.

Comme indiqué sur cette communication, le 2e RDV de la Pensée Protestante (RDVPP) réunissait les universités de théologie protestantes et évangéliques autour de la thématique  :

L’autorité des Écritures pour aujourd’hui : enjeux et perspectives

David Vincent et moi-même avons pu participer à ce séminaire. Sans vouloir en restituer ici toutes la teneur des débats, je voudrais simplement rapporter ce qui me semble  plus directement en rapport avec la problématique de ce site et quelques grandes lignes.

Il sera peut-être possible pour les absents d’en savoir un peu plus, les interventions ayant été filmées, elle seront peut-être mises en ligne sur le site des RDVPP

l’animation

Le principe d’animation des RDVPP est plutôt intéressant. Chaque faculté est en binôme, généralement il s’agit d’un enseignant secondé d’un étudiant mais cette règle n’est pas absolue. Le binôme élabore une thèse commune sur le sujet du séminaire qui sera discutée par un binôme d’une autre université (on s’arrange pour que les sensibilités théologiques soient plutôt éloignées). On procède de manière croisée. Chaque groupe est animé par un modérateur.

  • Le binôme A présente un résumé de sa thèse
    • thèse qui est reformulée par le binôme B – On s’assure ainsi que la problématique est bien comprise, mais cela permet également à l’autre partie qui a souvent une vision différente, d’exprimer un autre point de vue que le sien, de faire l’effort de le dire comme s’il était l’autre. Dans un second temps, il peut prendre du recul par une attitude critique et formule ses questions ou contestations (antithèse).
    • Le binôme A répond aux sollicitations de B qui peut à nouveau y répondre (dialogue).
  • On inverse ensuite les rôles avec B qui présente sa thèse
  • Après ce premier échange, l’assistance s’adresse aux binômes par des questions / remarques pour enrichir le débat.

Pour favoriser la richesse des échanges, les thèses présentées sous forme résumée étaient connues par avance des interlocuteurs et du public, elles sont disponibles ici :

Télécharger les thèses

Les débats

  1. A. Faculté libre de théologie évangélique de Vaux-sur-Seine / B. Institut Protestant de Théologie – Paris
  2. A. Faculté adventiste de théologie de Collonges-sous-Salève / B. Faculté de théologie de l’Université de Genève
  3. A. Faculté Jean Calvin d’Aix-en-Provence / B. Faculté de théologie de l’Université de Strasbourg
  4. A. Haute-Ecole de Théologie HET-PRO de Lausanne / B. Institut Protestant de Théologie – Montpellier

Globalement les échanges n’ont pas été très virulents alors qu’on sait que le thème de l’autorité des Écritures est plutôt clivant au sein du protestantisme français. On peut saluer la performance des participants pour leur profond respect et la fraternité exprimés lors des échanges, c’est vraiment très différent de l’ambiance des réseaux sociaux :mrgreen:

Bien sûr, sur le fond, on aura vu se dégager des conceptions différentes de l’autorité que le pasteur Samuel  Amedro résumait sous la forme d’un écart entre deux positions, l’une prônant une autorité en amont des Écritures et l’autre en aval, par exemple une autorité conférée par l’Église. Il ne s’agit pas pour autant de tomber dans le piège d’une caricature visant à enfermer la vision évangélique (groupes A.) comme prônant une autorité liée exclusivement à la lettre, et l’approche libérale (groupes B.) comme prônant un texte déconnecté de toute révélation. Car ces deux positions se dessinent dans le cadre de discussions  aux frontières parfois assez floues. (Une très bonne expérience consistera à lire les thèses disponibles en téléchargement et si vous êtes d’une sensibilité théologique particulière, vous serez peut-être surpris d’être d’accord avec des éléments contenus dans des thèses d’écoles qui ne sont pas forcément de la même sensibilité que la vôtre).

