Article 1 sur un total de 2 pour la série :

Réflexions Pédagogiques sur Genèse ♥♥♥


Continuons notre série Réflexions Pédagogiques sur Genèse avec l’introduction de 3 nouvelles orientations théologiques, que nous placerons à la suite de celles que nous avons exposées dans l’article précédent. Elles m’apparaissent être comme trois clés d’interprétation supplémentaires pour aller de l’avant dans notre compréhension de la Bible.

Mais avant, réglons deux ou trois petites choses. Le lecteur s’étonnera certainement de l’emphase mise dans mes artilces sur les 3 premiers chapitres de la Bible. C’est parce que je crois que l’interprétation des « récits primordiaux » qui fondent l’histoire du salut est comme « le chaînon manquant » qui empêche en ce moment les églises évangéliques de rejoindre la société et la culture francophones. Je vous avoue que je me sens un peu dans la continuité de l’œuvre du théologien Frère Mennonite québécois Éric Wingender, dont je n’ai pas toujours su apprécier les interpellations de son vivant, mais qui cherchait constamment à contextualiser la théologie dans le contexte du Québec. À sa suite, je cherche dans ces colonnes à réfléchir sur de nouvelles orientations théologiques et herméneutiques concernant les premiers récits de la Bible, dans le but d’aplanir le fossé qui sépare les Québécois de l’évangile de Jésus-Christ.

 Malaise…

En ce moment même, la grande majorité des églises continuent à enseigner une interprétation littérale de la  création du monde en 7 jours de 24 heures. Ma crainte par rapport à ça est qu’en agissant ainsi, elle force ses jeunes à faire un choix impossible entre la foi et la réflexion, la Bible et la science, ou encore entre l’église et la société. Or chacun de ces couples me semblent inséparables. Rompre leur subtil équilibre conduirait inévitablement à des extrêmes malheureux. Et en ce moment, je vois clairement que l’équilibre est rompu dans les églises évangéliques québécoises, et qu’à cause de cela, elles se sont placées en marge de la société. Elles se sont déconnectées.

Autre faits troublants : on continue largement à considérer comme « historique » et « littérale » la création instantanée d’Adam et Ève. Est rejetée en bloc la théorie de l’évolution. Est affirmé plutôt que Dieu a créé deux êtres parfaits dans un jardin paradisiaque, à la suite de quoi s’est introduit le serpent diabolique pour faire chuter nos premiers parents, et que c’est depuis ce jour que s’est transmis à toute l’humanité une tare de culpabilité et une nature corrompue. Cette interprétation « augustinienne » de la dépravation humaine est celle qui est véhiculée dans plusieurs églises, consciemment ou pas.

Sans comprendre malheureusement toujours le contexte réactionnaire qui a donné naissance à cette doctrine extrêmement pessimiste[1]. Et sans dire que l’église catholique, à laquelle Augustin appartenait, a contrebalancé cette doctrine par le « baptême des enfants » qui effaçait la tâche originelle et rétablissait l’homme dans ses facultés réflectives. Les évangéliques, eux, rejetant le baptême d’enfant comme non biblique, ont toutefois gardé la doctrine du péché originel qui, conçue à partir d’une interprétation littérale de Genèse III,  spécule sur la pseudo transmission biologique d’une tare héréditaire, « imprégnant »[2] de culpabilité et de volonté mauvaise[3] chaque petit bébé qui naît.

Comment alors s’étonner que l’église évangélique développe une sorte d’esprit de suspicion vis-à-vis des milieux académiques ? Comment ne pas s’étonner qu’on sent parfois dans nos milieux une sorte d’atmosphère de fin du monde imminente, doublée d’un sentiment de paranoïa face à tout ce qui vient de l’extérieur de l’église évangélique ?

