Crédit image : Trou noir modélisé dans le film Interstellar

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Le « problème » de la lumière des étoiles

Les créationnistes jeune terre (CJT) affirment que l’univers a 6000 (ou 10000) ans. S’il est vraiment aussi jeune, comment pouvons-nous voir des étoiles distantes de 30000 (et plus, bien plus) années-lumière ?

Certains, comme le CJT américain Russel Humphreys, pensent que la relativité générale (RG) d’Einstein peut aider.

Si vous savez déjà comment la gravité peut distordre le temps, passez directement à la section plus loin. Sinon, un petit détour par le film Interstellar n’est pas inutile.

La relativité générale et le film Interstellar

Dans le film Interstellar de Christopher Nolan, Matthew McConaughey manque l’adolescence de sa fille Murphy pour avoir passé trop de temps sur une planète trop proche du trou noir « Gargantua ». Une pauvre petite heure sur la « planète de Miller » vaut 7 ans sur Terre ! Gargantua pèse environ 100 millions de fois plus que le soleil[1], et oui, selon la RG, une telle planète bénéficierait d’une contraction temporelle de ce genre.

Selon sa propre montre, Matthew McConaughey passe un peu plus de 3 heures sur la planète de Miller. Quand il en revient, il découvre qu’il est parti depuis 23 ans. Sa fille Murphy avait dans les 10 ans lors de son départ. C’est maintenant une trentenaire.

Comment ça marche ?

La gravité du trou noir augmente quand vous vous en approchez. Tant que la gravité n’est pas trop forte, on peut définir un potentiel gravitationnel, qui se creuse au fur et à mesure que vous vous approchez de Gargantua, comme dans la figure ci-dessous (absolument pas à l’échelle).

Trou noir

Selon la relativité générale, le temps passe plus lentement dans le puits de potentiel[2]. Plus vous allez profond dans le puits, plus le temps passe lentement par rapport à la Terre. Jusqu’à ce que vous arriviez à « l’horizon des événements ».

Que se passe-t-il alors ? Si vous voliez vers l’horizon des événements, un observateur sur Terre vous verrait l’approcher de plus en plus, sans jamais le traverser. Quant à vous, dans votre vaisseau spatial, vous le traverseriez bel et bien. Passé ce point, il serait impossible de revenir en arrière. Vous vous écraseriez inévitablement au centre en un temps qui peut être calculé[3].

Notons que parler d’un « potentiel gravitationnel » n’a de sens que lorsque la gravité est faible. C’est tout à fait justifié pour la terre dans le champ gravitationnel du soleil par exemple. Mais cela n’a aucun sens sous l’horizon des événements[4].

Dans Interstellar, tout cela se passe sur quelques milliards de kilomètres. La Terre est loin de tout cela, complètement hors du puits de potentiel du trou noir. Comme on l’a dit, 1 heure sur la planète de Miller vaut 7 ans sur terre. Et 6000 ans sur Miller, ça vaudrait combien sur terre ? 0,36 milliards d’années !

La relativité générale pourraient-elle détenir la clé de milliers d’années sur terre comptant pour des milliards dans le reste de l’univers ?

La cosmologie de Russel Humphreys

Je me réfère à la cosmologie décrite ici .

Humphreys imagine que la Terre est au centre d’une énorme sphère en expansion avec des « eaux au-dessus ». Ce sont, selon lui, les eaux qui sont au-dessus des cieux du Psaume 148.4, entre autres. À l’aide de la RG, il « calcule » (pourquoi des guillemets ? Voir ci-dessous) le potentiel gravitationnel à l’intérieur de la sphère. Comme vous pouvez le voir sur la figure ci-dessous, la sphère est immense[5]. La Terre est quelque part à l’intérieur.

Modèle de Russel Humphreys

Le potentiel gravitationnel diminue à mesure que l’on s’approche de la sphère. Il est constant à l’intérieur. Ainsi, une horloge à l’intérieur, où se trouve la Terre, fonctionnera plus lentement qu’une horloge à l’extérieur. Comme dans Interstellar, les horloges tournent plus lentement lorsque vous descendez dans le potentiel gravitationnel.

Partant de là, Humphreys fait valoir que si «au cours du quatrième jour, Dieu a créé des masses d’étoiles » de manière à abaisser encore plus le potentiel à l’intérieur de la sphère, en deçà d’un « potentiel critique », le temps s’y serait carrément arrêté. C’est encore mieux que la planète de Miller…

Voyons maintenant les problèmes.

Il s’avère que

  1. les observations démentent l’existence de la sphère de Humphreys et
  2. ses affirmations concernant ce qui se passerait si le potentiel gravitationnel intérieur était abaissé en-deçà du « potentiel critique » (voir sa figure 7), sont fausses, selon la RG qu’il prétend utiliser.

