Article 3 sur un total de 3 pour la série :

Concordisme et approche biblique alternative ♥♥♥


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Introduction (Science & Foi)

Cet article est issu de la base mise en ligne par l’ASA (American Scientific Affiliation, une association qui rassemble plus de 2000 scientifiques chrétiens américains).
Traduit avec autorisation par Hélène Mayhew pour Science & Foi.

l’article original est consultable ici.

Lisez les deux premières parties pour voir ce que Paul Seely pense d’une lecture concordiste de la Genèse, c’est à dire une lecture qui s’efforce de rapprocher le texte avec les découvertes de la science actuelle ou de concevoir Genèse 1-11 comme des récits historiques, à l’image de ce qu’un cosmologiste chrétien bien connu comme Hugues Ross tente de faire.

Paul Seely compte parmi les théologiens évangéliques que nous apprécions le plus dans l’équipe Science & Foi. Dans cette partie, il va proposer un autre choix qu’une lecture « concordiste » de la Genèse et des Écritures en général. Son approche ne repose pas sur une posture théologique mais sur une analyse attentive des Écritures, prenez le temps de consulter les références citées dans cet article. Saurez-vous apprécier autant que nous ses arguments ?

 


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Une approche biblique de la science et des Écritures

De nombreux évangéliques s’attendent à ce que l’histoire biblique s’accorde avec les faits réels pour la bonne et simple raison qu’elle est inspirée de Dieu. Les Écritures nous enseignent pourtant que l’inspiration et la révélation sont deux choses différentes et, pour autant que je sache, tous les théologiens évangéliques s’accordent sur ce point. Cette distinction est tout particulièrement pertinente s’agissant de l’histoire biblique parce que les historiens de la Bible ne prétendent jamais avoir reçu les faits historiques par révélation. L’histoire biblique est toujours présentée comme étant basée sur des sources humaines et non sur une révélation divine, contrairement aux affirmations des prophètes. Les historiens de la Bible se réfèrent souvent à leurs sources humaines, tels le livre du Juste (Jos.10:13 ; 2 Sam. 1:18) ou celui des Chroniques des rois d’Israël ou de Juda (1 Rois 14:19, 29). La préface de Luc à son évangile en est un excellent exemple (Luc 1:1-4).

En conséquence, si un historien de la Bible utilise un texte issu d’une source humaine comportant une erreur, par exemple la traduction erronée, dans la Septante, du mot mtth de Genèse 47:31 par « bâton » au lieu de « lit », cette déformation historique des faits n’est pas toujours corrigée par l’auteur inspiré, comme nous le voyons dans Hébreux 11:21. L’idée que l’inspiration corrige ou évite toute erreur factuelle provenant des sources d’historiens de la Bible n’est pas enseignée dans les Écritures ni confirmée par le phénomène des Écritures.

De plus, même dans le cas d’une révélation, les évangéliques négligent souvent le fait que Dieu ait parfois adapté le message de sa révélation en fonction d’idées culturellement enracinées. Jésus enseigna que la loi sur le divorce, directement transmise par Dieu dans Deutéronome 24:1-4, fut adaptée en tenant compte de la dureté de cœur des Israélites (Mat. 19:8). Une approche du divorce, culturellement établie, fut intégrée par Dieu dans les Écritures – même si elle avait pour racine la dureté du cœur humain et se situait en deçà des normes parfaites de Dieu (Mat. 19:8 ; Marc 10:5). Bien que les valeurs parfaites de Dieu incitaient à interdire le divorce pour tout autre motif que l’adultère (Mat. 19:9), Deutéronome 24:1-4 l’autorisait pour d’autres raisons, même dans le cas d’un mari qui cesse d’aimer sa femme (Deut. 24:3 ; cf. Deut. 21:14). Calvin et d’autres théologiens ont repéré d’autres lois de l’Ancien Testament, telle celle liée à l’esclavage, qui ont été adaptées à des conceptions culturellement enracinées[i].

Pourquoi Dieu adapterait-il sa révélation à des réalités auxquelles il ne souscrivait pas, comme le divorce facile ou la propriété d’esclaves ? Parce que ces réalités étaient trop profondément ancrées dans la culture de l’époque pour en être soudain arrachées par décret. Dieu transmet sa révélation en tenant compte des racines profondes des personnes auxquelles elle parvient[ii].

