Le concept philosophique de la « chute d’Adam » et la doctrine du péché originel qui en est son corollaire ont le mérite de marquer un point fondamental de la théologie chrétienne, à savoir que tout être humain a besoin de Dieu et de sa grâce pour être racheté de la condamnation du péché et vivre éternellement.

Or, dans le contexte scientifique et philosophique d’aujourd’hui, l’effort pour démontrer la véracité de ces faits théologiques « tombe souvent à plat ». Surtout lorsqu’on prend pour preuve ou appui la doctrine augustinienne du péché originel. Les nouvelles connaissances en exégèse et aussi en science ne permettent plus de suivre Augustin dans sa logique – Permettons-nous de rappeler succinctement ici que la science moderne aura définitivement prouvé que l’humanité n’est pas issue d’un seul couple comme on le croyait jusqu’alors mais de plusieurs milliers d’individus.

D’où l’effort de ce blog de chercher à transposer les vérités de la création de la Genèse d’une manière harmonieuse avec l’esprit scientifique propre à notre siècle (sachant qu’avant Augustin d’autres Pères de l’église avaient déjà proposé des lectures différentes des ces récits comme nous en avons déjà discuté dans d’autres articles).

 

 

Au commencement Dieu

Il est toujours impératif de retourner dans le passé pour comprendre le présent. La quête des origines est et restera toujours pertinente. Pour se connaître, il faut savoir raconter d’où l’on vient. Les détails scientifiques n’exitent personne lorsqu’il s’agit de brosser le grand tableau de l’origine du monde. Qu’y avait-il au commencement ?

La Bible est explicite :

Au commencement Dieu…

Transposé en vocabulaire philosophique, nous pourrions dire que Dieu est l’être premier et nécessaire, l’être qui n’est issu de rien d’autre que lui-même parce que si ce n’était pas le cas, il y aurait un Dieu/Être qui serait antérieur.

Théologiquement donc, Dieu est la pierre angulaire de tout. Ce n’est qu’ensuite que vient la création, et enfin l’humanité. La Bible annonce que Dieu est éternel, intemporel, en plénitude (d’où vient tous les « omni » tel que l’omniscience, l’omnipotence, etc.) mais aussi « dynamique » : de toute éternité, le Père engendre le Fils et d’eux procède l’Esprit.

Il ne faut pas ici s’enfarger dans les termes. Dieu est à la fois « un » et « communautaire ». C’est l’intuition de la trinité. Il est une communion d’amour infini, une communauté créatrice. La révélation progressive culmine en Jésus-Christ, le Fils de Dieu incarné, mort pour nos péchés et ressuscité pour entrer dans le Règne éternel.

 

 

Ce Dieu créa

Et Dieu créa… Outre sa gloire, la création du monde résulte du désir de Dieu à partager son amour. Lorsque Dieu crée (hb., bara), il tire du néant, il fait advenir quelque chose qui n’était pas. Le livre de la Genèse n’explique pas les choses exactement ainsi ; la terre est informe et vide, elle est immergée dans l’eau primordiale, une conception propre au Proche Orient Ancien.

Or la vérité théologique toujours valable aujourd’hui est que cette création a une double particularité. D’abord, elle vient de Dieu. Elle n’est pas divine. Elle est « en Dieu » mais ne peut être fondue en lui. Elle ne lui est pas identique. Elle est faite, cette création, de ce qu’Augustin, et après lui plus clairement Tillich, à appelé en des termes philosophique : un mélange « d’être » et de « non-être ».

En Dieu, il n’y a que l’être. La création, elle, est faite d’être et de non-être et tend à y retourner si ce n’était que de la volonté du créateur. La création est ontologiquement inférieure à l’être divin : elle a un début et une fin ; elle n’est pas intemporelle, ni éternelle, elle change dans le temps, se transforme, etc.

Ce mélange fait de la création un être vivant aux mille possibilités ; elle est dynamique (le temps, en elle, marque le mouvement de la création). Sans être parfaitement à l’image de l’être (ce qu’est Jésus-Christ), la nature est un magnifique témoignage de l’Être en ce qu’elle est esthétique, autorégulée, ordonnée, harmonieuse, dynamique, etc.

