Denis O. Lamoureux est professeur assistant de science et de religion, au Collège St Joseph, à l’Université d’Alberta. Sa nomination à ce poste est le premier cas de titularisation dans cette discipline au Canada. Il détient trois thèses d’état (dentisterie, théologie et biologie). Lamoureux soutient que, si les limites du christianisme évangélique et de la biologie évolutive sont respectées, alors les relations qu’elles entretiennent sont non seulement complémentaires mais aussi nécessaires. Il est membre du conseil de direction de l’American Scientific Affiliation du Canada et membre de l’ASA (American Scientific Affiliation). Denis Lamoureux est l’auteur de Evolutionary Creation : A Christian Approach to Evolution (2008), et I Love Jesus and I accept Evolution (2009).

Leçons venues des Cieux : sur l’Ecriture, la science et l’inerrance

 

Le concordisme scientifique est-il réellement une caractéristique d’une Ecriture Sainte infaillible ?

La plupart des chrétiens évangéliques supposent que le Saint Esprit a révélé des faits scientifiques dans la Bible bien avant leur découverte par la science moderne. Par conséquent, ils croient que les affirmations concernant le monde physique dans la Bible sont infaillibles, tout autant que celles qui révèlent la nature de Dieu et Sa volonté. C’est cette approche herméneutique qui caractérise le débat sur les orgines du monde dans les cercles évangéliques.1

 

Le père du créationnisme Jeune-Terre moderne, Henry Morris, a déclaré :

 La Bible est un livre scientifique ! Elle contient tous les principes de base sur laquelle la vraie science est fondée.2 (Mes italiques)

 

De la même façon, le créationniste progressif Hugh Ross a affirmé :

Il est évident qu’aucun auteur ayant écrit il y a plus de 3400 ans, tel que Moïse, aurait pu décrire et séquencer ces événements avec autant de précisions [dans Genèse 1], avec en plus ces conditions initiales, sans assistance divine. Alors si Dieu a pu guider le choix des mots de Moïse vers une exactitude scientifique et historique dans ce compte-rendu des plus complexes de l’intervention divine, nous sommes en droit de croire que nous pouvons également Lui faire confiance pour communiquer avec la même perfection à travers tous les autres écrivains de la Bible.3

 

L’approche interprétative adoptée par Morris et Ross est connue sous le nom de “concordisme.”4 Je préfère qualifier cette approche de “ concordisme scientifique ” de façon à inclure une grande variété de points de vue concordistes—depuis la science créationniste strictement littérale, en passant par l’harmonisation générale des jours de Genèse 1 avec des ères cosmologiques et géologiques s’étendant sur des centaines de millions d’années, jusqu’aux approches minimalistes qui ne font qu’associer les versets de Gen. 1:1 ou 1:3 à la théorie du Big Bang, sans plus. Nous devons souligner ici que le concordisme scientifique est une herméneutique parfaitement raisonnable. Dieu est le Créateur du monde et l’auteur de la Bible, et aligner ou faire concorder ses œuvres et ses paroles constituent une attente légitime. Mais il nous faut poser la question :

le concordisme scientifique est-il réellement une caractéristique d’une Ecriture Sainte infaillible ?

 

Pour tenter de répondre à cette question, j’examinerai tout d’abord la structure des cieux selon la Bible. L’avantage d’aborder la question d’un point de vue de l’astonomie est que cette science n’est pas perçue comme menaçante par la plupart des chrétiens évangéliques. Ensuite, j’utiliserai des exemples provenant de l’histoire de l’Eglise et de l’enseignement sur l’Ancien Testament prodigué par le milieu évangélique moderne pour esquisser l’interprétation “conservatrice” des cieux dans l’Ecriture. Cette preuve biblique et herméneutique sera alors examinée à la lumière de la notion d’inerrance, notion communément soutenue par les responsables évangéliques. Pour finir, je suggèrerai que nous allions au-delà de l’inerrance du concordisme scientifique et que nous introduisions une approche fondée sur des affirmations de l’Ecriture quant à la nature reflétant l’Incarnation.

firmament[1]

 

Le Firmament et les eaux du dessous

 

Un des meilleurs passages bibliques qui nous permette d’explorer la véracité du concordisme scientifique est celui de l’origine du ciel au second jour de la création : Dieu dit,

