Introduction

Nous abordons un sujet sensible: l’existence et le rôle d’Adam et Eve en rapport avec les découvertes de la science. Plusieurs auteurs évangéliques nous aideront à creuser cette question. Ils sont tous d’accord à propos du contenu spirituel du message de la Genèse, mais ils ne sont pas forcément du même avis à propos de la façon de relier le récit biblique et l’histoire passée de l’homme.

Notre but n’est donc pas d’imposer une réponse précise à cette question très difficile, mais plutôt d’exposer différents points de vue, avec leurs forces et leurs faiblesses, afin de vous permettre de vous faire votre opinion.

Un fait nous paraît cependant incontournable, si Adam et Eve sont des personnages historiques, l’auteur de la Genèse les situe au Néolithique, au Proche Orient ancien. A cette époque, homo sapiens est déjà réparti aux quatre coins du globe (en Australie, en Amérique…). Soyons très clair, pour cette raison et aussi pour des raisons génétiques, nous pensons donc qu’il est déraisonnable de croire aujourd’hui que l’humanité est issue d’un seul homme : Adam, et d’un seul couple : Adam et Eve.

Nous sommes très conscients que cette affirmation est déjà en elle-même un choc pour la théologie de beaucoup. Beaucoup d’évangéliques ne chercheront même pas à en savoir plus tant cette idée bouleverse leur interprétation de la Bible. C’est la raison la plus profonde pour laquelle le mouvement antiévolutionniste est si populaire dans la communauté évangélique. Cette réaction est certainement compréhensible dans un premier temps, pourtant il me paraît vitale pour la crédibilité de notre foi et dans notre quête de la vérité que nous prenions les questions délicates suscitées par les découvertes de la connaissance à bras le corps plutôt que de faire comme si elles n’existaient pas.

 

 

L’article ci dessous a été écrit par Denis Alexander. Denis Alexander est le directeur du Faraday Institute for Science and Religion à St. Edmund’s College, à Cambridge. Alexander écrit, fait des conférences dans le monde entier à propos des questions en rapport avec la science et la foi. Il est aussi membre de la International Society for Science and Religion.

Denis Alexander

Denis Alexander

Cet article sera suivi d’une réponse de Loren Wilkinson, ancien professeur de philosophie et d’études interdisciplinaires au Regent College, une Université théologique affiliée à l’Université de Colombie Britannique à Vancouver (Canada)

 Comment un modèle évolutif des origines de l’homme peut-il répondre à la question théologique d’Adam, sachant que l’humanité n’est pas issue génétiquement d’un seul homme ?

 

Qu’est-ce qu’un modèle?

La question posée dans notre titre suscite une première interrogation: en général, comment devrions nous nous y prendre pour relier les vérités théologiques avec les découvertes actuelles de la science ? Les vérités théologiques révélées dans la Bible sont des vérités théologiques éternelles, valides pour toute l’humanité à toutes les époques, bien que les interprétations humaines ne soient pas infaillibles et peuvent changer au cours du temps à propos de questions qui ne sont pas centrale pour l’évangile.

Au contraire, les théories scientifiques représentent la “meilleure explication dont on dispose” pour expliquer certains phénomènes et ces théories sont évaluées par la communauté scientifique sur des critères tels que l’interprétation des observations, les résultats expérimentaux, l’élégance mathématique et la capacité des théories à générer des programmes de recherche fructueux. Les théories scientifiques ne sont pas infaillibles et changeront certainement. Cependant, changer ne signifie pas nécessairement être remplacé. La plupart du temps, les théories scientifiques ne sont pas remplacées, mais modifiées. Ainsi, elles sont souvent comparées à des cartes qui incorporent beaucoup de données différentes : on révise les cartes pour y faire figurer de nouvelles données, et ainsi on les améliore.

Les scientifiques utilisent parfois le mot « modèle » pour proposer une idée vaste, ou un ensemble d’idée qui aide à expliquer certaines données scientifiques. Au grand désespoir des philosophes des sciences, l’utilisation de tels mots peut manquer de précision. Le mot « modèle » en est un exemple, son utilisation est parfois proche de celle du mot « théorie ». Pourtant, le plus souvent, l’expression « modèle » à une signification plus précise : il s’agit de de la façon dont certaines données peuvent être expliquées de façon cohérente d’un point de vue physique, mathématique ou même métaphorique.

Au début des années 1950, plusieurs modèles concurrents décrivaient la molécule d’AND, la molécule qui code les gènes. Linus Pauling a proposé un modèle en triple hélice. Mais Jim Watson et Francis Crick ont eu le grand avantage d’obtenir les résultats de la diffraction de l’ADN par les rayons X avant leur publication par Rosalind Franklin. Le modèle en double hélice était en fait le seul qui permettait de rendre compte de toutes les observations de façon satisfaisante, comme Watson et Crick l’ont publié dans ce célèbre article de la revue Nature en 1953. Depuis lors, chacun sait que la structure de l’ADN est une double hélice, et pas une hélice triple ou autre chose. Les modèles scientifiques sont très puissants.

Tous les modèles scientifiques ne remportent pas la partie aussi facilement. Pendant bien des années dans mon domaine de recherche : l’immunologie, il y avait des discussions interminables à propos de la raison pour laquelle une certaine catégorie de globules blancs (les cellules T) n’attaque que les envahisseurs étrangers mais pas les cellules de son propre « camp », celle de l’organisme. Ces discussions sont aujourd’hui pratiquement closes parce qu’un modèle général a émergé et il explique bien les données, en interprétant les données de plusieurs laboratoires différents. Mais ce modèle est bien plus compliqué que l’exceptionnelle et élégante double hélice de l’ADN. Les modèles les meilleurs ne sont pas nécessairement les plus simples. Les meilleurs modèles sont ceux qui expliquent les données le plus adéquatement.

Parfois, des modèles rivaux coexistent pendant une longue période dans la littérature scientifique parce qu’ils expliquent les données de façon adéquate. Dans ce cas, on dit que le modèle est « sous-déterminé » par les données. Tout le monde s’accorde avec les données existantes, le problème est comment organiser les données pour créer le meilleur modèle. Finalement, de nouvelles données émergent en faveur de l’un ou de l’autre modèle, ou bien qui réfute un modèle particulier de façon décisive.

Lorsque nous abordons la question de savoir quel est le meilleur modèle évolutif  pour traiter la question d’Adam dans la Genèse et les données anthropologiques et génétiques d’une humanité qui de descend pas génétiquement d’un seul couple, il nous faut garder à l’esprit tout ce que nous avons dit à propos des modèles scientifiques. Nous commencerons avec une question fondamentale : « Est-il approprié de construire un modèle liant des vérités scientifiques et théologiques ? » Après avoir répondu par l’affirmative à cette question, nous poursuivrons en réfléchissant au meilleur modèle approprié pour relier le récit biblique et les découvertes de la science.

 

Est-il approprié de construire un modèle?

