Article 3 sur un total de 4 pour la série :

Création, théorie de l’évolution, créationnisme


 

Nous poursuivons notre série

10. Le littéralisme possesseur de la vérité et position politique

Le littéralisme entraîne plusieurs problèmes. D’abord, puisqu’il prétend accéder immédiatement à la vérité sans interprétation, se pose en possesseur de la vérité, et par conséquent en vient à condamner toute autre approche, ce qui se traduit par des prises de pouvoir et de domination au niveau scolaire et politique (voir ce qui se produit aux USA avec le Tea party, dont certains membres en viennent à nier la réalité du réchauffement climatique au nom de leur foi au Dieu créateur). Deuxièmement, le littéralisme en restant au niveau factuel refuse la dimension littéraire et symbolique des textes bibliques. Il passe généralement à côté du message, de la beauté et de la profondeur des textes bibliques comme Parole de Dieu. Il nivelle et écrase l’interprétation théologique, spirituelle et tout simplement humaine de la Bible. On en vient à une interprétation réductrice et appauvrissante, un instrument entre les mains de gens qui ont raison contre tous.

 

11. Le respect des genres littéraires des textes bibliques

L’accès à la vérité d’un texte passe notamment par la reconnaissance de son genre littéraire que la lecture littéraliste semble ignorer. La vérité d’un texte ne surgit pas immédiatement. Elle met en œuvre une connaissance de la langue et du contexte historique dans lesquels les textes bibliques sont écrits, spécificités des langues hébraïque ou grecque, car la grande caractéristique de la Bible est effectivement de s’inscrire dans une histoire avec laquelle elle est constamment en rapport. Or le créationnisme fait de la Bible une parole intemporelle.

Reconnaître dans la Bible la Parole de Dieu n’implique pas la négation de l’intelligence éclairée par L’Esprit Saint, comme le disait Calvin et les Réformateurs. Donc, la reconnaissance du genre littéraire d’un texte est indispensable pour accéder à sa vérité ce qui est aussi valable dans la vie courante. En effet, nous savons distinguer une lettre d’amour d’une lettre du fisc, un texte de loi d’un poème, un récit historique d’un roman, un discours politique d’un sketch humoristique, une publicité d’un éditorial de journal, etc. Ce qui est de toute importance pour la communication entre les humains. Un roman, par exemple les Misérables de Victor Hugo, même s’il ne rapporte pas une histoire vraie, qui s’est réellement passée, a montré avec une puissance exceptionnelle la vérité de l’injustice et de la misère des pauvres gens de son temps. De même, dans la Bible, il s’agit de distinguer les différents genres littéraires : les récits historiques, les récits de création, les récits de vocation, les récits de guerre, les généalogies, les paroles de bénédiction, les louanges, les prières (les Psaumes en particulier qui présentent euxmêmes des genres très variés), les lois, la littérature de sagesse, les oracles prophétiques, les récits de miracle, les paraboles, les développements théologiques, les textes apocalyptiques, etc. Ne pas respecter la façon dont le texte parle conduit à le trahir.  

 

12. La lecture littéraliste, inspirée de la philosophie positiviste

Les créationnistes scientifiques n’ont pas conscience que leurs présupposés de lecture proviennent directement de leur pire ennemi : l’empirisme et le positivisme logique. Ceux-ci affirment que seuls les énoncés d’observations simples sont vrais et sont dignes de construire des lois scientifiques par induction, sans interprétation ; tout le reste n’est que spéculation métaphysique sans valeur ! Or les philosophes des sciences et les scientifiques eux-mêmes ont compris l’impasse où les conduisait cette philosophie, hostile à toute métaphysique. Il est donc assez attristant de voir que sous l’influence de l’empirisme, mis à la sauce du pragmatisme américain, en particulier, on en soit venu à utiliser un mode de lecture positiviste de la Bible.  

 

 

13. Les problèmes de la lecture littéraliste rencontrés dans l’ensemble de la Bible

Il est un enjeu très important à signaler ici : si on prétend que la lecture littéraliste est la seule possible, il faut l’appliquer à l’ensemble de la Bible, on ne peut pas faire d’exceptions. Dès lors, de sérieux problèmes apparaissent, j’en donne quelques exemples :  

Si nous lisons de façon littéraliste des Psaumes, par exemple les psaumes 18 ou 104, sans tenir compte du fait qu’il s’agit de louanges exprimées en termes poétiques, je vais en tirer des images et des descriptions de Dieu et du monde qui poseront de sérieux problèmes.

« Dans mon malheur, j’ai fait appel au SEIGNEUR, j’ai crié vers mon Dieu. De son temple, il a entendu ma voix, mon cri est arrivé à ses oreilles.

 8Alors la terre s’est mise à bouger, les bases des montagnes ont été secouées, elles ont tremblé devant la colère de Dieu.

 9Une fumée s’est élevée de ses narines, un feu terrible est sorti de sa bouche avec des charbons brûlants. 10Le SEIGNEUR a déroulé le ciel comme un tapis et il est descendu, un nuage sombre sous ses pieds. 

11Le SEIGNEUR s’est envolé, porté par un chérubin, il planait sur les ailes du vent.

12Il s’est caché au cœur de la nuit, entouré de nuages énormes, sombres comme l’eau profonde. »  (Ps 18.5-12)

« 1Que je bénisse le SEIGNEUR ! SEIGNEUR, mon Dieu, tu es très grand, tu es revêtu d’éclat et de magnificence !

2Il s’enveloppe de lumière comme d’un manteau ; il déploie le ciel comme une toile. 

