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Le récit d'Adam a-t-il une fonction étiologique


 

INTRODUCTION

« L’intention de Genèse 3 nous parait étiologique : rendre compte de la présence du mal dans un monde dont l’extrême bonté/beauté avait réjoui le Créateur (Gen 1.31). »[1] (Henri Blocher)

La question abordée maintenant est de savoir si Genèse 3 a une fonction « étiologique » au sens où l’intention de l’auteur fut celle de donner une explication sur le point d’origine du mal dans le monde. Nous ne doutons pas que Genèse 3 éclaire sur l’origine du mal chez tous les hommes, depuis le premier jusqu’au dernier. Mais dans le dernier livre « Adam, où es-tu? » Henri Blocher et Matthieu Richelle croient que ce récit, bien qu’imagé et symbolique, renvoie à un événement historique vrai : « le texte prétend à une dimension étiologique et historique : il ne fait pas de doute que l’auteur présente Adam et Ève comme des personnages ayant réellement existé »[2].

Nous dirons dans cette série que Ge 2-3 n’est pas étiologique au sens d’expliquer la cause exacte et historique de la première faute. D’ailleurs, comme l’affirme H.Blocher, cette faute à eu lieu en des temps qui « ne pouvait pas laisser de traces assez durables pour être encore repérables aujourd’hui »[3] ou comme M. Richelle le dit, celle-ci a eut lieu « dans un passé inatteignable » [4]. Selon nous, Ge 2-3 est étiologique au sens où le récit enseigne que le mal n’est pas originaire, mais qu’il advient dans le monde par un acte de volonté depuis le premier homme. Nous développerons cela lentement.

La compréhension de l’histoire

Il est difficile de savoir si la conclusion de Richelle et Blocher découle d’une saine exégèse biblique ou de leur présupposé herméneutique ? On sait que les professeurs de la Faculté de Vaux-Sur-Seine, à laquelle appartiennent Henri Blocher et Matthieu Richelle doivent confesser la doctrine de l’inerrance biblique . Cette doctrine présuppose que la bible ne contient aucune erreur dans ses affirmations théologiques et spirituelles (ce que nous reconnaissons) mais aussi dans le domaine scientifique et historique (ce que nous contestons). Dire que le texte raconte le récit historique de la faute est-elle la conclusion ou le point de départ de leur investigation ?

Nous avons pour notre part renoncé au concordisme scientifique et historique après avoir lu les travaux exégétique de Paul Ricoeur, de Denis Lamoureux (évangélique canadien) et Peter Enns (évangélique américains) et après avoir été initié à la littérature du Proche Orient Ancien (POA)[5] dont faisait partie les hébreux. Les travaux de Peter Enns ont été très éclairants pour comprendre comment la Parole de Dieu est « contextualisé » dans la culture de ses auditeurs (voir par exemple Inspiration & Incarnation). Il n’y a comme évangélique plus de gêne à accepter que le genre littéraire du prologue biblique (Ge 1-11) puisse emprunter librement plusieurs de ses motifs aux mythes du POA sans chercher à les valider historiquement, mais en cherchant plutôt à les adapter aux visées théologiques, liturgiques, polémiques et pédagogiques et même politique qu’ils ont.

La grande difficulté du concordisme historique  – qui recherche d’harmonisation avec l’histoire naturelle –  est de prouver que l’auteur sacré (ou les différentes couches rédactionnelles inspirées) avaient cette préoccupation étiologique et historique que nous avons aujourd’hui. Cette conception concordiste du texte biblique semble découler davantage d’un présupposé herméneutique fondamentaliste que d’une sérieuse exégèse biblique, quoiqu’en dise Matthieu Richelle, qui trouve dans le texte l’attestation d’un « fond historique »[6], même si cela contrevient à la compréhension de l’histoire telle que les écrivains bibliques de Genèse 1-11 la comprenaient (voir spécialement le 3/7 de la série).

