de l’homme et du chimpanzé a permis aux scientifiques de faire la même chose avec les espèces qui sont nos plus proches parents. Il y a 6 millions d’années vivait l’ancêtre commun entre l’homme et le chimpanzé. Depuis lors, tout comme chez les espèces proches de drosophiles, il y a eu des changements dans l’ordre des gènes, mais pas tant que ça. Il y a eu plusieurs inversions importantes que l’on a pu localiser très précisément et des plus petites et plus nombreuses avec le renversement de seulement quelques gènes. Comme on pouvait s’y attendre, il y a même eu fusion de deux chromosomes : certains gènes qui existaient sur des groupes contigus chez l’ancêtre commun il y a 6 millions d’années ne forment plus qu’un seul groupe chez l’homme, le désormais célèbre chromosome 2.

Ce chromosome est formé de deux groupes de gènes collés qui sont complètement séparés chez les chimpanzés et les gorilles (voir ci-dessous). Le fait que le chromosome 2  corresponde à deux chromosomes chez des grands singes suggère qu’il a résulté de la fusion de deux chromosomes plus petits qui ressemblent à ceux que nous voyons chez ces grands singes. Cette hypothèse a été confirmée par le séquençage ADN : nous pouvons observer tous les marqueurs auxquels nous pourrions nous attendre si cette fusion avait eu lieu, et cette preuve est bien connue parmi ceux qui sont intéressés par la discussion création/évolution.

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L’étude de l’ordre des gènes chez l’homme et le chimpanzé vient ainsi renforcer l’hypothèse d’un ancêtre commun. En effet, il n’y aucune raison d’un point de vue biologique de trouver les mêmes gènes dans le même ordre chez des organismes non apparentés, mais toutes les raisons de penser que ces gènes apparaîtraient dans des ordres différents. Chez les mouches, par exemple, les espèces les plus éloignées ont des ordres dans les gènes et des structures chromosomiques assez différentes, ce sont pourtant des espèces robustes et saines. En d’autres mots, beaucoup d’ordres différents dans les gènes peuvent produire la biologie de base pour le bon fonctionnement d’une mouche. De même, chez les mammifères, on trouve beaucoup d’arrangements différents des gènes, parfois dans une même espèce. Chez l’homme, on connaît beaucoup de réarrangements chromosomiques qui ne produisent aucune maladie. Certains groupes anti-évolution affirment que si le chromosome 2 résultait d’une fusion, cela aurait produit des maladies ou des problèmes de fertilité. Par exemple, on connaît beaucoup de « races » de souris avec des arrangements chromosomiques différents, y compris des exemples de fusion bout à bout comme le chromosome 2 de l’homme. Beaucoup de ces « races » de souris sont parfaitement fertiles lorsqu’on les croise avec des souris « normales ».Dans la nature,  on a observé la croissance rapide de populations de souris avec des arrangements chromosomiques différents.

Pour résumer, Dieu aurait pu souhaiter éviter l’apparence d’une ascendance commune entre les humains et les chimpanzés, il semble qu’il y ait beaucoup d’ordre des gènes et de structures chromosomiques possibles pour chacune de ces espèces. En effet, on observe des ordres et des structures plus différents chez des espèces connues pour avoir un ancêtre commun, même pour les créationnistes de la jeune terre. Pourtant, ce que nous voyons chez les hommes et les chimpanzés, ce sont des génomes qui donnent immédiatement l’impression d’être des versions légèrement modifiées du même génome. Cette similarité est aussi en accord avec d’autres types de preuves (comme la similarité des séquences d’ADN et l’anatomie comparée), permettant d’établir des liens de parenté entre les espèces (« qui est plus proche de qui » : la phylogénie). Alors que ces relations et ces schémas prennent tout leur sens à la lumière d’une ascendance commune, et permettent de tester de façon indépendante la reconstruction de la phylogénie, ceci continue à intriguer ceux qui tentent d’expliquer la vie en dehors de l’évolution.

Dans l’article plus bas, nous verrons comment l’étude de l’ordre des gènes permet aux chercheurs de prédire où trouver une autre caractéristique des génomes de l’homme et du chimpanzé : les pseudo gènes.

