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La Bible affirme, les sciences confirment


Introduction (Benoît Hébert)

J’aime ceux qui me font réfléchir à ce que je crois, même si sur le moment je suis parfois dérangé. Si vous êtes chrétien « évangélique », vous éprouverez certainement ce sentiment à la lecture des articles de Georges Daras.

Georges Daras est « titulaire d’un master en théologie, chrétien de sensibilité protestante, et habite Bruxelles. »

Son blog  » exégèse et théologie » « a pour but principal d’ouvrir une fenêtre sur des questions exégétiques, historiques et théologiques, relatives au monde biblique. .. »

A la lecture de plusieurs articles, on découvre que Georges Daras n’est pas un « évangélique traditionnel », il se qualifie lui même d' »évangélique critique ».

Je livre donc à votre réflexion cet article que Georges Daras a accepté de publier sur ce blog, espace où des arguments contradictoires peuvent s’exprimer. Ses propos n’engagent que lui et sont le témoins des débats théologiques et bibliques qui animent le monde protestant.

 

« La Bible affirme, les sciences confirment » (1/2), par Georges Daras

« Les doctrines de l’inerrance et de l’inspiration verbale (infos ici) entraînent de fâcheuses conséquences théologiques, mais aussi au niveau de la recherche scientifique. Quand je regarde par exemple les recherches menées par les exégètes sur les origines du Pentateuque, celles de tel livre biblique, quand les historiens tentent de reconstruire une histoire d’Israël en élaborant des hypothèses explicatives sur ses origines, comparant les données extra-bibliques, tenant compte des apports de l’archéologie, etc., je me demande quelle contribution à ces recherches ont offert et offrent les évangéliques actuellement?

 

Comment est-il possible de participer à la recherche si l’on tient par principe que Moïse est le rédacteur du Pentateuque et que les récits bibliques sont historiques (1)? Non seulement la participation à la recherche est difficile, mais toute recherche authentique — c’est-à-dire indépendante, critique et la plus objective possible — est en elle-même rendue impossible. Sauf si, bien entendu, cette recherche se donne une finalité bien particulière et se mue en idéologie: défendre, voire démontrer, l’exactitude historique et la vérité de la Bible et, le corollaire obligé de cette démarche, critiquer toute recherche ne partageant pas cette même ambition et dont les résultats contrarient ou mettent en doute l’exactitude historique de la Bible. Par ailleurs, ce qui vaut en histoire, vaut également dans les sciences de la nature, avec le créationnisme.

 

Bien qu’existante, la séparation n’est pas absolue. L’approche évangélique des sciences n’exclut pas la recherche scientifique quand celle-ci se rapporte à un objet d’étude réduit, limité, local, ou, tout au plus, à un sujet dont les implications ne touchent pas à la sacro-sainte inerrance biblique (2). De plus, ces limites imposées à la recherche n’excluent aucunement l’érudition dont peuvent faire preuve certains exégètes et historiens évangéliques (3). Enfin, si je mets ici le doigt sur une faiblesse des évangéliques, cela n’exclut évidemment pas leurs forces dans d’autres domaines — malgré les reproches que je pourrais faire — comme la théologie pratique et la théologie biblique.

 

•—L’histoire

 

Pour les évangéliques qui croient par principe à l’historicité des récits bibliques, les avancées de l’histoire et de l’archéologie n’ont plus qu’un rôle de confirmation. La Bible affirme, les sciences confirment. Cette idée est exprimée de manière franche et directe par Émile Nicole, professeur d’Ancien Testament à la Faculté libre de théologie évangélique de Vaux-sur-Seine. En lisant l’un de ses articles, j’ai été agréablement surpris de l’autonomie accordée à la recherche archéologique. Je suis toutefois tombé des nues quand j’en ai lu la raison:

