Article 4 sur un total de 5 pour la série :

Alvin Plantinga… et Dieu fait un retour en philosophie ♥♥♥


 

Objections contre le théisme… aux RAYONS X

IIb – Le Théisme manque-t-il de preuves ?

 

Dans la partie II.a nous avons examiné et vérifié que le Théisme et la croyance chrétienne remplissaient bien le devoir de rationalité. Nous avions noté aussi deux choses au sujet des preuves :

  • Pour qu’une croyance soit justifiable il faut aussi ne croire que ce qui a suffisamment de preuves.
  • Qu’à la surprise de plusieurs, Plantinga ne cherche pas à fournir plus de preuves comme le ferait l’apologète mais, fidèle à sa vocation de philosophe, il va demander à l’objecteur s’il pense que le Théisme manque de Garantie.

 

Une Garantie suffisante pour être une connaissance

 

Le contour de ce qui constitue une connaissance fait partie de ce qui est le plus disputé en épistémologie. En fait on a tout à gagner à se trouver soi-même du côté de la connaissance plutôt que sur la touche avec les croyances réputées moins fiables, en compagnie de ceux qu’on tolère dans la mesure où ils confinent leurs croyances à la sphère personnelle.

Que faut-il dès lors pour qu’une croyance donnée prétende au titre de connaissance ?

Plantinga donne sa réponse en procédant à l’envers. Il définit la Garantie (Warrant) comme « la propriété qui, en quantité suffisante, fait la différence entre connaissance et simple vraie croyance » (p. 25). Qu’est-ce-que c’est cette propriété ? « Qu’importe » répond Plantinga, « J’utilise le terme Garantie pour nommer cette propriété » point à la ligne.

 

Garantie et « Fonctionnement correct »

 

Dans son livre « Warrant and Proper Function » (1993) Plantinga approfondi la question. La Garantie de ce que je crois, va dépendre (un peu comme le produit)

  • du niveau de ma propre conviction (par exemple : c’est probable, fort probable, sûr et certain) et
  • du « fonctionnement correct » (proper function) de mes facultés mentales considérées sous différents angles. (KCB p 26-28).

 

Approfondissons ce dernier concept. Prenons le cas de la mémoire. Si vous me demandez ce que j’ai pris pour petit déjeuner ? La réponse me vient tout de suite à l’esprit, « un café croissant ». Cette croyance dispose-t-elle d’une Garantie suffisante pour parler de connaissance ? « Oui », dit Plantinga, « dans la mesure où mes Facultés Cognitives (FC) fonctionnent comme prévu » ; ma mémoire en l’occurrence.

 

Autre exemple, je roule en voiture, qu’est-ce qui fera que ’ma conviction que la voie est libre’ présente une bonne Garantie ? Que je n’ai pas consommé d’alcool et que je ne roule pas dans le brouillard. De nouveau il faut que mes FC, ma vue dans ce cas, fonctionne comme prévu et de plus, que l’environnement aussi coopère comme prévu, qu’il reste « transparent » pour ce qui est de la transmission du savoir.

 

Plantinga généralise et fait ressortir quatre conditions essentielles à remplir pour parler d’un ‘fonctionnement correct’. Autrement dit :

la croyance d’une personne présente une Garantie importante (d’être vraie) dans la mesure où les 4 conditions suivantes sont toutes bien remplies (p. 27).

1 – Ses FC fonctionnent comme prévu                                          (pas consommé d’alcool)

2 – l’environnement est O.K. pour la transmission du savoir     (pas dans le brouillard)

3 – La personne vise la vérité                     (pas se mentir à soi-même ni aux autres)

4 – Ses FC sont bâties selon un plan propre à bien viser la vérité  (FC bien conçues)

 

Quand l’administration me demande, de joindre à mon formulaire un justificatif de domicile de moins de 3 mois. C’est moins pour tester l’habileté de ma mémoire qu’un souci en rapport avec la troisième condition. L’administration me teste au niveau de la vérité. Cette condition qui permet à Plantinga d’aborder des considérations telles que « l’état de péché est un terrain fertile pour l’ambiguïté et l’aveuglement » (p. 51).

La quatrième condition laisse la possibilité à quelqu’un d’apporter des considérations métaphysiques à la conversation mais sans que ce soit nécessaire. Cette condition, c’est que les FC, soient bâties selon un plan (principe ou concept) qui a fait ses preuves : celles de bien viser la vérité’ ; une condition à prendre dans le sens, l’athée sera d’accord, que les ailes des oiseaux sont faites pour voler et les pattes palmées du canard pour se mouvoir sur l’eau.

 

Garantie de la croyance chrétienne

 

Pour évaluer cette Garantie, Plantinga utilise ce qu’il appelle un modèle à l’instar de l’ingénieur qui démontre d’abord que son idée marche sur un modèle réduit ou, tout au moins, simplifié aux seuls éléments pertinents. Voici le modèle théiste qui nous permet d’évaluer cette Garantie.