Certains soutiennent que les vérités présentées dans les premiers chapitres de la Genèse sont des vérités théologiques qui sont valides indépendamment de toute histoire anthropologique particulière. Le but du texte de la Genèse est de révéler que le seul vrai Dieu est la source de la création qui a fait l’humanité uniquement à son image. Le récit de Genèse 3 de la désobéissance de l’homme est l’histoire de chacun d’entre nous. Nous sommes tous tombés dans le péché et sommes privés de la gloire de Dieu et ce passage présente cette vérité dans un récit vivant qui nous parle de théologie plutôt que d’histoire.

Ceux qui adoptent cette position montrent aussi du doigt les dangers du « concordisme » en matière d’interprétation biblique. Le terme « concordisme » (dans son sens traditionnel) fait généralement référence à la tentative inappropriée d’interpréter l’Ecriture en utilisant les suppositions ou le langage de la science. Calvin a fermement critiqué de telles tendances dans son grand commentaire de la Genèse, en faisant cette remarque à propos du premier chapitre : «  Il n’est question ici de rien d’autre que de la forme visible du monde. Que celui qui veut apprendre l’astronomie et les arts du même type aille voir ailleurs. » Mais le terme « concordisme » est parfois étendu pour inclure virtuellement toute tentative de relayer les vérités bibliques et scientifiques. Il semble que cette critique soit excessive, parce qu’alors notre théologie devient trop isolée du monde, par contraste avec la célèbre analogie des « deux livres » de Dieu : celui de la Parole de Dieu, la Bible, et celui de ses œuvres, l’ordre créé, nous parlent tous deux à leur façon de la même réalité. Cette analogie puissante a soutenue pendant des siècles le dialogue entre la science et la foi, et le défi est de voir comment les deux « livres » se parlent l’un à l’autre, parce que toute vérité est vérité divine.

Pour construire des modèles reliant les textes bibliques à la science, il n’est pas nécessaire de faire appel à des interprétations concordistes du texte (dans le sens traditionnel du mot « concordiste »). Les disciplines que sont la théologie et la science devraient être accordées en respectant l’intégrité de chacune d’entre elles. Les textes de la Genèse devraient être autorisés à nous parler dans leur propre contexte et formes de pensée, qui sont clairement très distants de ceux de la science moderne. Nous sommes tous d’accord pour affirmer que les premiers chapitres de la Genèse ont été écrits pour véhiculer de la théologie et pas de la science. Le rôle des modèles est donc d’explorer la façon dont les vérités théologiques de la Genèse pourraient être reliées aux modèles scientifiques courants des origines de l’homme.

Les modèles que nous proposons ne sont pas du même niveau que les « données ». D’un côté, nous avons les données théologiques fournies par la Genèse, valables pour tous les peuples de toutes les époques. Les incertitudes ici ne sont ici liées qu’à la solidité et à l’exactitude de nos interprétations. D’un autre côté, les données scientifiques actuelles sont toujours susceptibles d’être révisées, étendues ou mieux interprétées. Néanmoins, les données sont surabondantes en ce qui concerne certaines vérités scientifiques, par exemple le fait que nous partagions un héritage génétique commun avec les grands singes. Le rôle des modèles est de traiter à la fois les vérités théologiques et scientifiques et de voir comment elles pourraient se « parler » l’une à l’autre, mais nous ne devrions jamais défendre un modèle comme si nous défendions les données elles-mêmes. Tout l’intérêt d’un modèle est qu’il est une construction humaine qui cherche à mettre en relation différents types de vérités ; les modèles ne sont pas contenues dans la Bible elle-même- nous pouvons tout au plus attendre d’eux qu’ils soient « cohérents » avec les textes bibliques pertinents. Ne confondons jamais le modèle avec les vérités qu’il cherche à mettre en relation.

En pratique; n’importe quel lecteur occidental du texte de la Genèse, éduqué dans une culture très influencée par le langage et les formes de pensée de la science peut difficilement éviter une tendance presque instinctive pour construire des modèles ou des images dans leur têtes en ce qui concerne ce qui pourrait avoir été observé s’ils avaient été là quand « ça » s’est passé. Il est en la matière sans importance que l’on soit créationniste de la jeune terre, créationniste de la terre ancienne ou évolutionniste théiste de telle ou telle sensibilité. Puisque de toute façon, nous cherchons tous à établir des modèles, nous devrions nous assurer aussi que le modèle que nous soutenons a été attentivement soumis à une étude attentive. C’est important pour soi-même mais encore plus dans un contexte pastoral où nous cherchons à éviter toute dissonance intellectuelle inutile dans l’esprit de ceux qui nous sont confiés.

Le dernier ancêtre commun entre les chimpanzés et nous a vécu il y a environ 5 à 6 millions d’années. Depuis ce temps, nous et les grands singes avons suivi chacun notre propre chemin évolutif. Aujourd’hui, les hommes ont des croyances religieuses, pas les chimpanzés. A un certain moment de son histoire, l’humanité a fait connaissance avec le vrai Dieu des Ecritures. Quand et comment cela s’est-il produit ?

 

L’émergence des hommes anatomiquement modernes

Les hommes anatomiquement modernes sont apparus en Afrique il y a environ 200 000 ans. Le fossile connu le plus ancien provient de la formation de Kibish, en Ethiopie, et il est estimé à un âge de 195 000 +/– 5000 ans.1 D’autres crânes de notre espèce ont été retrouvés dans le village de Herto, en Ethiopie et datent d’il y a 160 000 ans, grâce à la datation à l’argon.2 Notre espèce avait déjà connu une expansion limitée il y a 115 000 ans, comme le montre les parties de squelettes qui appartiennent sans aucun doute à H Sapiens trouvée à Skhul et à Qafzeh en Israël.

Mais une émigration hors d’Afrique ne semble pas s’être produite avant il y a 70 000 ans, avec des hommes modernes qui ont atteint l’Asie puis l’Australie il y a environ 50 000 ans, puis revenant en Europe il y a 40 000 ans, où les connaît sous le nom d’hommes de Cro-Magnon. Il y a 15 000, les hommes s’engouffraient en Amérique du Nord par le détroit de Béring.3 La taille effective de la population qui est partie d’Afrique a été estimée entre 60 et 1220 individus 4, ce qui signifie que toutes les populations aujourd’hui qui ne sont pas africaines descendent de ce petit groupe de fondateurs. Même les insectes contenus dans les intestins humains racontent la même histoire, leur variation génétique démontrant l’origine africaine de leurs hôtes.5 Mais en Afrique, différents groupes d’hommes ont vécu pendant au moins 130 000 ans avant d’émigrer, très souvent isolés les uns des autres pendant de longues périodes. Ainsi, on devrait s’attendre à constater une variation génétique entre différentes populations africaines plus grande qu’entre les populations non africaines. C’est exactement ce que l’on constate.

