Article 2 sur un total de 3 pour la série :

La foi est-elle naturelle ?


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Justin Barrett

Dans un premier article, nous avons résumé quelques points saillants de la conférence de Justin Barrett, chercheur à l’Université d’Oxford en « Science Cognitive des Religions » (SCR).

Voir ici sa fiche Wikipédia.

Il en est clairement ressorti que les enfants, et très certainement les adultes ont une tendance naturelle à la foi en une divinité créatrice, super intelligente et immortelle, ce qui résonne fortement avec l’affirmation biblique que Dieu a placé dans le cœur de l’homme la « pensée de l’éternité » (Ecclésiaste 3)

Pour la suite de notre compte rendu, je vous propose une traduction quasi-intégrale des propos de Barrett, pour que vous puissiez en profiter au maximum !

Benoit Hébert


Maintenant que vous avez une idée de ce qu’est la science évolutive et cognitive des religions, est-ce un problème pour la foi chrétienne ?

En tant que scientifique chrétien dans ce domaine, mon avis est que la plupart, sinon la totalité des tensions supposées entre le christianisme et la science cognitive des religions est plus une question de perception que de réalité. Pour des raisons de temps, je ne défendrai pas le fait que la science en général est compatible avec le christianisme. J’en suis convaincu.

La SCR dépend fortement de la psychologie évolutive et de l’anthropologie et je prendrai pour acquis, plutôt que démontrerai, qu’une certaine version du Darwinisme est également compatible avec le christianisme et une foi dans l’autorité de la Bible. J’aimerais plutôt répondre à certaines préoccupations que j’entends chez des chrétiens concernant la SCR, et montrer que les craintes de menaces envers la foi sont plus une question de perception qu’une réalité.

Parlons du réductionnisme, de sa pratique et de son implication pour la SCR

Analyser un phénomène complexe à partir de ses différents constituants est une approche courante en science. Il n’y a à priori rien de mal à cela…Pourquoi ma voiture s’est-elle arrêtée ? Parce qu’une fuite d’huile à conduit à une lubrification insuffisante et les pièces mobiles ont ainsi trop chauffé et le moteur s’est arrêté. Nous analysons le tout en termes de ses différents constituants pour comprendre le fonctionnement global. Il n’y a rien de mauvais ou d’anti-chrétien dans cette sorte de réductionnisme.

Le danger ne réside donc pas dans la tactique méthodologique de réduction mais dans l’extrapolation métaphysique consistant à affirmer qu’un niveau d’explication est entièrement réductible à un autre, et qu’ainsi le niveau qui a été réduit est sans signification, ou non réel et est ainsi éliminé (merci à Bob McCauley d’avoir fait la distinction entre réductionnisme et « éliminativisme réductif »)

En tant que science, la SCR pratique le réductionnisme méthodologique. Elle tente de comprendre le phénomène culturel/religieux en regardant « par terre » aux dynamiques psychologiques fondamentales. En faisant cela, il ne faut pas conclure que le niveau culturel est soudainement sans importance ou fictif. Quand un scientifique va jusque-là et procède à cette élimination au nom du principe de parcimonie ou « rasoir d’Ockham », les défenseurs des niveaux culturels et religieux ont raison de protester. Cette élimination n’est pas nécessaire.

Deplus, certains chrétiens craignent que de décrire une dynamique qui conduit à des croyances et des pratiques religieuses en termes de dynamique cognitive élimine en quelque sorte la réalité de Dieu ou d’autres entités super naturelles. Bien que certains scientifiques cognitifs des religions semblent croire que ce soit le cas, cette supposition n’est pas tellement différente de mener une étude sur la psychologie de l’amour maternel et conclure que les mamans n’aiment pas réellement leurs enfants. Certains scientifiques cognitifs veulent faire ce pas éliminatoire, mais d’autres, dont le philosophes des sciences et pionnier des SCR, Bob McCauley, s’est battu à juste titre contre cette tendance.

La SCR emploie une sorte de naturalisme méthodologique. C’est-à-dire que, lorsqu’il s’agit d’expliquer les comportements et les pensées religieuses, nous essayons de voir jusqu’où peuvent aller les explications sans supposer l’existence d’entitées surnaturelles. A ce niveau, le naturalisme méthodologique ne suppose pas qu’il n’y a pas de dieux, de fantômes, d’ancêtres….mais nous restons agnostiques à propos de leur existence et jusqu’où nous pouvons aller sans faire de suppositions métaphysiques, dans un sens comme dans un autre.

Vous pensez peut-être que de refuser de reconnaître l’existence de réalités surnaturelles est une limite sérieuse de la SCR. C’est une limite, mais cela permet à des chercheurs de différentes opinions et visions du monde, de collaborer et trouver des explications sur lesquels ils s’accordent. Ces explications peuvent alors être augmentées ou amplifiées par des communautés religieuses spécifiques, dont les chrétiens. Aucune explication scientifique n’est absolument complète.

Les scientifiques cognitifs des religions comme Mc Cauley et moi-même ont argumenté sur le fait que les prédilections cognitives naturelles rendent attractives les pensées et les pratiques religieuses pour la plupart des gens dans la plupart des lieux tout au long de l’histoire humaine. Les facultés cognitives ordinaires produisent des intuitions cohérentes avec la foi.

Les chrétiens ne doivent pas avoir peur de la SCR. Les conflits supposés sont soit triviaux, ou plus souvent de l’extrapolation métaphysique de scientifiques (et de non scientifiques) qui travaillent dans le domaine et ne font pas partie des éléments centraux et non négociables de l’entreprise de ce domaine d’investigation.

En réalité, Je crois qu’il existe des points de convergence intéressants entre le christianisme et la SCR dont il est rarement fait mention. Je n’en mentionnerai que quelques-uns.

A suivre…


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