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Le sens théologique de l'évolution


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Comprendre le début à la lumière de la fin : Réflexions eschatologiques restituant le sens théologique de l’évolution

PARTIE 3 :

 

Donner un sens théologique à l’évolution à la lumière d’une herméneutique eschatologique

3. Elle nous aide à rendre compte théologiquement de l’existence de la mort comme étant intrinsèque à la création.

 

Sur la base de preuves obtenues auprès d’un large éventail de domaines de la science, les scientifiques contemporains déduisent que la mort est un événement naturel, intrinsèque à toute vie de créature. En outre, la mort n’est pas un phénomène relativement récent dans l’histoire de la création, mais existait bien avant l’arrivée des êtres humains et remonte à l’émergence de la vie cellulaire simple il y a environ 3,5 milliards d’années. En outre, l’univers lui-même est en fait fini et s’en va vers une fin prévisible. Polkinghorne observe qu’en fin de compte,

l’univers entier est condamné à la futilité, soit à cause de l’effondrement dans un « Big Crunch », soit à cause de la lente désintégration en radiations de faible intensité se refroidissant pour toujours.

Ainsi,

si les choses continuent comme elles l’ont été, il est sûr que toutes les formes de vie à base de carbone n’auront été rien d’autre qu’un épisode transitoire dans l’histoire de l’univers.[1]

En outre, notre propre soleil, dont toute vie sur Terre dépend pour son existence, a une durée de vie limitée (encore environ cinq milliards d’années).[2]

 

Ainsi, il semble que le monde que Dieu a créé est fini et mortel, il aurait besoin d’être délivré de la décomposition, de la corruption et de périr. Comme je l’ai déjà dit, une partie du travail de l’Esprit pour attirer les êtres humains vers leur couronnement eschatologique consiste à transformer ce qui est périssable en ce qui est impérissable. De plus, la création elle-même attend cette délivrance. Comme l’écrit Paul de la création, « qu’elle aussi sera affranchie de la servitude de la corruption, pour avoir part à la liberté de la gloire des enfants de Dieu », alors qu’entre-temps « nous savons que, jusqu’à ce jour, la création tout entière soupire et souffre les douleurs de l’enfantement » (Rom. 8:21-22). Le salut comprend la transformation de la mortalité en immortalité ; or l’immortalité est un don et un but, et non une dotation propre aux êtres humains, possédée dès le début de leur existence.[3] Cette idée peut atténuer une partie du malaise que ressentent les chrétiens lorsqu’ils considèrent l’omniprésence universelle de la mort tout au long de l’histoire de la création. Cependant, d’autres problèmes subsistent, dont trois que je vais aborder maintenant brièvement.

 

Premièrement, certains considèrent l’omniprésence de la mort dans l’histoire de l’évolution comme un gaspillage, un non-sens, un découragement voire une raison de déprimer. Mais c’est ne voir que le verre à moitié vide. En effet, une telle perspective oublie la beauté et la diversité de la vie que le processus d’évolution a rendu possible. Une fleur n’est pas gaspillée parce qu’elle finit par flétrir et mourir ; son flétrissement et sa mort sont une partie nécessaire du cycle de la vie – ensemencement. L’incroyable variété des créatures à travers les âges a été une source de joie et de plaisir pour Dieu, même si de nombreuses espèces ont disparu depuis longtemps et ne sont connues que par les fossiles. En outre, la vision « à moitié vide » de la mort dans l’histoire de l’évolution néglige l’étonnante persistance de la vie, malgré l’incroyable improbabilité de son émergence[4].

 

Les scientifiques ont observé que l’émergence de la vie nécessite un réglage extrêmement fin de l’univers, si statistiquement improbable que nous nous émerveillons à juste titre. C’est au point de se demander si nous existons réellement et habitons bien un tel univers. Ainsi, à la lumière de ce fait remarquable, la vraie question qui réclame explication n’est pas « pourquoi les êtres vivants meurent-ils ? », mais bien plutôt « pourquoi l’univers est-il si biaisé en faveur de la vie ? » Comme le déclare Moltmann, l’évolution ne raconte pas une « guerre de la nature » mais le triomphe de la vie ![5] Théologiquement, ce qui explique le triomphe de la vie est la présence et le souci eschatologique de l’activité de l’Esprit de Dieu.

