Article 4 sur un total de 4 pour la série :

Le théisme ouvert


Introduction

Merci à Bruno pour cette série d’articles sur les rapports entre contingence, libre-arbitre, déterminisme et action de Dieu.  Bruno nous explique ici en quelques mots ce qu’est le « théisme ouvert ». Je rappelle qu’il ne s’agit pas pour notre association Science et Foi de prendre parti en faveur du « théisme ouvert » (nos croyances fondamentales sont résumées dans la rubrique « ce que nous croyons« , et les différents membres de l’association peuvent avoir des opinions différentes) , mais de prendre connaissance de ce que c’est, et de laisser chacun se faire un avis. N’hésitez donc pas à exprimer des opinions divergentes sur ce sujet. Les réactions de qualité à propos du « théisme calviniste » ont, je l’espère, permis à plusieurs d’y voir plus clair à propos des enjeux et des difficultés soulevés par ces questions. (Benoit Hébert)

Pourquoi le modèle du théisme ouvert ? (Bruno Synnott)

Nous sommes maintenant rendus à explorer une troisième voie dans le théisme évangélique, une voie présente depuis une vingtaine d’année appelée « théisme ouvert » (voir l’introduction de la série). Nous avons vu dans le dernier post que le théisme « arminien » reprend et adapte les éléments du théisme « calviniste » au profit – nous semble-t-il – d’une plus grande liberté humaine et d’une plus grande sensibilité divine interagissant avec l’homme. Or selon le théisme « ouvert », des nuances supplémentaires s’imposent; il faut pousser à sa limite cette théologie qui accepte pleinement la contingence et la liberté à la fois de Dieu et de l’homme.

Tout comme le théisme arminien (voir l’article précédent), le théisme « ouvert » reconnaît la possibilité que Dieu puisse changer ses plans en cours de route, répondant au libre-choix des humains[1]. Mais pour le théisme ouvert un pas de plus est franchi : Dieu ne connaîtrait pas entièrement le futur puisque ce dernier, en devenir, n’existerait pas encore. Plutôt, Dieu édicterait les règles générales et la structure dans lesquels toutes créatures évoluent. Dans ce cadre, il interagirait avec l’humain et prendrait des risques, rendant l’humain capable, par sa grâce prévenante, de répondre librement – ou non – à son invitation à faire sa volonté. On peut parler d’un théisme « néo-arminien »..

Les prophéties

Les prophéties sont un argument classique pour montrer que Dieu connaît d’avance le futur. Comment le théisme ouvert comprend t-il les prophéties si le futur n’est pas entièrement connu ?

Réponse: Non pas comme des prédictions inévitables, mais comme des appels au changement[2]. Un exemple de cela se trouve dans les prophéties de jugement d’Amos, dans lesquels le prophète est non seulement chargé d’annoncer les jugements de Dieu, mais aussi de prier et d’intercéder en faveur du peuple (voir Amos 7. 1-3). Le but n’étant pas la destruction arrêté et fixé d’avance du peuple, mais sa repentance. Ainsi, même malgré ses annonces de jugements futurs, Dieu accorderait à son peuple le pouvoir, soutenu par la grâce, de changer sa destinée. En réaction à la liberté humaine, Dieu pourrait à tout moment changer ses plans en fonction de la réponse de son peuple, faisant de la prière et de la repentance un réel agent de changement.

Oui, mais qu’en est-il des prophéties messianiques ; Dieu n’a-t-il pas prévu exactement à l’avance ce qui adviendrait de Jésus-Christ ?

Réponse: Dans ce cas, les prophéties messianiques pourraient se comprendre non pas comme venant d’un Dieu qui « pilote toute chose » en direction d’un futur déjà prédéterminé. Mais comme provenant d’un Dieu qui montre sa toute-puissance en annonçant des événements voulues qui se réaliseraient  dans le cadre d’une contingence et d’une liberté réelle. Cela rend encore plus admiratif de la toute-puissance divine ! (C’est la position de J. Sanders qui dit en gros dans The God who Risks, que les prophéties messianiques font moins appel à une prescience plutôt qu’à sa volonté: Il dit:  » But this (the messianic predictions) does not require exhaustive foreknowledge of all future contingencies. Rather, it requires the ability to bring about what you said you would do, and God has such power »[4].

Le théisme « ouvert » va ÉGALEMENT plus loin que le théisme « arminien » en questionnant ses notions traditionnels de prescience et de temps et d’omnipotence.

Le temps :

La façon traditionnelle de concevoir le temps ressemble à un bloc monolithique spacio-temporel créé par Dieu, que Dieu peut cerner de toute part. Or la science moderne montre que le temps est plutôt un continuum ou une succession, c’est-à-dire un « processus qui se déroule en continu dans un monde en « vrai devenir ».  « The continuous unfolding process of a world of true becoming » disait John Polkinghorne, un théiste « ouvert » à propos de sa notion du temps).

Augustin dans ses Confessions demandent à Dieu de lui expliquer la nature du temps (livre 6, ch 23-24). Augustin comprend que pour Dieu le temps ne se limite pas au mouvement des corps. Il saisit que le temps, pour Dieu, est toujours au présent et qu’en étant unis à Dieu notre conscience du temps change radicalement. Ainsi le temps et l’espace (l’espace/temps) créé serait un « toujours présent » pour Dieu, comme un bloc intemporel qu’il peut saisir entièrement (6,31) puisqu’au-dessus du temps.