 

Adam dans les textes de la Genèse

La toute première mention d’Adam dans la Bible nous vient de Genèse 1:26–27, et sa signification et sans ambiguïté « humanité ». Ces versets sont répétés dans les mots d’ouverture de la deuxième section (toledoth) dans Genèse 5:1–2: “ Le jour où Dieu créa Adam, il le fit à la ressemblance de Dieu. Homme et femme il les créa, il les bénit et les appela du nom d’Homme (Adam), au moment où ils furent créés.” (Genèse 5:1-2)

Ainsi, Adam peut faire référence à l’humanité, Adam est seul à être fait à l’image de Dieu. Puis, en Genèse 2, un roi fait son entrée : l’ambassadeur de Dieu sur la terre ! Mais c’est un roi « poussiéreux » : « L’Éternel Dieu forma (Hébreux : yatsar) l’homme (adam) de la poussière du sol (adamah) ; il insuffla dans ses narines un souffle vital, et l’homme devint un être vivant (nepesh : âme, souffle). » la nature matérielle même de la création, l’homme y compris, est soulignée au verset 9 : « Puis l’Éternel Dieu planta un jardin en Éden, du côté de l’orient, et il y mit l’homme qu’il avait formé. L’Éternel Dieu fit germer du sol (adamah) toutes sortes d’arbres d’aspect agréable et bons à manger, ainsi que l’arbre de la vie au milieu du jardin, et l’arbre de la connaissance du bien et du mal. »

Il y a beaucoup de points importants dans ces versets. D’abord, il existe un mot parfait en hébreux pour dire « homme » (ish). En fait, c’est le mot le plus utilisé dans l’Ancien Testament (1671 fois) pour dire « homme », ainsi l’utilisation du mot adam est un choix délibéré pour nous apprendre que non seulement adam provient de l’adamah, mais que Dieu lui confie le devoir important de prendre soin de l’adamah– l’Adam terrestre est l’intendant de Dieu sur la terre.

Deuxièmement, nous remarquons l’article défini devant le mot adam, et dont la traduction correcte est « l’homme », et cet article défini reste en place jusqu’en Genèse 4 :25, avec Adam sans article défini : « il connut à nouveau sa femme ». Les noms personnels en hébreux n’ont pas d’article défini, ainsi il y a ici un message théologique : voici « l’homme », un homme très particulier, peut-être le représentant de tous les autres hommes. Pourtant, il nous faut bien comprendre l’utilisation de l’article défini qui est sans aucun doute une stratégie délibérée dans ce texte dans lequel il est fait mention de ‘l’homme’ pas moins de 20 fois dans les chapitres 2 et 3 de la Genèse.

Mais en même temps il y a une certaine ambiguïté dans l’utilisation du mot adam, peut-être une ambiguïté intentionnelle, ce qui rend difficile le fait de savoir quand « adam » est utilisé pour la première fois comme un nom personnel.6 Par exemple dans certains versets, au lieu de l’article défini devant adam, il y a ce qu’on appelle en hébreux une « préposition inséparable » traduite par «  à «  ou « pour »  dans Genèse 2:20, 3:17 et 3:21. Les différentes traductions appliquent leur propres interprétations pour savoir quand adam commence à être utilisée comme un nom personnel Adam, et ces 6différentes interprétations dépendent du contexte. Il est donc préférable de ne pas être trop dogmatique pour affirmer du moment précis quand « l’adam », l’homme représentatif, se confond avec Adam portant un nom personnel.

Le troisième point important souligné dans Genèse 2 :7 est que « adam » est devenu un « être vivant », ou comme certaines translations le disent : une « âme vivante ». Le langage de l’« âme » a conduit certains chrétiens à penser que ce verset était une description de l’implantation d’une âme immortelle dans l’« adam » pendant sa création, mais quelque puisse être l’enseignement de l’Ecriture sur ce point ailleurs dans la Bible, il est difficile de soutenir ce point de vue à partir de ce passage de Genèse. Le mot hébreux utilisé est nepesh, ce qui signifie, suivant le contexte : la vie, la force vitale, l’âme, la respiration, le siège des émotions et du désir, une créature ou une personne dans son entier, son corps ou même dans certains cas son cadavre. Dans Genèse 1: 21, 24, 20 et 2:19, exactement la même expression a été utilisée en Hébreux- « nepesh vivantes » traduite par « créatures vivantes » – pour des animaux de la même façon qu’elle est utilisée dans Genèse 2 pour « l’adam ». Et nous notons aussi que adam est devenu une nepesh, cela ne lui a pas été donné comme un bonus, donc le texte souligne simplement que la vie et le souffle d’adam était complètement dépendant de l’œuvre créatrice divine, tout comme il l’était pour les « créatures vivantes » de Genèse 1. Il n’y a certainement aucune place pour une interprétation particulière de ce passage comme faisant référence à l’ajout d’une âme vivante immortelle à Adam.

Comment relier la compréhension anthropologique avec le message théologique profond que les premiers chapitres de la Genèse nous donnent, avec leur présentation nuancée d’Adam ? Deux modèles cherchent à répondre à cette question, c’est ce qui sera l’objet d’un prochain article.

Comment relions-nous nos connaissances anthropologiques avec le récit théologiquement très profond des premiers chapitres de la Genèse, et leur présentation d’ « Adam » ? Il existe principalement deux modèles cherchant à répondre à cette question, nous les appellerons le « modèle qui raconte une nouvelle fois » et le modèle de « l’Homo divinus », pour des raisons qui seront claires dans un moment. Ces deux modèles sont en accord avec les grandes vérités théologiques à propos de l’humanité créée à l’image de Dieu et à propos de l’aliénation causée par le péché et la désobéissance de l’homme. Les deux modèles acceptent les données scientifiques actuelles en ce qui concerne l’origine de l’homme. Mais les modèles diffèrent dans la façon dont ils relient ces deux types de données. 7 Bien que ma préférence aille au second modèle, notre but est ici d’exposer les forces et les faiblesses de chaque modèle aussi objectivement que possible.

 

Le « modèle qui raconte une nouvelle fois »

Ce modèle présente une vision protohistorique gradualiste, ce qui signifie qu’il n’est pas historique au sens courant de ce mot, mais qu’il fait référence à des événements qui ont eu lieu à des moments particuliers dans le temps et dans l’espace. Ce modèle suggère qu’alors que les hommes modernes évoluaient anatomiquement en Afrique depuis 200 000 ans, ou pendant une période de développement linguistique et culturel depuis, il y a eu une prise de conscience progressive de la présence de Dieu et de l’appel sur les vies des hommes auquel ceux-ci ont répondu par l’adoration et l’obéissance.8 les premières expériences spirituelles des hommes l’ont été dans un contexte monothéiste, puisqu’il était naturel pour les hommes de se tourner vers leur Créateur, tout comme aujourd’hui les enfants sont naturellement enclins à croire en Dieu dès qu’ils savant parler. 9 Dans ce modèle, les premiers chapitres de la Genèse sont une nouvelle formulation de ces épisodes primitifs, ou de cette série d’épisodes dans l’histoire des hommes, sous une forme qui pouvait être comprise dans la culture du Moyen Orient du peuple juif de cette époque. Ce modèle présente donc le récit de la Genèse comme un mythe au sens technique du terme- une histoire ou une parabole ayant pour objectif de nous enseigner des vérités éternelles- mais un récit qui fait référence à des événements bien réels qui ont eu lieu durant une période prolongée de l’histoire de l’humanité en Afrique au début de  son histoire. Certains voudraient aller plus loin avec ce modèle en affirmant qu’Adam et Eve de la Genèse représentent en fait les premiers individus de notre espèce ayant vécus en Afrique il y a 200 000 ans environ. Pourtant, cette suggestion est confrontée à un problème scientifique de taille. Tout ce que nous savons de l’émergence d’une nouvelle espèce de mammifères nous montre qu’il s’agit d’un processus graduel qui s’étale sur des milliers d’années. Une population isolée du point de vue de sa reproduction accumule progressivement un ensemble de différences génétiques uniques qui finalement en font une nouvelle espèce. Une nouvelle espèce ne surgit pas de manière abrupte, et certainement pas à partir d’un mâle et d’une femelle.

