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Introduction (Science & Foi)

Darwin a-t-il tué Dieu ALister McGrathSuite à une récente discussion sur le blog, nous publions un extrait à propos du statut de la science tiré du livre d’Alister McGrath Darwin a-t-il tué Dieu ? que nous avons traduit et qui est une réponse au best-seller Pour en finir avec Dieu du biologiste et athée militant Richard Dawkins.

Bonne lecture, n’hésitez pas à vous procurer l’ouvrage pour poursuivre la réflexion. Alister McGrath est un docteur en biophysique et en théologie  qui débat régulièrement avec Dawkins sur les rapports science et foi avec beaucoup de respect, il est un auteur avec une bibliographie impressionnante, mais dont peu d’ouvrages sont malheureusement encore disponibles en français.

Marc Fiquet

La science réfute-t-elle l’existence de Dieu ?

Une idée se cache derrière les pages de Pour en finir avec Dieu  [de Richard Dawkins] : la conviction omniprésente que la science réfute l’existence de Dieu. Si vous vous obstinez à croire en Dieu, vous n’êtes qu’un obscurantiste, un réactionnaire superstitieux refusant d’admettre les avancées triomphantes de la science qui a su écarter Dieu des moindres lacunes de notre compréhension de l’univers. L’athéisme est la seule alternative si vous êtes une personne sérieuse, progressiste et réfléchie.

Mais ce n’est pas si simple, et pratiquement tous les spécialistes des sciences naturelles à qui j’en ai parlé en sont conscients. Nous avons déjà relevé que Stephen Jay Gould refusait toute équation hâtive entre l’excellence scientifique et les convictions athées. Comme nous le fait remarquer Gould dans Et Dieu dit : « Que Darwin soit ! », livre basé sur les opinions religieuses de biologistes évolutionnistes de renom :

 Soit la moitié de mes collègues sont parfaitement idiots, soit la science du darwinisme est pleinement compatible avec les croyances religieuses traditionnelles, tout autant qu’avec les convictions de l’athéisme[1].

Comme je l’ai déjà mentionné dans Le Dieu de Dawkins, son point de vue est juste et largement accepté : la nature peut être interprétée de manière théiste ou athée, mais n’impose aucune des deux. Pour la science, ce sont deux options intellectuelles valables.

Le fait que le biologiste évolutionniste américain le plus reconnu puisse affirmer une telle chose met Dawkins hors de lui. Comment ose-t-il ? ! Dawkins écarte les propos de Gould sans leur accorder une quelconque attention.

Je ne crois pas un instant que Gould ait pu penser un tant soit peu ce qu’il disait dans Et Dieu dit : “Que Darwin soit !”[2] .

Cette affirmation subjective est la seule réponse de Dawkins. Mais cela ne suffit pas. Car Gould a tout simplement formulé le point de vue largement répandu selon lequel il n’existe pas de limites à la science. Au grand dam de Dawkins, la même idée est reprise par Martin Rees dans son excellent ouvrage intitulé Our Cosmic Habitat, où il déclare (de manière tout à fait raisonnable) que certaines questions se situent « en dehors du domaine de la science[3] ». Puisque Rees est le président de la Royal Society qui rassemble les meilleurs scientifiques du Royaume-Uni, ses remarques méritent qu’on y accorde une attention particulière.

« La science est confrontée à une question essentielle : comment expliquer une réalité hautement complexe, aux multiples facettes et niveaux ? Ce problème fondamental de la connaissance humaine a été le sujet de maints débats parmi les philosophes scientifiques, mais aussi souvent ignoré par ceux qui, pour des raisons personnelles, veulent représenter la science comme l’unique moyen d’accéder à la vraie connaissance. Par-dessus tout, la question coupe l’herbe sous les pieds de ceux qui voudraient employer des discours simplistes et se baser sur des « preuves » ou des « réfutations » scientifiques pour parler de sujets tels que le sens de la vie ou l’existence de Dieu. Les sciences naturelles s’appuient sur des conclusions inductives qui consistent à « évaluer les faits et à en mesurer la probabilité, et non à prouver[4] ».

À tous les niveaux de tentatives humaines d’explication du monde qui nous entoure, nous trouvons des propositions rivalisant les unes avec les autres, que ce soit pour la physique quantique ou pour ce que Karl Popper intitule « les questions ultimes » de sens.

Par conséquent, aux grandes questions de la vie (dont certaines sont scientifiques), nous ne pouvons donner de réponses définitives. Qu’importent les observations, elles peuvent toutes être justifiées par plusieurs théories. Pour employer le jargon de la philosophie scientifique : les théories sont sous-déterminées par les faits. La question se pose donc : quels critères nous permettent de trancher entre ces diverses théories, surtout lorsqu’elles sont « empiriquement équivalentes » ? La simplicité ? La beauté ? La discussion fait rage et reste insoluble. Le résultat est parfaitement prévisible : les questions demeurent sans réponse. Il ne peut y avoir de « preuve » scientifique aux questions ultimes. Soit nous ne pouvons les résoudre, soit nous devons puiser la solution ailleurs que dans la science.

Les limites de la science ?