 Qu’il y ait un firmament entre les eaux pour séparer les eaux des eaux. Dieu fit donc ce firmament, sépara les eaux qui sont au-dessous du firmament d’avec les eaux qui sont au-dessus. Il en fut ainsi. Dieu appela le firmament ciel. Il y eut un soir et il y eut un matin : ce fut un deuxième jour. (Gen. 1:6–8)

 

Des traductions évangéliques populaires de la Bible telles que la New American Standard (1971) et la New International Version (1978) ont remplacé le mot “firmament” par le terme “étendue.”5 De ce fait, les lecteurs ont l’impression que l’étendue fait référence à l’atmosphère et à l’espace. Une telle compréhension des choses concorde bien avec le quatrième jour de la création et la disposition du soleil, de la lune et des étoiles dans l’étendue.

De fameux opposants à la théorie de l’évolution soutiennent cette approche concordiste en deux points fondamentaux. Par exemple, dans leur classique intitulé The Genesis Flood (1961), Henry Morris et John Whitcomb déclarent :

Au deuxième jour de la création, les eaux couvrant la surface de la terre ont été divisées en deux grands réservoirs—un en-dessous du firmament et l’autre au-dessus; le firmament étant l’ “étendue” au-dessus de la terre, il correspond maintenant à la troposphère … Le témoignage biblique nous rapportant l’existence d’une voûte d’eaux pré-diluvienne, nous sommes en présence d’une source d’eaux adéquate à un déluge universel.6

Dans une autre harmonisation de l’Ecriture et de la science, Hugh Ross affirme que l’ “étendue” dans Gen. 1:6–8 fait référence à la troposphère et que les “eaux du dessous” sont de la vapeur. Il prétend que “la ‘séparation’ que Dieu a faite entre les eaux décrit avec précision la formation de la troposphère, cette couche atmosphérique qui se trouve juste au-dessus de l’océan, où se forment les nuages et où réside l’humidité.”7 Il est clair que ces deux interprétations concordistes dépendent du sens que l’on donne au terme “firmament/étendue,” qui apparaît cinq fois dans le récit du deuxième jour de la création.

Le mot hébreu raqîa‘ ne fait pas référence à la troposphère ou à l’espace.8 Des astronomes du Proche-Orient ancien croyaient que le monde était encerclé par un dôme solide au-dessus de nos têtes qui maintenait une mer d’eau.9 En fait, cette science ancienne est reflétée dans l’étymologie. Le nom raqîa‘ qui signifie “aplatir,”est dérivé du verbe raqa‘“piétiner,” “étendre,” et “battre.” Autrement dit, le verbe hébreu contient cette idée d’aplatir quelque chose de solide plutôt que de former un vaste espace ouvert comme l’atmosphère. Exode 39:3 et Esa. 40:19 utilisent raqa‘ pour parler des métaux qui étaient écrasés sur de fines plaques, et Nbr. 16:38 emploie riqqua‘ (large plaque) dans un contexte similaire. On trouve même le verbe raqa‘ dans un passage faisant référence à la création du ciel, que l’on comprend comme étant une surface ferme comme un métal. Job 37:18 demande,

“Peux-tu comme lui étendre une voûte de nuées, aussi solides qu’un miroir de fonte ?”10

 

Il est essentiel de comprendre que les affirmations de l’Ecriture quant à la nature s’expriment du point de vue d’une ancienne perspective phénoménologique … Par contraste, nous observons le monde physique à partir d’une perspective phénoménologique moderne.

