david meyre

David MEYRE, auteur de  cet article est un scientifique internationalement reconnu dans le domaine de la génétique de l’obésité et du diabète.Il est actuellement Professeur Associé au Département d’Epidémiologie Clinique et de Biostatistiques à l’Université McMaster (Ontario, Canada).

Il est aussi chrétien engagé, et il fut l’un des fondateurs du site Science & Foi, avant que ses obligations professionnelles ne le conduisent outre Atlantique vers d’autres aventures

 

 

Un ‘tsunami’ d’obésité à l’échelle mondiale

Une épidémie d’obésité a déferlé sur notre monde à la manière d’un ‘tsunami’ ces dernières décennies, nous faisant brutalement évoluer du statut d’Homo Sapiens à celui d’Homo Obesus (Fig 1. Voir illustration en entête). On cite souvent la situation dramatique des Etats-Unis, où plus d’un tiers des adultes et 17% des enfants et adolescents sont obèses, mais fait moins connu l’épidémie d’obésité s’étend également aux pays à faibles ou moyens revenus. A l’échelle de la planète, une personne sur quatre présente maintenant un surpoids ou une obésité. L’obésité est un facteur de risque majeur pour une constellation de complications de santé incluant le diabète, les maladies cardio-vasculaires, certains types de cancer ou l’arthrose précoce. L’obésité sévère nous ‘vole’ en moyenne de 7 à 20 ans d’espérance de vie.

 

Pourquoi sommes-nous obèses ?

L’épidémie d’obésité actuelle trouve sa source dans les changements sociétaux radicaux qu’ont expérimentés les populations humaines ces 50 dernières années. L’accès à une alimentation riche en sucre et en graisse en quantité surabondante, la diminution progressive de l’activité physique, et d’autres facteurs moins connus comme le manque chronique de sommeil, le stress ou l’utilisation d’antidépresseurs expliquent en grande partie l’explosion du nombre d’obèses à l’échelle globale.

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Figure 2. Corpulence de jumeaux identiques (en haut) et de jumeaux fraternels (en bas).

Les prédispositions génétiques à l’obésité jouent aussi un rôle important, expliquant pourquoi seule une partie des populations soumises à des environnements à risques développent l’obésité. On estime ainsi que les facteurs génétiques jouent un rôle plus important (70%) que l’environnement dans le développement de l’obésité. Un enfant a 10 fois plus de chances de développer une obésité si ses deux parents sont eux-mêmes obèses, en comparaison d’un enfant ayant des parents de poids normaux.

Une autre preuve convaincante du caractère héréditaire de l’obésité est apportée par le fait que de vrais jumeaux (dont les gènes sont parfaitement identiques) ont une corpulence remarquablement similaire en comparaison de celle de jumeaux fraternels (qui partagent seulement 50% de leurs gènes) (Figure 2).

De la même façon, les enfants placés en famille d’accueil à la naissance ont une corpulence plus similaire à celle de leurs parents biologiques que celle de leurs parents adoptifs chez qui ils ont grandi.

 

Sélection darwinienne et obésité

Figure 3. Photographie de Charles Darwin prise en 1869.

Figure 3. Photographie de Charles Darwin prise en 1869.

