Article 2 sur un total de 2 pour la série :

Jésus de Nazareth a-t-il existé ?


 

 

Pour commencer cette série sur l’historicité de Jésus, il me parait important de présenter la « thèse mythiste », c’est-à-dire la position de ceux qui nient l’existence historique de Jésus. Mais avant cela, j’aimerais revenir sur l’intérêt du sujet.

 

Pourquoi s’intéresser à la thèse mythiste ?

Lorsque je lisais des ouvrages mythistes pour préparer cette série, j’ai posté une photo de ces livres sur mon compte Facebook. Suite à cela une personne m’a interpellé en commentaire pour me demander « pourquoi je perdais mon temps avec cela ? » Il me semble que la question est légitime et j’aimerais brièvement y répondre avant de continuer.

  1. Tout d’abord, à titre personnel, dans le cadre de mes recherches universitaires, je m’intéresse de plus en plus aux théories alternatives et minoritaires, que ce soit dans le domaine des sciences dures (platisme, etc.), de l’histoire (récentisme, etc.) ou de la politique (complotisme).
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  2. Deuxièmement, il y a quand même un certain nombre de personnes qui continuent aujourd’hui à croire que Jésus n’a jamais existé et par conséquent la question mérite d’être examinée. Il est vrai que ce refus a souvent un aspect idéologique, et c’est quelque chose que j’ai par le passé mainte fois répété. Toutefois, aujourd’hui, je nuancerais quand même mon propos en disant qu’il y a aussi certaines personnes qui peuvent adhérer de « bonne foi » à cette idée, simplement parce qu’elles trouvent les arguments convaincants et qui, en revanche, peuvent changer d’avis si on leur explique pourquoi ces arguments ne sont pas tenables.

C’est donc à elles que je m’adresse. Mon but n’est pas de convaincre des militants athées, mais d’apporter des éléments de réflexion à ceux qui se posent sincèrement la question.

 

Les origines de la thèse mythiste

Cet aspect idéologique se voit très bien lorsque l’on s’intéresse aux origines de cette thèse. A l’époque ancienne ou médiévale, nous n’avons aucune trace de la négation de l’existence historique de Jésus. Celle-ci commence à la fin de l’époque moderne, dans un contexte très particulier, celui de la Révolution Française.

En effet, les premiers mythistes connus (1) sont Constantin-François Volney (1757-1820) et Charles-François Dupuis (1742-1809). Ce sont des révolutionnaires engagés dans la lutte contre l’Église, qui était vue comme une puissance oppressive, et qui pour cela ont développé un antichristianisme virulent. Dans le cadre d’un article, il n’est pas possible de discuter en détail de la responsabilité de chacun, mais retenons simplement que cette thèse est née dans un contexte militant de lutte contre l’Église établie, et qu’elle a ensuite été souvent, pour ne pas dire toujours, portée par des militants antichrétiens.

Au-delà de la francophonie, cette thèse a ensuite été diffusée dans les milieux anglo-saxons (J.M Robertson (1856-1933) et germanique (Bruno Bauer (1809-1882) et Arthur Drews (1865-1935).

 

Le mythisme aujourd’hui

Aujourd’hui cette thèse est essentiellement défendue par des militants athées. Comme je l’ai dit précédemment (2), il n’y a, à ma connaissance, aucun universitaire qui supporte cette thèse. Précisons cependant que j’entends par universitaire une personne ayant un poste dans une université publique occidentale. Il existe néanmoins quelques personnes titulaires d’un doctorat qui soutiennent cette thèse. Les deux plus connus sont Richard Carrier (né en 1969) et Robert Price (né en 1954). Signalons que ce dernier est un ancien fondamentaliste ayant perdu la foi à cause de l’inerrance biblique. Un parcours assez similaire à celui Bart Ehrman. (3)

Si on veut être précis, il faut signaler que cette thèse se décline en deux variantes principales. La première estime que Jésus n’a tout simplement jamais existé. La seconde qu’il y a bien eu un Jésus qui a existé, mais que celui-ci vivait un siècle plus tôt, au temps d’Alexandre Jannée (roi de Judée de 103 à 78 av. J.-C.).

 

Le débat universitaire en France

En France, le mythisme a été discuté dans le monde universitaire à la fin du 19e siècle et au début du 20e siècle. L’auteur le plus important en faveur de cette thèse est Paul-Louis Couchoud (1879-1959), qui a écrit deux livres que je vais présenter.

Tout en étant très anticléricaux, les principaux historiens de l’époque, comme Ernest Renan (1823-1892), Alfred Loisy (1857-1940) et Charles Guignebert (1867-1939) se sont toujours fermement opposés à la thèse mythiste.

Suite au premier livre de Paul-Louis Couchoud, un historien, Maurice Goguel (1880-1955) a écrit une réfutation détaillée de ces travaux de Couchoud et on considère en général que c’est ce livre qui a clôturé le « débat académique » sur cette question. Débat académique très limité en réalité, car la thèse mythiste n’avait pas vraiment réussi à percer dans le milieu universitaire.

 

Jésus historique et historicité des évangiles

Avant de présenter, les livres de Paul-Louis Couchoud, j’aimerais revenir sur un dernier point que j’avais déjà évoqué précédemment, mais sur lequel il me parait important d’insister, suite notamment à des commentaires qui ont pu être faits sur les réseaux sociaux.

