Note du traducteur (B. Hébert):

Lors de ma dernière conférence à Bordeaux, un participant m’a posé la question de savoir si on pouvait connaître l’âge de l’humanité à partir de la population actuelle. J’ai traduit cet article pour lui répondre: à partir de la variation génétique de la population actuelle, on peut effectivement tirer des informations très importantes sur le passé….

L’article d’aujourd’hui a été écrit par les biologistes Dennis Venema et Darrel Falk.

http://biologos.org/blog/does-genetics-point-to-a-single-primal-couple/

La plupart des chrétiens qui se sont sérieusement penchés sur l’étude des génomes (la branche de la biologie qui compare les séquences d’ADN de différents organismes) l’ont fait parce qu’il voulait savoir si oui ou non, les espèces descendaient les unes des autres et partageaient un ancêtre commun. Par exemple, les hommes partagent-ils un ancêtre avec d’autres formes de vie comme le chimpanzé ?

A ce niveau, les preuves sont tout à fait convaincantes et peuvent être comprises par des non spécialistes. Par exemple, le génome humain comporte plusieurs gènes non fonctionnels, et la grande majorité de ces gènes défectueux est aussi présente dans le génome du chimpanzé aux mêmes endroits relatifs, avec des mutations identiques. Il est facile de comprendre ce type de preuves parce qu’elles sont qualitatives par nature.

Les chrétiens, même ceux qui acceptent l’existence d’un ancêtre commun sont pourtant moins nombreux à se poser la question de la taille de la population humaine et plus généralement des hominidés pendant l’histoire évolutive. Plus précisément, est-ce que la race humaine est issue d’un couple unique dans le passé récent ? Sommes-nous, comme l’écrit C.S. Lewis dans ses Chroniques de Narnia, les « fils d’Adam et les filles d’Eve ? » Existe-t-il des preuves génétiques suggérant que la race humaine descend d’un couple unique ? Les non spécialistes auront plus de mal à saisir les preuves permettant d’aborder cette question, parce que ces preuves sont d’ordre quantitatif.

L’étude des génomes peut nous permettre d’estimer la taille d’une population dans le passé en mesurant la variation génétique de la population actuelle. Les gènes existent sous des variantes différentes appelées allèles. Par exemple, les groupes sanguins ABO chez l’homme sont déterminés par trois allèles d’un même gène. Certains gènes existent sous des centaines de formes différentes dans la population humaine.

Pourtant, le point central à saisir est que chaque individu ne peut porter que deux formes différentes d’un même gène : une de son père et l’autre de sa mère. Ainsi, une population importante peut transmettre un grand nombre d’allèles (formes de gènes), mais une population qui passe par un « goulot d’étranglement »- avec seulement un petit nombre de survivants- ne pourra pas transmettre la plus grande partie de sa variation génétique aux générations futures.

Tenter de circonscrire le récit de la Genèse et l’ascendance commune des hommes en affirmant qu’un couple unique : Adam et Eve, ont été les géniteurs uniques de toute l’humanité, c’est biologiquement parlant affirmer  que la population humaine est passée par le plus petit goulot d’étranglement que l’on puisse imaginer chez une espèce utilisant la reproduction sexuée : la réduction à une paire unique.

Existe-t-il une preuve de l’existence d’un tel goulot d’étranglement ? Peter Enns a déjà traité la question de savoir si c’était la bonne question à se poser d’un point de vue biblique dans plusieurs articles sur le blog de la fondation biologos. La question nous intéresse ici d’un point de vue de la biologie.

Méthode I:

Les conséquences génétiques de l’existence d’un goulot d’étranglement suggéré par une lecture littérale de Genèse 2-3 seraient très restrictives: 4 formes d’un même gène au maximum  (pour chaque parent) pourraient être transmises par Adam et Eve. Le brassage génétique qui aurait lieu dans la population (nécessairement très petite) après le goulot d’étranglement produirait nécessairement la perte ultérieure de certains allèles. Pour résumer, l’impact génétique d’un tel évènement laisserait une trace indélébile sur le génome de cette espèce qui persisterait pendant des dizaines de milliers de générations parce que les mutations ne produisent que lentement de la diversité génétique au sein d’une population.

Nous pouvons alors utiliser cette information pour estimer le nombre minimum de gens qui ont pu exister à n’importe quel moment de l’histoire. Premièrement, nous nous posons la question de savoir combien il y a d’allèles différents dans une population actuelle pour un certain nombre de gènes. Connaissant la vitesse à laquelle de nouvelles formes de gènes apparaissent suite à des mutations, nous pouvons calculer le nombre minimum de personnes nécessaires pour rendre compte de la diversité génétique actuelle. De nombreuses études analysant différents gènes convergent toutes vers l’existence d’un goulot d’étranglement. Toutefois, ces études sont toutes très claires sur un point, ce goulot d’étranglement comportait plusieurs milliers de personnes, pas deux.

Méthode II:

Dans des articles précédents, nous avons parlé de certains fragments d’ADN portant le nom d’ « Alu », et ces segments peuvent s’insérer à plusieurs endroits du génome. Ainsi, les séquences « Alu » se présentent sous différentes formes, comme différentes marques de voitures –Ford, Toyota, etc. Il y a plusieurs milliers de familles d’ « Alu ».

