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Redécouvrir Genèse ♥♥♥


 

Une des premières questions qui vient à l’esprit lorsque l’on ouvre la Bible est : Pourquoi deux récits de création ? Cette question est cruciale pour pouvoir découvrir des traditions littéraires majeures qui parcours tout l’Ancien Testament (AT) et ensuite découvrir qu’il y a dans la Bible des perspectives théologiques qui à première vue peuvent sembler contradictoires, mais qui en fait se marient parfaitement.

Quels sont les destinataires de ces textes ? Dans quels buts ces chapitres ont-ils été écrits ? Quels sont leurs genres littéraires ? Car il est clair après une lecture rapide que l’intention et le genre littéraire de Genèse 1 est assez différent de celui de Genèse 2-3 (qui forme une unité littéraire). C’est à cette formidable quête d’interprétation que j’invite les lecteurs évangéliques, en espérant approfondir ensemble les richesses théologiques et éthiques de ces textes. Et cela afin de mieux saisir en quoi ils peuvent nous aider à comprendre la profondeur de l’évangile de Jésus-Christ.

Contrairement à ce que l’on peut penser, les chapitres 1-3 de la Genèse sont brûlants d’actualité, pourvu que l’on en fasse une lecture appropriée. Prendre ces textes pour des réponses à nos préoccupations historiques ou scientifiques modernes conduit malheureusement sur une mauvaise piste d’interprétation. Cela mène à une lecture asséchante de ces récits. Or ils sont toujours d’actualité pour vivifier la vision du monde séculière dans laquelle nous vivons. Pour ceux qui n’en seraient pas convaincu, je vous propose une autre lecture évangélique de ces textes, une lecture contextuelle [1] qui saura rendre toute la pertinence moderne à ces textes anciens. À vous d’en juger… Sola Scriptura !

 

Les auteurs

Le Pentateuque forme une unité littéraire qui est traditionnellement attribué à Moïse [2]. Or une lecture attentive de Genèse 1-3 montre au minimum deux artisans majeurs [3]. Et c’est formidable ainsi ! La Genèse est une œuvre collective et communautaire, pas l’œuvre d’un seul individu isolé. Les exégètes de toutes confessions ont nommés ces deux artisans P (l’auteur sacerdotal) pour Genèse 1 et J (l’auteur Yahviste) pour Genèse 2 [4]. Une lecture avisée permet très rapidement de constater que les deux textes ont un « angle d’attaque » différent pour communiquer des vérités théologiques et existentielles qui sont complémentaires [5]. Donc au final il n’y a pas de différences théologiques ou existentielles [6]. C’est la Parole de Dieu!! Voyons cela.

 

Le style littéraire

Le style littéraire de Genèse 1 est de l’ordre de l’hymne, à la fois poétique et pédagogique. Cet ode résume magnifiquement qui est Dieu, comment le monde est créé et quelle est la place de l’homme dans le monde. Ce texte est une sorte de profession de foi, de crédo. Nous avons les nôtres, voici un magistral !

Contrairement aux chapitres 2 à 12, où l’on voit Dieu penser et agir, Genèse 1 présente un Dieu qui « parle ». Dans le chapitre 1, Dieu est dépeint comme le Roi incontesté qui trône sur toute la création. Il agit avec la force de sa Parole Souveraine pour ordonner et donner la vie. Rien ne le contraint, pas même la terre « informe et vide » ni « l’obscurité sur la face de l’abîme » (Ge 1.2). Dans les chapitres suivant, attribué à J, Dieu est dépeint comme un homme. Il « descend » dans la brise du soir trouver Adam et Ève apeuré. Il est tour-à-tour potier (2.7), jardinier (2.8) et couturier (3.21) préoccupé par sa création au point de « regretter » de l’avoir fait (6.7),

Pour la tradition sacerdotale (P), « Élohim » domine le monde (On reconnaît la marque de P par l’utilisation du nom Élohim, nom commun de Dieu, utilisé ici comme un nom propre, dans une perspective clairement monothéiste). Dans la tradition J, Dieu est proche de sa création avec laquelle il fait alliance. Il est YHWH ou YHVH-Élohim.