La Bible affirme également l’ancien concept astronomique qui sous-tend l’existence d’un corps célèste composé d’eau.11 Au deuxième jour de la création, le Créateur rend raqîa‘ solide et élève les “eaux du dessus.” Les versets du Psaume 104:2–3 déclarent que “(…) Dieu étend les cieux comme une tenture et qu’il fixe sur les eaux ses hautes demeures (…).” Lorsqu’il invite les éléments naturels tels le soleil, la lune et les étoiles à louer Dieu au Ps. 148:4, le psalmiste fait aussi appel aux eaux au-dessus des cieux, véritable structure astronomique indépendante selon l’écrivain : “Louez-le, cieux des cieux, Et vous, les eaux qui êtes au-dessus des cieux !” Et dans Jér. 10:12–13 nous lisons, “Dieu a étendu les cieux par son intelligence. Lorsqu’il donne de la voix, les eaux s’amassent dans le ciel.”12 Surtout, ces trois derniers passages apparaissent après le déluge du temps de Noé. En d’autres termes, l’effondrement de la voûte pré-diluvienne tel que préconisé par le créationnisme Jeune-Terre ne concorde pas avec la preuve biblique puisque les “eaux du dessus” sont restées intactes dans les cieux. D’ailleurs, le firmament soutenant les eaux célèstes est toujours présent à l’époque du roi David, comme nous le révèle le merveilleux Psaume dix-neuf : “Les cieux racontent la gloire de Dieu, et le raqîa‘ annonce l’œuvre de ses mains.” (cf. Ps. 150:1) De plus, les tentatives visant à prouver que l’eau à laquelle il est fait allusion dans ces passages est de la vapeur d’eau, ne prennent pas en compte les mots de la langue hébraïque tels que ’ed, nasî’ qui contiennent la notion de “brume,” “vapeur,” et ‘anan “nuage” (Gen. 2:6, 9:14; Job 36:27; Ps. 135:7) ; or les écrivains inspirés n’ont pas utilisé ces mots. Plus particulièrement, le nom commun mayim apparaît cinq fois dans le récit du second jour de la création et il est toujours traduit par “eau/x” dans les diverses versions en anglais de la Bible.13

La conceptualisation du firmament et des eaux du dessus prend tout son sens lorsque nous nous plaçons d’un point de vue phénoménologique.14 La couleur du ciel est d’un bleu changeant comme celui d’un lac ou d’une mer, et la pluie tombe sur le sol depuis les hauteurs. C’est en toute logique que les anciens ont raisonné en se disant qu’une structure solide maintenait ce corps acqueux. Cependant, il est essentiel de comprendre que les affirmations de l’Ecriture quant à la nature s’expriment du point de vue d’une ancienne perspective phénoménologique. Ce que les écrivains de la Bible et autre personnes de l’époque voyaient avec leurs yeux, ils le croyaient réel, comme le firmament et la mer céleste. C’était la science au jour le jour au Proche Orient ancien (Images 1 et 2). Par contraste, nous observons le monde physique à partir d’une perspective phénoménologique moderne. Grâce au savoir scientifique actuel, nous savons que lorsque nous voyons le dôme bleu du ciel, il ne s’agit que d’une apparence ou d’un effet visuel provoqué par la diffusion de brèves courbes de lumière dans la couche supérieure de l’atmosphère. Par conséquent, il est crucial que ces deux différentes perspectives de la nature soient bien distinguées et non combinées lors de la lecture de l’Ecriture.

 

 

Notes

1 Une étude du magazine American adults a montré que 87% des protestants évangéliques croient que le récit de la création du monde dans le premier chapitre de la Genèse est “littéralement vrai, c’est-à-dire que les choses se sont passées ainsi, mot pour mot.” Le sondage a été mené par ABC Prime Time en Février 2004 sur une sélection aléatoire de 1011 adultes ; la marge d’erreur est de 3%. Etude faite par ICR-International Communications Research Media, PA.

2 Henry M. Morris, Many Infallible Proofs: Practical and Useful Evidences of Christianity (San Diego: Creation-Life Publishers, 1980), 229.

3 Hugh Ross, Creation and Time (Colorado Springs: NavPress, 1994), 154.

4 Le terme “concordisme” dans les cercles évangéliques fait souvent allusion à une herméneutique créationniste progressive du chapitre 1 de la Genèse. Je pense que cela est dû à l’influence des travaux de Bernard Ramm sur la relation entre la science et la religion au milieu du vingtième siècle. Il note que l’approche interprétative du jour-âge, jour-géologique et jour-Divin “est appelé concordisme parce qu’elle recherche une harmonie entre la trace géologique et les jours mentionnés dans la Genèse, interprétés comme étant de longues périodes de temps résumant brièvement l’histoire géologique” (italiques originels). Bernard Ramm, The Christian View of Science and Scripture  (Grand Rapids: Eerdmans, 1954), 145. Voir note 21 pour une plus large définition du concordisme selon Jaki.

