Article 2 sur un total de 2 pour la série :

La Bible affirme, les sciences confirment


 

Introduction (Benoît Hébert)

J’aime ceux qui me font réfléchir à ce que je crois, même si sur le moment je suis parfois dérangé. Si vous êtes chrétien « évangélique », vous éprouverez certainement ce sentiment à la lecture des articles de Georges Daras.

Daras est « titulaire d’un master en théologie, chrétien de sensibilité protestante, et habite Bruxelles. »

Son blog  » exégèse et théologie » « a pour but principal d’ouvrir une fenêtre sur des questions exégétiques, historiques et théologiques, relatives au monde biblique. .. »

A la lecture de plusieurs articles, on découvre que Daras n’est pas un « évangélique traditionnel », il se qualifie lui même d' »évangélique critique ».

Je livre donc à votre réflexion cet article que Georges Daras a accepté de publier sur ce blog, espace où des arguments contradictoires peuvent s’exprimer. Ses propos n’engagent que lui et sont le témoins des débats théologiques et bibliques qui animent le monde protestant.

 

« La Bible affirme, les sciences confirment » (2/2), par Georges Daras

« •—Le Pentateuque

On peut le comprendre, les auteurs évangéliques n’ont pas de réel intérêt pour la recherche académique et son évolution sur les origines du Pentateuque. C’est pratiquement en vain qu’une telle recherche existe, puisque le rédacteur principal du Pentateuque a toujours été, est définitivement et sera à jamais, Moïse. Quand ces auteurs — exégètes, historiens ou dogmaticiens — abordent le sujet, c’est dans le seul et unique but de rappeler à leurs lecteurs que la théorie documentaire est erronée et contraire à la foi. Bien que la profondeur du traitement diffère en fonction de l’ouvrage et du public visé, les conclusions sont toujours les mêmes.

 

Recherche en crise, fin de la recherche?

Un fait significatif mérite d’être relevé. Depuis les années 90, les publications évangéliques — livres ou articles — critiquant la recherche sur le Pentateuque ne manquent pas de relever la phase de remise en question qui traverse effectivement le monde universitaire (7). C’est le cas de Brian Tidiman qui, dans son Précis d’histoire biblique d’Israël (p. 28-29), signale que “le crédit accordé à ces théories, longtemps admises dans le monde universitaire, se perd depuis quelques années, parfois chez leurs propres partisans”. Ce que Tidiman ne dit pas, ou plutôt dissimule, c’est que ce qui “se perd” en réalité, c’est la théorie “classique” des sources, non le fait — admis par tous les spécialistes — qu’il y ait plusieurs sources, plusieurs fragments et divers auteurs à l’origine du Pentateuque. Même chose chez le dogmaticien luthérien Wilbert Kreiss, dans un article paru dans La Revue réformée (8), qu’il serait plus exact de qualifier de prêche. Fort de citations habilement sélectionnées d’universitaires engagés dans cette crise, il déclare:

  • “Le glas semble avoir définitivement sonné pour l’hypothèse documentaire et ses variantes.” (p. 67)

Comme Tidiman, il donne l’impression que le tout de la recherche est à jeter à la poubelle — si je puis m’exprimer ainsi —, que les spécialistes enterrent leurs théories et font leur mea culpa, pour n’avoir plus qu’à revenir à la traditionnelle attribution mosaïque du Pentateuque(9). Rien n’est plus faux. Ce qui est remis en question, c’est un modèle explicatif particulier — certes dominant —, pas la recherche en soi. La recherche sur le Pentateuque évolue, se poursuit, et de nouvelles pistes sont proposées (10). En fait, ce que voudrait Kreiss, c’est purement et simplement l’abolition des méthodes historico-critiques, pour revenir à la “‘critique’ légitime de l’Écriture” telle que la pratiquait Luther (p. 52)! Ce qui, évidemment, ne risque pas d’arriver.

 

Sois orthodoxe et tais-toi!

Le second élément que je retiens, c’est bien entendu la prétendue incompatibilité des théories développées par la recherche biblique avec l’inspiration de la Bible, telle qu’elle est conçue et définie par les évangéliques. Tidiman écrit:

  • “Ce traitement du Pentateuque va souvent de pair avec le refus de reconnaître son inspiration divine”. 