L’auteur de Genèse 2-3 a donc une perspective différente pour révéler Dieu. Son style est plus narratif, ancré dans les réalités existentielles. Ce récit qui est attribué à la tradition Jahwiste (J) ressemble à une quête de sens de l’histoire humaine (c’est en effet presque tout le prologue de la Genèse 1-12 qui est attribué à J). Quelle est la condition humaine ? Pourquoi la souffrance ? Qu’est-ce qui s’est passé à l’origine de la civilisation ? Une des caractéristiques de J, à qui est attribué la majorité des 12 premiers chapitres de la Genèse, ce sont les monologues intérieurs de Dieu. Il y a pas moins de 6 monologues intérieurs de YHWH : Ge 2.18; 3.22; 6.3; 6.6-7; 8.21-22; 11.6-7. L’auteur Yahviste (J)  propose ainsi une vision personnalisée de Dieu, un Dieu proche de l’humain et impliqué dans le déroulement de la trame de la condition humaine. Le focus est davantage sur la réalité humaine, ses difficultés et la manière dont Dieu intervient au cœur de l’existence.

On présente YHWH tourné vers l’humanité. Il lui façonne un jardin comme cadre de vie (nous en examinerons la signification dans l’article redécouvrir Genèse 2). Il l’installe comme un être doué de liberté, responsable de sa destiné (2.17; 4.7). L’auteur présente les réflexions personnelles de YHVH de sorte à éclairer le sens du drame qui s’y déroule et offrir aux lecteurs les clés herméneutiques du texte. Ces réflexions sont certainement le résultat d’une longue réflexion de foi et de sagesse de la part de J.

 

L’intention des auteurs

L’intention des récits n’est pas celle d’informer nos contemporains modernes sur l’origine scientifique du monde, puisque les auteurs avaient une vision préscientifique du monde. Leur vision du monde était semblable à la conception commune au Proche Orient Ancien (POA), comme la nôtre l’est de la culture ambiante. On y reviendra plus abondamment sur cette vision culturelle, religieuse et scientifique des peuples du POA.

Or, lorsque l’on met côte-à-côte la vision du monde du POA et celle de Ge 1, on est frappé par le côté provocateur et révolutionnaire de cet hymne apologétique. Genèse 1 a su ADOPTER la compréhension culturelle et scientifique de son contexte historique, mais a génialement su ADAPTER sa façon de penser dans une révélation inspirée de Dieu.  C’est un exemple formidable d’inculturation à suivre pour aujourd’hui.

On pense souvent à tort que Genèse 1 est une révélation intemporelle tombée du ciel sur Moïse et que, comme le fit Mahomet avec le Coran, il transcrivit cette vision céleste mécaniquement. Or il n’en est rien : Genèse 1 a été conçu selon une manière de pensée bien commune à son époque et d’un genre littéraire répandu en son temps pour décrire les origines du monde. De sorte que tout auditeur (en général illettré et avec un minimum de connaissance scientifique) pouvait comprendre de quoi il s’agissait.

Il est juste de penser qu’une des intentions principales de Genèse 1 fut de proposer une confession de foi claire et facile à mémoriser, dans le but d’aider les Israélites à renouveler leur vision de Dieu, du monde et du sens de l’existence. Et briser le cynisme spirituel ambiant dans le POA. Et Dieu sait comment ce besoin est ressenti encore aujourd’hui dans nos églises ! C’est pourquoi il faut ressusciter ce texte extraordinaire pour redonner une vision du monde rafraîchi dans notre culture sécularisée.

 

La guerre spirituelle

La littérature du POA a permis de mieux saisir le contexte religieux du POA; celui-ci abondait en divinités capricieuses, et l’homme finissait comme l’esclave et la proie de leur caprice. Il était absolument impossible aux humains de s’affranchir de ce carcan religieux fataliste et déterministe.

De même aujourd’hui la société séculière présente une vision du monde mécaniste et sans finalité. Le défi reste actuel: tout comme les auteurs inspirés voulait contrer une vision du monde polythéiste avec des représentations du monde déshumanisantes et aliénantes, de même à notre époque il y a des représentations d’un univers chaotique et sans but qui s’infiltre dans notre conception du monde.