Note

1. La façon de dater les durées sur lesquelles Drosophila a évoluée est une histoire fascinante. Consultez les références!

Pour aller plus loin

  • Bhutkar, A., Schaeffer, S.W., Russo, S.M., Xu, M., Smith, T.F., and Gelbart, W.M. (2008). Chromosomal rearrangement inferred from comparisons of 12 Drosophila genomes. Genetics 179; 1657-1680 Disponible ici
  • Carbone L, Vessere GM, Hallers BFt, Zhu B, Osoegawa K, et al. (2006) A High-Resolution Map of Synteny Disruptions in Gibbon and Human Genomes. PLoS Genet 2(12): e223. Disponible ici
  • Feuk, L., MacDonald, J.R., Tang, T., Carson, A.R., Li, M., Rao, G., Khaja, R. and Scherer, S.W. (2005). Discovery of human inversion polymorphisms by comparative analysis of human and chimpanzee DNA sequence assemblies. PLoS Genetics 1(4): e56. Disponible ici
  • Kemkemer, Clause, Matthias Kohn, David N Cooper, Lutz Froenicke, Josef Högel, Horst Hameister and Hildegard Kehrer-Sawatzki. (2009). Gene synteny comparisons between different vertebrates provide new insights into breakage and fusion events during mammalian karyotype evolution. BMC Evolutionary Biology 2009, 9:84doi Disponible ici

Les preuves génétiques de l’évolution : les pseudo gènes

On peut trouver la version originale de cet article en anglais à l’adresse suivante

Nous avons  donc comparé la lecture de génomes d’espèces apparentées à celle de romans d’histoires alternatives (« Que se serait-il passé si… ? »). Nous avons souligné qu’avant que deux espèces divergent, elles partagent la même « histoire passée », puis elles accumulent les changements après séparation.

Lorsqu’on observe les génomes, il est interressant d’indentifier les vestiges de gènes qui ont fonctionné dans le passé mais plus aujourd’hui à cause de mutations. On les appelle des pseudo gènes, ou des « faux gènes ». Les pseudo gènes font parfois partie d’une histoire partagée entre deux espèces, ou bien ils sont apparus indépendamment après que les deux espèces aient suivi des chemins évolutifs séparés. Dans les deux cas, ils sont faciles à localiser au niveau moléculaire, parce qu’ils conservent une très grande similitude. Par exemple, voici les séquences ADN concernant le début d’un gène1 particulier dans plusieurs espèces (peu importe son rôle précis pour notre démonstration)

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Lorsque vous observez de prêt les séries de lettres ci-dessus, vous remarquez que l’ADN est constituée d’un code à quatre lettre. Ces lettres signifient que l’ADN est elle même formée des molécules d’adénine,  de guanine,  de cytosine, et de thymine. Nos cellules lisent ces instructions codées et interprètent le code, en fabricant les protéines nécessaires au fonctionnement de l’organisme.

Remarquez bien que les instructions ont un peu changé depuis que ces cinq espèces ont partagé un ancêtre commun. En dépit des changements, pour le chien (dog), la souris (mouse) et le poulet (chicken), la protéine accomplit pleinement sa fonction. Pourtant, ce n’est plus le cas pour l’homme (human) et le chimpanzé (chimpanzee). Le « point » (mis en évidence par la flèche rouge) signifie qu’une lettre a été effacée. Ce changement serait comme trouver cette phrase dans la première édition d’un livre :

LE GROS RAT A HEURTE LE TAPIS ROUGE

Mais, au lieu de cela, dans la deuxième édition, nous lisons:

LE GROS RAT A HEURTE LE TAIS ROUGE

La phrase ne veut plus rien dire, mais, si nous nous comparons la première et la deuxième version du livre, nous sommes capable de dire ce qui s’est exactement passé: la lettre « P » a été effacée, et tout ce qui suit a donc perdu son sens. A partir de cet endroit, le code a perdu sa signification. Ainsi, pour les hommes et les chimpanzés, les instructions sont devenues du charabia, et les molécules de protéines construites selon le plan de ce gène sont donc dénaturées et inopérantes.

Examinons à nouveau la séquence de ce pseudo gène chez l’homme et le chimpanzé et notons que ces deux espèces ont exactement la même suppression. Ceci suggère que cette suppression a eu lieu une fois chez un individu, ancêtre commun à ces deux espèces.

