Article 1 sur un total de 4 pour la série :

Création, théorie de l’évolution, créationnisme


Introduction

(Marc Fiquet – Science & Foi)

Nous sommes souvent sollicités par nos lecteurs ou lors de nos déplacements pour répondre à des questions légitimes à propos de certaines publications sur des sites évangéliques français qui affirment que la science actuelle notamment l’évolution biologique s’oppose à la révélation biblique, mais qu’un jour les savants finiront par découvrir ce que la Bible annonce depuis bien longtemps. D’ailleurs on verrait surgir de temps à autre une publication scientifique qui va dans ce sens, confirmant bien cette vision des choses.

Nous sommes heureux de recevoir la contribution de Roland Benz pour répondre à ce questionnement et de bénéficier de son double regard à la fois scientifique et théologique, ayant exercé comme professeur de physique et pasteur en Suisse à la suite d’une formation universitaire en théologie.

Cette série en quatre volets n’a pas pour objectif d’activer une « guerre des blogs », mais vise à donner des éléments constructifs permettant à chacun de réfléchir avec le recul nécessaire à la fois sur  le fondement de l’approche scientifique moderne et sur la pertinence ou non du littéralisme biblique prôné le « créationnisme ».

 

1. Création et évolution

Y a-t-il une cohabitation possible entre les mots évolution et création ? Car souvent on les oppose de façon exclusive. Admettre l’un impliquerait automatiquement le refus de l’autre. Or, pour répondre à cette question, qui a suscité des affrontements parfois virulents, il s’agit de bien comprendre la signification de chacun des termes en jeu. En effet, si on assimile création à une action divine qui consisterait à faire surgir instantanément les choses et les êtres vivants, comme si le créateur avait en main la baguette d’un magicien qui ferait sortir de son chapeau tous les objets et les êtres vivants, et si, d’autre part, l’on entend dans le mot évolution un processus qui permet de nier Dieu, alors l’opposition devient irréductible. Ainsi comprise, l’action créatrice s’opposerait à toute notion de changement progressif du monde matériel et vivant au nom de la foi en un Dieu créateur. Réciproquement, la théorie de l’évolution se placerait au niveau d’une conception idéologique qui lui donnerait le pouvoir de se prononcer sur Dieu. Dans ces conditions, il n’est pas étonnant que des croyants se méfient de la théorie de l’évolution et que des scientifiques voient dans la foi en un Dieu créateur l’impossibilité de construire des théories sur la formation du monde. Or, à bien saisir ce que la Bible entend par création et ce que sont les théories scientifiques sur la formation du monde, il n’y a pas d’opposition, mais bien une complémentarité. C’est ce que je pense et veut essayer de montrer dans ces lignes.

La première chose à comprendre est que les termes d’évolution et de création ne relèvent pas du même registre de langage, au même titre que nous ne mettons pas sur le même niveau l’émotion vécue lors de l’écoute d’une pièce musicale et la technique de fabrication du CD qui porte son enregistrement. Dire « au commencement Dieu créa les cieux et la terre », ne constitue pas une explication quant au mode d’émergence du monde, car la Bible, même si nous reconnaissons en elle la Parole de Dieu, n’est pas un livre de sciences. « Dieu créa … », c’est une confession de foi qui exprime que Dieu est auteur du monde quelle que soit la façon dont le monde s’est formé. Que la formation de l’Univers ait passé par des processus très longs et complexes, Dieu n’en est pas moins le Créateur. Essayer d’expliquer comment cela s’est fait au moyen de théories scientifiques basées sur des observations n’élimine pas le Créateur ; comme l’analyse la plus approfondie d’un livre n’élimine pas son auteur. Croire en un Dieu créateur, autre que le monde, c’est reconnaître que le monde est donné par amour, par Dieu ; c’est recevoir sa vie comme don de Dieu ; c’est accueillir le monde comme le lieu d’un projet et d’un sens. C’est aussi accepter que le monde n’a pas son origine et sa vérité en lui-même, mais en dehors de lui, en Dieu, comme le dit la lettre aux Hébreux :

Par la foi, nous comprenons que les mondes ont été organisés par la parole de Dieu. Il s’ensuit que le monde visible ne prend pas son origine en des apparences.
(Héb. 11.2)

 

Je rappelle qu’en hébreux, le verbe bara, traduit par créer, ne peut avoir d’autre sujet que Dieu. Dieu est autre que le monde ; il a créé, à distance de lui, si l’on peut dire, comme le sculpteur est autre que sa sculpture. Et le monde reçoit de Dieu son autonomie : « que la terre produise… que les animaux se multiplient… » dit le texte.

L’action de Dieu n’est pas descriptible explicable, comme si nous avions la possibilité de sortir de l’Univers pour observer comment Dieu fait pour créer. Quand le chapitre 1 de la Genèse affirme à dix reprises : « Dieu dit » et que la chose existe, c’est une façon d’exprimer qu’il « commande » son existence ; il désire que la chose existe, mais cela ne dit rien sur le processus par lequel la chose vient à l’existence.