Or hier comme aujourd’hui, en renouvelant notre vision du monde, il est possible de changer le monde dans lequel nous vivons. Genèse 1 fut un véritable « Big Bang » théologique dans le POA, pour employer une expression d’Éric Wingender. Cette révolution, le monde d’aujourd’hui l’attend encore.

Genèse 1 fut un Big Bang qui doit résonner d’autant plus fort aujourd’hui que des conceptions païennes viennent de plus en plus infiltrer notre théologie, notamment à propos des réalités spirituelles (j’ai déjà mentionné le déterministe et le fatalisme qui parfois infecte… même la théologique protestante), mais mentionnons également tout ce qui touche à la « guerre spirituelle » dont les chrétiens seraient apparemment victimes [7]. Cette vision est contraire à la représentation du monde dépeint en Genèse, selon laquelle l’homme n’est pas une victime de puissances qui le contrôle. Dieu créé l’homme libre de ses choix pour régner sur tout ce qui existe dans la création et il le crée aussi avec le pouvoir de changer sa destinée (St 30.19).

Si l’homme pouvait être manipulé à son insu, il ne serait donc plus libre et responsable de ses choix, pouvant encore corriger les choix qui ont été pris antérieurement pour lui. On accepte qu’en effet l’homme soit vulnérable de naissance. Mais cette faiblesse humaine ce n’est pas une tare. Elle est la possibilité de s’en remettre au créateur qui est la force de l’homme.

Tout comme l’Adam, l’humain d’aujourd’hui est appelé à représenter le Monarque absolue de l’univers (c’est le sens de Ge 2.3), avec une pleine autorité sur toute réalité spirituelle au nom de Christ ! (Voir Mat 28.18 : « tout pouvoir m’a été donné dans le ciel et sur la terre »). Dieu appel chacun à être renouvelé par cette vision grandiose… Aucun chrétien ne doit demeurer dans la craindre des forces démoniaques qui pourraient le manipuler à son insu. Ceci est une veille croyance païenne et polythéiste.

 

Les destinataires: aussi « païen »qu’aujourd’hui

Une autre erreur classique consiste à s’imaginer que Genèse 1 s’adressait à un peuple « saint ». Comme la majorité des gens dans notre culture sécularisée, les Israélites étaient tout imprégnés de leur culture. Josué dit que le père d’Abraham, Térach, était polythéiste (Jos 24.2). Sur cette base, il invite le peuple qui entre dans la terre promise à « Rejetez les dieux auxquels vos ancêtres rendaient un culte de l’autre côté de l’Euphrate et en Égypte », et à rendre «  un culte à l’Eternel seulement. » Il ajoute : «  S’il vous déplaît de servir l’Eternel, alors choisissez aujourd’hui à quels dieux vous voulez rendre un culte : ceux que vos ancêtres adoraient de l’autre côté de l’Euphrate ou ceux des Amoréens dont vous habitez le pays ; quant à moi et à ma famille, nous adorerons l’Eternel. » (Josué 24.14-15).

Les destinataires étaient à peu près comme nous : idolâtres et hédonistes. Considérons ces deux exemples, pour ne mentionner que ceux-là, tirés du livre d’Exode. D’abord, dès que Moïse s’éloigne un peu longuement du peuple, celui-ci qui le croit mort retourne massivement vers le culte de la fertilité, présente abondamment dans le POA, et demande à Aaron de leur faire un veau d’or (Ex 32). Deuxième exemple: dès que le peuple entre dans le désert et ressent la menace de la faim et de la soif (Ex 16.2ss) ils veulent retourner en Égypte. On voit que dans les épreuves, leur réflexe est de penser que Dieu est mauvais et que finalement croire en lui est une erreur qui les mènera à leur perte. Oui, la mission de Moïse était de les évangéliser !

C’est donc à toute une vision de Dieu, du monde et de l’homme que ces textes veulent s’attaquer.

