Quand l’édification chrétienne ravive les faux débats

Depuis plusieurs années, mon épouse est abonnée au trimestriel  Sa Parole pour aujourd’hui  (SPPA)[i] qui propose une méditation quotidienne à ses lecteurs et lectrices. Vu la qualité des articles proposés, elle a encouragé plusieurs personnes à l’imiter, parmi les membres de l’assemblée évangélique où j’exerce mon ministère pastoral. Très souvent, elle partage aussi avec moi les articles qui l’édifient le plus. Mais ce lundi 6 décembre 2021, elle a réagi assez vivement à l’article du jour, réaction qui fut peu après suivie d’appels téléphoniques venant de deux autres abonnées tout aussi troublées. Pour les comprendre, voici les passages les plus significatifs du texte en question.

 

« […] Aujourd’hui, l’éducation scientifique que reçoivent nos enfants est centrée sur la « théorie » de l’évolution, une théorie sans fondement, qu’aucun scientifique n’a jamais réussi à démontrer, mais qui s’est répandue partout, comme un feu de forêt incontrôlable. […] Ceux qui croient encore à la théorie de l’évolution font vraiment preuve d’une foi aveuglante ! Ne tombez pas non plus dans le piège qui consiste à vouloir concilier la création selon la Bible et la théorie de l’évolution. Les deux sont incompatibles. Les évolutionnistes se moquent ouvertement des chrétiens qui prétendent concilier les deux. Thomas Huxley a écrit : « La doctrine de l’évolution est contraire à l’idée d’une création divine. Si vous acceptez l’évolution, vous ne pouvez pas croire en la Bible. » En cela, il avait raison. Que préférez-vous croire ? Dieu ou les partisans de l’évolution ? »

 

Bien que je n’en fasse jamais publiquement état dans notre église, la plupart des autres membres savent que je collabore avec l’association « Science et Foi »[ii] et donc, que je j’adhère à la théorie de l’évolution. D’autre part, ils voient bien que mes convictions et mes prédications sont tout entières fondées sur la Bible, puisque je ne dis jamais rien qui ne soit fondé sur elle, selon le principe évangélique qui veut que celle-ci soit « notre seul fondement en matière de foi et de vie ». Moins que les positions antiévolutionnistes de cet article – nos membres sont en partie créationnistes (dans le sens d’une création distincte des différentes espèces)  et en partie évolutionnistes (dans le sens où ils acceptent l’évolution biologique), sans que ce soit une source de conflits – c’est la dernière phrase de l’article qui les avait scandalisés, du fait qu’elle leur paraissait une condamnation arbitraire, et donc injuste de leur pasteur.

 

En ma personne, en effet, ils voyaient depuis longtemps que l’on peut accepter les données de l’évolution biologique et être solidement fondé sur la Parole de Dieu. Il est vrai que depuis ma prime enfance, j’ai été nourri de cet autre principe : « la Bible, toute la Bible et rien que la Bible », amendé toutefois par un adage que notre vieux pasteur rappelait souvent : « un texte hors de son contexte n’est qu’un prétexte ».

Or, en général, les tensions viennent plus précisément de ce dernier point. Les premiers chapitres de la Genèse peuvent être lus au premier degré – sans trop s’attacher au contexte littéraire – et donnent alors l’impression de nous proposer une description quasi scientifique de la création. C’est ce que l’on rencontre dans les différentes formes de créationnisme chrétien, que ce soit chez les partisans du géocentrisme, de la terre jeune, du concordisme, voire même de la terre plate. En ce qui concerne le soleil et les planètes, cette perspective ne posait évidemment pas de problème avant Kepler et Galilée ; et pour ce qui touche aux êtres vivants, cette approche littérale n’a guère soulevé de graves objections avant Darwin. Mais avec ces chercheurs, et quelques autres, le crédit que l’on croyait pouvoir accorder à la Bible – à travers une lecture au premier degré – se trouvait régulièrement mis à mal par une science qui échappait aux dictats de la théologie ancestrale.

 

À l’inverse, les nombreux symboles présents dans ces premiers textes de la Bible ont conduit certains théologiens à y reconnaître une approche littéraire plutôt qu’historique. Dans cette perspective, les textes s’attachent essentiellement à nous parler de la grandeur de l’auteur de l’univers, de la terre, de ce qu’elle contient et donc de nous les humains. Ils nous décrivent comment la main tendue de Dieu fut, depuis toujours, rejetée par les humains, comment leur stupide et orgueilleuse prétention les a conduits à rejeter le conseil divin pour décider par eux-mêmes de ce qui est bien ou mal, bon ou mauvais. Si bien que dès les premières pages nous est dressé le tableau d’une humanité qui ne trouvera d’avenir que dans la venue d’un Sauveur.

