Article 3 sur un total de 3 pour la série :

Dieu, la Bible, la souffrance et la mort ♥♥♥


Cette série d’abord publiée en 2010 est tout à fait adaptée à certaines réflexions émanant des derniers commentaires sur notre blog et servira de transition avant de poursuivre notre exploration théologique à propos du péché originel et la manière dont nous pouvons réfléchir à la portée des premiers chapitres de la Genèse à la lumière des connaissances actuelles.


L’article de ce jour a été écrit par Bethany Sollereder. Il a d’abord été publié  en anglais sur le site de la fondation biologos sous le titre 

COMMENT DIEU POURRAIT-IL CREER AU MOYEN DE L’EVOLUTION ? UN REGARD SUR LA THEODICEE – PARTIE 1

 

Il a été traduit en français pour le blog Création & Evolution par Christophe Crussière.

Bethany Sollereder est titulaire d’un Master de l’Université Regent College de Vancouver (Canada), spécialisé en science et religion. Son mémoire avait pour titre « Théodicée de l’évolution : vers une perspective évangélique. » Elle a  été acceptée en études de doctorat à l’université d’Exeter et espère commencer en  2011. L’autre amour de Bethany est l’histoire britannique du 19ème siècle. Lorsqu’elle ne lit pas à propos de la science et de la foi, elle lit en général de la littérature victorienne.

“Comment un Dieu bon pourrait-il créer par un processus qui implique tant de douleur et de mort ?” Pour beaucoup de gens, accepter l’évolution est moins une question scientifique qu’une question théologique. Après tout, regarder l’évolution comme la méthode de création de Dieu nécessite d’affirmer que la mort, la douleur et les catastrophes naturelles font partie de la boîte à outils de Dieu pour créer, au lieu d’affirmer qu’elles résultent de la chute de l’homme. Dans cette série en trois parties, je m’appliquerai premièrement à expliquer comment les théologiens et les scientifiques ont considéré le monde de manière contradictoire, et m’interrogerai ensuite au plan théologique sur la question de savoir comment un monde créé par des moyens d’évolution peut être bon.

Regardons tout d’abord comment les théologiens ont vu notre monde. Les théologiens – académiques et populaires, contemporains et anciens, ont presque toujours affirmé le lien entre le péché et la mort physique. A partir de passages comme Genèse 3 et Romains 5 & 8, ils ont soutenu que la mort est venue à travers le péché. Eu égard au monde naturel, cela revient à invoquer le scénario de chute cosmique après laquelle survinrent non seulement la mort humaine, mais aussi les séismes, les tornades, la douleur, la prédation et les épidémies.

Considérez cette citation de Jean Calvin :

car il apparaît que tous les maux de la vie présente, dont l’expérience prouve qu’ils sont innombrables, procèdent de la même fontaine. La rigueur de l’air, le givre, les éclairs, les pluies anormales pour la saison, la sécheresse, la grêle, et tout ce qui est en désordre dans le monde, sont les fruits du péché. Il n’y a pas non plus d’autre cause primaire aux maladies 1.

C’est plutôt clair, n’est-ce pas ? Dieu n’a pas voulu que ces « maux » fassent partie du monde, et la seule raison pour laquelle ils existent est le péché de l’homme.

Qui plus est, les théologiens voient la rédemption par Christ sur la croix comme la dénonciation de ces maux naturels. Par exemple, T. F. Torrance écrit

 La croix du Christ nous dit sans erreur possible que tout mal physique, non seulement la douleur, la souffrance, la maladie, la corruption, la mort et bien-sûr la cruauté et le venin chez les animaux tout comme dans le comportement humain, mais aussi les calamités « naturelles », les dévastations et les monstruosités sont un outrage contre l’amour de Dieu et une contradiction du bon ordre de sa création. 2

De leur côté, les scientifiques ont regardé ces mêmes phénomènes naturels et en sont venus à la conclusion que les réalités telles la douleur, les séismes et la mort étaient en fait nécessaires pour avoir des vies belles et florissantes. Comment en sont-ils arrivés là ? Regardons deux exemples : les séismes et la douleur.

Lorsqu’ils parlent de la tectonique des plaques3, les médias ont tendance à se focaliser sur les aspects négatifs des plaques mobiles de notre planète. On entend parler de l’activité volcanique qui ferme le ciel européen, des tsunamis qui dévastent des populations entières, et bien-sûr des séismes, qui ont causé des dégâts majeurs et coûté leurs vies à beaucoup de gens à Haïti, en Chine et au Chili. Comment les séismes peuvent-ils être bons ? Que fait le cycle des plaques d’autre ?

Tout d’abord, au moyen de la rotation du manteau qui est dessous, la tectonique des plaques contribue au champ magnétique qui entoure notre planète, lequel retient l’atmosphère et repousse les rayons cosmiques mortels en provenance du soleil, qui détruiraient la vie s’ils atteignaient la planète. En second lieu, le mouvement tectonique des plaques force les plaques solides à s’enfoncer dans le manteau liquide et à fondre à certains endroits, tandis qu’à d’autres endroits, les plaques se séparent et permettent au magma chaud de remonter et de se solidifier. Ce recyclage consomme la chaleur produite par la radiation intérieure de la Terre. Ce processus est si efficace qu’il consomme presque 90% de la chaleur produite par la Terre. En comparaison, sur Vénus, l’absence de tectonique des plaques signifie que la même chaleur produite par le cœur n’est pas recyclée, et la pression et la chaleur augmentent tellement qu’on perd la distinction entre le manteau et l’écorce – La planète entière est en fusion. Le reste du temps, les températures à la surface avoisinent les 500 degrés Celsius. Il y a bien d’autres avantages à la tectonique des plaques, y compris la stabilisation du dioxyde de carbone atmosphérique, le maintien des températures des eaux de surface liquide, le renouvellement des nutriments dans le sol, et le maintien des limites entre océans et continents. La vie, et à coup sûr la vie humaine dans ce monde,  n’ont tout simplement aucune chance sans la tectonique des plaques. Je ne veux pas minimiser le grand coût humain et animal associé aux séismes, aux volcans, et aux tsunamis, mais, sans la tectonique des plaques, il n’y aurait pas de vie du tout. Je dirais que la tectonique des plaques de ce monde fait partie de la très bonne création de Dieu.