 

Modèle théiste (A/C – p. 31):

Après tout, Dieu ne pouvait-il pas créer les humains avec une tendance naturelle à croire qu’il existe ce que Calvin appelle le Sensus Divinitatis (sens du divin) ? Cela s’inspire, entre autres, des paroles de l’apôtre Paul

« car ce qu’on peut connaître de Dieu est manifeste pour eux, Dieu le leur ayant fait connaître. En effet, les perfections invisibles de Dieu, sa puissance éternelle et sa divinité, se voient comme à l’œil, depuis la création du monde, quand on les considère dans ses ouvrages. [Ceux qui retiennent cette vérité captive] sont donc inexcusables », (Rom 1 :18-20).

  • Dieu étant l’auteur de nos facultés cognitives (FC), il est raisonnable de penser qu’il nous ait équipé de FC qui visent la vérité.
  • Si une personne saine d’esprit, …
  • .. répond positivement à la conviction (que Dieu existe) qu’inspire ce Sensus Divinitatis bâti dans nos capacités naturelles,
  • .. sans que l’environnement (péché, mentalité ambiante .. ) la fasse dévier,

alors les 4 conditions du « fonctionnement correct » sont toutes remplies. Ces conditions assurent une bonne Garantie aux convictions de cette personne parce que son jugement est fiable. On peut même dire que la Garantie de la croyance au Théisme est très grande car portant l’estampille du créateur. Elle est en tout cas suffisante pour qualifier le théisme d’une connaissance.

 

Modèle du christianisme (A/C étendu – p. 45)

« Et si nous allions même plus loin », demande Plantinga « ce pourrait-il que les fondamentaux du Christianisme soient vrais » ? Il serait trop long de détailler ce qu’il ajoute dans ce modèle. L’essentiel c’est : l’Image de Dieu, Le péché avec ses conséquences cognitives autant qu’affectives, .. et le témoignage intérieur du St Esprit (chacun pouvant mettre le curseur pour la proportion de Sensus Divinitatis souhaitée). Encore là, Si Dieu existe, la Garantie est amplement suffisante pour parler de connaissance. Même si d’ordinaire les chrétiens appellent ‘foi’ cette connaissance de l’Évangile, la démarche de foi reste parfaitement rationnelle.

 

« Si Dieu existe ?!! » Dites-vous. N’est-ce pas ce qu’il faut prouver ? Ne fait-on pas du sur place? ….. c’est vrai que la Garantie ne serait pas la même si Dieu n’existait pas, elle serait même nulle. Répondons à ces questions:

 

Ne fait-on pas du surplace?

 

Non rassurez-vous on ne fait pas du surplace. Plantinga n’est pas en train, non plus, de prouver l’existence de Dieu. Il est en train, grâce à la philosophie, de démasquer le vide de l’objections de juré sensée être plus facile à prouver que l’objection de facto.

 

Rappelons l’objection générique d’Irrationalité par Manque de Preuves  (IMP) et sa version de facto:

de juré

« la croyance chrétienne est irrationnelle parce qu’elle n’a pas suffisamment de preuves »

 

de facto

« la croyance chrétienne (est irrationnelle parce qu’elle) est fausse ».

 

Nous venons de constater que :

La Garantie est grande si Dieu existe ….      (cas où l’obj. de facto est fausse)

            La Garantie est nulle si Dieu n’existe pas ….(cas où l’obj. de facto est avérée)

Ce qui montre clairement que l’objection de Jure n’est pas du tout indépendante de l’objection de facto.

 

Par conséquent Plantinga dit ‘Stop !’ aux objecteurs les pressant à s’en tenir à des objections dotées d’une réelle substance comme le problème du mal. Il poursuit en disant de l’athéologienne: …

« Elle ne pourra plus adopter la position suivante : ‘Eh bien, je ne sais pas si la croyance théiste est vraie – qui pourrait connaître une telle chose? – mais je sais une chose: c’est irrationnel, injustifié, ou non justifié rationnellement, ou contraire à la raison ou intellectuellement irresponsable  … ‘. Il n’y a pas d’objection [de juré] sensée qui soit indépendante de l’objection de facto … cela invalide une énorme masse d’athéologie comtemporaine … (p. 41)

 

Ses écrits rigoureux lui donnent le droit de dire « stop » (pour ne pas dire ras le bol). Mascord, déjà mentionné, qui site 116 articles savants de Plantinga dans sa biographie de 2006, déclare:

« Il n’ y a pas eu un seul défi contemporain majeur à la croyance chrétienne traditionnelle auquel Plantinga n’a pas, d’une certaine manière, répondu. Parmi les questions examinées sous le microscope des compétences analytiques de Plantinga figurent le positivisme logique, le freudianisme, le marxisme, le fondationnalisme, le pluralisme religieux, le subjectivisme, le post-modernisme, le libéralisme théologique, le naturalisme, la critique biblique historique … »