Croire à l’historicité de Jésus ne veut absolument pas dire croire en la valeur historique des évangiles. Ce sont deux sujets liés, mais différents. Parmi les personnes citées, Alfred Loisy par exemple croit fermement à l’historicité de Jésus, mais n’accorde pratiquement aucune valeur historique aux évangiles.

Ainsi, la question du « Jésus historique » n’est pas simplement une question binaire, qui se résumerait à « nier l’existence historique de Jésus » ou à « accepter totalement l’historicité des évènements rapportés dans les évangiles ». Il existe au contraire un large éventail de positions concernant l’historicité des évangiles, que je présenterai dans de prochains articles.

 

Paul-Louis Couchoud

Paul-Louis Couchoud a écrit deux ouvrages sur le sujet. Un premier, assez court, intitulé Le mystère de Jésus (1924), où il expose l’essentiel de sa thèse, puis un second, Le Dieu fait Homme (1937).

La thèse de Couchoud est assez simple, Jésus était à l’origine une divinité à laquelle on a ensuite progressivement attribuée une existence terrestre, d’où le titre de son second livre. Il est intéressant de noter que Couchoud s’oppose ici exactement à la thèse contemporaine qui estime que Jésus était un homme qui a progressivement été divinisé. Pour Couchoud, il est clair au contraire que les premiers disciples, et Paul notamment, considéraient Jésus comme un dieu. En revanche, il nie le fait qu’ils aient pu envisager une vie terrestre de Jésus.

 

Les arguments de Couchoud

En introduction de son premier livre, Couchoud insiste sur le contraste entre la place immense de Jésus dans la culture occidentale et la petitesse des informations historiques dont on dispose. Il insiste aussi sur le fait que nous ne trouvons aucune trace de son existence chez Flavius Josèphe.

Pour lui, tous les textes des évangiles sont tardifs, entre 80 et 120, et n’ont aucune valeur historique, mais relèvent au contraire du genre « midrashique ». C’est-à-dire qu’ils sont des récits fictifs ayant pour but d’enseigner les croyants sur des questions de morale ou de doctrine. Dans son second livre, il a même repoussé la date de rédaction des évangiles entre 110 et 150.

Les premiers textes chrétiens sont les lettres de Paul, écrites dès les années 50, qui, selon lui, présentent uniquement Jésus comme dieu et non comme homme. De même dans les écrits des premiers Pères de l’Église, comme l’épître aux Corinthiens de Clément de Rome, la Didachè ou le Pasteur (4), il ne trouve aucune trace de l’humanité de Jésus. Il reconnait en revanche que Jésus est bien présenté comme un homme chez Ignace d’Antioche, mais il estime alors que ce texte est en fait un faux tardif (milieu du 2e siècle). C’est justement au cours du 2e que les chrétiens commencent à inventer le Jésus historique.

Enfin, il écarte toutes les épîtres non-pauliniennes comme inauthentiques.

Dans son second livre, il insiste sur le rôle de Marcion. Marcion est le fils d’un évêque qui a été renvoyé de l’Église à cause de ses idées jugées hérétiques. Il considérait qu’il y avait deux dieux, et que le dieu de l’Ancien Testament, n’était pas le vrai Dieu, mais un dieu inférieur au Père de Jésus. Paradoxalement, c’est lui qui aurait contribué à diffuser l’idée d’un Jésus historique et les évangiles auraient été écrits en réaction à ses thèses. Ce qui explique la datation tardive qu’il leur attribue.

 

Conclusion

En conclusion, on peut brièvement récapituler les arguments :

  1. Aucune trace historique de Jésus en dehors des écrits chrétiens. Il considère que toutes les mentions de Jésus chez les auteurs non-chrétiens sont fausses, comme chez Flavius Josèphe, ou sans valeur, comme chez les historiens romains.
  2. Les plus anciens écrits chrétiens qui mentionnent Jésus ne le considèrent pas comme un homme.
  3. Les textes chrétiens qui parlent de Jésus comme un homme sont tardifs et n’apparaissent qu’au cours du 2e siècle.

 

Ces arguments sont, encore aujourd’hui, les principaux arguments avancés dans les cercles mythistes. Après avoir vu ces éléments, j’expliquerai dans les prochains articles pourquoi ils n’ont pas convaincu les historiens de l’époque, y compris les plus anticléricaux, et pourquoi ils ne convainquent pas davantage les historiens contemporains. Cela me permettra de faire un point sur la question des sources, chrétiennes et non-chrétiennes.

 

 


Notes

 

 


Bibliographie

 

Couchoud, P.-L. (1924). Le mystère de Jésus. Paris : Rieder et Cie.

Couchoud, P.-L. (1937). Jésus. Le Dieu fait Homme. Paris : Rieder.

Ehrman, B. (2013). Did Jesus Exist ? The Historical Argument for Jesus of Nazareth. New-York : HarperCollins.

Goguel, M. (1925). Jésus de Nazareth : Mythe ou Histoire ? Paris : Payot.

Mimouni, S. (2017). Le judaïsme ancien et les origines du christianisme. Études épistémologiques et méthodologiques. Paris : Bayard.

 

 

Voir cet article en video :

https://youtu.be/nLrQTyp9B8U

 

 

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