Réutilisons l’analogie avec le livre. On peut supposer que toutes les copies de la deuxième édition comportent exactement la même phrase vide de sens à propos du GROS RAT. Si quelqu’un lisait deux copies différentes de la deuxième édition, il manquerait la même lettre dans les deux : « P ». Il parait invraisemblable de penser que la même erreur s’est produite de manière indépendante dans l’impression des deux exemplaires. De même, ce serait faux d’affirmer que cette nouvelle phrase incohérente avait une signification importante que les spécialistes de la littérature découvriraient plus tard. Nous saurions très simplement qu’une erreur s’est produite. Toute autre explication paraîtrait forcée.

Aujourd’hui, les hommes et les chimpanzés portent exactement la même mutation parce qu’ils partagent la même histoire passée. Toutefois, c’est encore plus poignant que cela. Le génome humain comporte 20 000 pseudo genes. Chacun d’entre eux a sa propre histoire passée que l’on peut retracer exactement de la même façon.

L’hypothèse d’un ancêtre commun permet de faire des prédictions précises à propos de la façon dont les pseudo gènes seront répartis dans des espèces apparentées. Une fois qu’un gène a connu une mutation qui l’a transformée en pseudo gène, ce pseudo gène sera transmis aux descendants avec la mutation qui l’a inactivé.

La figure ci-dessous illustre ce point pour un pseudo gène spécifique, que nous appellerons pseudo gène “y”. Remarquez que chez un individu particulier à un moment particulier, le gène « y » a subi une mutation dans son code qui l’a rendu inopérant. Le code altéré a été transmis aux générations suivantes et finalement chez deux espèces filles, A et B.

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Considérons maintenant un autre gène, que nous appellerons “x”. Il a aussi subi une mutation, mais plus tôt dans la lignée évolutive. Appelons la nouvelle forme du pseudo gène associé « x ». On voit ceci sur la figure suivante. Puisque la mutation a eu lieu dans un organisme qui était un ancêtre commun aux espèces A, B et C, toutes ces espèces portent en elles la version modifiée et inopérante de « x ». Cependant, la lignée vers l’espèce D était déjà séparée des précédentes. Elle ne porte pas la version mutée de « x ».

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Finalement, considérons un autre gène, que nous appellerons “z”. Ce gène est parfaitement fonctionnel chez les espèces A, B et D. Pourtant, quand vous examinez son code dans l’espèce C, devinez quoi ? Elle porte un pseudo gène non fonctionnel. Que pensez-vous qu’il se soit passé ? C’est un changement récent, si récent qu’il n’est présent que chez les espèces dont les ancêtres remontent à l’espèce C. Voici une figue qui résume et illustre le moment auquel les trois mutations ont eu lieu et les ramifications de chaque changement.

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Dans cet exemple, puisque le gène “x” est muté en pseudo gène chez l’ancêtre commun aux espèces A, B et C, on s’attend à trouver ce pseudo gène, avec exactement la même mutation inactivante, dans ces trois espèces. De même,on peut trouver la même version du pseudo gène « y » avec exactement la même mutation chez les espèces A et B. Finalement, il y a de très nombreux cas pour lesquels un pseudo gène ne se trouve que chez une espèces, ou tout au plus quelques espèces proches apparentées. Le pseudo gène « z » en est un exemple.

Si l’histoire de la vie est bien quelque chose qui ressemble à ça, alors vous pouvez vous imaginez la puissance ce cette technique pour reconstituer l’histoire évolutive, espèce par espèce. Il est important de noter que depuis longtemps, nous disposons d’autres méthodes non génétiques de retracer l’histoire de la vie. Les biologistes ont utilisé ces méthodes alternatives depuis plusieurs dizaines d’années. Par exemple, en examinant les fossiles (la paléontologie), en retraçant les changements dans la structure des corps (anatomie comparée), l’histoire de la vie avait déjà été plus ou moins reconstituée avant que l’analyse des séquences ADN vienne sur le devant de la scène.