 

Deuxièmement, pour beaucoup de gens, l’omniprésence de la mort soulève de graves questions sur la bonté de Dieu et l’intégrité morale de la création. L’existence de la souffrance, de la mort et de l’extinction naturelle de tant de créatures vivantes semble simplement être moralement inacceptable. Le sens moral que l’Écriture donne de la mort est complexe. Parfois, et en particulier lorsqu’elle est liée au péché humain, la mort est considérée comme une grande tragédie, le jugement de Dieu sur la dépravation humaine (par exemple, Rom. 1:32 ; 5:12 ; 6:16, 23 ; 7:5, 11 ; 8:2 ; Jacques 1:15 ; Apoc. 21:8) et le dernier ennemi à détruire (1 Cor. 15:26 ; cf. 1 Tim. 2:10 ; Apoc. 21:4). À d’autres moments, cependant, on suppose que la mort fait naturellement partie de l’ordre créé.[6] L’Ecclésiaste exprime bien cela : « Pour toute chose, il y a une saison et un temps pour toute matière sous le ciel : un temps pour naître, et un temps pour mourir… » (3:1ff.). Le Psalmiste écrit :  » L’homme! ses jours sont comme l’herbe, Il fleurit comme la fleur des champs. Lorsqu’un vent passe sur elle, elle n’est plus, Et le lieu qu’elle occupait ne la reconnaît plus  » (Ps. 103:15). L’auteur de l’Ecclésiaste part du principe que tous les peuples attendent un destin commun : « même sort pour le juste et pour le méchant, pour celui qui est bon et pur et pour celui qui est impur, pour celui qui sacrifie et pour celui qui ne sacrifie pas », tous pareils, partent vers « le séjour des morts » où « il n’y a ni œuvre, ni pensée, ni science, ni sagesse  » (Eccles. 9:2, 10).[7]

 

Dans ces passages, la mort est présentée en termes négatifs comme une tragédie pour les êtres humains, non pas en raison de son lien avec le péché et le jugement, mais parce qu’elle représente une crise existentielle : elle éteint les espoirs et les rêves humains et constitue la fin de l’activité mentale. Le psalmiste proteste auprès de Dieu :  » Car celui qui meurt n’a plus ton souvenir; Qui te louera dans le séjour des morts? (Ps. 6:5). Ecclésiaste 9, 4-6 se lamente,

mais les morts ne savent rien, et il n’y a pour eux plus de salaire, puisque leur mémoire est oubliée. Et leur amour, et leur haine, et leur envie, ont déjà péri; et ils n’auront plus jamais aucune part à tout ce qui se fait sous le soleil..

La mort n’est pas tragique simplement parce qu’elle est la fin de la vie en général ; la mort est tragique parce qu’elle est la fin de l’identité d’une personne. La mort des créatures non humaines, y compris les ancêtres (préhumains) des êtres humains modernes, n’est pas tragique dans le même sens, ou au même degré, que la mort humaine.[8] La mort en tant que phénomène naturel ne devient moralement pertinente qu’avec l’émergence de l’identité individuelle, parce qu’elle menace l’existence personnelle, et non pas la simple existence comme créature. Il est certain que les êtres humains ont beaucoup en commun avec les autres êtres vivants. Comme toutes les autres créatures, ils sont animés par le souffle de vie et sont moulés à partir du même matériau biologique, les éléments de base de la vie, et avec les autres créatures du sixième jour (Gen. 1:24-26), ils sont produits à partir de la poussière de la terre (Gen. 2:7). Comme le dit Ray Anderson, « Les créatures forment un ensemble indifférencié duquel surgit l’événement humain ».[9] Théologiquement, cependant, les humains sont uniques ; par le dessein, l’appel et l’alliance de Dieu, ils transcendent la simple créature et existent en tant que personnes faites à l’image et à la ressemblance de Dieu. Avec l’émergence des personnes humaines, la mort gagne en importance existentielle et éthique. La vie et la mort posent désormais aux êtres humains des questions ultimes sur leur nature, leur but, leur vocation et leur destin.

