Le livre de Jerry Coyne Why evolution is true (2009) (« Pourquoi l’évolution est vraie ») est un best seller du genre, dans la même veine que « Le plus beau spectacle du monde » de Richard Dawkins. Son auteur est professeur de biologie de l’évolution à l’Université de Chicago. Jerry Coyne est aussi connu pour son athéisme militant, largement alimenté par sa lutte contre le créationnisme et le mouvement de l’Intelligent Design.

 

Le contenu scientifique du livre est tout à fait passionnant. Dans un style très accessible, prenant toujours la peine d’expliquer le sens des mots techniques en donnant leur étymologie, Coyne décrit les différents faisceaux de preuves indépendants qui soutiennent aujourd’hui l’évolution : les fossiles, les vestiges d’organes, les vestiges de gènes dans l’ADN, la répartition géographique des espèces. Les exemples sont nombreux, faciles à comprendre et tout à fait percutants. Il explique aussi les mécanismes : la sélection naturelle, la dérive génétique, la sélection sexuelle…en montrant pourquoi le fait d’affiner la compréhension de ces mécanismes ne remet en rien en cause le fait que l’évolution a eu lieu.

Le plus difficile pour le chrétien que je suis est de constater comment cette description extraordinaire de la création et de ses mécanismes est fréquemment associée aux convictions athées de leur auteur. Coyne n’a pas de mal à s’appuyer sur les arguments anti-évolution des créationnistes et des partisans de l’Intelligent Design et de les balayer par une analyse scientifique rigoureuse.

Il va plus loin en associant la notion de conception intelligente de la nature à la perception paleyenne étriquée qu’en a le mouvement anti-évolution de l’ID : celle d’une création faite par un Dieu-ingénieur qui n’aurait d’autre solution que de concevoir parfaitement chaque détail de chaque créature. Ce préjugé en tête, Coyne enchaîne les exemples de « bad design » (mauvaise conception) dans la nature. Il existe sans aucun doute des situations pour lesquelles tel ou tel organe n’est pas « optimal » à cause des mécanismes évolutifs dont il est issu, comme le nerf du larynx chez les mammifères qui suit un circuit bien plus compliqué que nécessaire (surtout chez la girafe !). Cette conception d’une création parfaite n’est pourtant que le fruit des idées de l’I.D. Dans la conception biblique, le Créateur a qualifiée la création de « bonne », pas de parfaite.

Dans son chapitre final, Coyne raconte une histoire significative. Il a répondu à l’invitation d’un groupe d’hommes d’affaire de Chicago à expliquer l’évolution vs l’Intelligent Design. A la fin de sa présentation, quelqu’un vient le voir et lui dit

« Je trouve vos explications à propos de l’évolution très convaincantes- mais je n’y crois toujours pas. » (p 221)

Voici l’analyse de Coyne de cette situation paradoxale : (pp 221-223

« Cette affirmation encapsulait un sentiment profond et ambigüe très répandu à propos de l’évolution. Les preuves sont convaincantes, mais ils ne sont pas convaincus. Comment cela peut-il arriver ? D’autres domaines n’ont pas ce problème. Nous ne doutons pas de l’existence des électrons ou des trous noirs, bien que ces phénomènes soient repoussés bien plus loin dans l’expérience personnelle que l’évolution. Après tout, on peut voir les fossiles dans n’importe quel musée d’Histoire Naturelle…Alors quel est le problème avec l’évolution ?

Ce qui n’est pas le problème est le manque de preuve…

Nous avons aussi vu que la biologie de l’évolution permet de faire des prédictions testables…

Ce que nous voulons dire quand nous affirmons que l’ « évolution est vraie » est que les concepts majeurs du Darwinisme ont été vérifié. Les organismes évoluent, ils le font graduellement, les lignées se séparent en espèces différentes à partir d’ancêtres communs, et la sélection naturelle est le moteur principal de l’adaptation…

A ce point de la discussion, je pourrais simplement affirmer : « J’ai donné les preuves, et elles nous montrent que l’évolution est vraie. CQFD. » Mais j’échouerais si je faisais ça, parce que, comme l’homme d’affaire qui m’a parlé après ma présentation, beaucoup ont besoin de bien plus que des preuves avant qu’ils acceptent l’évolution. Pour ces personnes, l’évolution soulève des questions si profondes à propos du sens, de la finalité, de la moralité qu’ils ne peuvent pas l’accepter, quelles que soient les preuves qu’ils ont devant leurs yeux. Ce n’est pas que nous ayons évolué à partir d’hominidés qui les dérangent tellement ; ce sont les conséquences émotionnelles en faisant face à cette réalité. Et à moins que nous ne nous occupions de ces préoccupations, nous ne progresserons pas dans la reconnaissance universelle de la vérité de l’évolution. »

J’admire ici la perspicacité de Jerry Coyne. C’est tout à fait la conclusion à laquelle sont arrivés les sociologues chrétiens qui se demandent pourquoi il est si difficile de faire accepter l’évolution pour certains croyants. Il ne s’agit visiblement pas du manque de preuves scientifiques. Les obstacles sont avant tout théologiques, psychologiques ou même relationnels.

Continuons l’analyse de Coyne :

« Nancy Pearcy, une philosophe américaine conservatrice et avocate de l’Intelligent Design a exprimé cette peur courante :

« Pourquoi le public s’intéresse-t-il de façon aussi passionnée à une théorie biologique ? Parce que les gens sentent intuitivement qu’il y a bien plus en jeu qu’une théorie scientifique. Ils savent que lorsqu’une vision naturaliste de l’évolution est enseignée dans les écoles, alors une vision naturaliste de l’éthique sera enseignée dans les cours d’histoire, de sociologie…et dans tous les domaines. » » (p224)

A ma surprise, Jerry Coyne pour lever cette crainte va restreindre dans un premier temps le champ d’application de la théorie de l’évolution à ce qu’elle est vraiment : une explication matérielle de nos origines :

« Comment pouvez-vous extrapoler le sens, la signification, la finalité ou bien l’éthique de l’évolution ? Vous ne le pouvez pas ! L’évolution est simplement une théorie à propos des processus et des schémas de la diversification de la vie, pas un grand schéma philosophique à propos de la signification de la vie. L’évolution ne peut pas vous dire quoi faire ou comment se comporter. »

AMEN !!

On pourrait donc croire que le propos de Coyne est de dire : OK, l’évolution telle que je la présente n’a pas de conséquence métaphysique. Mon propos n’est pas un mélange de science établie et de convictions philosophiques personnelles. Vous pouvez être croyant et accepter tout ce que je raconte.

 

Malheureusement, à plusieurs reprises au cours de son livre, Coyne a montré qu’il mettait bel et bien une explication rationnelle de l’univers en concurrence avec Dieu, et que pour lui, les exemples de « bad design » rendaient l’idée d’un Créateur plus qu’improbable.

« Les explications surnaturelles signifient toujours la fin de l’enquête : c’est la façon dont Dieu l’a voulu, fin de l’histoire. D’un autre côté, la science n’est jamais satisfaite : nos études sur le fonctionnement de l’univers continueront jusqu’à ce que l’espèce humaine s’éteigne. »

Je comprends pourquoi constatant que l’évolution était associée à une vision aussi caricaturée de la foi et de son rapport à la connaissance scientifique, cet homme d’affaire ait répondu à Coyne :

« Je trouve vos explications à propos de l’évolution très convaincantes- mais je n’y crois toujours pas. »