 

Le livre de la Parole

Dès lors, une évidence s’impose : qu’ils soient littéralistes ou non, strictement créationnistes ou non, tous les chrétiens attachés à l’inspiration et à l’autorité des Écritures se trouvent d’accord sur ce qui fait le cœur de la révélation biblique :

Nous avons déjà prouvé que tous, Juifs et Grecs, sont sous l’empire du péché, selon qu’il est écrit : Il n’y a point de juste, Pas même un seul ; Nul n’est intelligent, Nul ne cherche Dieu ; Tous sont égarés, tous sont pervertis ; Il n’en est aucun qui fasse le bien, Pas même un seul !
(Romains 3.9-12)

C’est pourquoi :

Il n’y a de salut en aucun autre [que Jésus-Christ] ; car il n’y a sous le ciel aucun autre nom qui ait été donné parmi les hommes, par lequel nous devions être sauvés.
(Actes 4.12)

Convaincus du lien fraternel irréductible qui unit tous les enfants de Dieu, les lecteurs de l’article ci-dessus ne pouvaient qu’être troublés par son potentiel d’effets délétères sur l’unité du Corps de Christ.

 

Car, dans la perspective d’un récit spirituel plutôt que factuel de la création, on découvre que ni le « big bang » ni l’évolution des espèces ne posent de réel problème à la foi. Encore faut-il réaliser que nous nous trouvons devant deux champs de compétences différents, souvent servis par un vocabulaire piégé. Pourtant, si l’on veut bien s’y arrêter, les mots parlent d’eux-mêmes. Quand je traite de « l’évolution » ou de « l’évolutionnisme », je suis manifestement sur le terrain de la science, où les idéologies n’ont pas leur place : surtout pas un certain athéisme qui croit pouvoir y trouver une justification imparable. Ce que l’auteur de l’article a raison de dénoncer : trop de maîtres polluent l’esprit de nos enfants en leur inculquant que la science est incompatible avec la foi en Dieu.

 

Le livre de la nature

Encore faut-il ne pas verser dans l’erreur inverse en leur imposant l’idée que seule la Bible peut nous instruire des origines de l’univers et du développement de la vie sur terre. À ce propos, faut-il vraiment rappeler qu’affirmer « l’évolution n’a jamais été prouvée » est devenu une contre-vérité. Depuis le séquençage du génome survenu en 2010, il n’est plus nécessaire de faire appel aux intuitions de Darwin comme à une théorie discutable. Désormais, l’évolution se lit dans la continuité du génome des êtres vivants comme dans un livre ouvert : depuis les premiers acides aminés jusqu’à nous, les humains. De ce fait, elle a dépassé le faisceau d’indices scientifiques concordants qui y conduisaient jusqu’alors, pour devenir aujourd’hui une réalité incontournable.

 

Articulation science et foi

D’autre part, quand je parle de la « création » ou du « créationnisme », je fais référence à un Dieu créateur. Je suis donc sur le terrain de la foi en Dieu. Ici encore, c’est avec raison que l’article dénonce l’incohérence qu’il y aurait à vouloir établir une synthèse entre l’évolution et la foi, comme si l’on parlait des mêmes choses : soit de deux convictions philosophiques, soit de deux faits scientifiques. Or, tout en dénonçant cette impossibilité, l’auteur entretient précisément cette confusion entre foi et science ; d’où son rejet de l’évolution par respect pour la Bible : ce qui serait tout à son honneur, si ce n’était hors propos.

Car, pour parodier le bon sens paysan des anciens : mieux vaut ne pas mettre les chèvres avec les choux ! Certes, ils peuvent parfaitement coexister côte à côte, mais pas se mélanger : tout comme la science et la foi peuvent coexister, mais pas au même niveau. Le fait de voir en Dieu l’auteur ou l’initiateur de la création n’autorise pas à l’identifier aux moyens qu’il a mis en œuvre pour la faire exister… et nous avec elle ! Dans quelque domaine que ce soit, on ne peut jamais confondre un auteur avec l’œuvre qu’il a produite, même si cette œuvre nous parle de lui.