Si nous retenons ce modèle tel que nous venons de le décrire, alors la « chute » 10 est interprétée comme le rejet conscient du sentiment de la présence de Dieu et de son appel sur la vie humaine pour suivre ses propres voies plutôt que celles de Dieu. La chute devient un processus historique étalé dans le temps qui a conduit à la mort spirituelle. Le récit de la chute dans la Genèse devient une façon de raconter dramatiquement ce processus ancien au travers  de l’histoire d’Adam et Eve placés dans le contexte du Moyen Orient.

Un point fort de ce modèle est la façon dont la doctrine de l’Adam fait à l’image de Dieu peut être appliquée à une communauté d’hommes modernes anatomiquement, dont tous les descendants –toute l’humanité depuis cette période- a partagé ce statut privilégié devant Dieu. Ainsi lorsque cette communauté de premiers hommes a tourné le dos à la lumière spirituelle que Dieu leur apportait dans sa grâce, le péché est entré dans le monde pour la première fois, et a contaminé l’humanité depuis lors. Une telle interprétation est rendue possible par le fait que la première communauté humaine en Afrique n’aurait été que de plusieurs centaines de couples. Si on applique ce modèle à cette étape très tôt dans l’évolution, avant que l’humanité n’ait commencé à se répandre partout en Afrique, alors ces événements auraient pu concerner tous les hommes vivants à cette époque.

Un point théologique cohérent avec ce modèle concerne l’enseignement de Paul en Romains 2:14-15 disant que les païens ont les exigences de la loi divine inscrite dans leurs cœurs, même sans la révélation de l’Ancien testament. De la même façon, on peut suggérer que les tous premiers hommes connaissaient Dieu parce qu’il avait inscrit sa loi dans leurs cœurs, et leur désobéissance vis-à-vis de cette lumière les a conduits à l’aliénation. Ceci a engendré un vide spirituel que l’humanité a essayé de combler depuis par toutes sortes de croyances religieuses, aucune d’entre elles (excepté le message de la croix de Jésus-Christ) n’a apporté la réconciliation avec Dieu.

En défaveur de ce modèle est la façon dont il évacue le récit de tout contexte du Moyen-Orient, le détachant de ses racines juives. Si les premiers chapitres de la Genèse nous parlent de Dieu s’occupant des personnes qui allaient plus tard devenir le peuple juif, alors l’Afrique n’est pas la direction vers laquelle nous devrions tourner nos regards. Tout dépend de la façon dont nous interprétons les récits concernant Adam et Eve ; quel est le poids que nous accordons aux généalogies qui incorporent Adam en tant que figure historique (Genèse 5 :1, 1 Chroniques 1) et au Nouveau Testament qui fait remonter la lignée de Jésus jusqu’à Adam (Luc 3) ; et à des passages comme Romains 5 et 1 Corinthiens 15 qui le plus souvent sont interprétés sur la base d’un Adam personnage historique. Le deuxième modèle cherchera à traiter ces préoccupations.

 

Le modèle de l’Homo divinus

Comme le modèle « qui raconte une nouvelle fois », ce modèle propose également une vison protohistorique dans la mesure où il se situe au-delà de l’histoire au sens où l’on entend habituellement, mais tout comme le modèle « qui raconte une nouvelle fois » dont nous avons parlé dans notre article précédent, ce modèle cherche des événements situés dans l’histoire qui pourraient correspondre au contenu théologique fourni par le récit de la Genèse. Mais dans ce cas, le modèle localise ces événements au sein de la culture et de la géographie fournis par le texte de la Genèse.

Selon ce modèle, Dieu dans sa grâce a choisi un couple de fermiers du néolithique au Proche-Orient, ou peut-être une communauté d’agriculteurs à qui il a choisi de se révéler d’une manière particulière, afin d’entrer en communion avec eux, pour qu’ils puissent connaître le seul vrai Dieu d’une façon personnelle. A partir de ce moment, il y aurait eu une communauté d’hommes et de femmes conscients qu’ils avaient été appelés à une sainte entreprise, appelés à être les intendants de la création de Dieu, appelés à connaître Dieu personnellement. C’est pour cette raison que ce premier couple, ou que les membres de cette communauté, ont été appelés Homo divinus, l’homme divin, ceux qui connaissent le seul vrai Dieu, celui d’Adam et Eve du récit de la Genèse (certaines versions de ce modèle cherchent à incorporer les enseignements concernant l’«image de Dieu» plus clairement que ce qui est tenté ici). Être un homme moderne anatomiquement était nécessaire mais pas suffisant pour être spirituellement vivant; c’est encore le cas aujourd’hui. Les Homo divinus ont été les premiers humains qui ont été vraiment vivant spirituellement, en communion avec Dieu, fournissant ainsi les racines spirituelles de la foi juive. Certes, les croyances religieuses existaient avant cette date, dans différentes parties du monde, des personnes ont cherché Dieu ou des dieux, en offrant leurs propres explications sur le sens de leur vie, mais l’existence d’Homo divinus a marqué le moment que Dieu a choisi pour se révéler lui-même ainsi que ses intentions pour l’humanité pour la première fois.

Le modèle de l’ Homo divinus attire aussi l’attention sur le caractère représentatif de l’«Adam», l’«homme», comme l’a suggéré l’utilisation de l’article défini dans le texte de la Genèse mentionné ci-dessus. L’homme est donc considéré comme le chef fédéral de l’ensemble de l’humanité vivant à ce moment. Ce fut le moment où Dieu a décidé de lancer sa nouvelle famille spirituelle sur la terre, composée de tous ceux qui mettraient leur confiance en lui par la foi, une foi exprimée par l’obéissance à sa volonté. De ce point de vue, Adam et Eve ont été de vraies personnes, vivant dans un contexte historique précis à une époque et dans une situation géographique données, choisis par Dieu pour être les représentants de sa nouvelle humanité sur la terre, non pas en vertu de tout ce qu’ils avaient fait, mais simplement par la grâce divine. Quand Adam a reconnu qu’Eve était « os de ses os et chair de sa chair », il n’était pas seulement en train de reconnaître un autre Homo sapiens – il y en avait beaucoup autour de lui – mais quelqu’un qui comme lui qui avait été appelé à partager la vie de Dieu dans l’obéissance à ses commandements. La population mondiale à l’époque néolithique est estimée se situer dans une fourchette de 1 à 10 millions d’individus, génétiquement semblables à Adam et Eve. Mais dans ce modèle, Dieu a choisi de se révéler à ces deux agriculteurs parmi tous ces millions.

