Introduction (Benoît Hébert) :

Bruno Synnott est pasteur à Montréal, titulaire d’une maîtrise en théologie pratique.

« Je suis impliqué dans une église évangélique et anabaptiste comme pasteur jeunesse et je travail également comme intervenant en soins spirituels et religieux dans un hôpital de Montréal, Québec. Je m’intéresse finalement à comprendre la philosophie herméneutique d’un Paul Ricoeur, croyant (intuitivement) qu’elle aidera l’église évangélique à se sortir des impasses herméneutiques actuelles. « 

Voici comment il  définit lui même son rêve :

« Je rêve d’une église évangélique/anabaptiste moins dogmatique (tout en demeurant confessionnelle), moins fondamentaliste (tout en restant attaché aux éléments du christianisme historique), et plus communautaire (sans abolir toutes structures), plus égalitaire (en reconnaissant le rôle de chacun) et plus pertinente pour la société (sans tomber dans le conformisme social) »

 

Bruno a donc écrit toute une série d’articles passionnants concernant les problèmes théologiques soulevés par la question des origines de l’homme et la nature du péché. Vous les trouverez sur son blog: le Big Bang Bruno! Depuis un certain temps déjà, je souhaitais aborder la question explosive du mythe. Est-ce un genre biblique acceptable? J’espère que vous réagirez à cet article!

 

Qu’est-ce qu’un mythe?

Nous aimerions ici répondre à une question chaude chez les chrétiens évangéliques : est-ce que les récits de création dansla Bible sont des mythes ? Nous verrons que les premiers récits de la création dans le livre dela Genèse empruntent beaucoup au genre littéraire des mythes du Proche Orient Ancien (POA), mais s’en distinguent également.

 

D’abord, le genre littéraire du  « mythe »  est loin d’être, comme le pensait les rationalistes du XIXe siècle, l’expression d’une pensée prélogique, irrationnelle et primitive. Ils expriment plutôt une compréhension qu’on pourrait qualifier  «d’ontologique» ou de « métaphysique » sur le monde, y compris sur le rôle que l’homme doit prendre dans ce cosmos. Partant de là, il sera aisé de voir en quoi les hébreux récupèrent ce genre littéraire des origines commun aux peuples du POA, tout en bouleversant les vieux habits, à cause d’une réflexion théologique et sapientielle approfondie et renouvelée par le monothéisme.

 

Les premiers récits de la création (Genèse 1-3) deviendront non seulement le point de départ du monde et de l’histoire humaine, mais le point de départ de toute réflexion rationnelle, éthique et religieuse sur le monde et sur le sens de la condition humaine.

 

Un système de pensée très profond

« Le mythe est un récit qui a pour objet de dire l’origine de ce qui existe, d’explorer la complexité du monde au milieu duquel vivent les hommes. Il a une fonction explicative. Comme tel, il représente une des modalités de la réflexion humaine »[1]. C’est donc un mode de pensée des « origines ». Nous avons déjà parlé de l’inaccessibilité du commencement (T=0) dans un blogue précédent[2] et c’est pourquoi il existe un moyen d’expression permettant d’évoquer les réalités qui dépassent l’expérience humaine ou scientifique. On parle même de «  système de pensée original, aussi complexe et rigoureux à sa façon que peut l’être, dans un registre différent, un système philosophique »[3] et j’ajouterai même, que pourrait l’être les paradigmes scientifiques.

 

Dans son livre Bible, mythes et récits de commencement, Pierre Gibert rapporte la citation suivante d’un grand scientifique français, François Jacob : « À certains égard, mythes et sciences remplissent une même fonction. Ils fournissent tous deux à l’esprit humain une certaine représentation du monde et des forces qui l’animent. Ils délimitent tout deux le champ du possible… »[4]. Et « c’est sans doute la structure du mythe judéo-chrétien qui a rendu possible la science moderne. ». Voilà qui nous change des insultes auxquels nous ont habitués les modernes !

 

Penser l’existence humaine

« Il sert aussi à justifier les conventions qui organisent la vie des individus et des groupes : il vise à fonder et à instaurer la vie de ceux qui le racontent. Pour ce faire, il se situe volontiers dans un temps primordial, « en ce temps-là », temps des dieux, hors de notre chronologie.»[5] .