 

En clair, une objection de jure s’avère dans la majorité des cas objection de facto quelque peu maquillée. En effet :

  • D’une part, cela crée l’apparence qu’on soulève un problème plutôt épistémologique (quelque déficience intellectuelle de la raison) alors que le problème est avant tout métaphysique (divergence sur quel genre d’êtres sont les humains etc.). En fait, la dispute porte réellement sur la partie, de loin, la plus importante de la réalité (Comment l’homme est-il devenu conscient ? par accident cosmique, ou, parce que créé à l’image de son créateur).
  • D’autre part, cela invite à discuter sur le terrain (ou point de vue) athée, l’option par défaut habituelle, certains diraient le terrain de l’orthodoxie savante contemporaine.

Parfois, l’objection perd toute sa force rien qu’en changeant de terrain. Prenons par exemple l’objection de Sigmund Freud qui affirme que la croyance chrétienne est irrationnelle (et se doit d‘être résistée) parce qu’elle provient d’un besoin de « combler nos désirs» , (notamment celui d’un père dans le ciel pour nous aider à faire face .. dans un monde froid et cruel).

  • Vu du terrain athée : l’Évolution a raté un peu son coup. Elle équipe de fonctions cognitives qui visent à prendre ses désirs pour des réalités (à moins qu’on en prenne conscience et sache y résister).
  • Vu du terrain théiste : On désire boire : il y a de l’eau ; on a faim : il y a une variété de fruits, légumes etc., enfin, le Père céleste est là. Alors : où est le problème ?

 

Mais est-ce vrai ? … Les limites de la philosophie

 

Un autre fruit important de la perspicacité de Plantinga est, semble-t-il, sa compréhension claire des limites de la philosophie. Un atout, sans doute, pour être mieux à même d’utiliser la force de cette discipline à bon escient. À la fin des 126 pages de KCB (2015) Plantinga ajoute le paragraphe suivant qui est essentiellement le même qu’à la fin de WCB (2001) et que nous écrivons sous une forme structurée pour faciliter son analyse.

 

« Mais est-ce vrai? C’est la question vraiment importante.

[-Parlant d’abord au nom de la philosophie-]

  1. a) Et ici, nous dépassons la compétence de la philosophie.
  2. b) À mon avis, aucun argument fondé sur des prémisses acceptées par tous ou presque tout le monde n’est assez fort pour étayer une croyance chrétienne complète,
  3. c) même si cette croyance est, à mon avis, plus probable qu’improbable à l’égard de telles prémisses.

Parlant en mon nom personnel et non au nom de la philosophie,

  1. d) je peux seulement dire qu’il me semble, bien sûr, que c’est vrai, et
  2. e) qu’il s’agit de la vérité la plus importante (the maximally important truth) ».

 

Décryptons étape par étape cette conclusion.

Affirmation a) : c’est en effet décevant mais avec le mérite d’être clair sur les limites de compétence de la philosophie. On comprend pourquoi certains apologètes soient insatisfaits. Noter que Plantinga ajoute b) et c) en 2015 sans doute un peu à leur intention. Ça s’éclaire.

Avis b) considérons l’échelle simplifiée suivante pour parler de la force d’un argument : « Donne à réfléchir », « Convainquant », « Irréfutable ». Peut-être, tout simplement, Plantinga met son curseur un peu plus près d’irréfutable que l’apologète. Si l’athée qui formule l’objection IMP réclame une preuve irréfutable on peut s’attendre à ce qu’il soit déçu. Mais à bien y penser l’athée en question ne dispose pas non plus de preuve irréfutable pour son athéisme, sinon il n’y aurait même pas eu lieu de soulever une objection. Nous avons ici un équilibre, est-ce un réglage fin du libre arbitre ?!

Avis c) Plantinga pense à des arguments probabilistes comme celui présenté au prochain et dernier chapitre.

Affirmation d) On avait deviné sa conviction avant qu’il nous la dévoile dans sa conclusion!

Affirmation e) Il nous semble entendre le même appel que le pari[1] de Pascal sans prêter autant le flanc à la critique. Cette dernière affirmation est un appel à ne pas passer à côté de ce qui est maximalement important. Une invitation à l’humilité, à prendre le plus grand soin à bien se positionner face à l’existence de Dieu.

 

 


Note

[1] Si Dieu existe, dit Pascal, votre gain d’avoir cru en Dieu sera infini (ou un grand nombre, disons 2 milliards) mais rien à gagner s’il n’existe pas. Alors, dit Pascal aux indécis, tant qu’à parier, pariez comme les pros des jeux de hasard : pariez sur ce qui maximise votre Espérance de gain (sa moyenne statistique). Celle-ci est infinie (ou 1 milliard) si Dieu existe et zéro s’il n’existe pas. Le bon choix saute aux yeux.


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