Quelle belle perspective pour un jeune… En caricaturant un peu, l’évangélisation ressemble à des commandos hors de nos « bunkers », en s’avançant courageusement en territoire ennemi, dans le vestibule de l’enfer, Bible et bouclier en main, avec l’espoir d’y repêcher quelques âmes égarées que le Seigneur aura bien voulu sauver par sa grâce, pour les ramener vertement dans le paradis dont nos églises évangéliques sont un avant-goût. N’est-ce pas là une autre conséquence de cette vision pessimiste de l’homme, dont nous a chargé cette théologie augustinienne non censurée?

Est-ce là vraiment le programme que Jésus a donné à ses apôtres et le plan que Dieu a voulu confier à son peuple ? D’avoir une seule préoccupation : sauver des « âmes » pour aller au ciel, et avoir un seul message : « acceptez le sacrifice de Jésus à la croix et recevez Jésus dans notre cœur ? » Est-ce tout ? Les puritains eux avaient au moins un programme politique et économique !

Est-ce sur ce programme minceur que nous voulons bâtir l’Église de demain ? C’est peut-être pour cela que la majorité de nos jeunes ont quitté l’église avant 20 ans, en se disant : « si c’est ça l’avant-goût du ciel, je prends mon ticket et je cède ma place au suivant… ». Honnêtement, je pense avec beaucoup de tristesse que c’est un programme  un peu famélique. Comme je le disais dans le dernier post de mon blog personnel, on a oublié la théologie de la création. C’est bien beau que des gens acceptent Jésus, mais l’accepter pour quoi ? Qu’est-ce qu’on fait les 6 autres jours de la semaine?  Que fait-on de l’art, de la philosophie, des lettres ?

Et pour arriver à la solution, il faut retrouver l’usage de la raison. Il faut marcher sur deux jambes. Deux jambes et une tête renchérissait John Stott. Il faut « aimez Dieu avec toute notre intelligence » (Luc 11.37). Il faut revenir au plan de Dieu tel qu’il l’énonce dans le premier chapitre de la Genèse. Il faut revoir notre interprétation littérale et concordiste des premiers chapitres de la Bible qui nous amène à faire une croix sur la science et sur tout le reste. Il faut cesser de commencer à partager le message de Dieu par un pseudo concept gnostique de « chute » et d’une transmission d’une « chair mauvaise de nature ». Il faut cesser de garder la tête dans le sable et nier l’évidence de nos lacunes herméneutiques,  en pensant qu’il suffit de « prêcher Jésus ». Il faut prêcher Jésus, certes, mais un Jésus qui nous permet d’être de vrais humains qui, je le rappelle, vivent dans un corps humain sur une planète appelée Terre !

Personnellement, je veux prêcher la Bible, pas un dogme du Moyen-âge pris dans des cadres conceptuels grecs anciens duquel la majorité des facultés évangéliques dans la francophonie refuse de nous déprendre.

J’invite mes lecteurs qui n’auraient pas lu la première partie de cette série « Réflexion pédagogique sur la Genèse » à le faire. J’y énonce 4 réflexions nécessaires, me semble-t-il, pour repenser le préambule biblique. J’aimerais bien pouvoir en débattre avec mes lecteurs et inviter mes amis du monde entier à les approfondir. Ces 4 orientations sont comme 4 marches d’un escalier :

1-      Un principe de non-contradiction entre la Bible et la science : Les vérités des récits de création sont éternelles et ne visent pas une explication scientifique du monde mais une compréhension du sens que Dieu donne à cette création.

2-      Ce principe s’appuie notamment sur une juste compréhension du « genre littéraire » du texte, et de la théorie du cadre littéraire qui permet de saisir les vérités théologiques et existentielles du texte.

3-      Deux vérités fondamentales fondent une bonne théologie de la création : la création de l’humain « à l’image de Dieu », son créateur, et le désir du créateur de voir l’humain s’épanouir dans un monde « très bon », dans une relation sanctifiée avec la nature, les autres et Dieu (par le Sabbat).