 

Pour comprendre la pertinence morale et spirituelle de la mort, unique aux êtres humains, considérons une analogie : la sexualité. Comme la mort, la sexualité ne devient moralement et spirituellement pertinente qu’avec l’émergence de la personne. Pour les créatures non humaines, la sexualité n’est pas une question morale, éthique ou existentielle ; c’est simplement une fonction biologique de l’existence de la créature. Cependant, pour les êtres humains faits à l’image de Dieu, la sexualité n’est pas simplement une fonction biologique de l’existence comme créature. Elle est désormais profondément intégrée à l’identité de la personne, et donc à la subjectivité, à la dignité personnelle, à l’identité individuelle et sociale, aux relations interpersonnelles et à l’éthique, et à la spiritualité (devenir « une seule chair », comme le dit Gen. 2:24).

 

La bonne nouvelle de l’Évangile est que le Fils de Dieu est devenu l’un de nous, entrant dans notre forme humaine périssable et subissant notre sort.[10] Ainsi, Dieu traite le problème de la souffrance et de la mort en y entrant par la personne de Jésus-Christ, dont la mort sur la croix en solidarité avec l’humanité et la résurrection du tombeau nous donne l’espoir eschatologique d’une vie éternelle dans la nouvelle création. La Bible nous offre, non pas une rationalisation de l’existence de la souffrance et de la mort, mais la promesse de la résurrection en union à Christ. Ainsi, elle nous offre une espérance eschatologique.[11]

 

Troisièmement, la Bible, en particulier Paul, enseigne une perspective sur la mort qui semble contredire ce que la science nous dit sur l’histoire de l’évolution. Selon Paul, dans des passages tels que Romain 5 et 1 Corinthiens 15, la mort est entrée dans le monde par le péché d’Adam, que Paul dépeint comme étant le premier homme vivant (avec sa femme Ève, la première femme vivante). Dans les interprétations évangéliques traditionnelles, Paul fait appel à la création et à la chute d’Adam et Ève pour expliquer l’universalité du péché basée sur la solidarité de tous les êtres humains avec Adam et son état de péché, entraînant la mort. La science moderne soulève au moins deux problèmes avec la compréhension évangélique traditionnelle (plus ou moins littérale) de ce passage. Tout d’abord, comme nous l’avons vu plus haut, la science moderne a démontré au-delà de tout doute raisonnable que la mort existait bien avant l’émergence des êtres humains. Deuxièmement, les constatations à partir du génome indiquent que la population humaine originale était composée d’au moins plusieurs milliers d’individus ; nous ne descendons pas tous d’un seul couple humain originel.[12]

 

Un certain nombre de chercheurs bibliques ont fait face aux implications de la science évolutionniste moderne en ce qui concerne le caractère historique et le sens théologique d’Adam et ève.[13] Denis Lamoureux soutient que la Genèse enseigne des vérités théologiques sous des formes culturelles d’une autre époque (science et cosmologie anciennes). Cela permet à Lamoureux de conserver des principes théologiques importants, tels que l’universalité du péché humain, tout en se passant d’un Adam et Ève historique. Si l’approche globale de Lamoureux est très utile, sa rhétorique tend malheureusement ici à suggérer que ce qui importe vraiment c’est le « noyau » de la vérité théologique dans le texte, et non la « coquille » de sa forme culturelle-textuelle. Ainsi, Lamoureux érige (peut-être involontairement) une fausse dichotomie entre la forme et le contenu.[14] Je suis d’accord avec John Collins pour dire que « la vision du monde n’est pas une abstraction de l’histoire ; on ne peut pas traiter l’histoire simplement comme l’enveloppe, que nous rejetons ensuite une fois que nous avons découvert les concepts (peut-être intemporels) ». Ces concepts ne font que « tirer leur force de leur place dans l’histoire ».[15] Les déclarations de Lamoureux sur l’accommodation divine sont bien meilleures, car elles expliquent que « la Bible est la Parole de Dieu délivrée par les paroles des humains » (p. 69).[16] Tant la forme que le contenu sont cruciaux pour ce que Dieu fait dans la révélation, même si nous devons ensuite appliquer des outils herméneutiques pour saisir aujourd’hui le sens du texte.