Sphère de Humphreys et observations

Signalons pour commencer que la solution des équations de la RG présentée par Humphreys (son équation 2) n’est pas « nouvelle », comme il le prétend. C’est simplement la solution trouvée par Karl Schwarzschild en 1916. Et il ne peut pas en être autrement. Et pourquoi donc mon bon Monsieur ? Parce qu’il n’y a qu’une seule solution aux équations de la RG avec une symétrie sphérique et c’est celle de Schwarzschild (s’il n’y a qu’une seule solution et que vous en trouvez une, alors c’est nécessairement ze one)[6]. La solution de Humphreys ne peut donc pas être « nouvelle ». C’est une vieillarde centenaire.

De surcroit,

  • Les eaux au-dessus de la sphère ne peuvent pas être liquides. Pourquoi ? Parce qu’il n’y a rien au-dessus. Elles sont donc sous pression nulle. Et sous pression nulle, l’eau ne peut pas être liquide. C’est soit de glace, soit de la vapeur.
  • Quid de la sphère elle-même ? L’univers est en expansion, et il semble que Humphreys le reconnaisse. Passons donc à l’envers le film de l’univers. La sphère et l’univers se contractent. Ils deviennent de plus en plus chauds. Quelle que soit sa composition (de quoi est-elle faite ?), la sphère de plus en plus chaude se vaporise. Ses molécules sont brisées, tout comme celles de l’univers à l’intérieur. Puis les atomes qui constituent tout cela sont également dissociés en électrons, protons et neutrons. Puis les protons et les neutrons sont dissociés en quarks[7].
    Passons maintenant le film à l’endroit, à partir de cette époque de quark (nous ne savons pas ce qui est venu avant parce que nous ne connaissons pas les lois qui s’appliquaient alors). L’univers se refroidit et les quarks s’assemblent pour fabriquer des protons et des neutrons. Ces protons et neutrons s’assemblent à leur tour pour former des atomes[8]. L’univers continue de s’agrandir, donc de se refroidir, et ces atomes peuvent se combiner pour former des molécules. Question : à quel moment la sphère se forme-t-elle ? Au début de notre film, elle n’était pas là. Alors, quand et comment s’est-elle formée ? Aucun phénomène naturel ne fera spontanément une coquille sphérique de « quelque chose » avec des « eaux au-dessus ». Et si elle était là surnaturellement depuis le début, pourquoi se donner tant de mal pour proposer un scénario pseudo-naturel « expliquant » le problème de la lumière des étoiles ?
  • Selon la RG que Humphreys prétend suivre, l’intérieur de la sphère est « plat ». C’est du bon vieil espace-tempsLe problème est qu’un tel espace-temps n’est pas en expansion[9]. C’est ce que dicte la RG. Même si la sphère est en expansion, l’intérieur ne l’est pas. C’est la conséquence directe des équations 2 et 3 de Humphreys. Deux points distants de 1 million d’années-lumière, à l’intérieur de la sphère, seront toujours à 1 million d’années-lumière l’un de l’autre, 1 milliard d’années plus tard.
    C’est un problème car nous observons l’expansion. Les étoiles nous fuient. D’autant plus vite qu’elles sont loin. Dans la « cosmologie » de Humphreys, il n’y a pas de décalage vers le rouge. Dans la « cosmologie » de Humphreys, la température du Fond Diffus Cosmologique ne change pas avec le temps. Pourtant, un tel changement de température a bel et bien été observé .

La Relativié Générale de Humphreys sous le « potentiel critique » est fausse

Selon la relativité rénérale, il se produit quelque chose d’étrange si le rapport R/M est suffisamment grand (R = rayon de la sphère, M = sa masse)[10]. Si cela se produit, Humpreys écrit que « les horloges physiques s’arrêteraient complètement. Le temps n’existerait plus » et « la lumière ne peut pas se propager ».

Evidemment, les horloges arrêtées sont pratiques pour entasser tout ce que l’on veut dans un rien de temps.

Le problème est que si R/M devenait suffisamment grand, et contrairement à ce que prétend Humphreys, la RG ne dit pas du tout que le temps s’arrêterait et que la lumière cesserait de se propager. Pas du tout du tout.

Ce sont des résultats bien connus de RG car la situation produite pour R/M suffisamment grande est précisément celle produite à l’intérieur de l’horizon des événements d’un trou noir. Certes, ce qui s’y passe est assez bizarre et il a fallu des décennies aux physiciens pour le comprendre. Pourtant, pour bizarre qu’elles soient, certaines choses sont sûres : les horloges continuent de tourner sous l’horizon des événements et la lumière continue de s’y propager. Un calcul classique de RG consiste du reste à calculer le temps qu’il faudrait à un astronaute pour atteindre le centre d’un trou noir[11]. Une partie de ce temps est celui nécessaire pour passer de l’horizon des événements jusqu’au au centre. Toujours selon la RG, les horloges tournent « à l’intérieur ». Et la lumière se propage.