À la lumière de ces éléments d’histoire et de révélation bibliques, nous pouvons commencer à comprendre pourquoi Genèse 1-11 ne s’accorde pas avec les données de la science moderne. Tout d’abord, les sources à partir desquelles l’auteur de Genèse 1-11 a dû fonder son récit dataient de plus de mille ans. La coloration mésopotamienne de l’ensemble des onze chapitres suggère que ces sources provenaient de traditions et de thèmes mésopotamiens, probablement introduits dans la culture israélite par les patriarches. Le fait que le récit du deuxième jour de la création soit bien plus proche du récit babylonien que de tout autre récit sur ce thème[iii] et qu’il en soit également ainsi du récit du déluge[iv] indique clairement que l’auteur de Genèse 1-11 se basait, au moins en partie, sur des sources mésopotamiennes[v].

À l’époque de l’écriture de la Genèse, les perceptions autour de la création, du déluge et du monde qui s’ensuivit étaient déjà profondément enracinées dans la culture des Israélites. De même que pour leurs convictions bien établies sur le divorce facile et l’esclavage, ces croyances portant sur les débuts de l’histoire humaine étaient bien trop ancrées pour être aisément contredites. La fausse théologie d’origine fut révisée de manière radicale à la lumière de la révélation transmise à Abraham et à ses descendants ; des détails historiques pouvaient être en partie modifiés mais pas les grandes lignes historiques.

 

Une bonne communication repose sur un effort d’adaptation

Il ne faut pas oublier que lorsqu’on s’adresse à des personnes possédant des antécédents culturels différents, le message peut ne pas passer si on leur présente des idées trop différentes de leur propre vision du monde. Quand l’institutrice anglaise Anna Leonowens essaya d’expliquer aux enfants de Siam que, dans son pays, l’eau pouvait geler et descendre du ciel sous la forme de flocons de neige, ses élèves n’étaient pas prêts à en entendre davantage[vi]. Les flocons de neige représentaient une réalité tellement éloignée de celle vécue au Siam que ses élèves et ses assistants de cours se sentaient insultés d’être perçus comme à ce point crédules pour adhérer à des idées aussi farfelues. L’institutrice ne retrouva son autorité que lorsque le roi de Siam, qui avait fait ses études en Angleterre, assura aux élèves que ce que leur institutrice leur avait dit était exact.

Une communication efficace de la révélation divine peut même requérir une modification des faits afin de les adapter à une culture très différente. Dans la culture chinoise, le dragon est associé à la bonne fortune et à la bénédiction. Si un missionnaire persiste à parler de « dragon » dans le livre de l’Apocalypse, ses auditeurs associeront automatiquement Satan à des aspects positifs, en raison de leur appartenance culturelle. Si le missionnaire s’en tient strictement aux données factuelles du texte, le message sera déformé. En Corée, les robes blanches ne sont portées que pour les obsèques et le deuil. Si un missionnaire s’en tient strictement aux faits quand il traduit Apocalypse 7:9, la grande multitude de saints dans les cieux apparaîtra en deuil aux yeux des Coréens. Dans certaines régions d’Afrique, c’est insulter un personnage officiel que de répandre des branches sur son passage. Dès lors, si un missionnaire traduit Matthieu 21:8 de manière littérale, les Africains seront déconcertés par le dimanche des Rameaux.

On peut se demander s’il est moralement acceptable pour un missionnaire de faire dire à l’Apocalypse « tigre » alors qu’il est écrit « dragon », ou « robes rouges » alors qu’il est écrit « robes blanches ». La transposition n’est alors pas fidèle aux faits. Le missionnaire sera-t-il pour autant coupable de mensonge ? La traduction doit-elle absolument coller aux faits, même quand elle suscite de l’incompréhension ou des malentendus ? Ce littéralisme correspond-il à la volonté de Dieu et à sa manière de procéder ? N’est-il pas parfaitement moral pour un missionnaire ou pour Dieu d’adapter le message transmis en fonction de la culture de ceux auxquels il s’adresse ? La Bible n’est-elle pas porteuse d’un message qui dépasse les particularismes culturels et qui peut être mieux transmis en le détachant de ses données factuelles et en l’exprimant à partir de termes culturels qui sont familiers aux personnes qui le reçoivent ?