Cette nature du temps (en bloc) est contesté par le théisme ouvert. Le temps se conçoit comme un processus en devenir, quelque chose de dynamique, et non un bloc figé depuis l’éternité. Dans cet optique, le théisme ouvert questionne :

  1. Le caractère « intemporel » de Dieu qui, de sa position élevée, verrait parfaitement le passé, le présent et le futur.
  2. La prescience divine. Comment Dieu pourrait-il avoir une prescience complète et arrêtée du futur alors qu’il n’est pas encore une réalité ontologique, et n’est pas encore quelque chose qui existe ?

La prescience :

Arminius, dans la foulée du molinisme, croyait que Dieu connaissait à l’avance l’issue de toutes choses, mais sans toutefois les déterminer. Il y a quelque chose d’important à souligner ici. Nous avons déjà vu qu’Arminius croyait que la foi des élus, connue à l’avance, précédait leur prédestination. Il croyait que la prescience divine ne brimait en rien la contingence et qu’elle était parfaitement incompatible avec le libre-arbitre[3].

Dans le théisme « ouvert », Dieu est omniscient dans un sens différent. On ne dit pas que Dieu a une connaissance « limitée » du futur, ou qu’il ne serait pas Tout-Puissant à connaitre le futur. Mais puisque que Dieu choisit de respecter un monde qu’il veut réellement libre et contingent, il auto-limite sa connaissance. Il est omniscient au sens qu’il connait tout ce qui peut être connu. Si ce futur n’existe pas, et qu’il n’est pas encore réel, alors il ne fait donc pas partie des choses connaissables. Ne pas connaître ce qui n’existe pas n’est pas une limitation en Dieu. 

Pour le théisme ouvert, connaître parfaitement le futur d’une façon complète ne signifierait-il, en fin de compte, que tout est déjà arrêté et déterminé ? Quelles sont les alternatives alors si le futur ne peut être entièrement connu – étant contingent et en devenir – ?

Réponse: Dieu aurait le pouvoir d’anticiper les futurs contingents possibles et donc de n’être jamais surpris ou pris au dépourvu.

L’omnipotence divine

De même, on dira de Dieu qu’il est omnipotent (ou Tout-puissant) dans les limites de ce qu’il décide de faire. Dieu pourrait-il, par exemple, créer une roche qu’il ne pourrait pas soulever, et ce faisant contredire sa toute-puissance ? J’imagine que cela ne fait pas partie de ce qu’il veut faire; pourquoi le ferait-il et pourquoi le voudrait-il ? En créant un monde où la contingence et la liberté existe indépendamment de Dieu (incompatibilisme), Dieu pourrait avoir librement renoncé à exercer une micro-gestion de tout ce qui existe. Son auto-limitation ne serait pas de nature, elle serait librement décrétée.

Un autre argument contre l’idée d’un Dieu « intemporel » irait comme suit : comment un être intemporel pourrait-il interagir avec des humains vivant dans un cadre spatio-temporel, sans être lui-même participant de ce cadre? Selon le principe des la communication des attributs, Dieu a parfaitement expérimenté la réalité terrestre et temporel dans la personne de Jésus.  Dans le même ordre d’idée, suivant la doctrine de la kénose (Philippiens 2) ou auto-limitation de Dieu, on pourrait penser que Dieu décide de vivre dans le monde temporel de manière temporelle, comme il a vécu avant la fondation du monde dans le monde intemporel de manière intemporel. Le théisme ouvert conçoit Dieu entrant et expérimentant volontairement le temps qu’il a créé.

Comment le théisme ouvert répond t-il au dilemme du départ ?

Dieu est omniscient et Tout-puissant. Or il décide volontairement de limiter 1/son omnipotence pour permettre une réelle contingence, et 2/ son omniscience pour que le futur soit réellement « ouvert » selon les choix de l’homme. Si Dieu le décide ainsi, c’est à cause de son amour. C’est par amour qu’il choisit d’auto-limiter sa Toute-puissance et son omniscience pour laisser une authentique liberté aux humains. Le théisme « ouvert » invite à délaisser l’idée d’un Dieu « parfait » au sens de la philosophie grecque : intemporel, impassible et immuable etc. Oui, Dieu a pu vivre l’omniscience et l’omnipotence dans le monde intemporel. Mais il choisit maintenant volontairement de s’adapter à sa création dans le monde temporel.

Avec quelle vision de Dieu le théisme ouvert nous laisse-t-il donc ? La solution proposée par John Sanders dans son livre The God who risks est appelé l’omniscience dynamique :

Dieu connaît tout le passé, le présent et le futur potentiel. Il anticipe tout ce qui peut arriver de contingent, selon le libre-choix des humains. Il est donc Tout-Puissant dans les limites qu’il donne à sa Toute-Puissance. Il est omniscient dans les limites de ce qui existe (le futur n’est pas encore réel).

Mais l’essentiel n’est peut-être pas encore dit. Cette auto-limitation ou kénose s’enracinerait dans l’amour de Dieu, essence principale de Dieu. Dans le prochain post à venir, nous réfléchirons aux implications de parler d’une essence principale en Dieu – l’amour –  duquel tous les autres attributs pourrait découler.

Notes


[1] 2 Rois 20; Ge 6,6; Ex 32, Am 7.4ss;

[2] Nous vous recommandons chaudement un livre : Osée, c’est osé! (2013) écrit par Marc Paré aux Éditions Mennonites

[3] Contrairement au théisme traditionnel, c’est une prescience non-coercitive.

[4] John Sanders, The God who Risks (2007), InterVarsity Press, p. 134


4 Articles pour la série :

Le théisme ouvert