 

C’est pourquoi, la  façon positive et constructive d’aborder le mythe biblique de la création est, selon Paul Ricoeur, de le prendre tel quel afin d’en libérer le fond symbolique. Ce processus permet de « penser l’existence humaine à partir d’une origine dont elle ne dispose pas, mais qui lui est annoncé symboliquement dans une parole fondatrice »[6]. En d’autre terme, il éclaire au moyen de récits symboliques la condition humaine, ce qui permet de penser l’existence actuelle.

 

La Bible est-elle un mythe[7] ?

Pour ceux qui défendent l’exactitude historique et littéral du texte sacré, il y a des contradictions insurmontables lorsque l’on tente d’harmoniser les deux premiers récits de la création [8]. De même, lorsque l’on tente de faire concorder la chronologie des évènements relatés en Genèse avec les recherches géologiques et/ou scientifiques.  Il semble de plus en plus évident pour tous que l’ambition de ceux qui ont écrits ces textes ne fut pas d’expliquer chronologiquement, selon nos critères modernes, l’origine du monde et de l’homme, puisque ces auteurs vivaient dans un monde pré-scientifique. Comment alors peut-on leur prêter pareille intention ?

 

Suite à plusieurs études sur l’étude comparative des mythologies anciennes (Gunkel, Lagrange, Éliade, etc.), on s’aperçut que loin d’être naïve, ces récits bibliques de création entretenaient un rapport polémique avec les mythes du POA et apportaient un éclairage métaphysique différent, explicite et unique, rencontré nul part ailleurs.

 

Démythologisation

« Aussi la tradition biblique rencontre-t-elle le langage du mythe, spécialement dans les onze premiers chapitres de la Genèse qui se tiennent à la racine obscure de l’histoire. Le souvenir de mythes très fameux dans le monde antique affleure dans ce texte. Mais la Bible privilégie trop l’histoire pour avoir un rapport paisible au mythe, par essence anhistorique. En fait elle utilise des motifs mythiques qu’elle soumet à un sévère traitement démythologisant. Elle en fait les moyens d’expression d’un langage symbolique qui lui permet d’évoquer des réalités qui débordent l’expérience »[9]

 

Ces textes ont donc « quelques ressemblances » avec d’autres textes mythologiques du Proche Orient Ancien au milieu duquel ils sont nés. On a noté depuis longtemps des parentés avec des récits mésopotamiens[10] et égyptiens. Maisla Genèse utilise des fragments de mythologies dont elle rationalise le cœur. Elle fait sa propre synthèse en réinterprétant radicalement ces matériaux au service d’une nouvelle vision de Dieu et de l’homme. La recherche a montré d’étonnantes « singularités » aux récits de création par rapports aux mythes que nous disposons des peuples du POA.

 

Donc, en terminant, il semble que Genèse 1-2 se trouve à l’intersection de l’histoire et des temps primordiaux. Pas purement mythique, car il y a un lien de continuité avec le reste de la Bible. Pas purement historique, car c’est une œuvre littéraire sans lieux précis, sans date, sans témoins. Cette œuvre de reconstruction a une valeur fondatrice et explicative de l’histoire du salut et de la condition humaine présente.

 


[1] Anne-Marie Pelletier (2001), Les origines (Genèse 1-11),La Bible et sa culture, sous la direction de M. Quesnel et P. Gruisson, Desclée de Brower, p. 40

[2] Cf. Bruno Synnott (2012) Trois récits fondateurs en compétition

[3] Mythologie (2006), dans Philosophie le manuel, sous la direction de Philippe Ducat et Jean Montenot, edition Ellipses, p.373

[4] Pierre Gilbert (1986), Bible, mythes et récits de commencement, Seuil, p. 65

[5] Anne-Marie Pelletier (2001), idem, p.40

[6] Paul Ricoeur, Conflit des Interprétations, Seuil, 1969, p. 330

[7] Ni Ricoeur, ni Gibert, ni Pelletier n’utilisent le terme « mythe » pour désigner les récits bibliques de création. Dans sa dernière analyse (Penserla Bible, 1998) il opte pour l’expression « récits primordials ». Aussi, des exégètes Allemands comme H. Gunkel avait déjà établis certaines distinctions entre « mythe païens » et « mythe biblique ».

[8] Voir mon texte Genèse 1-2 : Petite étude comparative (15 janvier 2012)

[9] Pelletier, idem, p.40

[10] Cf. Mythes babyloniens Enouma Elish, poème d’Atra-Asis ou l’épopée de Gilgamesh, Mythes Égyptiens