3Il fixe sur les eaux ses chambres à l’étage, il prend les nuages pour char, il s’avance sur les ailes du vent.

4Il fait des vents ses messagers, le feu flamboyant est à son service ;

 5il fonde la terre sur ses bases, jamais, jamais elle ne vacillera. »

(Ps 104.1-5)

Nous pourrions donc, dans une lecture littéraliste, si l’on refuse l’aspect poétique et symbolique du texte, en déduire que Dieu a des oreilles, que de ses narines sorte de la fumée et de sa bouche jaillisse du feu ! Que Dieu loge dans des chambres au-dessus des eaux, qu’il plane sur le vent et qu’il chevauche les nuages. Alors que les dix commandements établissent de façon stricte que nous ne pouvons pas nous faire d’images de Dieu. Si on ne reconnaît pas l’usage littéraire d’anthropomorphisme, on est conduit à des aberrations ! Et puis, il faudrait aussi déduire de ces Psaumes que la terre est fondée sur des colonnes et donc rejeter la sphéricité de la terre et aussi le système héliocentrique !

 

14. Confesser Dieu comme créateur et le rapport aux sciences

Affirmer Dieu est créateur ne dit rien sur le mode de formation du monde et de la vie. Personnellement, je reconnais avec émerveillement que Dieu a créé un monde aussi stupéfiant que subtile de façon progressive et dont l’humain est le sommet. Confesser que DIEU EST LE CREATEUR du monde, est en effet un acte de foi qui ne découle pas des sciences ni même de notre admiration de la nature mais de la révélation biblique. Toutefois, confesser que Dieu est le créateur : « Dieu créa les cieux et la terre » n’indique rien quant au mode d’action de Dieu, sur la manière d’agir de Dieu, car Dieu échappe à nos explications ou analyses. Dieu est Dieu, le premier commandement nous conjoint de ne pas nous en faire d’images, donc de descriptions. Il agit librement sans que nous puissions le décrire ou l’expliquer. C’est pourquoi le verbe créer dans la Bible ne peut avoir comme sujet que Dieu. Nous ne pouvons pas décrire Dieu en train de créer. Dieu est autre que le monde, en dehors du temps et de l’espace, il en est le créateur comme l’a magnifiquement montré Augustin au livre XI ch 10 à 14)[1]. Son action échappe à l’homme. Les humains ne peuvent qu’exprimer le comment de sa création dans son histoire et son actualité. Si le monde s’est formé progressivement sur de longues durées, en quoi cela exclurait l’acte créateur ?

 

15. Glorifier Dieu pour la grandeur de ses œuvres

Les grandes dimensions de l’univers, sa longue durée, en tous ses aspects me poussent à rendre gloire à Dieu pour ces œuvres agencées avec une grande subtilité et beauté. Les sciences actuelles en rendent témoignage. Je remercie le Seigneur d’avoir donné à l’être humain l’intelligence pour comprendre comment le monde est construit, même si cette connaissance n’est ni parfaite, ni totale, ni absolue. Mais en l’état actuel, les sciences montrent avec cohérence suffisamment de choses pour que comme croyants nous puissions reconnaître la grandeur et la beauté de la nature comme création de Dieu, depuis les particules élémentaires jusqu’à la structure du cosmos et son histoire.

A plusieurs reprises dans la Bible, l’humain est appelé à observer et connaître la nature, par exemple dans les livres des Proverbes, de Job ou de l’Ecclésiaste. Jésus lui-même dans une petite péricope de l’évangile de Luc la montre. Il reconnaît à ses contemporains la compétence d’une démarche que je qualifie de préscientifique : « Il dit encore aux foules : « Quand vous voyez un nuage se lever au couchant, vous dites aussitôt : “La pluie vient”, et c’est ce qui arrive. 55Et quand vous voyez souffler le vent du midi, vous dites : “Il va faire une chaleur accablante”, et cela arrive. 5[2]Esprits pervertis, vous savez reconnaître l’aspect de la terre et du ciel, et le temps présent, comment ne savez-vous pas le reconnaître ? ». (Luc 12,54-56). Jésus n’a pas fourni de connaissances scientifiques du monde mais il reconnaît cette capacité aux humains qui savent observer, construire une théorie, faire des prédictions, vérifier. A partir de cela, il les invite à mettre en œuvre cette capacité afin d’interpréter les événements. On remarque qu’il distingue la démarche scientifique et la démarche du sens.

 

Dans le dernier article, nous verrons pourquoi le créationnisme quant à lui pousse à la confusion entre démarche scientifique et de foi.

 


Notes

[1] « Puisque tu es le créateur de tous les temps, si l’on suppose quelque temps avant la création du ciel et de la terre, pourquoi dit-on que tu étais en repos ? Car ce temps même c’est toi qui en étais l’auteur, et les temps n’ont pu s’écouler avant que tu eusses fait le temps. Si donc avant le ciel et la terre il n’existait aucun temps, pourquoi demander ce que tu faisais alors ? Il ne pouvait y avoir d’alors là où il n’y avait point de temps.… Ton aujourd’hui, c’est l’éternité ; voilà pourquoi tu as engendré un Fils coéternel à toi, celui à qui tu as dit :  » Je t’ai engendré aujourd’hui.  » (Psaume II.) Tu as fait tous les temps, et tu es avant tous les temps, et il n’y avait point de temps quand le temps n’était pas encore. » Augustin, les Confessions, Livre XI, ch 13.

[2] Withcomb dans Origines, Ed Clé, 1989 p. 21


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