Le concept de sélection naturelle, introduit en 1859 par Charles Darwin dans son livre ‘De l’origine des espèces’ (Figure 3), prédit que les individus tirant le meilleur parti des ressources disponibles de par des caractères héritables, auront davantage de descendants. Ces caractères augmenteront donc en fréquence au cours des générations et conduiront à l’évolution de la population. De façon peut-être surprenante, l’épidémie d’obésité à laquelle nous faisons face actuellement pourrait s’expliquer en partie par l’effet de la sélection naturelle darwinienne sur l’évolution des populations humaines depuis leur origine. L’hypothèse du gène «économe» (Thrifty Gene Hypothesis) développée par le généticien James Neel en 1962 relie l’explosion de l’obésité et du diabète gras de l’adulte à une exposition récente à l’échelle évolutive des populations humaines aux conditions d’abondance de nourriture et de sécurité alimentaire. Les humains partagent avec d’autres mammifères la capacité de stocker d’importantes réserves d’énergie sous forme de graisses lorsque des périodes de surabondance de nourriture se présentent. Mais durant l’histoire de l’humanité, ces occasions se sont révélées rares et transitoires. Jusqu’à un passé très récent, les humains ont été confrontés à un accès limité à la nourriture, et à la nécessité d’engager un niveau élevé d’activité physique pour y accéder. L’évolution de notre génome, modelé pour survivre à des périodes fréquentes de famine et à un accès discontinu à la nourriture, ne l’a pas préparé à faire face à des conditions de surabondance de nourriture, ce qui conduit au développement d’une obésité en prévision d’une famine qui ne vient jamais. Le résultat en est le développement de l’obésité et du diabète. L’hypothèse du gène «économe» est confirmée par les prévalences exceptionnellement élevées d’obésité et de diabète observées dans certaines populations vivant de longue date dans des environnements où la nourriture est limitée et ayant récemment adopté un style de vie Occidental (Afrique Sub-saharienne, Indiens Pimas du désert d’Arizona). Autre argument en faveur de cette hypothèse, de récentes études de génétique des populations confirment que plusieurs gènes prédisposant à l’obésité et au diabète gras de l’adulte ont été sélectionnés positivement au cours de l’expansion des populations humaines.

 

L’obésité, une réponse normale à une société malade de ses excès

Notre modèle de société occidental dit de «consommation de masse» repose sur des réalités contradictoires. Alors même que les médias tout puissants, nourris par l’industrie cinématographique et la mode, font l’apologie de la maigreur extrême comme seul critère acceptable de beauté, notre société dans les faits génère de plus en plus d’obèses qui se sentent exclus et culpabilisés. Les obèses sont clairement discriminés dans nos sociétés, considérés par leurs pairs comme des individus faibles et manquants de volonté pour prendre soin de leur apparence. Cause principale de cette situation, la surabondance d’une nourriture transformée par l’industrie agro-alimentaire et vantée à grands renforts de publicités. Mise au point pour satisfaire les goûts du consommateur (qui se résument à trois saveurs de base: salé, sucré, gras) et pour assurer des marges de profit confortables aux entreprises, les aliments transformés n’intègrent que trop rarement la santé des populations comme une priorité stratégique. Les sodas par exemple, qui contiennent l’équivalent de six sucres par verre, sont considérés par certains experts en nutrition comme un poison aussi dangereux pour la santé que le tabac. Face à cette situation, les pouvoirs politiques tardent à prendre des mesures efficaces pour protéger la santé des populations, cédant trop facilement aux pressions du puissant lobby agro-alimentaire. La cohabitation de populations qui souffrent de l’excès et du manque de nourriture, à l’échelle mondiale mais aussi parfois au sein d’un même pays ou d’une même ville, illustre la faillite d’un système de société basé sur l’individualisme plus que sur le partage. Les récentes avancées scientifiques nous apprennent que nous ne sommes pas tous égaux  face au risque d’obésité. De puissants agents biologiques, positivement sélectionnés par l’évolution pour nous aider à survivre lors de famines, poussent certains d’entre nous à la suralimentation, au stockage excessif de graisses et à l’obésité, illustrant le conflit entre l’homme naturel et l’homme spirituel décrit par l’apôtre Paul dans ses Epitres.  Ceci devrait nous pousser à plus d’empathie et moins de jugement envers les personnes souffrant d’obésité autour de nous. Réduire le nombre d’obèses à l’échelle de la planète n’est pas une mission impossible, mais cela nécessite un changement sociétal aussi drastique que celui qui a conduit à l’épidémie actuelle d’obésité, cette fois ci dans une direction plus louable. Un modèle de société qui considère le bien-être des populations à long terme comme plus important que les profits à court terme, une société plus tolérante et qui aime partager et respecter une règle d’égalité. Une société plus en phase avec le modèle biblique?

 

Références utiles

1. Choquet H, Meyre D: Molecular Basis of Obesity: Current Status and Future Prospects. Current Genomics vol.12 (3):154-168, 2011

2. Choquet H, Meyre D: Genetics of Obesity: What have we Learned? Current Genomics vol.12 (3):169-179, 2011

3. Meyre D, Froguel P: Eradiquer l’obésité? Pour la Science, 2012

4. Meyre D, Froguel P: L’obésité dans les gènes? Pour la Science, 2012