Par exemple dans le premier débat, le groupe B. présentait un binôme composé d’un étudiant pentecôtiste (évangélique) qui était souvent plus proche de la thèse de vaux que de son propre projet, mais Il a pu néanmoins contribuer  à une thèse différente au sein de sa faculté, l’IPT de Paris (la vision patriarcale déployée dans la Bible et ses influences négatives sur la société). les deux parties de ce débat conviennent de l’intérêt de la méthode historico-critique pour l’étude biblique et Paris reconnait qu’il ne s’agit pas d’absolutiser cette méthode. Dans le deuxième débat, Bien que la faculté adventiste soit plutôt favorable à une autorité en amont des Écritures par les questions existentielles qu’elles adressent à l’homme et comme lieu de rencontre qu’elle suscite en Jésus-Christ, elle admet également un lien entre l’Église et les Écritures quand il s’agit de penser son autorité. On ne pourrait pas considérer l’Écriture sans sa relation avec l’Église et vice versa. Citant Actes 15, Luca Marulli illustre ce fait en montrant qu’il jaillit ici un sens nouveau dans l’Écriture par le biais d’un travail collectif de la communauté de Jérusalem (« il a plut au Saint-Esprit et à nous-même […] »).

Il faudra attendre le 3e débat pour qu’enfin le terme d’inspiration soit prononcé avec Strasbourg. André Birmelé, conçoit une inspiration des auteurs bibliques et non des écrits eux-mêmes (de la lettre). S’en référant à la Réforme et notamment à Luther, il rappelle la distinction entre Écriture et Parole de Dieu et fait du Christ, Parole de Dieu, le centre des Écritures. Le contenu de cette inspiration est celui de la révélation, c’est donc la même qui agit dans le cœur du croyant aujourd’hui par le Saint-Esprit, pour le lecteur ou le prédicateur. Donald Cobb pour Aix se réclame également de la Réforme, mais au travers d’une théologie néo-calviniste. Dieu est l’auteur de la Bible et le passage phare est celui de 2 Tim 3.16. Un débat s’engage entre les deux facultés sur l’inspiration des textes bibliques, Strasbourg affirme qu' »il n’y a pas eu de téléphone entre Dieu et les auteurs bibliques ». Aix acquiesce et convient que les auteurs ont pu être inspirés c’est à dire recevoir la révélation de Dieu dans leur vie en dehors du processus d’écriture qui leur appartient en propre. Cependant vu que la notion d’inerrance biblique n’a pas du tout été abordée, il me semble que si en apparence les deux hommes semblent parvenus à un terrain d’entente, les vues sont loin de concorder dans les faits.

On pourra en effet regretter que dans ces discussions le regard soit le plus souvent tourné vers l’intérieur, on pense l’autorité de la Bible pour les croyants. Car si tous lui reconnaissent son caractère spirituel, celle-ci ne saurait s’imposer par un élément extérieur. La question ce cette circularité a été posée, et la réponse se trouve dans une invitation à l’expérience de foi, celle de répondre au témoignage que l’Écriture donne de la Parole, donc du Christ.   « Viens et vois » c’est l’invitation qui est faite à celui qui veut savoir, toute référence externe telle qu’un appel à la raison ne fait que sortir d’un cercle pour retomber dans un autre, car qu’est-ce qui garantit que la raison soit qualifiée pour s’autojustifier, rappelle Donald Cobb ?

Mais la question des périmètres impactés par l’autorité des Écritures n’a malheureusement pas été traité plus en avant.

Il aurait été vraiment intéressant d’éclaircir davantage le vocabulaire. Le 4e débat portait justement sur l’ambiguïté du langage (Montpellier) et les nombreux « blancs » laissés dans la Bible (Ex Luc). Plusieurs groupes (évangéliques) ont annoncé que dans l’Écriture « Dieu parle » mais de quoi parle-t-il ? La question n’a pas été relevée dans les débats. En gros de quelle autorité parle-t-on quand on parle de l’autorité des Écritures ? d’une autorité spirituelle, morale, scientifique ?

La plupart du temps il me semble que les discussions n’ont traité que du premier sujet, ce qui explique la teneur plutôt « soft » des débats, il y a eu quelques allusions au caractère moral des Écritures mais les discussions ne sont pas allées très loin. On a évoqué succinctement le sujet de l’homosexualité, on sait que ce sujet est pourtant très brûlant au sein du protestantisme aujourd’hui.

