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Une réflexion cohérente sur l’agir créateur de Dieu dans le cosmos ne peut s’engager que dans le cadre théorique de l’articulation entre création (histoire du Salut) et évolution (histoire cosmologique).

 

Si aujourd’hui l’évidence scientifique de l’évolution n’est plus à démontrer, alors, Dieu n’aurait pas seulement créé au commencement, mais continuerait encore à créer. L’évidence de la continuité de l’évolution consacre donc aussi la continuité de la création. Si cela est vrai, le littéralisme biblique traditionnel d’une activité créatrice divine qui s’est conclue en sept jours, telle que semble nous l’indiquer une certaine interprétation de Genèse 2, 2-3, devrait être remis en question.

 

C’est dans le cadre stratégique de l’assomption de l’évidence d’un univers qui évolue encore et d’une création qui n’est pas encore achevée que pourrait aussi s’interpréter le concept de péché originel. Cette hypothèse théologique pourrait signifier que chacun d’entre nous est né dans un univers inachevé et imparfait. De ce point de vue, le monde dans lequel l’homme se trouve n’est pas un paradis à reconquérir, mais à construire. En d’autres termes, la vision du paradis n’est pas la description d’un lointain passé mythique qui a été perdu et qui doit être restauré, elle offre plutôt une représentation symbolique d’un futur eschatologique. Dieu n’a donc pas créé un monde parfait, mais plutôt à parfaire, c’est-à-dire, à construire.

 

Deux considérations s’imposent. Premièrement, si la création n’est pas encore achevée et assume la forme d’une évolution en mouvement vers sa réalisation définitive, alors le processus évolutif sera nécessairement saccadé de limites structurelles qui rendent compte de son état d’incomplétude. En effet, si l’univers n’est pas encore arrivé à son terme, nous ne pouvons logiquement nous attendre à ce qu’il possède ici et maintenant un statut de création parfaite. De ce point de vue, l’évolution laborieuse et douloureuse des formes de vie, tel que Darwin l’a perçue, est concevable, même pour la théologie.

 

En théologie de l’évolution, en effet, l’évolution est souvent interprétée comme la manière dont Dieu a choisi de créer, et dans une certaine mesure de sauver. Le rapport entre évolution et rédemption fera l’objet d’une autre réflexion. Dieu continue donc de créer en laissant le monde évoluer dramatiquement vers son accomplissement définitif (creatio nova). Ainsi, la providence divine s’exercerait au coeur même d’un processus évolutif contingent, fortement marqué par l’imprédictibilité et l’indétermination de ses manifestations. Nous défendons ici l’idée d’un univers qui s’auto-crée librement et spontanément sous l’impulsion d’une principe finalisant à la fois transcendant et immanent.  Il s’agit, en réalité, de postuler l’immanence d’une « assise ultime[1] », un principe évoluteur – que nous appellerons esprit – dans la matière de l’univers qui pousse cette dernière à se transcender en permanence, faisant progressivement apparaître des propriétés absolument inédites qui n’existaient pas avant. Cette évolution progressive de la matière sous l’impulsion de l’esprit  – nous le répétons encore – n’est pas sans douleurs, compte tenu de la nature inachevée et imparfaite de la structure matérielle.

 

Dans une telle configuration théologico-évolutionniste, le mal (sous forme de douleur, de blessure, de menace, de violence…) ne peut plus être interprété comme étant la conséquence d’une faute originelle qui aurait précipitée l’humanité dans la déchéance et défigurée l’éden terrestre d’antan. La catégorie du mal rend plutôt compte des limites structurelles d’un processus évolutif qui s’organiserait en tâtonnant, entre pertes et profits, entre échecs et victoires. D’où cette affirmation de saint Paul :

la création tout entière gémit, elle passe par les douleurs d’un enfantement qui dure encore
(Rm 8,22).

 

Que le mal soit un paramètre structurel de l’évolution, n’est en rien une remise en cause de la toute-puissance de Dieu. En d’autres termes, s’il est vrai que Dieu crée encore le monde à travers l’évolution, alors, la création rencontre logiquement dans l’évolution des imperfections, des erreurs, des tâtonnements, mais aussi des résistances : «la montée vers la lumière – dira Francois Euvé -, suppose la traversée de la nuit[2]».

 

La foi assume théologiquement, mais aussi scientifiquement, cette ascension dramatique vers la lumière. Elle croit aussi que sous l’impulsion de l’esprit évoluteur dans la matière, le processus évolutif arrivera inéluctablement à son point de maturation ultime. Quel est ce point d’achèvement ? Comment articuler l’hypothèse d’une mort thermique de l’univers comme point d’achèvement ultime de l’évolution cosmologique et la foi en une création nouvelle dans l’éternité relative de Dieu ? Le débat reste ouvert.

 

 


Notes

[1]  B. d’Espagnat, Une réouverture des chemins du sens in  J. Staune, Science et quête de sens, Presses de la Renaissance, Paris 2005, p. 26.

[2]  Préface de Francois Euvé in timbal n., Pierre Teilhard de Chardin, Homme de Dieu au coeur de la matière, Editions Jesuites, Namur 2015, p. 11.