A partir du texte biblique, certains ont calculé que le monde avait à peu près 6000 ans d’âge. Toutefois, tout montre que la terre est bien plus âgée ; elle a environ 4,5 milliards d’années, sa matière ayant été formée dans des étoiles disparues ; le soleil, notre étoile, est à la moitié de son temps de vie ; son âge est de 5 milliards d’années. Quant à l’Univers, en expansion à partir d’une condensation d’énergie extrême, on estime son âge à 13,5 milliards d’années ! Constitué de 1000 milliards de galaxies, comprenant chacune environ 100 milliards d’étoiles, ses dimensions impliquent que la lumière met des centaines de millions d’années pour nous parvenir de galaxies lointaines.

Mais qu’est-ce qui est vrai ?

Le nombre de 6000 ans se base sur une interprétation littéraliste du texte biblique, propre aux créationnistes, qui voit dans les jours de Genèse 1 des jours de 24 heures : Dieu aurait fait le monde en 6 jours de 24 heures. Or à bien lire cet hymne au Dieu Créateur, on remarque que l’action créatrice de Dieu, -son travail, en quelque sorte- est racontée dans un cadre temporel symbolique, celui de la semaine que vit le peuple d’Israël : 6 jours de travail, un jour de repos, le sabbat. Il ne s’agit donc pas de voir dans ces jours des durées. D’ailleurs on se rend compte que les jours de 24 heures sont formés au quatrième jour créateur et que le septième jour n’a pas de fin. Force nous est de reconnaître que le texte biblique ne cherche pas à répondre au comment, mais à affirmer que Dieu est l’auteur de toutes choses et que rien dans ce monde ne peut être divinisé. Ce qui est tout de même frappant, c’est que le récit biblique montre aussi une progression dans l’advenue des choses et des êtres : il va de la création de la lumière primordiale à la création de l’être humain, en passant par la terre et les astres, la végétation et les animaux.

Les différentes théories scientifiques, celle de l’évolution de l’Univers et celle de l’évolution des êtres vivants tentent de rendre compte de cette construction lente et complexe du monde. La théorie du Big-Bang ne cesse de trouver des confirmations, même si certaines choses restent inexpliquées. La théorie de l’évolution qui part de l’idée que tous les être vivants sont apparentés et se sont formés par changements progressifs ou mutations, ce dont témoigne déjà la paléontologie et les études morphologiques, a trouvé dans la biologie génétique une confirmation éclatante : tous les êtres vivants sont construits à partir de la même structure biologique, le code génétique (ADN). Il se trouve même que le code génétique de l’homme correspond à celui du chimpanzé ou du gorille à plus de 99%. La différence –fondamentale- entre l’être humain et les singes n’est pas à chercher que du côté de la biologie !

Sur le plan personnel, nous sommes aussi le résultat d’une évolution. Nous avons tous et toutes commencé, au plan biologique, par la rencontre d’un spermatozoïde et d’un ovule. Cette nouvelle cellule initiale s’est ensuite subdivisée, pour croître progressivement et donner l’être que je suis. Cette « évolution biologique » de chaque être humain, accompagnée d’une évolution psychologique et affective n’empêche pas que l’on reconnaisse en lui une création.

Justement parce que l’explication scientifique ne peut exprimer ce qui est à l’origine de l’être.

Les sciences ne peuvent, par définition, se référer à Dieu, même lorsqu’elles sont face à des « vides explicatifs ». Parfois des croyants ont voulu voir dans les aspects inexplicables de l’évolution la preuve de l’action divine ; ce qui revient à recourir à un dieu « bouche-trou ». Ou au contraire certains y voient la preuve que la théorie est totalement erronée et doit être abolie. Or une théorie scientifique n’est jamais complète, ni définitive. Les scientifiques le savent bien ; c’est pourquoi, ils travaillent d’arrache-pied pour améliorer et compléter, voire transformer leurs théories afin qu’elles représentent au mieux la réalité. Il reste toujours des questions sans réponse, et heureusement ; car sinon il n’y aurait plus de recherche, la réalité étant bien plus subtile et riche que ce que l’on peut en comprendre. L’humilité des chercheurs est ainsi exercée, mais aussi leur curiosité. En tout cas, les sciences ne peuvent ni prouver l’existence de Dieu ni le nier. Par définition, elles n’en ont pas la compétence.

Curieusement, les théories ont des présupposés qui rejoignent les affirmations du texte biblique : le cosmos et les êtres vivants ont une unité de structure et une histoire. Les scientifiques admettent que les lois physiques régissant les phénomènes sont les mêmes en tout temps et en tout lieu. De même la biogénétique a montré que la les êtres vivants ont la même structure quel que soit leur degré de complexité et qu’ils ont une histoire.

 

2. Le créationnisme, une position exclusive, liée au littéralisme

Le créationnisme prétend que le monde a été créé en six jours de 24 heures, il y a environ 6000 ans, ce que l’on nomme la théorie de la jeune terre. Il est lié intrinsèquement à une lecture littéraliste de la Bible.

