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Alvin Plantinga… et Dieu fait un retour en philosophie ♥♥♥


 

 

 

En marge de défendre la légitimité intellectuelle du théisme, Plantinga développe un argument cette fois contre le Naturalisme (N) en ce qu’il est incompatible avec la théorie de l’Evolution (E) ! Précisons ces deux termes.

  • E: Il s’agit de la théorie scientifique de l’Évolution dans sa forme contemporaine. Plantinga précise

la théorie scientifique ne dit pas que le processus soit guidé[1] par Dieu, bien sûr que non. Elle ne dit pas non plus qu’elle ne le soit pas … De la même façon, la physique ne dit pas que les lois de Newton soient établies par Dieu, mais ne dit pas non plus qu’elles ne le soient pas [2].

 

Une évolution guidée dites-vous ? Plusieurs détracteurs de Plantinga font circuler qu’il « défend » le mouvement du « Dessein Intelligent (DI) » (ou ID en anglais) – c’est d’ailleurs ce que laisse malencontreusement entendre sa fiche wikipedia en français. Laissons le clarifier sa position :

comme tout Chrétien (et bien sûr théiste) je crois que le monde a été créé par Dieu et, par conséquent, intelligemment conçu. Cependant la caractéristique du DI est l’affirmation selon laquelle cela peut être démontré scientifiquement ; ça j’en suis dubitatif.

 

  • N : Il s’agit en fait du Naturalisme métaphysique. C’est une vision globale du monde jouant quelque part le rôle d’une religion en ce qu’il répond aux grandes questions existentielles comme : Y-a-t-il une personne comme Dieu ? Comment devons-nous vivre ? Y-a-t-il la vie après la mort ? Qu’elle est ma place dans l’univers ? Le Naturalisme répond : Qu’il n’y a pas de Dieu, pas de vie après la mort et que nous sommes un autre type d’animaux aux habitudes de vie quelque peu étranges.

 

Inutile de dire que l’argument que N et E sont incompatibles a soulevé une intense controverse depuis sa première mouture en 1991 jusqu’à aujourd’hui. Un livre publié en 2002 rapporte les objections soulevées par onze philosophes et scientifiques et les réponses de Plantinga. Celui-ci estime en conclusion s’en être « sorti indemne – disons, ensanglanté mais quasi indemne ! ».  Une des récentes versions de l’argument occupe le dernier chapitre de son livre « Where the Conflict Really Lies : Science, Religion, and Naturalism »[3] 2011 (Où se trouve vraiment le conflit : ..). La première partie de ce dernier livre est consacrée à montrer que le conflit entre Théisme (T) et E, trompété par les extrêmes de droite comme de gauche, n’est qu’apparent. Dieu pouvait très bien créer l’homme à son image à partir de l’ordre animal (inférieur) par un processus évolutif guidé (T & E). C’est la position probablement majoritaire chez les scientifiques chrétiens. L’article de Pouivet[4] 2011 est une autre source utile pour examiner l’argument qui va être maintenant esquissé. Plantinga démontre logiquement le passage inconfortable de la prémisse à la conclusion suivantes :

 

Pour celui qui croit à la fois à N et à E, ses convictions ne sont pas fiables !

 

Qui aimerait s’entendre dire que ce qui sort de sa tête n’est pas fiable. Le pauvre bougre ne peut même pas défendre sa cause car tout argument qu’il pourrait avancer n’est à priori pas fiable ! Seule issue : abandonner soit N soit E.

L’idée de base n’est pas nouvelle, Darwin, lui-même, l’avait déjà évoquée vers la fin de sa vie quand il écrivait :

Il y a toujours cet affreux doute : les convictions de l’esprit humain qui s’est développé à partir des animaux inférieurs, sont-elles d’une quelconque valeur, ou sont-elles tout à fait dignes de confiance ?  Qui ferait confiance aux convictions d’un singe, si tant est qu’un tel esprit ait des convictions ?

 

La perspective évolutionniste considère l’échelle partant de simples organismes jusqu’aux humains avec leurs structures neurophysiologiques hyper-complexes et, comme dit Plantinga,

leur immense réservoir de convictions aussi riches que variées … lorsqu’on s’élève … au travers de structures neurophysiologiques de plus en plus complexes, à un certain point se manifeste quelque chose que l’on peut, tout à fait, appeler ‘conviction’, quelque chose qui est vrai ou faux.

 

Plantinga suggère d’imaginer une planète lointaine, appelons-la : « N&E-land », dans laquelle l’évolution se déroule sans Dieu ni rien de semblable pour la guider.

Supposons que les citoyens de cette hypothétique planète soient arrivés à disposer de facultés cognitives un peu comme les nôtres (mémoire, raison) et qu’ils forment des convictions sur différents sujets, etc. Sur N&E-land, où seule la matière existe, une conviction est le contenu d’une (ou lié à une) structure neurophysiologique particulière. Notons qu’un contenu mental est lié directement ou indirectement à une structure physique.