Dans la plupart des cas, les données qui sont issues des projets de séquençage de l’ADN confirment ce que les biologistes avaient pressenti depuis des années par d’autres méthodes d’analyse de l’histoire de la vie. Jusqu’à présent, les résultats sont extrêmement gratifiants par leur cohérence. En science, on cherche des lignes de preuves convergentes et indépendantes. Si les études ADN, avaient suggéré des lignées évolutives totalement différentes, alors l’hypothèse d’une ascendance commune aurait été très problématique. Mais ce n’est pas le cas. Les données vont dans le même sens ; il n’y a plus guère de doute.

Rappelez vous la façon dont la science avance. S’il existe de multiples lignes de preuve –chacune cohérente avec le principe central et unificateur-, un consensus est atteint. La théorie est validée et les scientifiques poursuivent les ramifications de la théorie.

Si la théorie de l’ancêtre commun est vraie, ceci nous permet aussi de faire des prédictions à propos de ce qu’on ne s’attend pas à trouver au niveau génétique. Nous continuerons l’investigation dans cette direction dans notre prochain article.

Dans un premier article sur ce sujet, nous avons expliqué que les pseudo gènes sont les vestiges de gènes qui ont fonctionné autrefois chez des ancêtres. Puisqu’il s’agit de segments de molécules d’ADN, ils sont recopiés fidèlement et transmis de génération en génération sur des très longues périodes. Pour cette raison, ce sont d’excellents marqueurs. Ils nous permettent de retrouver l’histoire ancestrale.

Par exemple, considérons le diagramme évolutif ci dessus. Les espèces A et B ont divergé récemment à partir d’un ancêtre unique (rouge). Puisqu’elles se sont séparées depuis peu de temps, elles sont relativement semblables.

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Les espèces A, B et C sont aussi reliées à un ancêtre commun (bleu). Cet ancêtre vivait il y a bien plus longtemps, ainsi les trois espèces ont eu plus de temps pour diverger. Elles auront donc probablement un aspect plus différent. Finalement, il y a très longtemps vivait un ancêtre encore plus ancien (jaune). Celui-ci a donné naissance aux quatre espèces A, B, C et D. Puisqu’ils ont divergé depuis plus longtemps encore, les descendants de cet ancêtre sont encore plus différents les uns des autres.

En ce qui concerne les pseudo gènes, la théorie de l’ancêtre commun nous permet de faire des prédictions. Supposons qu’en séquençant un génome, on identifie un pseudo gène spécifique dans l’espèce A (appelons le « y »), mais ce pseudo gène n’existe pas dans l’espèce B (voir ci-dessous).

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Si la théorie de l’ancêtre commun est vraie:

1L’évènement qui a produit le pseudo gène « y » a eu lieu récemment. Il ne peut donc avoir été présent chez l’ancêtre commun indiqué en rouge dans le diagramme; sinon les espèces A et B l’auraient.

2Puisque l’ancêtre commun aux espèces A et B n’avait pas ce pseudo gène, les ancêtres précédents ne pouvaient pas non plus l’avoir.

3Les espèces C et D ne peuvent pas avoir ce pseudo gène « y » non plus, puisqu’elles sont issues de ces espèces ancestrales antérieures.

Avec le séquençage de beaucoup de génomes, on peut maintenant tester cette hypothèse immédiatement. On peut le faire en examinant un ou deux gènes, mais aussi des centaines ou même des milliers. Tous les pseudo gènes cadrent-ils avec ce schéma ? Nous examinerons cette question en considérant une catégorie particulière de pseudo gènes.

Notre odorat fonctionne grâce à toute une série de protéines, les récepteurs olfactifs, que l’on trouve à la surface des cellules tapissant la cavité nasale. Les composants présents dans l’air se lient à ces récepteurs, envoyant ainsi un message au cerveau, que celui-ci interprète comme une odeur particulière.

Récemment, on a découvert que beaucoup de mammifères avaient perdu certaines de leur protéines réceptrices à cause de mutations des gènes qui les produisent : les gènes mutés ont été transformés en pseudo gènes non fonctionnels. Il est possible de comparer la répartition de nombreux pseudo gènes de récepteurs olfactifs dans plusieurs groupes d’espèces de primates.