En effet, pour les créationnistes, elle serait la seule lecture possible pour accéder à la vérité du texte biblique, sans même reconnaître que cette lecture est elle-même une hypothèse de lecture que ni les Pères de l’Eglise (comme St Augustin) ou les Réformateurs n’ont pratiquée. Tout le problème vient de là ! C’est un présupposé philosophique (qui ne dit pas son nom) emprunté à la philosophie positiviste. La conséquence en est de réduire le texte à un ensemble de constats d’observation qui ne doivent pas être interprétés. Ce qui nuit considérablement à la richesse du texte biblique.

Les tenants du créationnisme ont bien sûr le droit de croire ce qu’ils croient, et je ne doute pas de leur foi ni ne la juge en tant que telle. Toutefois, je ne puis pas accepté les arguments utilisés par rapport aux sciences et à la Bible. Leur attitude d’exclusion est aussi problématique puisqu’ils jugent toute autre position comme non-conforme à l’Ecriture. Ils soupçonnent généralement les croyants qui reconnaissent la valeur des théories scientifiques sur la formation de l’univers (théorie du Big-bang) et celle des êtres vivants (théorie de l’évolution biologique) de ne pas être de vrais croyants. Dans son livre, D’où vient le monde, Monty White, un des leaders du créationnisme, affirme : « un chrétien ne peut être évolutionniste, il ne peut être que créationniste. »[1]

 

3. Confusion entre théorie de l’évolution et philosophie évolutionniste

Personnellement, je crois que Dieu est l’auteur de toutes choses et je n’ai aucune difficulté à accepter les théories scientifiques sur la formation du monde, tout en étant conscient qu’elles ne disent pas la vérité ultime du monde et qu’elles sont perfectibles, ce qui est le propre de la démarche scientifique. Elles ne sont jamais définitives même si une grande part de leurs acquis ne peut plus être mis en question ; par exemple, qui douterait encore que la terre tourne autour du soleil et non l’inverse ?

Les tenants du créationnisme dans leurs accusations à l’égard des scientifiques et des chrétiens qui lisent le texte biblique autrement qu’eux, font une confusion regrettable entre théories scientifiques de l’évolution et philosophie évolutionniste. En effet, les théories scientifiques de l’évolution en physique et en biologie sont des représentations de la réalité sans se prononcer sur l’existence ou la non existence de Dieu, car ce n’est pas de leurs compétences.

Quant à la philosophie évolutionniste, que je rejette, elle émane de philosophes et de scientifiques qui utilisent les sciences pour construire une philosophie qui peut devenir une idéologie (par ex avec le marxisme scientifique en Union soviétique ou, à l’autre extrême, dans l’ultra-libéralisme dans lequel la société est considérée comme une jungle où le plus fort doit gagner). Cette philosophie sort du cadre des sciences. Généralement, elle consiste à exclure l’action créatrice de Dieu et donc Dieu. Son argument principal est d’affirmer que le monde est le résultat du seul hasard et de la nécessité, comme l’affirmait le biologiste et prix Nobel Jacques Monod en 1965. Le hasard devient une sorte de paradigme explicatif récurrent mais qui, de fait, n’explique rien ! Un des champions actuels de la position évolutionniste est le biologiste anglais Richard Dawkins[2] un athée effectivement féroce. Pour appuyer leurs propos, les créationnistes citent souvent des scientifiques athées, comme Richard Dawkins, afin de montrer que les théories de l’évolution conduisent nécessairement à une attitude hostile à la foi au Dieu créateur.

Or, de grands scientifiques croyants montrent clairement que la foi et les théories scientifiques ne s’excluent pas pour autant que l’on sache distinguer ces deux démarches, par exemple, Francis S. Collins, responsable du projet du décryptage du génome humain, nommé par Barak Obama directeur de l’Institut national de la santé, dans son livre « De la Génétique à Dieu » ou de Arnold Benz, professeur d’astrophysique à l’Ecole polytechnique fédérale de Zürich, a écrit plusieurs livres dont « L’avenir de l’univers- Hasard, chaos ou Dieu ? ». Je pourrais citer de multiples savants et théologiens refusant catégoriquement les thèses créationnistes alors que des créationnistes comme Laurence Tinsdall prétendent que seul 15% des scientifiques croyants rejettent leurs thèses !

Actuellement, la plupart des scientifiques non croyants n’utilisent pas les sciences pour affirmer que Dieu n’existe pas, sachant bien que ce n’est pas dans les compétences des sciences.

 

Dans le prochain article nous mettrons le doigt sur un paradoxe du créationnisme qui dénonce la science actuelle bien qu’il y recourt lui-même dans ses argumentations.

 


Notes

[1] Dr Monty White, D’où vient le monde ? Centre biblique européen, 1983

[2] Professeur de biologie à Oxford, auteur du livre Pour en finir avec Dieu, (en anglais : The God Delusion), 2006 (ISBN 978-2-2211-0893-2). Voir aussi article sur Wikipedia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Richard_Dawkins

 

 

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