4-      Cette théologie de la création apporte finalement un équilibre nécessaire à la théologie de la rédemption si importante chez les évangéliques.

Le chemin qui reste à parcourir est encore long. Je vais ajouter 3 autres paliers à cet escalier à partir de Genèse 2. Je répète que ces marches sont discutables. Je les propose comme base de réflexion, fruits d’une herméneutique différente de ce que l’on a l’habitude de rencontrer parmi les évangéliques. Et le but de tout ça est de mieux combler le fossé entre l’église et la société, afin de limiter les obstacles à la présentation du message central : Christ est ressuscité ! Je me propose ici d’esquisser très brièvement les trois prochains points qui seront défendus lors de futurs articles :

1-      Penser à Adam moins en terme d’« individu historique » qu’en terme de « représentant de l’humanité ». Dans la Genèse, « le peuple entier y est identifié d’une façon ultra-réaliste avec son premier ancêtre »[4] (voir par exemple les ancêtres de Genèse 10). La pensée sémitique n’isole jamais l’individu de la communauté. Les premiers théologiens avant Augustin « étaient capables de se représenter un singulier collectif, un individu qui vaut un peuple »[5]. Aussi Jésus ne fait jamais référence à Adam comme à un nom propre, individuel. Mais il y fait référence dans son sens collectif : « ish » ou « anthropos » (Marc 10. 6-8 et Mat 19.5)

2-      Penser la figure d’Adam dans une perspective dynamique, comme un être en croissance, qui n’arrive pas au monde parfait et statique, mais qui est appelé à croître en sainteté dans une marche pavée d’épreuves. C’est ainsi que les Pères de l’église tels qu’Irénée de Lyon et Tertullien ont compris l’Adam. Écoutez Irénée de Lyon (120-177 ap J-C) pour qui le thème de l’homme créé « en état d’enfance » pour progresser à travers le temps était cher: « Il fallait que l’homme fut, puis, existant, qu’il crut, ayant été créé, qu’il devint homme adulte; étant devenu qu’il se multipliât; s’étant multiplié qu’il prit des forces; ayant pris des forces, qu’il fut glorifié; ayant été glorifié, qu’il vit le Seigneur »[6] Nous avons le droit, je pense, de concevoir une conception dynamique de l’homme, et remplacer notre vision statique et stoïcienne d’Augustin dans la théologie évangélique.

3-      Finalement, penser le péché comme un problème « d’existence » avant d’être un problème d’essence. L’homme ne naît pas « bon » ou « mauvais ». Il naît « image de Dieu » et appelé à réaliser cette image en Dieu. L’image n’est pas réalisée à la naissance. Elle pourra l’être, malgré le péché inévitable, dans une relation à Dieu et à son Fils Jésus-Christ. Le péché sera pensé davantage comme « position d’autonomie devant Dieu » que comme un « état de concupiscence » causé par la perte d’une nature spirituelle; davantage comme  une façon d’être au monde que comme une corruption de la nature humaine. Le péché se trouverait davantage dans « les pensées mauvaises » de l’homme que dans la dépravation de son « cerveau »; dans une attitude d’indépendance ou d’indifférence face à Dieu plutôt que dans une déchéance de ses facultés mentales.

Dans le prochain post, nous développerons plus en détails ces 3 autres points. Merci de votre attention.

 

Bruno Synnott,


[1] La discussion avec Pélage et Mani[2] Expression d’Henri Blocher dans son article sur le Péché dans le Dictionnaire de théologie biblique, Excelsis, 2006

[3] La doctrine protestante du serf-arbitre

[4] Roger Leys (1969), Teilhard de Chardin et le péché original, dans Le Christ cosmique de Teilhard de Chardin, ed du Seuil, Paris, p. 191

[5] Ricoeur (1955), Histoire et vérité, ed. du Seuil, p. 115

[6] Ricoeur, idem cit. p.113.


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