 

La découverte de la vérité de la nature a été déléguée à l’humanité

Il est à mon sens évident que Dieu peut moralement adapter son message en fonction des conceptions culturelles bien ancrées de ceux auxquels il s’adresse, même si cet ajustement ne s’accorde pas avec les faits exacts. Par ailleurs, un autre facteur doit être pris en compte. Les Écritures ont été données pour rendre les hommes sages en ayant, pour préoccupation, le salut, et non la science (2 Tim. 3:16-17). Ni Jésus ni aucun des apôtres ou des prophètes n’ont délivré un enseignement visant l’apprentissage de la science ou cherchant à corriger celle de l’époque. Genèse 1:26-28 nous apprend que Dieu a délégué la découverte de la vérité de la nature à l’humanité, à tous les humains, aux incroyants comme aux croyants. Cette vision est inscrite dans la création, et l’histoire de la science corrobore cette révélation. Elle montre que même les athées peuvent faire de grandes découvertes scientifiques, et que croyants et incroyants peuvent s’appuyer sur les travaux respectifs des uns et des autres parce que leur domaine d’investigation commun est celui de la connaissance de la nature.

Étant donné que Dieu a délégué la responsabilité de la découverte des connaissances de la nature à l’humanité, il ne révèle pas ce savoir. Il n’est pas comme un dirigeant insensé qui délègue des responsabilités, puis accomplit le travail lui-même. Il a délégué cette responsabilité à l’humanité et il la laisse entièrement entre ses mains. Comme cette délégation est conférée à toute l’humanité, lorsque Dieu livre une révélation divine dans les Écritures, il ne divulgue pas des vérités scientifiques qui feraient avancer la compréhension scientifique du peuple qu’il a choisi aux dépens du reste de l’humanité. Bien au contraire, en respect de son propre engagement de déléguer la découverte des vérités scientifiques à toute l’humanité, il adapte le message de sa révélation à la science de l’époque[vii]. Par conséquent, Dieu ne ment pas et ne se trompe pas quand sa Parole ne s’accorde pas avec les découvertes de la science moderne, parce que la science per se (en soi) qu’il a intégrée dans les Écritures n’est pas une révélation divine mais une simple adaptation à la science de l’époque.

Nous ne devons pas oublier que les différentes révélations de l’Ancien Testament n’ont pas été transmises à un peuple dont l’esprit était vierge. Elles ont au contraire été adressées à un peuple dont les idées culturelles étaient profondément ancrées avant même que la révélation de Dieu dans l’Ancien Testament les atteigne. Ces idées déjà enracinées requéraient, et parfois même exigeaient, des efforts d’adaptation pour se départir des données factuelles, à la manière des traductions de missionnaires. J’ai montré dans une autre contribution que, dans le cas de Genèse 1-11, certains passages s’adaptaient assurément à la science de l’époque[viii].

En résumé, l’inspiration divine ne change pas le fait que l’histoire biblique, telle qu’elle est racontée dans les Écritures, est fondée sur des sources humaines, non sur une révélation divine, et que Genèse 1-11 résulte de sources issues de traditions mésopotamiennes dépassées. Cette réalité contraste avec celle des évangiles qui se basent sur des récits de témoins oculaires, écrits par des auteurs appartenant à une génération contemporaine des événements et qui, de ce fait, sont crédités d’une grande valeur historique. Que Genèse 1-11 faillisse à la tâche de présenter un récit historiquement fiable en raison des pauvres sources dont elle disposait n’invalide nullement l’historicité des autres récits bibliques fondés, quant à eux, sur de meilleures sources.

Deuxièmement, Dieu a délégué à l’humanité la découverte de la connaissance de la nature et, ce faisant, il n’a pas l’intention de révéler ce savoir dans les Écritures. En conséquence, quand les Écritures font référence à la science, elles s’accommodent souvent de la science de l’époque. Que Jésus et les apôtres semblaient penser que Genèse 1-11 relevait de l’histoire authentique n’est en rien plus significatif que s’ils croyaient, comme cela est probable, que le soleil tournait littéralement autour de la terre et s’immobilisa du temps de Josué. Cela signifie simplement que leurs connaissances scientifiques étaient trop limitées pour se départir des croyances de l’époque.