Conclusion

Terminons. La cosmologie de Humphreys échoue à divers stades. Il suppose une sphère autour de nous, qui ne peut se former que si elle est arrivée là miraculeusement. Ensuite, la RG à l’intérieur de cette sphère donne un espace-temps qui n’est pas en expansion, tandis que les observations montrent que notre espace-temps est en expansion. Enfin, Humphreys fait dire à la RG que dans certaines circonstances spéciales, le temps s’arrête à l’intérieur de la sphère et que la lumière ne peut s’y propager, tandis que la RG ne dit pas du tout cela[12].

Il s’agit clairement ici d’une « science » tirée par les conclusions. Humphreys propose un scénario arbitraire, uniquement conçu pour expliquer son problème de la lumière des étoiles. Puis cela devient de la mauvaise science : la sphère invoquée ne peut s’être formée naturellement, et les conséquences qu’elle produit ne correspondent pas aux observations. Enfin, ça devient de la mauvaise RG : après l’avoir invoqué à la rescousse, Humphreys lui fait dire n’importe quoi.

C’est là un bon exemple de la raison pour laquelle la « science officielle » rejette la « science de la création ». Cette raison n’a rien à voir avec Dieu. Einstein parlait de Dieu, Abdus Salam était un fervent musulman, Ramanujan attribuait ses découvertes à une déesse hindoue. Beaucoup de mes amis physiciens parlent de Dieu dans le laboratoire. Je parle de Dieu.

Non, la vraie raison pour laquelle la « science de la création » est rejetée, c’est parce qu’elle piétine la logique, les observations et les expériences pour arriver à tout prix aux conclusions qu’elle cherche. Elle incarne en cela précisément ces mots de CS Lewis[13],

Une science dévoyée dans les intérêts de l’apologétique serait un péché et une folie.

PS

Le thème abordé dans ces lignes pose un défi récurent concernant les débats autour des modèles scientifiques et de leur vulgarisation que l’anecdote suivante illustre.

Imaginez que Google Maps n’existe pas et que je dise qu’à Madrid, la rue du Général Moscardo a changé de nom et s’appelle maintenant rue de l’Aviateur Zorita. Vous me croiriez sur parole. Pourtant, ceux qui connaissent mon quartier sauraient bien que je dis n’importe quoi. La rue du Général Moscardo a certes changé de nom, mais elle ne s’appelle pas du tout désormais rue de l’Aviateur Zorita. Mais comme 99,99% de mes lecteurs ne savent probablement rien de mon quartier Madrilène, mon erreur passerait surement inaperçue. Les 0,01% restant s’exclameraient en revanche, « mais qu’est-ce qu’il raconte l’Antoine ? ».

Ici c’est pareil : quand on connait un peu la relativité générale, on voit tout de suite à quel point Russell Humpreys la maltraite. Mais cette centenaire est l’une des plus illustres inconnues de la physique. Comment donc faire part au non-physicien de l’étonnement du physicien quand il découvre l’improbable relativité générale de notre ami Russell ? Je ne sais pas trop. J’espère n’être pas tombé trop loin.


Notes

[1] Voir The Science of Interstellar par Kip Thorne (Nobel 2017). Le lecteur trouvera également des données plus techniques sur le même sujet ici .

[2] Un tel décalage temporel gravitationnel a été vérifié expérimentalement à plusieurs reprises et est maintenant utilisé dans votre GPS.

[3] Le temps de chute est calculé Gravitation, par Misner, Thorne et Wheeler, page 820. Il est fini pour l’astronaute et infini pour l’observateur.

[4] Ce qui n’empêche pas Humphreys d’en parler dans ces conditions…

[5] Sa taille est un peu inférieure à celle de l’univers observable, environ 46 milliards d’années-lumière, voir https://arxiv.org/abs/astro-ph/0310571

[6] C’est le théorème de Birkhoff.

[7] Tous ces états de la matière ont été étudiés en laboratoire. Il n’y a aucune conjecture ici. La matière fait bel et bien cela lorsque vous la chauffez de plus en plus.

[8] En utilisant les lois connues de la physique, vous pouvez déduire de ce scénario les abondances relatives des éléments légers et les comparer aux observations. Cela a été fait à partir de 1948 et fonctionne bien. D’autres conséquences attendues et observées du film sont le fond diffus cosmologique ou les oscillations acoustiques baryoniques. Plus ici.

[9] La « métrique de Minkowski » décrit le bon vieil espace-temps plat. Si vous voulez une expansion, vous avez besoin de quelque chose comme la métrique de « Friedmann – Lemaître – Robertson – Walker ». Voir par exemple l’équation (28.9) page 1371 de Modern Classical Physics par Thorne & Blandford. Ou tapez simplement « métrique FLRW » dans Google.
À propos, George Lemaître était prêtre.

[10] Techniquement, le coefficient de dt2 dans l’équation 2 devient négatif.

[11] Voir note [3].

[12] Voir par exemple la figure 26.4 page 1269 de Modern Classical Physics par Thorne & Blandford. Il montre comment la lumière se propage sous l’horizon des événements.

[13] “Science twisted in the interests of apologetics would be sin and folly”. CS Lewis, God in the Dock: Essays on Theology and Ethics, Eerdmans Publishing Co, 1972, p. 93.