Tout comme je peux sortir dans les rues de New York aujourd’hui et n’avoir aucune possibilité de reconnaître ceux qui sont spirituellement vivant juste en les regardant, dans ce modèle il n’y avait aucun moyen physique de distinguer Adam et Eve de leurs contemporains, tous membres de l’espèce Homo sapiens. Ce modèle se préoccupe de la vie spirituelle, de l’obéissance aux commandements et aux responsabilités révélées, et non pas de la génétique.

Comment ce modèle se rapporte-t-il au fait qu’Adam a été créé à l’image de Dieu? Si nous prenons Genèse 1 comme une sorte de «manifeste» littéraire qui établit les fondements pour la compréhension de la création qui, à son tour, fournit le cadre pour comprendre le reste de la Bible, alors l’enseignement de l’humanité créée à l’image de Dieu est une vérité fondamentale valable pour l’ensemble de l’humanité à toutes les époques. C’est une vérité qui englobe certainement la responsabilité royale donnée à l’humanité en Genèse 1 de dominer la terre, cette vérité a aussi un aspect relationnel dans la communion humaine avec Dieu, et les implications relationnelles de ce que cela signifie d’être fait à l’image de Dieu sont explicitées en Genèse 2, par le travail, le mariage et le soin à apporter à la terre.

Bien sûr, avec notre mentalité occidentale, nous aimerions poser la question chronologique: à quel moment exactement l ‘« image de Dieu » s’applique-t-elle dans l’histoire humaine? Mais le texte de la Genèse ne se préoccupe pas de chronologie. Ce n’est pas non plus la vocation du modèle de l’Homo divinus présenté ici de régler ce problème, mais ce modèle accepte simplement le fait que l’ensemble de l’humanité est faite dans l’image de Dieu sans aucune exception. En revanche, le modèle se concentre sur l’événement de  Genèse 2 :7, où Dieu communique son souffle à Adam pour qu’il devienne une nepesh, un être vivant qui peut répondre à l’appel de Dieu sur sa vie. Ce modèle nous parle de la façon dont Adam et Ève sont devenus les enfants de Dieu responsables, ce qui implique une relation personnelle avec Lui, l’obéissance à ses commandements. Ce modèle nous parle aussi du début de la nouvelle famille de Dieu sur la terre, composée de tous ceux qui viendraient à le connaître personnellement. Paul dit que “C’est pourquoi, je fléchis les genoux devant le Père, de qui toute famille dans les cieux et sur la terre tire son nom,” (Ephésiens 3:14-15)

Les familles ont toutes un commencement, et Dieu a choisi de débuter sa nouvelle famille sur la terre avec deux simples individus particuliers, sauvés par la grâce, comme nous le sommes, et soutenus par l ‘«arbre de vie».

Dans ce modèle la chute devient alors la désobéissance d’Adam et Eve face à l’expression de la volonté révélée de Dieu, apportant la mort spirituelle dans son sillage, une relation brisée entre l’homme et Dieu. Dans le prolongement de ce modèle, parce qu’Adam est le chef fédéral de l’humanité, si Adam tombe, l’humanité tombe également  avec lui. Etre chef fédéral de l’humanité fonctionne dans les deux sens. Tout comme l’explosion d’une bombe atomique se répand  avec une force terrible, diffusant son rayonnement dans le monde entier, le péché est entré dans le monde avec la première désobéissance délibérée aux commandements de Dieu, répandant sa contamination spirituelle  dans le monde entier. Et comme avec le modèle « qui raconte une nouvelle fois », la mort physique de l’animal et l’homme a bien eu lieu tout au long de l’histoire évolutive. Les deux modèles proposent que c’est la mort spirituelle qui est la conséquence du péché. Genèse 3 fournit une description puissante de l’aliénation dont souffre l’humanité à cause du péché, celle d’une flamme de feu qui la sépare de l’Arbre de Vie (3:24). Mais sous la Nouvelle Alliance, le chemin du retour à l’arbre de vie est ouvert par l’œuvre expiatoire de Christ sur la croix “Heureux ceux qui lavent leurs robes, afin d’avoir droit à l’arbre de vie, et d’entrer par les portes dans la ville ! ” (Apocalypse 22:14)

Le modèle de l’Homo divinus a l’avantage de prendre au sérieux l’idée biblique qu’Adam et Eve étaient des personnages historiques. Ce modèle présente aussi la chute comme un événement historique par la désobéissance d’Adam et Eve aux commandements express de Dieu, et par là engendrant la mort. Ce modèle situe ces événements dans la protohistoire juive.

Pourtant, certains pensent qu’une des faiblesses du modèle est de faire appel à Adam en tant que chef représentant de l’humanité dans son appel à être en communion avec Dieu, comme un appel s’adressant à l’humanité toute entière, et de même, ils ont du mal à comprendre que le péché d’Adam ait eu un impact sur l’humanité entière. La notion d’un Adam représentant l’humanité peut bien sûr être dégagée de passages tels que Romains 5 :12 et 17, 1 Corinthiens 15 :22, bien que Romains 5 :12 dise clairement que la mort spirituelle a atteint tous les hommes parce que tous ont effectivement péché. Chacun est responsable pour son propre péché. Ce modèle n’est donc pas en accord avec la notion stricte d’héritage de la nature pécheresse d’Augustin, mais de toute façon beaucoup de commentateurs bibliques ne trouvent pas cette notion dans les Ecritures, qui soulignent le fait que tous ont péché et sont privés de la gloire de Dieu (Romains 3 :23), en enracinant ce fait dans le péché d’Adam (1 Corinthiens 15 :22), mais aussi en soulignant la responsabilité personnelle de chaque personne pour son propre péché (Deut.24:16; Jer.31:30; Rom. 5:12).

Le modèle de l’Homo divinus ne répondra pas davantage aux questions théologiques que l’on se pose que ne le fait le modèle « qui raconte une nouvelle fois ». Par exemple, quelle était la destinée éternelle de ceux qui ont vécu avant Adam et Eve ? La réponse est que nous n’en avons  vraiment aucune idée. Mais nous avons l’assurance avec Abraham que notre Dieu est un juste juge (Genèse 18 :25). Heureusement pour nous, nous ne sommes pas appelé à juger la terre entière, et nous pouvons nous abandonner avec confiance entre les mains de celui qui juge avec justice (1 Pierre 2 :23).

Les questions soulevées à propos de ceux qui vivaient avant Adam et Eve ne sont pas différentes d’autres questions du même genre. Par exemple, quelle était la destinée éternelle de ceux qui ont vécu en Australie au moment où la loi a été donnée à Moïse sur le Mont Sinaï ? Là encore, nous n’en avons pas la moindre idée, et encore une fois, nous nous en remettons au juste jugement de Dieu. Les chrétiens qui perdent du temps en spéculant sur de tels problèmes pourraient bien donner l’impression qu’ils pensent être les juges de la destinée du monde, oubliant que cette prérogative est celle de Dieu seul.

 

Conclusions

Les deux modèles présentés ici ne sont que des tentatives, des pistes de réflexion. Les deux modèles sont lourdement sous déterminés par les données, ce qui signifie que nous n’en savons pas assez pour trancher la question. Il se pourrait que les deux modèles soit faux et qu’un troisième modèle finisse par l’emporter, espérons-le. Mais pour l’instant, les différentes idées qui ont été présentées semblent être des versions de ces deux modèles.