  • « Croyant que la Bible dit vrai, nous avons tout à gagner qu’un témoignage indépendant        soit porté sur les faits qu’elle rapporte. Laissons donc la recherche archéologique se      poursuivre de manière indépendante, son témoignage n’en aura que plus de poids  lorsque des confirmations évidentes apparaîtront […]. —

                                    (“La Bible  dévoilée?“, Théologie évangélique, 2/2, 2003, p. 106) »

 

Cette autonomie concédée à l’archéologie n’est qu’apparente, puisque son but manifeste est de témoigner de la vérité de la Bible, de “repérer les empreintes laissées par Dieu dans l’histoire antique” (p. 110). Quand l’archéologie ne confirme pas, mais remet en question l’historicité de la Bible, Nicole est obligé de trouver toutes sortes d’échappatoires: manque d’objectivité des archéologues, approche biaisée, scepticisme de principe, limites et incertitudes de l’archéologie, etc. Comment pourrait-il en être autrement? Ainsi, l’histoire et l’archéologie sont des sciences respectables lorsqu’elles se réduisent à confirmer l’historicité de la Bible; elles ne démontrent, dans le cas contraire, que le scepticisme ambiant, un biais philosophique implicite chez ses praticiens, et encore toutes sortes d’autres poisons mortels mis à nu par l’apologétique. Voilà à quoi se réduit bien souvent la participation évangélique à la recherche académique: une apologétique perpétuelle.

 

Dans cette même logique de “confirmation”, certains auteurs versent dans le triomphalisme. Selon Henry C. Thiessen “les découvertes archéologiques ont grandement contribué à confirmer la précision historique de l’Ancien Testament.” (4) Dans le Nouveau Dictionnaire Biblique (Emmaüs, 1992), nous lisons à l’entrée “Archéologie” que “des hommes remarquables ont illustré cette science. Dieu s’en est servi pour confirmer les récits bibliques” (p. 111).

 

Alfred Kuen, pour sa part, esquive complètement le problème du rapport entre Bible et histoire. Dans Comment interpréter la Bible(Emmaüs, 1991), un chapitre est consacré au “contexte historique, géographique et culturel”. Ce chapitre est présenté comme une des étapes de l’interprétation biblique, qui doit être attentive aux contextes historiques et culturels de la Bible. L’histoire et l’archéologie sont ainsi instrumentalisées et d’usage ponctuel au fil des textes, réduites à un rôle d’aide, d’illustration et de clarification. Le présupposé fondamental est que “toutes les paroles et tous les événements relatés dans la Bible sont […] intimement liés à leur temps” (p. 97). L’idée induite par l’approche de Kuen est que les récits de la Bible sont tous historiques et que le seul obstacle à leur compréhension réside dans leur distance dans le temps. Ce qui se résout en partie par la contextualisation. C’est exactement la recette mise en oeuvre dans les “histoires bibliques d’Israël”: la Bible sert de trame historique que les apports de l’archéologie viennent consolider (5), obtenant ainsi un ouvrage prétendument “d’histoire” mais dont le caractère consiste davantage dans une paraphrase (6). Si l’on pousse cette logique à son extrémité, il suffirait d’une Bible munie de notes culturelles et historiques: histoire biblique!

Notes

1. Voir ce qu’écrit Émile Nicole face aux théories relatives à l’installation des israélites en Canaan:

  • Il appartient à ceux qui, comme nous, croient par principe à la fiabilité historique de ces récitsd’examiner les problèmes qui se posent […].” À la fin de son article, il récidive et parle de “ceux qui croient à l’exactitude historique de ces récits” (“L’installation des Israélites en Canaan“, Fac-réflexion n° 17, octobre 1991, je souligne).

On le voit: vérité, inspiration et historicité sont étroitement liés, de sorte que la position évangélique se trouve complètement cadenassée.