Que dire de la douleur ? Si on donnait à quiconque d’entre nous le choix de vivre sans douleur, la plupart d’entre nous dirions avec enthousiasme « moi s’il vous plaît »… jusqu’à ce que nous ayons vu à quoi ressemble vraiment une vie sans douleur. A nos yeux, nous nous imaginerions traversant les épreuves et les périls sans être touchés, comme un Superman de la vraie vie, capables de conquérir tous les maux et toutes les douleurs qui nous empêchent d’atteindre notre plein potentiel. En réalité, une vie sans douleur est un spectacle d’horreur. En réalité, l’absence de douleur ressemble à la lèpre.

 

La lèpre, connue aussi comme la maladie d’Hansen, est une infection bactérienne qui envahit les nerfs du corps qui véhiculent la douleur, et qui finit par les détruire, laissant la personne incapable de ressentir la douleur. Voilà en fait à peu près tout ce que fait la lèpre. Les dommages qui en résultent et que nous associons à la lèpre – la perte des doigts, les blessures ouvertes, les membres manquants – ne viennent pas en vérité des bactéries elles-mêmes, mais de l’absence de douleur qui s’ensuit. Les patients se brûlent et ne reculent pas ; Ils continuent à marcher alors que leurs membres sont cassés, et ne le remarquent pas. Dans son livre Le don de la douleur, Paul Brand décrit comment dans une clinique africaine, les rats venaient la nuit et grignotaient les doigts des patients, qui continuaient à dormir parce qu’ils ne ressentaient pas la douleur4. La douleur est une bonne chose, notre protecteur toujours présent, elle s’est développée dans un processus d’évolution pour nous aider à vivre bien. Néanmoins, cela ne veut pas dire que la douleur ne s’emballe jamais. Il arrive qu’elle s’emballe, et avec des réalités telles la douleur chronique ou la torture, la douleur peut devenir un ennemi. Mais, cela n’enlève pas le fait que notre capacité à ressentir de la douleur est un grand don ; Cela veut juste dire que ce don est parfois déformé dans son expression. La solution n’est pas de souhaiter un monde sans douleur, mais un monde où on fait l’expérience de la douleur de manière appropriée.

Maintenant, permettez-moi d’introduire une mise en garde : en aucune façon je ne veux dire que parce que la douleur est « naturelle », nous n’avons pas la responsabilité de la soulager. Cela n’est pas mon propos. Je dirais que la douleur sert des objectifs importants, dont on a besoin pour bien vivre. En même temps, nous devrions regarder à l’exemple de Jésus, qui a marché au milieu de situations douloureuses et qui apportait la guérison quelle que soit la cause de la souffrance. C’est notre reconnaissance de la souffrance dans l’autre5 et notre responsabilité de prendre soin les uns les autres qui doivent guider notre éthique médicale.

Il y a beaucoup plus dont nous pourrions parler ici. Nous pourrions parler de la prédation, qui encourage la biodiversité et entraîne l’innovation de l’évolution. Nous pourrions explorer comment la mort physique est une chose bonne et nécessaire dans un monde qui a des ressources limitées, empêchant les organismes de devenir cancéreux (les cellules du cancer ne meurent jamais d’elles-mêmes et sont donc « immortelles »). Ces points sont importants, mais ils suivent à peu près le même type de raisonnement que ci-dessus. Dans la parution de mon prochain article, je m’intéresserai aux valeurs d’un monde qui s’est développé par un processus d’évolution, ou à la question parfois posée, « pourquoi Dieu n’a-t-il pas simplement créé le paradis en premier ? ».

 


Notes

1. Jean Calvin, Commentaires sur le Premier Livre de Moïse appelé la Genèse (1554) dans les Commentaires Bibliques de Calvin: Genèse, Partie I, traduction anglaise J. King (Forgotten Books, 1847, 2007), 113.

2. T. F. Torrance, L’Ordre Divin et Contingent (Edimbourg: T&T Clark, 1981), 117.

3. Pour en savoir plus sur la tectonique des plaques, voir Peter Ward et Donald Brownlee, Rare Earth: Why Complex Life is Uncommon in the Universe [La Terre, une planète rare : pourquoi la vie complexe est peu commune dans l’univers] (New York: Copernicus, 2004).

4. Paul Brand & Philip Yancey, The Gift of Pain: Why we hurt & what we can do about it [Le don de la douleur : pourquoi nous avons mal et ce que nous pouvons y faire] (Grand Rapids, MI: Zondervan, 1993), 127.

5. La souffrance et pas nécessairement la douleur. La douleur est la réception par le cerveau de la stimulation des nerfs de la douleur. La souffrance est un état psychologique, elle peut être causée par bien des choses. La douleur peut être absente chez ceux qui souffrent, comme c’est le cas avec la lèpre. Il nous faudrait faire attention à ne pas confondre ces deux concepts distincts en une seule et même idée.


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