Est-il probable qu’avec l’arrivée de nouvelles données, l’un ou l’autre ou bien ces deux modèles deviennent indéfendables ? Ce n’est pas impossible, et si cela arrive, il est probable que cela se produira avec les progrès de la science. Par exemple, le modèle de l’homme issu d’Afrique pourrait être mis à mal par de nouvelles découvertes, même si cela nous paraît très improbable aujourd’hui. De même, il n’est pas impossible que de nouvelles données viennent éclairer les racines du monothéisme, et nous aide dans la construction d’un modèle.

Etant donné que les deux modèles présentés suggèrent que l’évolution est en elle-même non pertinente pour nous aider à comprendre théologiquement ce que signifie pour l’humanité d’être à l’image de Dieu, il est probable que la préférence pour un modèle ou pour un autre sera basée sur la compréhension préalable que l’on a de certains textes bibliques particuliers. Il faut aussi reconnaître que l’adoption de tel ou tel modèle pourrait aussi avoir des répercussions sur d’autres aspects de la théologie. Par exemple, si le récit de la chute de la Genèse est l’histoire d’une aliénation graduelle loin de Dieu qui s’est produite dans une période précoce dans l’émergence d’Homo sapiens, comme dans le modèle qui « raconte une nouvelle fois », alors on peut associer l’interprétation de la chute à des comportement anti sociaux, ou à l’émergence du conflit, ou même aux comportements humains requis pour la seule survie. Mais aussi importantes que soient ces choses, je suggèrerai qu’elles ne nous conduisent pas au cœur de la doctrine biblique de la chute, dont le sujet n’est pas la sociobiologie, mais à une relation avec Dieu qui a été brisée à cause de l’orgueil de l’homme, de sa rébellion et de son péché- avec des conséquences profondes pour le statut de l’humanité, et pour le soin apporté à la terre par l’homme. La chute nous parle de responsabilité morale et de péché, pas simplement d’un comportement mal à propos, et la notion de péché implique l’aliénation loin de Dieu. Une relation ne peut être rompue par le péché que si elle existe au préalable.

De telles réflexions nous rappellent que les modèles ne devraient jamais prendre la place des données elles-mêmes ; sinon nous sommes dans la situation d’un chien qui se mord la queue. Parfois en science, nous devons tenir compte fermement de deux séries de données très fiables sans avoir aucune idée de la façon dont on peut relier ces observations de façon cohérente. En ce qui concerne le fait de relier l’anthropologie avec l’enseignement biblique, nous sommes en bien meilleure posture que ça, puisque les modèles proposés permettent au moins de rendre les données cohérentes d’une façon ou d’une autre. Mais personne n’est assez naïf pour croire que ces modèles sont complètement satisfaisants. D’un autre côté, l’un ou l’autre pourrait bien apporter un éclairage utile dans le processus d’établissement de meilleurs modèles dans l’avenir.

Le modèle de l’Homo divinus a l’avantage de prendre au sérieux l’idée biblique qu’Adam et Eve étaient des personnages historiques. Ce modèle présente aussi la chute comme un événement historique par la désobéissance d’Adam et Eve aux commandements express de Dieu, et par là engendrant la mort. Ce modèle situe ces événements dans la protohistoire juive.

Pourtant, certains pensent qu’une des faiblesses du modèle est de faire appel à Adam en tant que chef représentant de l’humanité dans son appel à être en communion avec Dieu, comme un appel s’adressant à l’humanité toute entière, et de même, ils ont du mal à comprendre que le péché d’Adam ait eu un impact sur l’humanité entière. La notion d’un Adam représentant l’humanité peut bien sûr être dégagée de passages tels que Romains 5 :12 et 17, 1 Corinthiens 15 :22, bien que Romains 5 :12 dise clairement que la mort spirituelle a atteint tous les hommes parce que tous ont effectivement péché. Chacun est responsable pour son propre péché. Ce modèle n’est donc pas en accord avec la notion stricte d’héritage de la nature pécheresse d’Augustin, mais de toute façon beaucoup de commentateurs bibliques ne trouvent pas cette notion dans les Ecritures, qui soulignent le fait que tous ont péché et sont privés de la gloire de Dieu (Romains 3 :23), en enracinant ce fait dans le péché d’Adam (1 Corinthiens 15 :22), mais aussi en soulignant la responsabilité personnelle de chaque personne pour son propre péché (Deut.24:16; Jer.31:30; Rom. 5:12).

Le modèle de l’Homo divinus ne répondra pas davantage aux questions théologiques que l’on se pose que ne le fait le modèle « qui raconte une nouvelle fois ». Par exemple, quelle était la destinée éternelle de ceux qui ont vécu avant Adam et Eve ? La réponse est que nous n’en avons  vraiment aucune idée. Mais nous avons l’assurance avec Abraham que notre Dieu est un juste juge (Genèse 18 :25). Heureusement pour nous, nous ne sommes pas appelé à juger la terre entière, et nous pouvons nous abandonner avec confiance entre les mains de celui qui juge avec justice (1 Pierre 2 :23).

Les questions soulevées à propos de ceux qui vivaient avant Adam et Eve ne sont pas différentes d’autres questions du même genre. Par exemple, quelle était la destinée éternelle de ceux qui ont vécu en Australie au moment où la loi a été donnée à Moïse sur le Mont Sinaï ? Là encore, nous n’en avons pas la moindre idée, et encore une fois, nous nous en remettons au juste jugement de Dieu. Les chrétiens qui perdent du temps en spéculant sur de tels problèmes pourraient bien donner l’impression qu’ils pensent être les juges de la destinée du monde, oubliant que cette prérogative est celle de Dieu seul.

 

Notes

1. McDougall, I. et al Nature 433: 733-736 2005.

2. White, T.D. et al Nature 423: 742-747, 2003; Clark, J.D. et al Nature 423: 747-752, 2003.

3. Un récit pertinent de la dispertion de l’humanité hors d’Afrique : Jones, D. ‘Going Global’, New Scientist, 27 Oct, 36-41, 2007.

4. Fagundes, N.J. et al., ‘Statistical evaluation of alternative models of human evolution’, Proceedings of the National Academy of Sciences USA, 104:17614-17619, 2007.  La « taille de la population effective » est définie comme le nombre d’individus dans une population qui contribue à la naissance de la génération suivante.

5. Linz, B. et al., ‘An African origin for the intimate association between humans and Helicobacter pylori’,Nature 445-: 915-918, 2007.

6.  Ceci est bien illustré par la façon dont différentes traductions (anglaises) introduisent « Adam » comme le nom d’une personne dans le texte: La Septante (traduction grecque de l’A.T.) 2:16; AV 2:19; RV et RSV 3:17; TEV 3:20 et NEB 3:21).

7.  Les deux modèles correspondent aux modèles B et C décrit plus dans : Denis Alexander,Creation or Evolution – Do We Have to Choose? Oxford: Monarch, 2008.

8. Le modèle B a bien été présenté par Day, A.J. ‘Adam, anthropology and the Genesis record – taking Genesis seriously in the light of contemporary science’. Science & Christian Belief, 10: 115-43, 1998.