 

Collins défend la position selon laquelle Adam et Ève étaient des personnes historiques dont le péché constituait une « chute » historique, qui a causé la condition universelle du péché humain (souvent appelée dépravation en théologie). Toutefois, pour rendre compte des résultats de la science contemporaine (à savoir l’ascendance commune à partir des formes préhumaines, l’émergence des êtres humains modernes il y a au moins 40 000 ans et une population humaine originale de plusieurs milliers de personnes), il propose qu’Adam et Ève étaient « à la tête de la race humaine » en tant que chef et reine d’une tribu humaine originale.[17] Bien que le point de vue de Collins soit utile dans la mesure où il vise à prendre la science au sérieux, sa proposition est victime de deux séries de faiblesses. D’une part, les littéralistes bibliques la rejetteront parce qu’elle prend trop de libertés avec le texte. Ils ont raison ; Collins tente explicitement de conserver l’historicité de la création et de la chute d’un Adam et Ève littéral, mais il va clairement au-delà du récit avec sa solution de tribu originale. De l’autre côté, les tenants d’interprétation littéraire critiqueront Collins pour ne pas être allé assez loin dans l’appréciation des récits comme littérature théologique plutôt qu’historique.[18]

 

Peter Enns rejette une interprétation littérale-historique d’Adam et Ève au profit d’une interprétation théologico-littéraire. Pour Enns, Adam est un personnage littéraire, proto-israélite et proto-chrétien.[19] Il soutient que Paul lit l’histoire d’Adam (et l’Ancien Testament en général) de manière théologique afin d’expliquer le sens de la mort et de la résurrection du Christ.[20] Ainsi, « la compréhension que Paul a d’Adam est façonnée par Jésus, et non l’inverse ». De même, en ce qui concerne le péché et le salut, « la solution révèle le problème », et non l’inverse.[21] Tremper Longman III préconise également une vision littéraire, qui classe Genèse 1-3 comme « récit en prose de haut niveau ». Par conséquent, Longman estime qu’il n’est pas nécessaire de considérer Adam comme historique pour rester fidèle au texte.[22] Concernant des passages tels que Romains 5 et 1 Corinthiens 15, Longman suggère que la stratégie interprétative de Paul consistait à employer une analogie historico-littéraire. Il cite en l’approuvant la déclaration de Conor Cunningham selon laquelle « Paul n’interprétait pas l’histoire [de la Genèse] en elle-même et pour elle-même ; il interprétait réellement le Christ par l’utilisation d’images tirées de l’histoire ».[23]

 

À mon avis, Adam et Ève sont des personnages théologico-littéraires auxquels Paul se réfère par analogie (en accord avec Longman et Enns). Comment alors expliquer l’universalité du péché ? Collins affirme que seule une lecture historique de la création et de la chute d’Adam peut préserver les doctrines chrétiennes du péché originel, l’universalité du péché (dépravation humaine) et, par extension, certains aspects de la sotériologie chrétienne[24]. Ainsi, une question lancinante persiste : pourquoi Adam a-t-il péché?[25] Cette question est particulièrement troublante si l’on considère que la situation d’Adam était, selon la lecture traditionnelle, beaucoup plus idéale que la nôtre. Dans la vision traditionnelle, Adam avait un parent parfait (Dieu lui-même !), une épouse parfaite, une constitution physique et psychologique parfaite, et un environnement naturel et social parfait dans lequel tous ses besoins étaient amplement satisfait. Compte tenu de cela, je suggère que c’est en fait plus difficile pour le point de vue traditionnel pour expliquer pourquoi Adam a péché que pour ceux qui sont d’accord avec un Adam théologico-littéraire pour expliquer pourquoi les êtres humains pèchent universellement. Il est possible d’observer que tous les êtres humains souffrent des effets d’un « péché d’origine » (auquel tous sont asservis, incapables de se libérer) sans qu’il soit nécessaire de recourir à la doctrine augustinienne du « péché originel » (une chute à l’aube de l’histoire humaine ).[26]

 

Dans la vision théologico-littéraire, Adam est l’humanité pécheresse.[27] Comme l’explique F. F. Bruce,

