l’interprétation de Genèse 1-11, un texte qui parle encore aujourd’hui !

Présentation de l’article par Science & Foi/Marc Fiquet.

 

La source d’un malentendu

Les textes de Genèse 1-11 sont souvent appelés « récits fondateurs »  dans le corpus de la Bible hébraïque, et les polémiques qu’ont suscité leurs interprétations tant dans les milieux fondamentalistes chrétiens que par les esprits anti-religieux ont souvent fait perdre de vue dans quel contexte sont nés ces récits, ainsi que leur vocation première.  Ceci a pour conséquence de parfois rendre difficile la compréhension de ces textes pour aujourd’hui et engendre dans la plupart des cas des conflits et des discussions interminables  entre les domaines de la science et de la foi.

Voici  la traduction du Faraday Paper 11 de Cambridge que nous avons achevée dernièrement. Le révérend docteur Ernest Lucas est bien placé pour conduire des réflexions articulant les domaines  science et foi puisqu’il possède des thèses en biochimie et en théologie.

Faraday paper 11- Interpréter la Genèse au 21e siècle

 

Interpréter Genèse 1-11

Dans son article sur l’interprétation de Genèse 1-11, Ernest Lucas  met l’emphase sur « le but théologique de Genèse 1-11″, alors que parlant de ces chapitres,

les scientifiques athées et les chrétiens fondamentalistes partent tous deux du principe qu’il convient de les lire comme un texte scientifique » (p. 2).

Cela rejoint notre remarque introductive. Le chercheur plutôt que de voir un conflit entre le texte et la science moderne propose d’approcher ces récits par une série de questions qui aideront à l’appréhender sous un angle plus judicieux :

    1. Quel est le type de langage utilisé ?
    2. De quel type de littérature s’agit-il ?
    3. À quel public le texte s’adresse-t-il ?
    4. Quel est le but du texte ?
    5. À quelles connaissances extratextuelles se rapporte-t-il ?

Suit une réflexion sur notre capacité à pouvoir connaitre l’intention de l’auteur d’une œuvre littéraire et notamment d’un texte biblique. En effet c’est un principe herméneutique de base que pour comprendre correctement ce que des mots veulent dire, il vaut mieux connaitre l’intention de l’auteur, dans quel but il a formulé ces mots. Car dans la plupart des cas ils peuvent être interprétés de plusieurs manières. Comment donc choisir la bonne interprétation sans savoir ce que l’auteur avait en tête ?  Pour Lucas, il est possible de retrouver ce but, l’intention de l’auteur  à partir du contexte et en répondant aux trois premières questions. La cinquième question joue également un rôle important, et même déterminant qu’il développera en dernière partie.

L’auteur s’inscrit dans la mouvance évangélique, il poursuit donc l’idée que les textes, même dans l’Ancien Testament, véhiculent la révélation de Jésus-Christ. Cependant ces textes n’ont pas pour vocation de nous révéler la science moderne, ils sont rédigés dans le contexte scientifique de leur époque, mais la science peut nous faire choisir entre une interprétation ou une autre dans le sens ou la polysémie dont nous avons parlé nous offrent souvent plusieurs lectures possibles d’un texte.

c’est là le cœur central des propos de Lucas qui aide à bien comprendre comment sortir d’une impasse conflictuelle dans la lecture de Genèse vis à vis de la science moderne et pouvoir se mettre à l’écoute du texte dans de bonnes dispositions.

Grâce à tous les étages

Dans son tour d’horizon, on pourra remarquer que contrairement à certaines lectures qui mettent l’accent sur les malédictions de Dieu, condamnation d’Adam, déluge, etc.. Lucas résume ces récits  de la condition humaine en « une propagation du péché » mais aussi « de la grâce ». Bien sûr pour des lecteurs actuels, il faudrait peut-être prendre le temps de redéfinir le terme de péché qui historiquement a fini par prendre une dimension moralisatrice. Mais l’idée est bien de comprendre l’accent qui est mis dans ces récits non pas sur la faute mais sur la grâce accordée par Dieu pour accompagner l’homme dans ses défaillances.

Voir à ce propos cet article de Bruno Synnott : Péché et grâce originels

La fonction des généalogies

Quand il s’intéresse au public visé, Lucas  précise que Génèse 1-1 s’adresse aux anciens Hébreux. Il explique que leur manière de comprendre les généalogies qui entrecoupent les différents récits n’étaient pas forcément la même que la nôtre habitués à faire des arbres généalogiques avec des âges exacts à la recherche de nos ancêtres. Pour en savoir plus sur le contexte du Proche Orient Ancien et des généalogies, voir ce module du cours en ligne Science et Religion du théologien Denis Lamoureux :

Module 54 (Science mésopotamienne & égyptienne).

Il ne faudrait pas déduire des analyses de Lucas et Lamoureux qu’il existe un lien direct entre les généalogies de la Genèse et les sumériennes, ce n’est pas ce que disent ces théologiens – Des études affirment par ailleurs que des liens littéraires entre ces deux types de généalogies sont improbables[1] – Ils mettent simplement en avant que dans le contexte du POA, le symbolisme pour les généalogies était usuel et qu’il ne faut pas s’étonner des âges astronomiques donnés aux patriarches dans ces listes. Si les pistes avancées pour l’usage des chiffres 5 et 7 dans ces suites semblent intéressantes, nous ne disposons en revanche à ce jour d’aucune explication satisfaisante pour comprendre l’affectation des âges aux différents personnages.

Nous reviendrons plus précisément sur la thématique des généalogies dans un article ultérieur.

La vocation théologique du texte

Dans la dernière section, « le but du texte », l’auteur rappelle que la plupart des spécialistes s’entendent aujourd’hui pour reconnaitre que le récit de la création de Genèse est né dans un contexte de polémique théologique. Les hébreux revendiquent une cosmogonie concurrente aux nations environnantes polythéistes et assume l’existence d’un Dieu unique créateur de toutes choses. A ce titre il sera intéressant de comparer les cosmogonies étrangères qu’Israël connaissait et de les comparer au texte hébreu. On y trouve certaines correspondances mais aussi de nombreuses divergences que Lucas souligne en fin d’article. Les astres ne sont pas sacrés mais des objets créés par Dieu. Seuls les humains portent l’image de Dieu. Que Dieu soit à l’origine d’un monde ordonné dans lequel l’homme crée à son image est appelé à prendre soin de sa création a des implications éthiques, écologiques, scientifiques. Lucas  explique que c’est la base d’une telle vision, que les droits de l’homme se sont déployés et que l’entreprise scientifique a été encouragée dans le monde occidental. Enfin ces textes montrent clairement et d’une manière universelle, la quête existentielle de tout humain et son besoin de salut.

Pour aller plus loin

Pour une étude plus approfondie des textes de la Genèse dans leur contexte du Proche Orient Ancien, voici deux lectures peu onéreuses mais très enrichissantes qui pourront vous combler :

cahiers Evangile

cahiers évangile 161

Genèse 1-11, les pas de l’humanité sur la terre, cahiers Evangile (N° 161), cerf, 2012

CE suppl 38

La création du monde et de l’homme, d’après les textes du Proche-Orient Ancien, Supplément aux cahiers Evangile N° 38, cerf, 1981
(se trouve d’occasion)

Faraday paper 11- Interpréter la Genèse au 21e siècle

Notes

[1] Jean L’Hour, Genèse 1-11, les pas de l’humanité sur la terre, Cahiers Évangile (N° 161), cerf, 2012, p. 55

 

Crédit illustration : Zvonimir Atletic ; la création d’Eve, relief de Wiligelmo, Cathedrale Modena, Italie