Parlons simplement d’une de ces familles, que nous appellerons Ya5. Les membres de cette famille se sont insérés dans les chromosomes de l’homme à 57 endroits répertoriés. Si tous les hommes descendent d’une seule paire d’individu, tous les hommes devraient avoir ces 57 éléments à peu près aux mêmes endroits, puisque les membres individuels de la famille ne bougent pratiquement pas. Pourtant, la population humaine est composée de groupes de gens qui partagent certaines insertions, mais pas certaines autres. Ces groupes d’insertions partagés montre que la population humaine est effectivement passée par un goulot d’étranglement, mais ce goulot n’a pas pu être réduit à deux individus. En fait, cette ligne de preuve montre aussi qu’il a existé au moins plusieurs milliers de personnes au moment où la population était réduite à son minimum.

Cette méthode est très différente de la méthode I car elle ne dépend pas du taux de mutation, mais elle nous conduit à la même conclusion.

Méthode III:

Une troisième estimation indépendante fait appel aux résultats d’un travail concerté de recherche appelé le « HapMap project ». Le génome de l’homme comporte 3 milliards de bits d’information (le terme officiel est un nucléotide). Les bits entre deux individus différents diffèrent en bien des sites, ce qui est bien entendu la raison pour laquelle nous ne sommes pas tous identiques.

Dans le HapMap project, un million de ces différences ont été analysées en observant ce qu’on appelle le « déséquilibre de relation (linkage) ». Les détails techniques de cette étude sont au-delà des ambitions de cette discussion, mais pour vous donner une idée de la façon dont ça fonctionne, imaginez que vous avez un gène des yeux bleus et un autre pour un doigt tordu, que vous avez tous les deux hérités de votre père. Supposez que ces deux gènes sont situés dans le même « voisinage » sur le chromosome 2. Parce que ces gènes sont proches l’un de l’autre, la probabilité pour que votre frère hérite de l’allèle du doigt tordu est très forte s’il a aussi reçu celui des yeux bleus. Ce sont des gènes voisins sur le chromosome 2. Pourquoi en est-il ainsi ? Les groupes de gènes dans le même voisinage sur un chromosome sont généralement transmis ensemble. Les allèles qui sont très proches sur les chromosomes ont tendance à rester ensemble pendant beaucoup de générations avant d’être « mélangés » par un processus appelé recombinaison.

Supposons maintenant que quelqu’un analyse votre ADN ainsi que celui de votre frère dans une double expérience, en aveugle. En examinant les résultats, l’enquêteur serait capable de dire : « Je parie que ces deux personnes sont apparentées. » Et il aurait raison.

Imaginez que vous soyez capable de faire cela, pas seulement pour deux différences, mais pour un million de différences à la fois, et pas seulement pour deux personnes, mais pour beaucoup de personnes dans le monde entier. En utilisant cette approche, il est possible de dire combien de gens ont donné naissance à toutes les combinaisons dominantes de différences. En bref, nous sommes capables de dire si deux personnes ont donné naissance à tous dans les 200 000 dernières années. Alors, qu’en est-il ?

Ce n’est pas le cas.

Cette troisième méthode indépendante des deux premières nous apprend que les hommes font tous partie de la même famille, mais que nous ne sommes pas issus d’un seul couple. Nous sommes reliés à une population de plusieurs milliers de personnes avec leurs milliers de combinaisons de ces millions de différences génétiques.

Voici maintenant le coeur de la démonstration. Si vous n’avez à votre disposition qu’une seule méthode pour faire un tel calcul, il y peut-être une bonne raison de rester quelque peu septique. Peut-être avez-vous fait une erreur dans le raisonnement mathématique, peut-être vous êtes vous appuyé sur une hypothèse erronée. Pourtant, si vous faites votre calcul en utilisant deux approches totalement différentes, en utilisant des méthodes avec des hypothèses complètement différentes, et que chaque méthode vous donne la même réponse, vous devenez convaincu que ce résultat est valide. Si trois méthodes convergent, c’est la cerise sur le gâteau.

Voici où en est l’état de nos connaissances en ce qui concerne la taille de la population humaine dans le passé. Il y a eu un goulot d’étranglement. A un moment de l’histoire, il est probablement resté quelques milliers de personnes vivantes (nous ignorons si elles vivaient dans un seul village). Pourtant, ce n’était pas que deux personnes. Notre espèce a divergé en tant que population. Les données sont très claires sur ce point.

Addendum:

Si vous vous posez la question de savoir commune “l’Eve mitochondriale” ou l’”Adam Y-chromosomique” entrent dans le scénario, consultez ces articles BioLogos FAQ.

  1. Relethford, JH. 1998. Genetics of modern human origins and diversity. Annu. Rev. Anthropol. 27: 1-23.
  2. Tenesa A, Navarro P, Hayes BJ, Duffy DL, Clarke GM, Goddard ME, Visscher PM. 2007. Recent human effective population size estimated from linkage disequilibrium. Genome Res. 17:520–526. (available free here)
  3. Sherry ST, Harpending HC, Batzer MA, Stoneking M. 1997. Alu evolution in human populations: using the coalescent to estimate effective population size. Genetics 147:1977-1982. (available free here)
  4. http://hapmap.ncbi.nlm.nih.gov/index.html.en