Ce n’est pas simplement parce qu’Adam est l’ancêtre de l’humanité que tous sont censés avoir péché dans son péché (sinon, il faut soutenir que parce qu’Abraham croyait en Dieu, tous ses descendants étaient automatiquement impliqués dans cette croyance); c’est parce qu’Adam est l’humanité.[28]

La force de l’argument de Paul dans son appel à Adam n’est pas d’ancrer historiquement l’universalité du péché, mais de l’illustrer en décrivant la solidarité humaine dans le péché (en Adam). Il utilise l’illustration au service de son objectif plus large, qui est de fonder le salut des êtres humains en Jésus-Christ, ce salut étant universel dans sa portée (d’où la typologie Adam-Christ), mais particulier dans son application (le « grand nombre » dans Romains 5), car il est approprié par la foi. Ainsi,

L’effet de la comparaison entre Adam et le Christ n’est pas tant d’historiciser l’Adam originel que de faire ressortir la portée singulière du Christ historique

dit James Dunn.[29]

 


Notes

[1] Polkinghorne, Science and the Trinity, 85-6, 144.

[2] Ibid., 143.

[3] La vie éternelle intrinsèque est proprement et uniquement un attribut de Dieu ; toute vie créée est une vie contingente. Nous vivons « sur un souffle emprunté », comme le dit éloquemment David Kelsey (Kelsey, Eccentric Existence, première partie).

[4] Voir Peacocke, Theology for a Scientific Age, 106-12 ; Polkinghorne, Science and the Trinity, 68-72 ; Miller, Only a Theory, 121.

[5] Jürgen Moltmann, Sun of Righteousness, Arise! God’s Future for Humanity and the Earth (Minneapolis, MN : Fortress, 2010), 218. Voir aussi Alexander, Creation or Evolution, 73-92, et les articles utiles de Dennis Venema : « From Variation to Speciation« , parties 1-4, Evolution Basics : A New Introductory Course on Evolutionary Biology, https://biologos.org/articles/series/evolution-basics  traduits en dans leur première version en français pour Science & Foi :  https://scienceetfoi.com/ressources/evolution-expliquee-dennis-venema/

[6] En outre, Peters note que la mort peut être interprétée à la lumière soit de la loi, soit de l’évangile. Selon la loi, c’est notre juste mérite d’avoir agi de façon pécheresse. Selon l’Évangile, c’est un don qui ouvre la porte à une vie éternelle libre des souffrances que nous subissons dans cette vie. (Peters, God : The World’s Future, 323)

[7] La mort est également décrite en termes de repos ou de sommeil (par exemple, Ps. 13:3 ; 90:5 ; Dn. 12:2).

[8] Cela ne signifie pas que nous devons être complaisants ou complices de la souffrance inutile des animaux. L’argument clarifie plutôt le fondement sur lequel repose la responsabilité humaine à l’égard des animaux. Nous devrions nous soucier et avoir de la compassion pour les animaux, non pas parce qu’ils possèdent une dignité intrinsèque (les animaux ne sont pas des « personnes »), mais parce que nous en avons. Maltraiter les animaux et les autres parties non humaines de la création de Dieu, c’est porter atteinte à la noblesse et à la dignité des êtres humains et déformer leur vocation d’intendants, de prêtres et de jardiniers. Ces comportements sont indignes et inconvenants.

[9] Ray S. Anderson, On Being Human : Essays in Theological Anthropology (Eugene, OR : Wipf & Stock, 2010), 21. Anderson explore ce thème tout au long du deuxième chapitre du livre.

[10] Jürgen Moltmann donne une expression classique à ce thème dans The Crucified God : The Cross of Christ as the Foundation and Criticism of Christian Theology (Minneapolis, MN : Fortress Press, 1993).

[11] Jürgen Moltmann, Theology of Hope: On the Ground and the Implications of a Christian Eschatology (Minneapolis, MN : Fortress, 1993), 161-3, 203, 213, 224-9.

[12] Dennis R. Venema, « Genesis and the Genome« , 166-78.

[13] C. John Collins propose une typologie utile de quatre approches de base pour interpréter la Genèse. Voir son article, « Adam and Eve as Historical People, and Why It Matters », Perspectives on Science and Christian Faith 62, non. 3 (2010) : 149.