Considérons tout d’abord 15 pseudo gènes présents chez l’homme, mais pas chez le chimpanzé. Selon la théorie de l’ascendance commune, ces 15 pseudo gènes sont apparus depuis que les chimpanzés et l’homme ont eu un ancêtre commun il y a environ 6 millions d’années. Si c’est le cas, nous pouvons prédire qu’aucun de ces 15 pseudo gènes ne sera présent chez des primates que nous pensons avoir divergé avant encore. Comme le montre le schéma, c’est exactement ce que nous observons en examinant les génomes du gorille et de l’orang-outang.

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Mais qu’en est-il des autres pseudo gènes olfactifs? Vérifient-ils les mêmes types de schéma ? Sont-ils présents aux « bons » endroits ? Il le sont effectivement –chacun d’entre eux : On trouve six pseudo gènes ayant les mêmes mutations les rendant inactifs chez les quatre espèces. Les hommes et les chimpanzés partagent 12 pseudo gènes identiques (6 +3+3) en commun, mais les hommes et les gorilles n’en ont que 9 (6+3) en commun. Ces 9 pseudo gènes sont comme prévu un sous ensemble des 12 partagés par les hommes et les chimpanzés.

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Rien qu’en utilisant des preuves basées sur les pseudo gènes, en l’absence de toute autre type de preuves (l’homologie des gènes, l’ordre des gènes, l’anatomie, etc), il nous est possible d’assembler ces espèces dans le même schéma de parenté qu’avec les autres types de preuves. En effet, pour les 47 pseudo gènes observés, aucun n’est à la mauvaise place. Nous pouvons dire que, quand un pseudo gène est apparu, on a pu le retrouver dans la lignée évolutive prévue. Remarquez bien que nous venons seulement d’étudier le cas de 47 pseudo gènes d’une même famille de gènes : beaucoup, beaucoup d’autres ont été étudiés et leur analyse confirme la macro évolution.

Cette étude des pseudo gènes peut être étendue à l’étude d’espèces bien plus éloignées. Par exemple, on pense que les mammifères sont les descendants d’ancêtres qui portaient des œufs. En effet, le registre fossile contient des espèces comme les « reptiles ressemblant aux mammifères » et aussi des « mammifères semblables à des reptiles » qui brouillent la distinction entre ces groupes. On a testé récemment la prédiction que les mammifères descendent d’ancêtres qui portaient des œufs en utilisant l’hypothèse d’un ordre semblable des gènes permettant de chercher les restes d’un gène servant à la production du jaune d’œuf dans le génome humain. Ce gène, appelé vitellogenin, est utilisé comme un composant des œufs chez de nombreuses espèces qui portent des œufs. Les chercheurs se demandaient si ce serait possible de retrouver les restes de ce gène dans le génome de l’homme. C’est la raison pour laquelle ils ont utilisé l’hypothèse d’un ordre commun des gènes chez le poulet et chez l’homme.

Vous vous souvenez sûrement que dans notre article précédent à propos de l’ordre des gènes, nous avons expliqué qu’au cours du temps, les groupes de gènes chez des espèces divergentes subissent des « cassures » et sont fractionnés en groupes de plus en plus petits. Toutefois, des gènes très proches peuvent rester ensemble très, très longtemps. Grâce à cette connaissance, les chercheurs :

1ont localisé le gène (fonctionnel) vitellogenin chez le poulet,

2Ils ont aussi identifié le gène « juste à côté » du gène vitellogenin chez le poulet.

3Ils ont cherché à savoir si ce gène du poulet, voisin du gène vitellogenin était aussi présent chez l’homme (il l’était- on trouve une version fonctionnelle de ce gène chez l’homme).

4Chez l’homme, ils ont observé juste à côté de ce gène commun à l’homme et au poulet, à l’endroit supposé des vestiges du gène vitellogenin chez l’homme et,

5ils ont découvert les vestiges mutés du gène vitellogenin dans le génome humain exactement à cet endroit.  

Alors qu’on pourrait peut-être proposer un argument (forcé) justifiant la présence de pseudo gènes chez l’homme, la présence de vestiges du gène nécessaire à la fabrication du jaune d’œuf devrait interpeller fortement le plus ardent des anti-évolutionnistes. Le fait qu’on ait utilisé l’hypothèse d’un ordre commun des gènes chez les hommes et le poulet ne vient que renforcer l’impact de cet argument.