 

Notes:

  1. Dans la famille d’église chrétienne évangélique à laquelle j’appartiens, l’Association des Frères Mennonites du Québec (www.aefmq.org) il est mentionné dans les valeurs : « Nous valorisons une lecture contextuelle des Écritures : nous encourageons la lecture, l’interprétation et l’exposition des Écritures à la lumière de ses différents genres littéraires et de son contexte socio-historique. Nous encourageons nos Églises et nos agences à viser un juste équilibre entre le libéralisme et le fondamentalisme théologique. Nous lisons les Écritures dans leur contexte pour ensuite les actualiser dans notre contexte (voir annexe 2 : les trois écoles de pensées théologiques).
  2. Le fait que la Bible attribue la rédaction à Moïse a certainement une fonction littéraire. Elle unifie l’ensemble du Pentateuque en plus de le situer avant la conquête de Canaan comme une parole prophétique. Comme exemple d’unité dans la structure littéraire du Pentateuque, on trouve au début du projet de Dieu l’humain, Adam, situé dans un jardin au milieu duquel se trouve l’arbre de vie; son accès est une condition de bonheur et d’harmonie avec Dieu (Ge 2.9). À la fin du Pentateuque, dans le livre du Deutéronome, se trouve cette exhortation finale qui fait écho à l’arbre de vie: « Je prends aujourd’hui le ciel et la terre à témoins : je vous offre le choix entre la vie et la mort, entre la bénédiction et la malédiction. Choisissez donc la vie, afin que vous viviez, vous et vos descendants. 20  Choisissez d’aimer l’Eternel votre Dieu, de lui obéir et de lui rester attachés, car c’est lui qui vous fait vivre et qui pourra vous accorder de passer de nombreux jours dans le pays que l’Eternel a promis par serment de donner à vos ancêtres Abraham, Isaac et Jacob. » (Dt 30.19)
  3. Ainsi donc, pour l’auteur du Deutéronome (D), Ge 2.9 devient le fondement théologique et existentiel montrant que les Israélites ont le pouvoir de changer leur destiné. Comme Adam et Ève avait le choix d’entrer dans la bénédiction et d’en jouir, en autant qu’ils eussent écouté la Parole de Dieu, de même les Israélites qui sont sur le point d’entrer dans la Terre Promise ont le choix d’entrer à nouveau dans la bénédiction – le jardin, la terre promise – s’ils prennent au sérieux leur responsabilité de se soumettre à l’alliance et la Révélation du Sinaï, eux qui sont « image de Dieu » ou, différemment dit « roi-prêtre » (Ex 19.5) devant les nations dont ils ont été délivrées (Dt 4.6ss)
  4. Je m’abstiendrai ici d’entrer dans tous les détails du texte qui nous font voir cela, car l’expérience me montre que cela conduit à des débats totalement surréalistes pour chercher à harmoniser, par exemple, Ge 1 et Ge 2, ainsi que les divergences sur le récit du déluge, etc. Si, comme me le disent mes amis créationnistes « terre jeune », Ge 2 se trouve à être dans le sixième jour de Genèse 1, je déclare que l’auteur aurait pu le dire plus simplement ! Car les entourloupettes exégétiques que me servent mes chers frères pour expliquer comment ils n’y avait pas de végétations alors que Dieu crée l’Adam dans le second récit sont un peu compliqués (Ge 2.5-7) !
  5. Pour une bonne introduction évangélique à ces notions, voir le livre récemment paru de Roger Lefebvre (le faux problème de l’évolution, Science et Foi)
  6. Certains exégètes voient aussi des éléments de sagesse (voir par exemple Pr 3.18) et des touches théologiques de l’auteur deutéronomistes (un vocabulaire de l’alliance, voir Dt 30.19). Il se peut bien qu’il y ait eu à l’origine deux traditions différentes entre Ge 2 et 3 qui ont été harmonisé, ou que le rédacteur final ait puisé à plusieurs sources. Peu importe le processus, le résultat final est que c’est pour nous la Parole de Dieu inspiré.
  7. On retrouve ces angles différents aujourd’hui dans le débat entre partisan de la Souveraineté absolue de Dieu, qui va jusqu’à décrété dès avant la fondation du monde qui est sauvé et qui est laissé à la damnation (calviniste) et les partisans de la liberté humaine, qui vont parfois jusqu’à croire que Dieu ne peut pas connaître le futur puisqu’il est en partie déterminé par nos choix libres et contingents. Voir par exemple le livre de Pierre Gilbert, Demons, Lies and Shadows. A Plea for a Return to Text and Reason, Winnipeg/Hillsboro, Kindred, 2008.

 


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