Un scientifique de renommée internationale remet en cause la théorie de l’évolution dans une conférence « Bible et science »

La conférence créationniste « Bible et science » qui a eu lieu à Mulhouse cet automne a eu entre autres comme orateur le généticien John Sanford, connu dans le monde scientifique pour la mise au point d’une méthode de transformation génétique des plantes en « bombardant » de particules enrobées d’ADN des tissus végétaux à l’aide d’un canon à particules.

C’est une méthode qui est très utilisée encore aujourd’hui lorsqu’on veut introduire un gène « nouveau » dans le génome d’une plante. En 2018, il a été le co-auteur avec le mathématicien William Basener d’un article publié dans la revue Journal of Mathematical Biology[1] qui reprend le « fameux » théorème fondamental de la sélection naturelle de Fisher et démontrerait qu’il ne rend pas compte du fonctionnement du vivant, potentiellement ébranlant sur ses fondements même la théorie de l’évolution…

Autant dire que cette information a fait le buzz dans certains médias confessionnels notamment dans le monde évangélique ! Mais qu’en est-il vraiment ?

Plusieurs lecteurs nous ont interrogé à ce sujet.

 

Le théorème de Fisher

Tout d’abord, il est important de noter que le théorème de Fisher a été l’objet d’un vif débat parmi les scientifiques. Que dit-il ? Que le changement de la valeur sélective (fitness dans le texte) d’une population dépend de sa variabilité génétique compris dans un sens très particulier et très restrictif.

La valeur sélective d’un individu ou d’une population se mesure par le nombre de descendants qu’il/elle laisse à la génération suivante. Elle dépend de sa survie (la probabilité  d’atteindre l’âge adulte et de sa fertilité). Ce qui fait débat parmi les spécialistes de l’évolution c’est qu’il n’est pas clair dès le départ ce qu’entendait Fisher par ce changement de fitness, lui-même n’explicitant pas clairement ses propos. On a donc affaire à une affirmation verbale non explicitée reposant sur une formulation mathématique. D’autre part, les conditions du « théorème » de Fisher sont si restrictives qu’elles ont peu de valeur pour rendre compte de l’évolution. C’est pourquoi, depuis longtemps, beaucoup d’évolutionnistes ont relativisé son caractère fondamental[2] !

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Qu’ont décrit Basener et Sanford dans leur article de 2018 ?

Ils proposent d’ajouter au modèle de Fisher l’effet de la mutation, qui est source de variabilité. Je pense que la résolution mathématique est correcte, car évaluée par des pairs, mais ce qui a attiré mon attention est la valeur d’un paramètre utilisé dans leur modèle. La mutation est une modification de l’information génétique. Il peut en résulter des variations de séquence d’ADN délétères (générant par exemple une protéine qui fonctionne moins bien) ou bénéfiques. Dans leur article, Basener et Sanford considèrent que ces mutations délétères sont 1000 fois plus fréquentes que les mutations bénéfiques, citant leurs propres publications dans des journaux non scientifiques. Leur modèle, avec ce paramètre, montre que les populations ne peuvent pas augmenter leur valeur sélective, donc leur capacité à s’adapter, et sont donc vouées à disparaître inéluctablement. En effet il y a trop de mutations délétères pour que la sélection les élimine toutes.

 

Que disent les données les plus récentes sur le ratio mutations délétères/mutations bénéfiques ?

Une étude récente[3] publiée dans la revue prestigieuse Plos Biology en juin 2019 sur Chlamydomonas reinhardtii, une algue verte unicellulaire, a estimé ce ratio en mesurant l’effet des mutations sur le taux de croissance de ces algues (une manière de mesurer la valeur sélective de cette espèce) sur des lignées qui à partir d’une lignée ancestrale ont accumulé de manières indépendantes des mutations. Comment détermine-t-on ces mutations ? En séquençant l’entièreté de leur génome, permettant d’obtenir un catalogue quasi exhaustif de toutes les mutations accumulées par les différentes lignées toutes dérivées d’une même lignée ancestrale. De plus, on se place dans des conditions où la sélection n’agit pas, et donc n’élimine pas les mutations délétères, pour avoir ainsi une image assez exacte des mutations spontanées avant sélection.

 

Quel est le résultat ?

Si on ne considère que les mutations qui ont un effet négatif ou positif supérieur à 1% sur le taux de croissance, le ratio mutations délétères/mutations bénéfiques est de 6/1 donc bien inférieur au ratio de 1000/1 dans le modèle de Basener et Sanford !

Donc pour tirer un peu le trait, il est clair que si les paramètres du modèle font en sorte que les mutations délétères sont ultra majoritaires, il n’est pas étonnant que le modèle produise le résultat quelque peu attendu : les mutations délétères s’accumulent et conduisent à terme à l’extinction des espèces, d’où ce terme d’entropie génétique inventée par Sanford, dont le support m’apparaît bien fragile…

Une étude effectuée sur la plante Arabidopsis thaliana[4] en utilisant le même principe de lignées accumulant des mutations a montré qu’un peu moins de la moitié des mutations augmentaient le nombre de fruits par plante ou le nombre de graines par fruit, deux caractères qui sont directement liés à la valeur sélective des individus.

 

D’autre part, les expériences d’évolution expérimentales par exemples sur les bactéries (cf article correspondant) montrent que les populations s’adaptent via l’émergence de nouvelles mutations favorables.  D’ailleurs cette approche est utilisée en biotechnologie pour obtenir des mutants ayant de nouvelles propriétés !

 

Plus généralement, comment expliquer l’existence de populations adaptées localement à des environnements différents (le résultat d’un processus associant mutation et sélection), comme par exemple l’adaptation des populations humaines aux hautes altitudes et à un environnement plus pauvre en oxygène?

 

Conclusion

Les faits montrent que les populations s’adaptent, et que si la mutation génère des mutations délétères, elle produit aussi des mutations favorables à une fréquence loin d’être infime !

Les travaux de Sanford, ne sonnent donc pas le glas de la théorie de l’évolution comme certains s’empressent de l’annoncer ni même de confirmer une lecture littérale de la Genèse si c’était le but de la conférence « Bible et Science » de Mulhouse que de vouloir le démontrer par ce biais.

 

Nous reviendrons dans des articles futurs sur ce mélange que produit le créationnisme jeune-terre dans cette conférence, entre science et lecture littérale des Ecritures engendrant des confits permanent limitant le champ de l’investigation scientifique et dictant les résultats par avance.

 


Notes

[1] Basener WF, Sanford JC (2018). The fundamental theorem of natural selection with mutations.J. Math. Biol. 76: 1589-1622.

[2] Crow JF (2002) Perspective: Here’s to Fisher, additive genetic variance, and the fundamental theorem of natural selection. Evolution 56: 1313-1316.

[3] Böndel et al. (2019) Inferring the distribution of fitness effects of spontaneous mutations in Chlamydomonas reinhardtii. Plos Biol. 17(6): e3000192.

[4]  Shaw et al. (2002) A comprehensive model of mutations affecting fitness and inferences for Arabidopsis thaliana. Evolution 56: 453-463.