L’existence d’un ancêtre commun est l’explication la plus élégante et la plus parcimonieuse pour expliquer la répartition des pseudo gènes que nous observons, pourtant beaucoup de chrétiens rejettent l’hypothèse d’une ascendance commune pour des raisons théologiques. Les défis à relever pour une explication non évolutive de ces données sont nombreux :

1Pourquoi les hommes (ou n’importe quelle espèce en l’occurrence) portent-ils en eux tant de gènes inactivés ?

2Pourquoi la distribution de ces gènes inactivés correspond-elle précisément aux prédictions de parenté (phylogénie) fournies par d’autres critères indépendants ?

3Pourquoi n’y a t-il pas de pseudo gènes aux « mauvais endroits » ?

4Pourquoi les pseudo gènes se trouvent-ils précisément aux endroits prédits par l’hypothèse d’un ordre partagé des gènes entre les espèces ?

5Pourquoi certains gènes inactivés sont-ils dédiés à des fonctions qui n’ont aucun sens  pour les espèces qui les portent (par exemple les gènes défectueux permettant la production de jaune d’oeuf chez les mammifères placentaires comme les hommes)?

En étant plus brutal, si nous devons rejeter l’hypothèse d’une ascendance commune, pourquoi Dieu l’a-t-il mise en place afin que nous le découvrions ? Et si nous ne pouvons pas faire confiance à ce schéma, comment pouvons nous être sûr de quoi que ce soit en génétique ? Comme un collègue me l’a dit un jour, ce « schéma tromperait tout enquêteur honnête » s’il ne correspondait pas à la réalité.

Beaucoup de croyants sont troublés par l’idée que les hommes partagent une histoire passée commune avec d’autres formes de vies (ainsi que part les questions théologiques que cela pose). Pourtant, envisageons un instant le point de vue opposé : supposez que l’ascendance commune soit en réalité une hypothèse incorrecte. Le problème serait alors le suivant : les données sont toujours là. Dans ce cas, il faut encore expliquer la raison pour laquelle les données ont l’allure qu’elles ont : pourquoi Dieu aurait-il choisi de créer des espèces indépendamment  avec ce schéma ? Même parmi les anti-évolutionnistes, il n’existe aucune réponse satisfaisante à cette question. Encore et encore, ce que nous observons de la part des organisations chrétiennes anti-évolutionnistes, ce n’est pas une tentative pour confronter les données, mais plutôt pour les contourner.

Ce type de preuves commence à être de plus en plus connus parmi les croyants mais aussi les non croyants. Si certains chrétiens continue à nier avec insistance les implications de ces données (très solides) de la science, ils courent le grand risque d’être une pierre d’achoppement pour leurs frères et sœurs en Christ, mais aussi de discréditer la foi qu’ils cherchent à partager avec ceux qui ne vivent pas la Bonne Nouvelle.

Notes:

Bien entendu, il y a toujours une possibilité pour qu’un même gène subisse une mutation et deviennent un pseudo gène de façon indépendante dans des espèces différentes. Dans ce cas, les mutations inactivantes seront différentes pour les deux espèces, et on les considèrera comme des évènements « spécifiques à l’espèce ». Il est aussi possible que des mutations spécifiques à une espèce masquent les mutations partagées antérieurement (par exemple, l’effacement complet d’un pseudo gène muté précédemment).

Références:

  1. Gilad, YG., Man, O., Paabo, S., and Lancet, D. 2003. Human specific loss of olfactory receptor genes. Proc. Natl. Acad. Sci. 100: 3324-3327. Available free here: http://www.pnas.org/content/100/6/3324.long
  2. Brawand, D., Wali, W. and Kaessmann H. 2006. Loss of Egg Yolk Genes in Mammals and the Origin of Lactation and Placentation. PLoS Biology 6: 0507-0517. Available free here: http://www.plosbiology.org/article/info%3Adoi%2F10.1371%2Fjournal.pbio.0060063
  3. Zhang, ZD, Cayting, P., Weinstock, G. and Gerstein, M. 2008. Analysis of of nuclear receptor pseudogenes in vertebrates: how the silent tell their stories. Mol. Biol. Evol. 25: 131-143. Available free here: http://mbe.oxfordjournals.org/cgi/content/full/25/1/131