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Les NOMA et les POMA

Cette brève considération des limites de la science nous conduit à accorder une place légitime aux sciences naturelles, à la philosophie, à la religion et à la littérature dans la recherche humaine de la vérité et du sens de la vie. Ce point de vue est largement adopté dans la culture occidentale, et même dans bon nombre de cercles de la communauté scientifique. Cependant, il ne fait pas l’unanimité au sein de celle-ci. Le terme peu reluisant de « scientisme » est apparu pour désigner ces spécialistes des sciences naturelles, tels que Dawkins, qui refusent d’admettre toute limite à la science[12]. La question est soulevée à plusieurs endroits dans Pour en finir avec Dieu, particulièrement lorsqu’il critique le concept de NOMA (non-overlapping magisteria, c’est-à-dire magistères sans chevauchement) de la science et de la religion, proposé par Stephen Jay Gould.

D’après Gould, le « magisterium de la science » traite du « domaine de l’empirique », tandis que le « magisterium de la religion » traite des « questions de sens ultime » (le terme magisterium peut être assimilé à une « sphère d’autorité » ou un « domaine de compétence »). Gould soutient que ces deux magistères ne se recoupent pas. Je pense qu’il a tort. Dawkins est du même avis, mais pour des raisons différentes. Pour lui, il n’existe qu’un seul magistère, la réalité empirique. C’est la seule réalité possible. L’idée même que la religion puisse exprimer un point de vue sur quoi que ce soit est inadmissible.

 Pourquoi les scientifiques s’inclinent-ils aussi lâchement devant les ambitions des théologiens sur certaines questions alors que ces derniers ne sont pas plus qualifiés qu’eux pour y répondre[13] ?

C’est un bel exemple de rhétorique, mais il n’effleure même pas le problème que Gould soulève à juste titre, sans pour autant le résoudre correctement.

Car il existe bien sûr une troisième voie : celle des « magistères se chevauchant partiellement » (partially overlapping magisteria ou POMA), qui témoigne de l’enrichissement mutuel possible entre la science et la religion, en raison de l’interprétation de leurs sujets et de leurs méthodes. Un défenseur indéniable de ce point de vue est Francis Collins, un biologiste évolutionniste qui dirige le célèbre Human Genome Project. Collins parle d’une « harmonie amplement satisfaisante entre les visions scientifique et spirituelle du monde[14] ». « Les principes de la foi et ceux de la science, poursuit-il, sont complémentaires. » Nous pourrions aisément citer d’autres scientifiques dans des domaines divers qui partagent, à peu de chose près, le même avis. Dans mon propre projet de « théologie scientifique », j’étudie la façon dont la théologie peut tirer des leçons de la méthodologie des sciences naturelles, en explorant et en développant ses idées[15]. Ce concept des « magistères se chevauchant » est implicite dans la philosophie du « réalisme critique », qui actuellement apporte un éclairage intéressant sur le rapport entre les sciences naturelles et sociales[16].

Il ne s’agit pas ici de renvoyer Gould et Dawkins dos à dos, comme si leurs deux points de vue étaient les seules options intellectuelles possibles. Parfois, Dawkins semble penser qu’en discréditant Gould, il conforte sa propre opinion. En réalité, Gould et Dawkins ne représentent que deux points de vue dans un large éventail de possibilités déjà reconnues parmi les scientifiques. Les insuffisances de l’un comme de l’autre nous incitent à les examiner de plus près à l’avenir.

Voir la fiche du livre 


Notes

[1].    Gould, « Impeaching a self-appointed judge ». Pour une étude plus exhaustive de ces questions, voir Stephen Jay Gould, Rock of Ages : Science and Religion in the Fulness of Life, Londres, Vintage, 2002.

[2].    Dawkins, Pour en finir avec Dieu, p. 78.

[3].    Pour retrouver la réponse nerveuse de Dawkins qui ne traite pas la question, voir Pour en finir avec Dieu, p. 76.

[4].    Je tire mes propos d’une des meilleures sources récentes sur la question : Peter Lipton, Inference to the best explanation, 2e éd., Londres, Routledge, 2004, p. 5.

[12].  Voir par exemple la discussion révélatrice dans Luke Davidson, « Fragilities of scientism : Richard Dawkins and the Paranoid idealization of science », Science as Culture, vol. 9, 2000, p. 167-199. La meilleure étude de ce phénomène jusqu’à présent est celle de Mikael Stenmark, Scientism : Science, Ethics and Religion, Aldershot, Ashgate, 2001. Dawkins et E.O. Wilson sont présentés ici comme les principaux meneurs du mouvement. Dawkins ne se considère pas lui-même comme « étroitement scientiste » (Pour en finir avec Dieu, p. 202).

[13].  Dawkins, Pour en finir avec Dieu, p. 77.

[14].  Notre traduction ; Francis S. Collins, The Language of God : A Scientist Presents Evidence for Belief, New York, Basic Books, 2006, p. 6. Éd Française : De la génétique à Dieu, Presses de la Renaissance.

[15].  Pour une introduction, voir Alister E. McGrath, The Science of God, Londres, T&T Clark, 2004.

[16].  Voir surtout Roy Bhaskar, The Possibility of Naturalism : A Philosophical Critique of the Contemporary Human Sciences, 3e éd., Londres, Routledge, 1998.