[14] Par exemple, il écrit : « Notre défi en tant que lecteurs modernes de la Bible est donc d’identifier ce vaisseau ancien [science ancienne] et de le séparer, et non pas le confondre avec le message de foi qui a changé la vie. De même, « les passages de l’Écriture qui traitent du monde physique comportent à la fois un message de foi et une science ancienne accessoire ». Ainsi, il suggère que « si l’évolution est vraie, alors il n’y a aucune raison pour que les récits des origines bibliques ne puissent pas être réadaptés pour notre génération en utilisant la science évolutionnaire moderne comme un vaisseau accessoire pour transporter les messages de la foi dans Gen. 1-3 ». Voir Lamoureux, I love Jesus, 18, 69. Le problème ne réside pas dans la suggestion de Lamoureux selon laquelle nous devons réfléchir sur le contexte ancien de manière herméneutique afin de discerner son (ses) message(s) originel(s). C’est certainement ce que nous devons faire. Mais cela ne signifie pas que le « vaisseau » de la science ancienne soit « accessoire » au message du récit. Une telle démarche semblerait suggérer que nous pourrions (théoriquement) réécrire la Genèse en substituant la science moderne à la science ancienne sans rien perdre dans le récit. Je crains que cette distinction ne rende pas compte de toute la richesse (ou « épaisseur ») de ce qui se passe sur le plan théologique dans le texte, précisément dans et par (pas seulement malgré) le « vaisseau antique » qui est sa forme.

[15] Collins, « Adam et Eve« , 150.

[16] Sur l’importance théologique de ce point pour notre compréhension de la nature de l’Écriture, voir John Webster, Holy Scripture : A Dogmatic Sketch (Cambridge : Cambridge University Press), 21-5.

[17] Collins, « Adam et Eve« , 159-60.

[18] Par exemple, Peter Enns, The Evolution of Adam: What the Bible Does and Doesn’t Say About Human Origins (Grand Rapids, MI: Brazos, 2012).

[19] Dans son livre, The Evolution of Adam, Enns consacre beaucoup d’attention à la lecture que fait Paul de l’histoire d’Adam dans des passages tels que 1 Corinthiens 15 et surtout Romains 5. Ce qui est unique dans l’approche d’Enns, c’est qu’il soutient que si Paul croyait qu’Adam était une personne historique, nous n’avons pas à suivre Paul à cet égard. Nous pouvons prendre le point de vue théologique de Paul sur l’universalité du péché et le besoin conséquent de tous les peuples pour le salut en Christ sans accepter l’explication de Paul sur la cause historique de la condition humaine pécheresse.

[20] Selon Enns, Paul utilise des stratégies littéraires et des pratiques interprétatives typiques du judaïsme du Second Temple. Ainsi, « Paul ne se sent pas lié par le sens originel du passage de l’Ancien Testament qu’il cite, d’autant plus qu’il cherche à faire un point théologique essentiel sur l’Évangile » (Évolution d’Adam, 103). Enns poursuit la démonstration de cette thèse en passant en revue plusieurs exemples de lecture théologique de l’Ancien Testament par Paul à la lumière du Christ (2 Cor. 6:2 et Isa. 49:8 ; Gal. 3:11 et Hab. 2:4 ; Rom. 11:26-27 et Ésa. 59:20 ; et Rom. 4 et Gen. 15:6). De plus, Enns note que Paul, dans ses réflexions sur la création et la chute d’Adam, va bien au-delà de l’enseignement de la Genèse et de l’Ancien Testament dans son ensemble. En fait, l’Ancien Testament accorde peu d’attention à Adam et ne fait pas le lien entre le péché humain universel, la mort et la condamnation et le péché d’Adam. Enns, Evolution of Adam, 81-2. Sur ce point, voir aussi Westermann, Genese 1-11, 276-8.

[21] Enns, Evolution of Adam, 122, 131.