9. Justin L. Barrett, Why Would Anyone Believe in God? Altamira Press, 2004.

10.  La Genèse n’utilise pas l’expression « chute » et il serait plus pertinent d’intituler Genèse 3 par «  comment le péché a commencé », mais comme le mot « chute » est si profondément enraciné dans la littérature, nous l’utiliserons comme un raccourci.

 

Dans le cadre de notre réflexion à propos d’Adam et Eve, différents intervenants s’expriment avec des avis parfois divergents. Pour vous permettre de vous faire votre propre opinion!

L’article suivant a été écrit par Loren Wilkinson. Le Dr. Loren Wilkinson a été professeur de philosophie et d’études interdisciplinaires au Regent College, une Université théologique affiliée à l’Université de Colombie Britannique à Vancouver (Canada). Loren Wilkinson a étudié la philosophie, la littérature et la théologie. Il a publié et enseigné de nombreux textes à propos des fondations bibliques concernant le soin que nous devons porter à la création. Il travaille actuellement avec d’autres enseignants du Regent College dans le but d’aider les ministères chrétiens à introduire la science et les scientifiques plus directement dans leur prédication, leur enseignement et leur adoration. Il vit avec son épouse sur l’île de Galiano en Colombie Britannique, où ils enseignent ensemble des cours développant une compréhension chrétienne de la création, et une compréhension de la foi chrétienne plus préoccupée de la création.

 

Loren Wilkinson

Loren Wilkinson

Une réponse à Alexander, Coyne et à MacDonald

L’existence de la fondation BioLogos et son dévouement à l’ « intégration de la science et de la foi chrétienne » est l’un des nombreux signes du fait que cette idée de « guerre » entre la science et la foi vieille de 150 ans est en train de mourir. Ce langage d’opposition est inutile pour plusieurs raisons.

Premièrement, il obscurcit la reconnaissance du fait qu’à la base, la science est une activité religieuse au sens le plus littéral du mot “re-ligieux”- qui créé un lien. La foi religieuse et la science proviennent toutes deux de la passion humaine unique de voir les différents éléments de notre expérience comme les différentes parties d’un ensemble cohérent de connaissance : d’où la connexion avec un mot comme « ligament », le tissu qui lie le squelette. Il n’y a pas de science sans scientifiques, et les scientifiques ont toujours été et seulement été des êtres humains, testant et cherchant à connaître un cosmos complètement mystérieux au moyen de leurs propres passions, croyances et théories.

Deuxièmement et plus spécifiquement, ce langage d’opposition nous cache le fait que la tradition moderne d’une science empirique plonge profondément ses racines dans les traditions juives et chrétiennes. Ceci a été clairement montré d’abord dans la série d’articles intellectuellement très méticuleux de Michael Foster : « La doctrine chrétienne de la création et les origines de la science moderne », publiés dans le journal philosophique résolument positiviste Mind, en 1934. Il a fallu attendre que les penseurs chrétiens médiévaux de la fin Moyen Age se distancent de l’idée Platonicienne que la création était une manifestation imparfaite d’idées éternelles et parfaites conçues dans l’esprit d’un Dieu transcendant pour commencer à apprécier la contingence de la création, et donc la nécessité d’en faire l’investigation empirique, non pas en termes de ce qu’un Créateur rationnel devrait faire, mais en termes de ce qu’un Dieu personnel, aimant et Tout puissant a décidé de faire. Ce n’est donc pas par accident que, pour le meilleur et pour le pire, la science est une plante qui s’est d’abord élevée dans un terrain chrétien.

Troisièmement, le langage d’opposition implique qu’il y aurait deux types de connaissance : « la connaissance religieuse », établies sur les émotions et le principe d’autorité, et la connaissance scientifique, établie par l’expérience et le test empirique. Si cela était vraie, ce serait véritablement une situation désastreuse, culturellement et personnellement, parce que cela condamnerait les personnes « religieuses » à vivre une pseudo-réalité construite à partir de dogmes et de pensées fantaisistes, et les personnes « scientifiques » à vivre dans un monde sans signification, un monde de « faits » sans émotion, un monde que chacun devrait donc se représenter à soi-même. Mais bien entendu, ni les personnes « religieuses », ni les « scientifiques » ne vivent dans une telle réalité. Nous vivons dans un seul monde, que nous connaissons en partie par autorité, et en partie par l’expérience. Pourtant sa pleine signification nous échappe toujours un peu, et nous conduit ainsi aux activités typiquement humaines telles que l’art, les sciences ou l’adoration.

Ces quelques réflexions à propos des relations entre la science et la foi projettent quelques lumières à la fois sur les derniers articles écrits par Denis Alexander (publiés sur ce site et sur le site BioLogos) sur les problèmes théologiques soulevés par une réflexion scientifique à propos d’ « Adam », et sur quelques réponses caustiques fournies par Jerry Coyne et Eric MacDonald sur leur blogs respectifs, écrivant au nom de « la science » contre ce qu’ils perçoivent comme étant des excès de la « religion ». (Note du traducteur : Jerry Coyne est un biologiste américain athée militant, auteur du livre récent Why evolution is true ? qui contient d’ailleurs d’excellents arguments scientifiques montrant l’évolution)

Résumé de la pensée de Denis Alexander par Loren Wilkinson

Alexander, un chercheur expérimenté avec une longue carrière en immunologie, commence par souligner l’utilité des « modèles » en science, montrant en particulier que dans des périodes fructueuses en découvertes, il est fréquent que deux ou plusieurs modèles existent côte à côte dans une certaine tension, pour nous aider à interpréter les données. Il propose ensuite deux modèles afin de résoudre la tension apparente entre l’histoire biblique, qui parle de l’importance religieuse d’un couple, Adam et Eve en tant que géniteurs de toute l’humanité, et les preuves scientifique récentes qui montrent que l’humanité est issue d’un processus évolutif, et que nous ne pouvons pas identifier un couple, ancêtre de tous les humains. Le premier de ces modèles est intitulé « le modèle qui raconte une nouvelle fois » : les premiers chapitres de la Genèse y sont vus comme la compilation, sous la direction divine, de l’histoire de l’humanité primitive dans un mythe riche et subtil qui comprend tout ce que nous avons besoin de savoir à propos des humains et de leur relation avec Dieu, entre eux, et avec la terre. L’autre modèle, qu’Alexander appelle le modèle de  l’Homo divinus  est plus complexe et plus problématique : il suggère que Dieu a choisi deux personnes parmi une population néolithique d’hommes anatomiquement modernes, pour entrer en communion personnelle avec leur Créateur ; ces deux personnes ont été les Adam et Eve historiques, les premiers humains à porter « l’image de Dieu » et donc le commencement de l’histoire biblique du péché et de la rédemption qui culmine en Jésus, le second Adam.

Ces deux modèles nous permettent selon Alexander de faire face à deux séries de données : la condition humaine décrite en Genèse 1-3, et les données scientifiques à propos des origines de l’homme émergeant de l’analyse génétique (à propos de laquelle Alexander donne des détails précis). Pourtant, bien qu’Alexander affirme qu’il y a de la place pour ces deux modèles dans la vocation de la fondation BioLogos d’ « intégrer la science et la foi chrétienne », le modèle de l’Homo divinus a sa préférence.