En effet, les perfections invisibles de Dieu, sa puissance éternelle et sa divinité, se voient comme à l’œil, depuis la création du monde, quand on les considère dans ses ouvrages. »
(Romains 1.20)

 

Cela dit, il faut bien admettre qu’au premier abord, certains aspects de ces ouvrages ne sont pas visibles à l’œil nu, et ne suscitent donc pas l’émerveillement qu’ils mériteraient. Car en dehors de la beauté de la création, accessible à tous, la science est seule à pouvoir nous révéler toutes les subtilités de notre univers. Si bien qu’elle nous permet de découvre certains aspects de la sagesse de Dieu dans ses moindres détails, aspects qui, autrement nous resteraient inconnus au lieu de nous laisser éblouis, abasourdis par la grandeur de notre Créateur. Si cela n’ajoute rien à notre salut, cela ne manque pas de stimuler notre louange et notre adoration !

Dès lors, on comprend mieux pourquoi les chrétiens qui pratiquent l’une ou l’autre discipline scientifique – surtout au niveau de la recherche – se montrent bien peu portés à abandonner leur foi ou à délaisser leur engagement dans l’église locale. En effet, quand on les interroge sur leur façon de concilier foi et science – coexistence que certains athées et croyants disent impossible –, leur réponse est toujours plus ou moins la même. Car, lorsqu’ils étudient les lois qui gèrent l’univers et son expansion avec une précision qui défie l’imagination, quand ils découvrent l’incroyable évolution du vivant depuis les premiers acides aminés jusqu’à nous, les humains… ils demeurent pantois d’admiration et tombent à genoux devant la grandeur de Dieu !… Un Dieu qui, pourtant, a voulu se pencher jusqu’à nous – poussières ingrates, perdues au sein de l’univers – et même revêtir notre nature, comme il l’a fait en Jésus-Christ, pour mieux nous aimer et nous sauver de la folie du péché.

 

Ainsi, la Bible et la foi sont là pour répondre à : Qui est l’auteur du monde ? – Dieu !… Pour qui l’a-t-il fait ? – Pour nous !… Et dans quel but ? – Notre vie éternelle !… Tandis que les sciences sont là pour répondre à : Quels sont les moyens qu’il a utilisés ? – L’expansion de l’univers, des lois finement réglées – le « fine tuning » – et l’évolution des espèces !… Et quand tout cela a-t-il commencé ? – Il y a entre 1 et 14 milliards d’années, avec une « singularité quantique » dont on ne sait pratiquement rien !… Bref, la foi ne peut être mise en balance qu’avec d’autres croyances ou philosophies, et le Dieu des chrétiens ne peut être opposé qu’au « dieu hasard » des athées. Exactement comme la théorie de l’évolution ne peut être mise en balance qu’avec des théories scientifiques qui s’y opposeraient… Mais il est vrai qu’un domaine plutôt objectif, tel que la science, prête moins à discussion qu’un domaine plutôt subjectif, tel que la foi !

 

Dieu et la Révélation

Il est une moins une chose, avec laquelle mon créationniste se montrera sans doute d’accord avec moi. Par définition, la science ne peut étudier, démontrer, prouver que ce qui existe dans l’univers, c’est-à-dire dans le cadre de notre espace-temps. Celui qui est le Créateur de cet espace-temps y est nécessairement extérieur et échappera donc à toute démonstration scientifique cherchant tantôt à prouver son existence, tantôt à en décrier la possibilité. Dès lors, si quelque scientifique venait à démontrer l’existence de Dieu, celui-ci ne serait plus Dieu puisqu’il ferait partie de la création. De ce point de vue, nous avons sans doute moins à craindre du militantisme athée que des chrétiens bien intentionnés qui engagent la foi dans de faux combats.

Mais je reste serein : Dieu n’est-il pas éternel et infini, c’est-à-dire existant en dehors du temps et de l’espace ? Aussi, à travers la révélation des Écritures, il ne s’est rendu accessible que dans une relation personnelle avec Lui, en Christ et par l’Esprit saint…

Au commencement était la Parole, et la Parole était avec Dieu, et la Parole était Dieu. Elle était au commencement avec Dieu. Tout a été fait par elle, et rien de ce qui a été fait n’a été fait sans elle. En elle était la vie, et la vie était la lumière des hommes. […] La Parole a été faite chair, et elle a habité parmi nous, pleine de grâce et de vérité ; et nous avons contemplé sa gloire, une gloire comme celle du Fils unique venu du Père.
(Jean 1.1-4,14)

 

 


Note

[i] Sa Parole pour Aujourd’hui – méditations quotidiennes chrétiennes Ce site publie surtout les travaux de Bob Gass et héberge le blog d’Éric Denimal.

SPPA est éditée par : Catalogue en ligne, Éditions Bibles et Littérature Chrétienne (eblc.ch)

 

[ii] https://scienceetfoi.com/ – Site chrétien de réflexion. Il apportera certainement une réponse aux affirmations qui peuvent paraître arbitraires dans mon propos.