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« Élément de contrôle » kezako ?

Un élément de contrôle est un terme tiré des sciences pour désigner ce qui permet de tester la pertinence d’un modèle. Est-ce qu’il y a un exemple où la science moderne permettrait de choisir une interprétation du récit fondateur de Genèse 2-3 plutôt qu’une autre ?

 

L’interprétation d’Augustin de Genèse 2-3

En fait, oui. D’abord mentionnons que l’interprétation de Ge 2-3 est assez unanime depuis Augustin dans la tradition chrétienne occidentale. Une interprétation devenue « l’exégèse biblique » pour plusieurs. Elle présente Adam créé en état de sainteté, en communion parfaite avec Dieu et placé dans un jardin paradisiaque où la mort est absente, même dans le monde animal.  Or rien dans les récits bibliques ne l’affirme explicitement. On le déduit seulement en lisant le texte à travers les lunettes augustiniennes, elle-même teintées par son arrière-plan philosophique et préscientifique du monde.

 

L’interprétation d’Irénée de Lyon

Avant Augustin, un Père de l’église, Irénée de Lyon (voir la Prédication Apostolique) faisait une lecture différente des récits fondateurs. Il avait une compréhension plus naturelle d’Adam, et étonnamment en phase avec ce que la science moderne peut reconnaître. Pour Irénée, bien que sans péché et dans un état d’innocence, l’Adam dépeint dans le récit est au stade d’enfance. Loin d’être arrivé, il est appelé à la sainteté, i.e. à la ressemblance de Jésus qui devait venir. Irénée ne croyait pas non plus qu’Adam était immortel de nature, mais seulement s’il demeurait attaché à Dieu. Il écrit que la ressemblance n’était « qu’un commencement » chez Adam.

 

Retour au texte biblique

D’ailleurs, si on fait l’effort, on remarquera que plusieurs indices dans le texte biblique vont dans ce sens. Le narrateur établit une relation étroite entre les hommes et les animaux, malgré une distinction radicale par rapport à son élection et à son image. Le narrateur surprend Ève au milieu d’une conversation intime ou familière avec le serpent ; on se questionne dès lors sur l’absence d’Adam. On se questionne également sur la compréhension inadéquate d’Ève relativement au commandement de ne pas « toucher » l’arbre de la connaissance. Derrière ces paroles, on retrouve la notion de clôture de la loi, une loi pour en protéger une autre, qui est une forme de légalisme et de formalisme tant décriée par les prophètes et Jésus. Autre fait étonnant, c’est l’emploi du nom d’alliance « YHVH-ELOHIM » par le narrateur de Ge 2-3, alors qu’Ève parle de Dieu en employant le nom commun et générique « ELOHIM ».  Étonnant pour une personne en état de sainteté et de communion parfaite avec Dieu, non ?

 

Conclusion

En conclusion, entre l’interprétation augustinienne – classique en Occident –  du récit fondateur d’Adam, il y a aussi l’interprétation irénéenne qui ouvre la porte à une systématique bien différente. Une anthropologie ascendante et non descendante. Une vision de l’histoire du salut davantage synthétique que chronologique. Un monde en régime de création dans lequel l’humanité, bien qu’aliénée et errante, peut garder espoir qu’avec Dieu, en Jésus-Christ, elle réalisera pleinement sa vocation initiale et triompher du mal. Bref, la science comme « élément de contrôle » peut aider à choisir la meilleure des interprétations exégétiquement possibles de Ge 2-3.

 

 

Crédit illustration : Adam et Eve, Monument droits de l’homme à Paris, en France, 123rf.com/Wies?aw Jarek