  • Jean-Pierre Berthoud est du même avis que Nicole, quand il écrit que “si la Bible est vraie, elle doit l’être dans tout ce qu’elle dit, dans ses affirmations géographiques, archéologiques, historiques et scientifiques, autant que dans ce qu’elle déclare sur le plan spirituel et théologique” (Création, Bible et science, p. 265).
  • Henri Blocher confirme l’idée en confessant “la vérité intégrale, à tous les niveaux, de la Parole de Dieu. Donc aussi en histoire” (“Histoire, vérité et foi chrétienne“, Théologie évangélique vol 7, n°2, p. 134).

2. Par exemple, il est communément admis dans la recherche néotestamentaire, plus spécifiquement paulinienne, que 7 épîtres sur les 13 sont incontestablement de Paul, tandis que les autres sont sujettes à débat. Si un exégète évangélique travaille sur une épître incontestée comme celle aux Galates, il n’aura aucun mal à admettre son authenticité, voire à renforcer son point de vue en citant des exégètes de renommée internationale. Par contre, s’il s’agit d’une épître dont l’authenticité paulinienne est largement contestée, comme la première ou la seconde à Timothée, l’exégète évangélique, ne pouvant souscrire à une telle option, est obligé de se mettre sur la défensive et déployer un argumentaire dont la logique explicite ou implicite est motivée par la doctrine de l’inerrance et celle de l’inspiration verbale qu’il professe. L’accumulation de tels cas amène à des positions curieuses, suspectes d’un point de vue académique.

3. Un brillant exemple en matière d’histoire est donné par l’égyptologue anglais Kenneth A. Kitchen, qui a publié en 2003 (rééd. en 2006) une somme à l’intitulé programmatique: On the Reliability of the Old Testament. Dans le domaine de la théologie systématique, Henri Blocher fait preuve d’une pénétrante et vaste érudition, restituant avec acribie la pensée de ceux qu’il critique. En exégèse, je vois un équivalent chez Samuel Bénétreau, dont j’apprécie particulièrement les travaux.

4. Dans Esquisse de théologie biblique, Marne-la-Vallée / Lennoxville (Quebec), Farel / Bethel, 1995 (2e éd. française; 1re éd. angl. révisée 1979), p. 81.

5. Dans certains cas, les apports de l’archéologie ne suffisent pas. Par exemple, la plupart des exégètes et historiens évangéliques abordent tout à fait sérieusement une question liée au déluge (Gn 6-9), a savoir si son étendue fut locale ou universelle. Les tenants de l’une et de l’autre position recourent à des arguments de type ethnologique (histoires antiques relatives à un déluge), géologique, paléontologique, voire biologique. Pour une belle compilation des arguments en présence, voir Alfred KuenEncyclopédie des difficultés bibliques, vol 1. Pentateuque, Emmaüs, 2006, p. 121-132. Un autre exemple réside bien sûr dans le récit de la création, dont certaines lectures littéralistes — ou plutôt “scientifiques” — font appel à des arguments issus des sciences naturelles ou dures. Dans tous les cas, le récit biblique, préalablement conçu comme intégralement historique, fait office de réceptacle des diverses théories de tous ordres censées en expliquer le contenu. L’interprétation sombre bien souvent dans un naturalisme qui frise parfois le ridicule.

6. Dans cette veine, le livre de Werner Keller, publié pour la première fois en allemand en 1956 —La Bible arrachée aux sables —, est paradigmatique. Voir aussi les travaux de Kenneth A. Kitchen, déjà cité; Brian TidimanPrécis d’histoire biblique d’Israël, Nogent-sur-Marnes, Institut biblique de Nogent, 2006, dont le sous-titre prête à sourire: “De la création [!] à Bar-Kochba”; sous la forme d’atlas, voir Paul LawrenceAtlas de l’histoire biblique, Cléon d’Andran (France), Excelsis, 2009; d’un point de vue juif engagé, voir André et Renée NeherHistoire biblique du peuple d’Israël, Paris, Adrien Maisonneuve, 19884(1re éd. 1962). Moins caricatural que le précédent, touffu (700p), mêle érudition et édification. »

A suivre…

 


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