Kreiss va dans le même sens:

  • […] la conviction de tous ceux qui ont participé à la genèse des différentes techniques de la méthode historico-critique est qu’il n’existe pas de dogme de l’inspiration qui la classe dans une catégorie à part et la soustraire à une telle critique. — (p. 53)

Kreiss sait se montrer extrêmement ferme envers quiconque aurait des doutes:

  • “C’est une théorie à laquelle nous n’avons pas le droit de souscrire. Notre foi en l’origine divine et l’inspiration de la Bible nous l’interdit.” (p. 66; il souligne)

Kreiss appelle aussi à la repentance et au retour à l’orthodoxie(11):

  • La traditionnelle hypothèse documentaire […] a perdu aujourd’hui toute crédibilité dans les lieux spécialisés qui avouent leur perplexité et ne savent pas dans quelle direction orienter leurs recherches. Peut-être pourraient-ils tout simplement souscrire à la foi traditionnelle en l’authenticité mosaïque du Pentateuque, si les a priori philosophiques de leur théologie ne leur interdisait [sic] pas… — (p. 60)

Comme l’a dit — si je ne me trompe — un hérétique des temps modernes, Alfred Loisy: une homélie ne peut être réfutée!

 

Conclusion

Il est communément admis par les auteurs évangéliques que le caractère inspiré de la Bible lui confère un statut particulier, à part de tout autre ouvrage, tant du point de vue de la foi que du point de vue de la recherche scientifique. Si je peux comprendre et parfaitement admettre que la Bible soit un livre à part du point de vue de la foi, je ne vois pas pourquoi il faudrait la soustraire à la critique historique ou lui réserver un traitement spécial. Je ne vois pas davantage en quoi consisterait cette différence dans la pratique et le concret de la recherche. Sauf si cette différence ne se joue pas dans le cours de la recherche mais dans ses présupposés dogmatiques, ce qui est manifestement le cas de la théologie évangélique. C’est entendu: La Bible est historique; Moïse a écrit le Pentateuque. Deux faits élevés au rang de doctrines.

La mosaïcité du Pentateuque soulève aussi la question de la pseudépigraphie qui, par principe, ne peut être admise par un évangélique, car celle-ci est de facto assimilée à une tromperie mettant en cause l’intégrité morale de Dieu. Si Jésus attribue le Pentateuque à Moïse, alors c’est indiscutablement Moïse qui doit l’avoir écrit, sans se demander si cette attribution ne doit pas plutôt être comprise comme étant de l’ordre du traditionnel, non comme l’indication d’une vérité factuelle.

Suite à ce qui a été exposé dans cet article, il n’y a rien d’étonnant à ce que les exégètes et historiens qui ne partagent pas les convictions évangéliques fassent très peu si ce n’est pas du tout référence à leurs travaux. Comment le leur reprocher? Pourtant, grâce aux exigences scientifiques de la recherche universitaire, notamment biblique, cette dernière rassemble en son sein des spécialistes issus du catholicisme, du protestantisme et du judaïsme indistinctement. Bien sûr, je vois l’argument venir: ce sont tous des libéraux!

Les évangéliques ne cesseront jamais de me fasciner.

 

Notes

 

7. Sur le sujet, voir l’ouvrage collectif sous la direction de Albert de Pury et Thomas RömerLe Pentateuque en question, Genève, Labor et Fides, 2002 (3e éd. revue et augmentée), premièrement paru en 1989, reprenant une série de conférences de 3e cycle données en 1986/87. Tidiman et Kreiss y font référence.

8. “Que penser de la critique du Pentateuque?”, La Revue réformée n° 186, 1995, p. 51-67.

9.  C’est le même genre de raisonnement qui est appliqué par les créationnistes à la théorie de l’évolution. Ses inconnues et ses faiblesses l’invalideraient totalement, en faveur bien évidemment du modèle “scientifique” créationniste. Kreiss fait lui-même le parallèle:

  • Se pourrait-il que la critique du Pentateuque connaisse le sort de la théorie de l’évolution articulée par Darwin? Qu’elle survive dans l’esprit de beaucoup de gens, bien qu’elle soit scientifiquement indémontrable et même discréditée, parce que, faute de vouloir souscrire au créationnisme, on ne lui a pas trouvé de substitut satisfaisant?” (p. 62)

Quel hasard que les évangéliques qui rejettent la recherche du Pentateuque, et les méthodes historico-critiques en général, soient à peu près les mêmes qui rejettent la théorie de l’évolution… Cela dit, je ne conteste pas que l’on puisse porter un regard critique, au contraire, ni même rejeter telle pratique ou telle théorie. Ce que je conteste, ce sont les raisons invoquées et la logique dogmatique sous-jacente.

10. Voir p. ex. en ligne l’histoire de la recherche tracée par Thomas Römer: “La formation du Pentateuque selon l’exégèse historico-critique” (sans date; vers 1994-95 si l’on s’en tient aux dates des publications citées dans les notes). À partir du bas de la page 10 (“La contestation de la théorie documentaire”), il expose les raisons de cette contestation et les nouvelles voies d’exploration. Pour une histoire plus récente de la recherche, je renvoie à la 4e édition de l’Introduction à l’Ancien Testament publiée en 2009.

11. Sur l’argument de l’orthodoxie, j’espère écrire un article à part entière. »


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