5 De façon intéressante, la TNIV [Today’s New International Version] (2006) emploie désormais le mot “voûte.”

6 Henry Morris et John Whitcomb, The Genesis Flood: The Biblical Record and Its Scientific Implications (Phillipsburg: Presbyterian & Reformed Press, 1961), 77, 229. Un essai récent effectué par des créationnistes Jeune-Terre place les eaux du dessus à l’extrême limite de l’univers (Russell Humphreys, “Creation Cosmologies Solve Spacecraft Mystery,” Acts and Facts [October 2007]: 11–12). Mais comme je le montrerai, il ne s’agit pas là du sens originel des eaux du dessus.

7 Hugh Ross, The Genesis Question: Scientific Advances & the Accuracy of Genesis (Colorado Springs: NavPress, 1998), 34, 199, 201. Voir aussi ses livres intitulés : The Finger Print of God (Orange, CA: Promise Publishing, 1989), 165–8; A Matter of Days: Resolving a Creation Controversy (Colorado   Springs: NavPress, 2004), 236. D’autres créationnistes progressifs soutenant cette approche incluent les ouvrages suivants : Alan Hayward, Creation and Evolution: Rethinking the Evidence from Science and the Bible (Minneapolis: Bethany, 1985), 179–81; H. Donald Daae, Bridging the Gap: The First Six Days (Calgary: Genesis International Research Publishers, 1988), 56–68; John L. Wiester, The Genesis Connection (Nashville: Thomas Nelson Publishers, 1983), 202.

8 Francis Brown, S. R. Driver and C. A. Briggs, Hebrew and English Lexicon of the Old Testament (Oxford: Clarendon Press, [1906] 1951), 956; Paul H. Seely, “The Firmament and the Water Above. Part I: The Meaning of raqia‘ in Gen. 1:6–8,” Westminster Theological Journal 53 (1991): 227–40. Bien qu’en fin de compte une herméneutique concordiste, dans les versions bibliques évangéliques, soutienne la traduction de raqîa‘ comme signifiant “étendue”, les termes “étendue” et “expansion” apparaissent avec ce nom et un mot apparenté dans un des glossaires hébraïques le plus respecté et utilisé (Brown, Driver and Briggs above). Toutefois, les entrées lexicales montrent clairement qu’il est fait référence à des structures solides. Je suppose que la confusion vient en partie du fait que le mot anglais “expansion” signifiait communément une “surface étendue” plate à deux dimensions (comme un pont d’expansion) en 1906, année de publication de ce glossaire. Mais depuis ce temps, il a évolué d’un point de vue conceptuel pour dénoter un espace tri-dimensionnel.

9 Voir Luis I. J. Stadelmann, The Hebrew Conception of the World (Rome: Biblical Institute Press, 1970); Paul H. Seely, Inerrant Wisdom: Science and Inerrancy in Biblical Perspective (Portland: Evangelical Reformed, Inc., 1989), 32–7; John H. Walton, Ancient Near Eastern Thought and the Old Testament: Introducing the Conceptual World of the Hebrew Bible (Grand Rapids: Baker Academic, 2006), 165–78; Lloyd R. Bailey, “The Cosmology of the Ancient Semites,” dans son ouvrage Genesis, Creation and Creationism (New York: Paulist Press, 1993), 172–85; Stanley Jaki, Genesis 1 through the Ages (New York: Thomas More Press, 1992), 275–9.

10 D’autres versets insinuent la solidité du firmament, parmi eux : Exod. 24:10; 2 Sam. 22:8; Job 26:11; Ez. 1:22, 25–26; 10:1; et Dan. 12:3.

11 Pour la littérature, voir note 9 et Paul H. Seely, “The Firmament and the Water Above. Part II: The Meaning of ‘The Water Above the Firmament’ in Gen. 1:6–8,” Westminster Theological Journal 54  (1992): 31–46.

12 En fait, le mot hébreu pour “tonnerre” (qol) signifie “voix“.

13 D’autres versets induisent l’idée de la mer céleste, parmi eux : Gen. 7:11; 2 Rois 7:2, 19; Apo. 4:10.

14 Le Coran a également une compréhension à trois niveaux du cosmos: “Et c’est Lui qui a créé les cieux et la terre en six jours, – alors que Son trône était sur l’eau, – afin d’éprouver lequel de vous agirait le mieux.”  (Sourate 11 Hud. Verset 7).