Les critiques de Coyne et MacDonald

Coyne et MacDonald sont critiques à propos des articles d’Alexander pour plusieurs raisons, et certaines d’entre elles sont je le crois assez légitimes. Pourtant, le ton méprisant et plein de dérision qu’ils emploient diminuent leur valeur. Ces deux auteurs écrivent avec ce style si typique et si confus (caractéristique à la fois des a-thées et des fondamentalistes religieux) qui s’exprime à chaque fois que l’on part du principe que la seule relation possible entre la science et la foi est celle de l’opposition. Le fait d’ignorer cette unité profonde empêche ces critiques de voir le but principal d’Alexander, celui d’unifier tout ce que nous pouvons connaître en tant qu’êtres humains et de les mettre en cohérence. Ainsi, ils prennent souvent pour cible la timide tentative d’Alexander de soutenir le modèle de l’Homo divinus, et leurs deux articles sont parsemés de mots tels que « obsédés », « ridicule », “####”, « sans fondement », « risible », « simpliste » et « embarrassant ». Un tel langage n’est pas très prometteur en ce qui concerne la possibilité d’un dialogue et d’un apprentissage réciproque.

Leur argument le plus valide à mon point de vue, est de s’interroger sur la raison pour laquelle, alors qu’Alexander propose un modèle plus performant – “qui raconte une nouvelle fois” relatant l’histoire primitive des hommes comme si c’était celle d’un couple- il dépense tant d’énergie pour en défendre un plus problématique. Parce qu’il y a en effet de réelles difficultés avec le modèle de l’Homo divinus qu’Alexander défend (de façon très molle). Il est en effet très étrange d’avoir une population humaine comprenant beaucoup d’individus, dont deux seulement portent l’image de Dieu ; comment leur relation avec Dieu, entière ou brisée, pourrait être communiquée au reste de l’humanité ? Plus sérieusement il me semble, le choix de ces deux personnes seulement, au-dessus des autres, place des racines de l’histoire humaine sous les auspices de l’arbitraire divin qui rend certaines versions de la « prédestination » si difficile à accepter.

La raison principale pour laquelle Alexander préfère le modèle de l’Homo divinus est que contrairement aux preuves claires de l’anthropologie et de la génétique nous montrant que les premiers humains sont apparus en Afrique, l’histoire biblique semble se dérouler au Moyen Orient. Pourtant, comme MacDonald le souligne, le fil narratif réel de l’histoire biblique, dans lequel les lieux et les personnes sont importantes, ne commence pas avant la fin de Genèse 11, avec l’appel d’Abraham. L’histoire biblique nous parle bien davantage des descendants historiques d’Abraham et de Sarah que des descendants d’Adam et Eve historiques, et Alexander (comme beaucoup avant lui) se place lui-même dans bien des difficultés en essayant d’identifier un lieu historique et une époque pour situer les premiers épisodes de la Genèse. Plusieurs indices contenus dans Genèse 1-3 pointent vers le fait qu’il s’agit d’un type de littérature bien différent que le récit qui commence avec l’histoire d’Abraham- le plus évident, comme Alexander le souligne, est le nom « Adam »- qui n’est pas seulement un nom générique pour l’humanité, mais aussi un jeu de mot très significatif sur le mot hébreux voulant dire sol ou poussière : c’est-à-dire Adam tiré de l’Adamah (« humain de l’humus »), soulignant dès le début de l’histoire humaine le rôle d’intendant de la terre joué par l’homme. Le nom d’Eve également, « mère de tous les vivants » nous crie qu’il faut la voir comme un symbole.

Nul besoin d’être théologiquement « libéral» (comme Coyne et MacDonald le suggèrent tous deux) pour reconnaître que Genèse 1-11 n’est pas un récit historique au sens habituel de ce mot. Par exemple, le livre récent de John Walton, un spécialiste de la religion du proche orient ancien qui enseigne au Wheaton College (pas vraiment une institution « libérale ») The Lost World of Genesis One, soutient de façon persuasive que Genèse 1 traite entièrement des fonctions (comment le cosmos fonctionne) dans des termes scientifiques disponibles à l’époque. Il écrit :

La lecture la plus respectueuse que nous pouvons faire de ce texte, la lecture la plus fidèle face à ce texte- et la compréhension la plus « littérale », si vous voulez- est celle qui nous vient de leur monde, pas du notre.

D’un certain côté, une telle compréhension élimine toute possibilité de tension entre la « science » et le texte biblique. Il n’y est pas question de science ; ou pour être plus précis, ces écrivains anciens utilisaient la science à leur disposition pour parler des choses qu’ils considéraient comme bien plus importantes : le cosmos a-t-il une finalité ? Quelle est-elle ? Comment sommes-nous reliés au cosmos, à son créateur, à nos compagnons les hommes ? Les réponses à ces questions nous fournissent une « série de données » très importantes ; mais pour des questions comme celles concernant l’âge et les origines physiques de la terre, ou de l’humanité, nous utilisons les données que nous fournit la meilleure science dont nous disposons. Comme Alexander le souligne depuis le début, ce serait une erreur de regarder à ces deux types de données comme n’ayant aucun lien entre eux. C’est pourquoi nous avons besoin de « modèles » pour explorer la façon dont ils pourraient être liés.

Coyne et MacDonald trouvent que le modèle de l’Homo divinus est inadéquat, c’est aussi mon cas. Pourtant, contrairement à eux, je crois que le travail d’Alexander est très important. Si un modèle plus performant est disponible, pourquoi soutient-il celui-là de façon très précautionneuse ? Coyne suggère la vraie raison : Alexander parle à un groupe de personne qui apprend lentement, précautionneusement, à réconcilier le monde de la science et celui de la foi, qui apprend comment aller au-delà de la métaphore de la « guerre » qui semble toujours animer la pensée de Coyne et de MacDonald. C’est un processus douloureux. L’un de mes collègues par exemple, un spécialiste de la Bible expérimenté et très reconnu dans le monde évangélique, vient d’être renvoyé d’une école où il intervenait épisodiquement pour avoir suggéré, doucement, l’idée discutée plus haut, que Genèse 1-11 est un genre littéraire très différent du reste du livre, et donc ne pouvait être qualifié « d’historique » avec les mêmes critères. Le changement s’effectue lentement lorsque certaines croyances sont profondément enracinées, et Denis Alexander peut être remercié pour sa tentative, même si nous la jugeons par moment erronée, de persuader un groupe de chrétiens que le christianisme et la science peuvent en effet s’entendre, et que cela nous aide à vivre dans un seul monde et pas deux.

Ceci ne semble pas être le cas pour Coyne et MacDonald; quelqu’en soit la raison, ils semblent croire que beaucoup des composantes essentielles de l’humanité- la passion, la croyance, l’engagement- sont inutiles à la connaissance, qu’ils semblent considérer comme étant une accumulation graduelle de faits impersonnels. Ils sont donc contraints à voir le travail de la fondation BioLogos (et de beaucoup d’hommes réfléchis)- l’essai de vivre dans un monde et pas deux- comme futile.