Quant au troisième sujet, il a été passé sous silence, or il y aurait eu certainement des choses à dire et à clarifier. Par exemple Yannick Imbert, doyen de la Faculté Jean Calvin, personnellement absent de ce séminaire vient d’apporter son soutient à une publication se prononçant sans ambiguïté à une approche littéraliste et concordiste de la Genèse : Il apparaît dans les recommandations du livre fraîchement publié par Richard Gaffin, sous le titre Sans Adam, pas d’Évangile.  je le cite :

Richard Gaffin livre ici une claire exposition du lien nécessaire entre l’historicité d’Adam et la mort et résurrection de Christ.

Je ne sais pas si par son soutien à cette publication, Yannick Imbert engage le point de vue de l’ensemble se sa faculté, mais que penser de l’assertion suivante qui présente l’ouvrage de Gaffin ?

Plusieurs ont exprimé leurs doutes et ont rejeté l’enseignement biblique selon lequel les humains descendent d’un couple originel, Adam et Ève […]

La Bible enseigne-t-elle vraiment que l’humanité est issue d’un seul couple ? Ou est-ce une interprétation particulière de ce récit qui veut le voir comme historique ? Au sein même de la Genèse, les genres littéraires cohabitent, et peu d’exégètes aujourd’hui plaident en faveur de l’historicité de Gn 1-11. Mais une certaine théologie ne conçoit tout – y compris la venue du Christ – qu’à travers une chute historique, et se sent menacée par les découvertes de la science comme l’évolution quand cette vision est remise en cause. Il y a donc conflit d’autorité entre celle que l’on accorde à la lecture des Écritures, et celle de la science.

Pour la petite histoire, Science & Foi publie les jours prochains une antithèse du point de vue de Gaffin ;-). Roger Lefèbvre a rédigé sous forme de synthèse,  La croix est-elle une réponse au péché d’Adam ? et dans une version plus détaillée : Tous puni à cause d’Adam ?

Le monde évangélique est en pleine ébullition sur ces questions, mais étrangement le séminaire ne s’y est pas frotté.

Conclusion

Ces discussions en face à face révèlent tout de même l’importance d’un dialogue au sein du protestantisme français (élargi) et la richesse de son héritage commun. Ce n’est que la deuxième rencontre, les acteurs en sont certainement encore au stade d’apprendre à se connaître, ce qui explique peut-être une certaine retenue dans les débats. Olivier Abel (IPT Monpellier) le rappelait dans sa synthèse conclusive en reprenant les propos de Neal Blough (Vaux), « il y a une nécessité de relire ensemble notre histoire ».

La prétention à vouloir faire émerger UNE pensée protestante est peut être ambitieuse, mais comme l’a fait remarquer une des modératrices, au travers les différentes discussions et le dialogue qui s’établissent, c’est un NOUS de théologiens protestants qui se construit.

Gabriel Monet (Collonges) a mis pour sa part en évidence les différentes tensions qui ont surgi des débats et qui pourraient faire l’état d’études plus approfondies, comme la distance nécessaire entre Parole et Écriture, Le Christ et l’Écriture, Auteur ou texte inspiré ? rapport entre Église et Écriture, …

Comme je l’ai souligné, j’ai personnellement regretté que les débats n’abordent pas spécifiquement l’aspect de la vocation des Écritures, spirituelle, morale, scientifique ? Cela aurait permis de clarifier davantage les positions et d’aborder des thèmes malheureusement passés sous silence et encore bien présents dans le quotidien de l’Église et son rapport à la société.

Bien sûr il faut savoir prendre conscience de la distance qui peut séparer ces thèses de ce qui se vit dans les Églises. Les facultés de théologie ne sont pas l’Église à part entière et n’ont pas la prétention d’en représenter toute l’expression. Mais elles démontrent ici qu’elles peuvent être un lieu privilégié pour faire progresser l’unité comme lieu de dialogue apaisé et fécond pour tenter de faire évoluer et converger la réflexion théologique.