Article 4 sur un total de 5 pour la série :

La doctrine du péché originel peut-elle s'écrouler ?


Partie 4 : Genèse 2-3, un récit de conversion ?

Le serpent avons-nous expliqué dans la partie 3, représente bien le symbole de toutes forces hostiles – spirituelles ou terrestres – qui tentent l’humanité depuis le début et l’éloignent de la volonté divine. Le serpent est le prototype des tentations d’Israël et de celles de tous les humains.

Mais que faisait-il là dans le jardin pour tenter l’homme ? Pourquoi Dieu le laisse-t-il faire ? Il serait totalement fou de présumer un mauvais dessein de la part de Dieu. Il n’est pas pervers au point de faire éprouver sa créature terrestre par Satan le chef des anges déchus en personne ? S’il y avait eu une longue préparation, un entraînement sérieux, quelques avertissements, une relation personnel solide, j’aurais compris. Mais hormis quelques gloses des Pères de l’église, le texte reste largement muet.

De toute manière, on pourrait se demander: Si Satan s’était rebellé de sa position angélique en tant que pur esprit, comment était-il possible qu’un être de terre nouvellement créé puisse résister et contrecarrer une tentation si machiavéliquement préméditée ?

Dans cette optique, la réponse la plus logique fut celle d’Augustin : de prétendre qu’Adam était en parfaite communion avec Dieu et qu’il avait la grâce divine pour résister à Satan. Et dans ce cas, on doit confesser que la faute/désobéissance fut entièrement le fait de l’homme et on doit plier le genoux au pessimiste anthropologique augustinien. Mais est-ce réellement ce que l’on découvre dans le récit adamique ?

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Dans le dernier billet, nous avons commencé à montrer les indices bibliques qui démontrent clairement que l’auteur de Ge 2-3 avait une perspective et une anthropologie beaucoup plus réaliste et terre-à-terre qu’Augustin (pour faire un mauvais jeu de mot). Dans l’histoire de l’église, le premier grand théologien occidentaux, Irénée de Lyon, avait lui aussi adopté une conception plus réaliste.

Voici une courte mais efficace synthèse de l’anthropologie réaliste d’Irénée[1].

  • Dieu a créé toute chose bonne, mais non parfaite. Toute chose créée n’est pas divine, et donc tombe en deçà de la perfection.
  • Adam et Ève n’était pas l’aboutissement de la création, mais le commencement. Dieu avait quelque chose de plus grand en vue : Christ. C’est lui qui devait récapituler l’humanité, c’est-à-dire littéralement lui « donner une tête » et donc mener à sa perfection.
  • Adam et Ève étaient comme de petits enfants encore immature, devant grandir pour atteindre la perfection. Ils n’avaient pas encore le parfait usage de leurs facultés.
  • L’expérience du mal et de la désobéissance n’est pas une tragédie fatale. Dieu le permet comme faisant partie de leur processus de maturation, afin qu’en faisant l’expérience du mal, ils puissent apprendre à discerner entre les deux, et choisissent le mal et non le bien[2]. Toutefois, en désobéissant, Adam et Ève se condamnent à rester imparfait. C’est pourquoi Dieu les fera mourir, pour les libérer de cet état afin qu’ils puissent vivre pour Dieu[3].

L’avantage d’une telle position anthropologique, c’est de voir que nos premiers parents, sans être pécheurs par nature, ne sont pas créés avec une pleine connaissance de Dieu. Leur connaissance de Dieu et d’eux-mêmes était naïve et instinctive. Normal. Comment connaître le cœur de Dieu sans avoir expérimenté sa grâce ? C’est ce que le récit va mettre en scène.

Précédemment dans cette série nous avons souligné l’absence d’une réelle communion entre l’homme et Dieu. Nous avons noté comment la femme fait référence à Dieu en utilisant uniquement le nom générique « Élohim » et non le nom d’alliance (YHVH). Elle saisit mal le commandement divin (« vous n’y toucherez pas » !). Personnes ne consulte/prie Dieu devant la tentation. Nous ne retrouvons aucune trace de dialogue. De plus, nous avons noté l’absence d’une réelle communion entre l’homme et la femme; il n’y a aucun dialogue de relater entre les deux, et que la femme semble plutôt séduite par les propos du serpent.

 

Cela est d’autant plus évident lorsqu’on voit l’état final du récit de Ge 2-3. L’homme, la femme et Dieu apparaisse en communion. L’on voit Adam nommer sa femme, la rétablir dans son rôle de mère, etc. On voit un état final plus heureux que l’état avant la chute, où l’homme est complètement absent du dialogue avec le serpent. Enfin, la conclusion du récit est émouvante: Dieu revêt de peau ses créatures, signe d’hospitalité et de grâce. La communion est rétablit.

 

Alors quel rôle pour le serpent ? Pourquoi Dieu le laisse entrer dans le jardin ? Il éprouve et teste, mais pourquoi ? Pour faire tomber ? Non, sinon il serait pervers ! Pour révéler l’état d’innocence qui demande à être surmonter. C’est la fonction narrative du serpent dans le récit.

Y a-t-il quelque chose de « mal » à ce que Dieu laisse un serpent rusé dans sa création… ? Non. Permettre l’épreuve n’est pas permettre le mal. L’épreuve et la tentation sont le corollaire de l’existence libre devant Dieu. Et si le mal est permis, ce sera pour mieux le vaincre par la suite (Ged 3.15, Romains 7.25). Ce sera aussi l’occasion d’amener l’homme dans une réelle relation, ou plutôt, dans une réelle conversion, en découvrant la grâce originelle.

Nous pensons ainsi qu’Adam, bien qu’innocent et exempt de toute faute, n’était ni parfait, ni saint dès sa création. Il était en régime de conversion. Créé dans cet état d’inachèvement, manifestant sa finitude existentielle, il était appelé à mettre sa confiance en Dieu pour surmonter l’adversité. Le serpent n’est pas là tant pour chercher à condamner l’homme – ou pire, de le faire déchoir d’un état de sainteté. Il avait pour rôle de montrer la fragilité et la finitude humaine afin de conduire l’humanité dans les bras de Dieu et découvrir la grâce. C’est seulement à ce moment-là que l’homme peut se convertir et être conduit à une foi véritable. Celle-ci ne peut que prendre naissance que lorsque l’état d’innocence et d’insuffisance est révélé. Sans la prise de conscience de ce manque et de ce besoin de Dieu pour lui obéir, l’homme ne peut ni connaître réellement Dieu, ni même entrer dans le projet que Dieu a voulu pour lui.

 

Notes


[1] Michael Reeves et Hans Madueme (2014) Threads In A Seamless Garment, Original Sin in Systematic Theology, Baker Academic, p. 209-224.

[2] Voir Contre les Hérésies, 4, 39,1

[3] Idem, 3,23,6


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