[22] Tremper Longman III, « What Genesis 1-2 Teaches (and What It Doesn’t), » in Reading Genesis 1-2 : An Evangelical Conversation, ed. J. Daryl Charles, 122-5. Les premiers chapitres de la Genèse sont difficiles à classer en termes de genre, car ils ne semblent être ni purement historiques ni purement métaphoriques. Westermann affirme qu’ils ne sont pas de la « chronologie historique » mais plutôt des « événements primitifs » (Westermann, Genese 1-2, 275-8). Brueggemann commente que son « exposition insistera sur le fait que ces textes ne doivent être considérés ni comme de l’histoire ni comme des mythes ». Nous insistons plutôt sur le fait que le texte est une proclamation du traitement décisif de la création par Dieu » (Brueggemann, Genese, 16).

[23] Cité dans Longman, « What Genesis 1-2 Teaches« , 124.

[24] Perry Yoder souligne que l’abandon du péché originel lié à une chute historique cause peu de difficulté pour les mennonites et autres traditions qui croient que les enfants naissent dans un état d’innocence et n’atteignent qu’ensuite un âge de responsabilité. Perry Yoder, « Will the Real Adam Please Stand Up ! », Perspectives on Science and Christian Faith 58, no. 2 (2006) : 99.

[25] Dans la théologie calviniste traditionnelle, Adam a péché parce que Dieu lui a refusé sa grâce salvatrice et a ainsi passivement rendu le péché d’Adam indisputable (cette hypothèse est posée afin d’harmoniser la souveraineté de Dieu avec le problème du péché originel sans pour autant attribuer le mal à Dieu). Pour apporter le salut, Dieu appelle alors activement et efficacement les élus, les justifie puis progressivement les sanctifie dans l’amour et la sainteté. Je ne suis pas personnellement attaché à cette perspective calviniste ; ce que je lui trouve utile, toutefois, elle aide à comprendre que nous ne pouvons pas devenir pleinement humains (en termes de destin ultime de Dieu pour nous) sur la base de notre propre mérite ou de nos propres forces et capacités. Pour devenir pleinement humain dans ce sens, il faut l’œuvre rédemptrice du Christ et l’œuvre sanctifiante et perfectionnante de l’Esprit qui nous attire vers l’aboutissement eschatologique achevant notre transformation dans la gloire.

[26] Voir les arguments de Murphy, « Roads to Paradise« , 111.

[27] En outre, la plupart des chercheurs soutiennent que les premiers chapitres de la Genèse lus à la lumière de leur contexte original dans l’Ancien Testament visent principalement à expliquer l’existence d’Israël – sa vocation, son but et sa mission – en reconnaissant que Yahvé, qui a délivré Israël d’Égypte dans l’Exode, est, en fait, le seul et unique Dieu, le Seigneur souverain sur toutes les nations et Créateur de tous les peuples. Comme l’écrit Westermann, « l’action de Dieu, dont Israël a fait l’expérience au cours de son histoire, s’étend à l’ensemble de l’histoire et au monde entier » ; et « la raison pour laquelle ce chapitre se trouve au début de la Bible est que toutes les actions ultérieures de Dieu – ses rapports avec l’humanité, l’histoire de son peuple, l’élection et l’alliance – peuvent être vues dans le cadre plus large de son œuvre dans la création » (Westermann, Genese 1-2, 65, 195).

Wenham exprime un point de vue similaire : Il est clair que les Genèse 1-11 servent simplement de toile de fond à l’histoire ultérieure des patriarches, et leur histoire est à son tour une toile de fond à l’histoire de l’exode d’Israël depuis l’Egypte et à la loi donnée au Sinaï qui fait l’objet de l’Exode au Deutéronome. (Wenham, Genèse 1-15, xlv) Ou, selon Brueggemann, le texte n’est pas une déclaration abstraite sur l’origine de l’univers. Il s’agit plutôt d’une déclaration théologique et pastorale adressée à un problème historique réel. Le problème est de trouver un fondement à la foi en ce Dieu, alors que l’expérience de la Babylone du sixième siècle semble nier le règne de ce Dieu. (Brueggemann, Genese, 25)

[28] F. F. Bruce, Tyndale Commentary on Romans (Leicester : InterVarsity Press, 1963), 160 ; cité dans R. J. Berry, « Adam or Adamah ? », Science and Christian Belief 23, no. 1 (2011) : 41.

[29] James D. G. Dunn, Romains 1-8, Commentaire biblique Word 38A (Dallas, TX : Word, 1988), 290.

 


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