Troisièmement, la révélation de Dieu est profondément chevillée au peuple qui la reçoit et, ce faisant, elle est parfois adaptée à ses représentations culturelles déjà bien enracinées. En conséquence, les Écritures contiennent des adaptations, non seulement en regard des normes morales culturellement bien ancrées, bien que contraires aux critères moraux parfaits de Dieu, mais aussi en regard des traditions culturellement établies sur les débuts de l’histoire humaine qui ne reflètent pas la connaissance parfaite de Dieu. Genèse 1-11 contient des révélations importantes sur la foi et la morale mais elles sont combinées à la science et aux traditions humaines de l’époque pour les raisons mentionnées précédemment, mais aussi aux fins de faciliter la transmission du message et de prévenir son rejet.

Au vu de toutes ces considérations, nous pouvons, me semble-t-il, comprendre pourquoi Ross ne pouvait pas concilier Genèse 1-11 et la science moderne. La révélation divine que la Genèse contient est combinée à des traditions mésopotamiennes obsolètes et à la science de l’époque. Nous lisons une révélation divine donnée à un peuple plongé dans un univers culturel très différent et distant du point de vue historique. Nous nous devons de reconnaître le contexte culturel des premiers lecteurs et la bienveillance de Dieu à leur égard. Au lieu de nous obstiner à faire en sorte que Dieu et les Écritures satisfassent nos attentes et que la Bible soit en adéquation avec les découvertes de la science moderne, nous ferions mieux d’accepter et d’apprendre ce que Dieu a véritablement accompli, de lire la Bible en ayant uniquement à l’esprit le même but que celui pour lequel elle nous a été transmise, et d’étudier la science en vue de découvrir les vérités de la création à la gloire de Dieu.

 

 

A lire également

 

 


Notes

 

[i] Voir David F. Wright, « Accommodation and Barbarity in John Calvin’s Old Testament Commentaries », in Understanding Poets and Prophets, éd. A. Graeme Auld (Sheffield: Academic Press, 1993), 413-27 ; David F. Wright, « Calvin’s Pentateuchal Criticism: Equity, Hardness of Heart, and Divine Accommodation in the Mosaic Harmony Commentary », Calvin Theological Journal 21 (1986) : 37; James Orr, Revelation and Inspiration (New York : Charles Scribner’s Sons, 1910), 102-3.

[ii] Cf. Peter Enns, Inspiration and Incarnation (Grand Rapids, MI : Baker Academic, 2005).

[iii] W. G. Lambert, « A New Look at the Babylonian Background of Genesis », Journal of Theological Studies 16 (1965) : 293.

[iv] Derek Kidner, Genesis (Downers Grove, IL : InterVarsity, 1967), 96 ; Bruce K. Waltke, Genesis (Grand Rapids, MI : Zondervan, 2001), 132.

[v] 32. Certains ont suggéré que le récit biblique représente un authentique témoignage qui provient de Moïse, tandis que le récit babylonien serait une déformation de la vérité ; mais le ciel solide du deuxième jour avec l’océan au-dessus relève de l’ancienne science babylonienne tombée en désuétude, et puisque le déluge était local, les descriptions du déluge dans les textes babyloniens sont plus proches de la vérité historique que celles données dans le récit biblique. C’est la théologie de Genèse 1-11 qui est pure, pas la science ou l’histoire.

[vi] Anna Leonowens, Anna and the King of Siam (New York : John Day, 1943), 229. (Trad. de G. de Tonnac-Villeneuve : Anna et le roi).

[vii] Chaque fois que sont disponibles des connaissances sur l’époque correspondante, j’ai constaté que la science dans les Écritures concorde avec la science de l’époque. J’en donne plusieurs exemples dans mon livre : Inerrant Wisdom (Portland, OR : Evangelical Reform, 1989).

[viii] Voir notes 9, 11, 23.

 

 

Crédit illustration : https://fr.123rf.com/profile_pakhay 


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