La création, à travers son évolution, a atteint un parfait état d’équilibre que nous pourrions observer si ce n’était du péché humain qui détruit la planète. Sinon, la nature ne produit ni perte ni déchet. Il y a certes une chaîne alimentaire et un phénomène naturel de prédation nécessaire à l’équilibre ; tout ce qui vit est éphémère. Tout est sans cesse menacé par le néant, la mort. Rien ne subsiste en soi, n’est éternel par lui-même. Tout se maintient grâce à l’être qui lutte sans cesse contre le « non-être ».

 

Dieu créa l’homme à son image

La création de la nature est antérieure à celle de l’homme. Cela détermine en partie sa situation existentielle. L’humanité est issue à la fois de Dieu ET de la nature. De cette dernière, il restera solidaire tant qu’il demeurera terrien. L’humanité ne peut échapper à cette réalité que bien qu’étant le sommet de la création, il demeure formé de la poussière du sol.

L’homme occupe donc une place bien particulière dans la création ; celle de faire partie de la nature (sans être totalement défini par elle) et celle d’être créé en image de Dieu (sans être toutefois divin). L’humanité officie comme intermédiaire entre les réalités spirituelles et naturelles. Il est à la fois humain et divin, sans être totalement ni un ni l’autre.

 

 

Le jardin

Dieu plante un jardin en Éden et y place l’homme. Le jardin est une nature pacifiée à la réalité humaine. Le jardin, c’est un idéal de vie pour l’homme. Un lieu esthétique, ordonnée, paisible, sécuritaire. L’homme y vit la sédentarité à laquelle l’Israël nomade soupirait. Mais le jardin, en cette création, n’est pas encore le paradis terrestre. N’y a-t-il pas l’arbre de la connaissance du bien et du mal en son sein ? N’y a-t-il pas non plus ces « champs » sauvages à côté du jardin, lieu des bêtes indomptées dont certains sont rusés tel le serpent ? Le paradis est devant. Il est « déjà là » mais « pas encore complètement ». Dieu appelle l’homme à s’impliquer.

 

 

Face à l’adversité

Au cœur de cette création bonne, c’est-à-dire capable d’atteindre les espoirs du créateur, se trouve l’adversité. L’adversité n’est une opportunité que Dieu peut changer en moisson. Oui certes, il y a incontestablement la réalité du non-être. Dès sa création, l’humanité aura besoin d’être secouru. L’humanité n’est rien sans Dieu. L’homme n’est rien « en soi », sinon qu’une herbe qui bientôt se fane.

 

 

Conclusion

La Genèse donne des signes évidents de « non-être » au cœur du jardin d’Éden. La jeune humanité est faillible et vulnérable. Elle a besoin de Dieu. Tel est le dessein de l’auteur de la Genèse, nous montrer ce besoin[1].

C’est pour cela que le premier récit humain en est un récit hautement réaliste, qui démontre une humanité ayant besoin, dès sa création, d’une conversion au Dieu de grâce, et d’une relation de foi basée sur la connaissance de leur fragilité, afin de surmonter sa fragilité et l’adversité inhérente à l’existence. Le serpent n’est là, en fin de compte, que pour mettre ce besoin en évidence. C’est toujours son rôle.

Le récit d’Adam et Ève appelle finalement toutes les nations à constater ce fait. Tout comme les premiers parents ont passé d’un état d’innocence, d’inconscience et d’ignorance à une absolue conscience de la nécessité de croire et d’obéir en Dieu, ainsi en est-il de nous aujourd’hui. Chacun fait face à cette tentation du non-être représentée par le serpent. Or elle demeure, à chaque génération, tapie à nos portes sous différentes formes.

Nous avons tous besoin de Dieu. C’est le message puissant de la Genèse, les élucubrations d’une chute originelle et d’un péché transmis de nature sont rendus, pour ainsi dire, des dogmes qui ne résonnent plus, non pas sans valeurs, mais peu utiles pour le développement futur de la saine doctrine du salut.

 

 

 


Notes

[1] Par exemple, Ève ne saisit même pas le commandement divin, la femme transformant le sens de « tu ne mangeras pas » (2.17) en : « vous n’y toucherez pas… » (3.3). Ensuite Adam n’assume malheureusement pas son leadership devant au serpent, laissant la femme être séduite. N’est-il pas exact de dire que la foi personnelle semble quasi-absente des échanges chez Adam et Ève ? Et pour finir, de constater que la naïveté du couple primordial, empreinte d’une ignorance relationnelle des choses spirituelles, éclate au grand jour grâce à la ruse du serpent ?

 

 

 

 

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