La création comme un saint temple

Les écrivains bibliques se préoccupaient davantage des vérités théologiques et existentielles qui découlaient des actions de Dieu que de leur description factuelle et objective. « La vérité ne se limite pas à l’exactitude de la mesure scientifique… même si le texte repose sur une information scientifique caduque, il ne perd pas sa vérité anthropologique et théologique »[7]. Genèse 1 par exemple montre la création comme un temple saint avec laquelle Dieu fait alliance et sur laquelle il établit son Règne. Il est probable aussi, comme le souligne MR, que « Au moins une partie de la description du jardin d’Eden et de ce qui s’y produit s’explique par une volonté de le présenter comme le prototype des temples… »[8].

La vérité dépasse largement l’exactitude scientifique ou historique. Genèse 1 montre que Dieu règne sur une création avec laquelle il fait alliance et sanctifie le 7e jour. Dans cet esprit, Genèse 2-3 montre que l’homme fait office de prêtre dans ce saint temple qu’est la création, et qu’il est appelé à y exercer un saint sacerdoce (Ex 19). D’ailleurs les mots « garder » et « cultiver » qui sont utilisé pour décrire le travail d’Adam seront les mêmes employés plus tard pour qualifier le travail des prêtres dans le temple. La perspective est plus théologique que scientifique.

La réécriture des mythes anciens

Les mythes anciens sont donc librement revus et démythologisés au profit d’une nouvelle compréhension de l’histoire de la part des hébreux. Les événements relatés dans le prologue de Genèse, comme la création du monde et de l’homme, les anges qui convoitent les femmes (Ge 6), le déluge, et la tour de Babel faisaient déjà partie de la culture générale bien avant la venue des Hébreux. Ces mythes (manière de penser la réalité) étaient connus au travers des récits fondateurs du POA présents dans les temples païens. Ainsi les récits bibliques du prologue n’avaient pas du tout la prétention d’apporter un jugement critique sur l’historicité de tels événements. Impossible d’ailleurs pour eux d’avoir un regard objectif sur ces histoires remontant à la nuit des temps. Leurs intentions est plus modeste : se réapproprier ses récits, les soumettre à une démythologisation et finalement les mettre au service de leur propre système théologique et cultuel.

Conclusion

HB affirme que l’auteur de Genèse 3 a voulu renvoyer à un événement historique précis. Cela cause plusieurs problèmes.

1. Cela présupposerait que l’auteur inspiré ait eu la même compréhension de l’histoire que nous, c’est-à-dire celle de raconter des faits réels, documentés, datables.

2. De plus, cela présupposerait que ces auteurs aient eu à leur disposition des moyens humains de s’assurer que leur récit, bien qu’en apparence symbolique et figuré, soit sans erreur au plan historique. Gros contrat, si on s’accorde avec Henri Blocher à faire remonter le premier homme à il y a plus ou moins 40 000 ans, « avant le néandertalien » dit Blocher[9], et sachant que les généalogies de Genèse 5 et 11 sont « volontairement incomplète » dit Richelle.

Plusieurs grosses questions demeurent donc en suspend. D’abord le présupposé de l’inerrance historique et scientifique. Deuxièmement sur le présupposé concordiste chez les auteurs sacrés. Troisièmement la conception historiciste de l’inspiration. Si les auteurs humains écrivent des choses historiquement et scientifiquement sans avoir aucune possibilité de vérifier par eux-mêmes la véracité de tels événements, nous venons presque de tuer l’humanité des Écritures Saintes et, en parallèle, la raison humaine.

 

 


[1] Henri Blocher, l’homme pécheur et appelé au salut, dans Adam, qui es-tu?, p.160

[2] Matthieu Richelle, Adam, qui es-tu?, p.63

[3] Idem p. 167

[4] Idem, p. 41

[5] Voir Par exemple: Lamoureux (2008) Lessons from the Heavens : On Scripture, Science and Inerrancy, Perspective on Scien and Christian Faith, Vol 60, Number 1, March 2008

[6] Matthieu Richelle, Adam, qui es-tu?, p.63

[7] Jean-Michel Maldamé (2010) La Genèse face à la science, p. 11

[8] Matthieu Richelle, Adam, qui es-tu?, p.36

[9] Henri Blocher (1989), Révélation des origines, PBU, dans l’annexe


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