Plantinga pose la question : qu’elle est la probabilité, que ces convictions soient fiables ?

Au départ, que nous apprend le fait que ces créatures aient survécu ?

La seule chose dont on est sûr c’est que leurs structures neurophysiologiques sont championnes en termes de comportement adaptatif à l’environnement.

Quel est l’impact sur la véracité d’une conviction donnée ? Aucun. Parce qu’elle ne regarde qu’aux structures physiques la sélection naturelle non guidée passe tout bonnement à côté du contenu mental. Dès lors la probabilité qu’une conviction soit vraie relève de pile ou face, c’est à dire essentiellement ½.

Quelle est la fiabilité des citoyens de N&E-land ? Plantinga montre que cette fiabilité fuie vers zéro devant des exigences très modestes. Si on considère le cas de 100 convictions indépendantes et qu’on cherche la probabilité, p100 d’en trouver au moins 3 sur 4 de vraies, le calcul donne

p100 = 0,000001

p1000 = 0,000000000000000000000000000001

On a refait le calcul pour 1000 convictions. Pour p1000 on a dû arrondir à la trentième décimale. En effet ajouter un zéro au nombre de convictions résultait en 58 zéros après la virgule pour la probabilité !

 

De quoi méditer pour qui se pensait, jusque-là, habiter en N&E-land !

 

 


Conclusions

 

Il y a plus de 35 ans Time magazine saluait déjà en ces mots cette ‘révolution tranquille’ dont Plantinga est le chef de file :

Dieu fait un grand retour. Curieusement, cela ne se produit pas chez les théologiens ou les croyants ordinaires… mais dans le cercle intellectuel frétillant des philosophes universitaires, chez qui pourtant, le consensus avait depuis longtemps banni le Tout-Puissant de tous discours féconds.

 

L’œuvre de Plantinga a changé bien des choses. Les objections contre le théisme ont perdu leur mordant logique voire leur substance et

c’est le Naturaliste avec sa conception de l’évolution qui se trouve aujourd’hui sous pression de se sortir d’une impasse logique :

‘Ce qu’il dit ne peut pas être en même temps vrai et fiable’.

 

Dans la tradition analytique, les philosophes ou théologiens sont d’accord, ou pas d’accord avec Plantinga, ce qui a fait dire à une théologienne catholique fin des années 90 :

Plus que quiconque, il a façonné les questions posées sur le sujet, et les réponses qu’il a proposées ont été au centre de ce sur quoi chacun discute ». Clairement, sa pensée et son influence ne sont pas question de mode mais subsisteront pour nombre de générations.

 

Plantinga est retourné vers une théorie de la connaissance réaliste, imprégnée de bon sens et qui rend compte d’un champ de croyances beaucoup plus vaste. En effet, celles issues de notre mémoire, nos perceptions ou du témoignage d’autrui forment le gros de nos croyances les plus importantes. Celles-ci présentent une garantie suffisante de connaissances dans la mesure où les conditions du « fonctionnement correct » sont vérifiées dans chaque strate : de l’organe mental à la (quasi) métaphysique. Autant d’outils essentiels pour faciliter une conversation féconde entre athées et théistes qui sont mis à la disposition de philosophes, théologiens comme de tous ceux qui pensent.

 

Enfin il a contribué à la paix et tranquillité de la communauté chrétienne en dégageant certains obstacles et en aidant, comme l’écrit Stackhouse,

à préserver l’espace pour une croyance chrétienne intellectuellement respectable et bien fondée sur le plan épistémologique. En [tout] cela il a magistralement réussi sa part en tant que Philosophe.

 

 

 


Notes

[1] À notre avis l’emploi du mot « guidé » reflète un souci chez Plantinga de ne pas distraire son public au milieu de l’argument. Une pincée d’action divine pour avaler la pilule. Hélas au prix de renforcer l’idée du Grand Horloger ajustant l’heure occasionnellement ; une idée fort éloignée du témoignage des Écritures (Job 12 :10, Act 17 :28).

 

[2] Au point qu’il pourrait être utile parfois de réserver, disons, E- pour l’évolution non guidée et E+ pour l’évolution guidée. Ainsi N&E, qui désigne le fait de croire à la fois à N et à E, implique l’identité N&E = N&E-. À la démonstration de Plantinga qui suit, même les meilleurs débateurs comme Dennett sont tentés de rétorquer pour s’en sortir que « de fait on sait que l’Evolution a produit des êtres capables de chercher la vérité ». Un retour intempestif de E- à E.

 

[3] Where the Conflict Really Lies : Religion, and Naturalism. New-York : Oxford Press Plantinga, Alvin and Michael Tooley

[4] Roger Pouivet, Évolution naturalisme et théisme chez Alvin Plantinga, « Evolution, naturalisme et théisme », in P. Portier, M. Veuille, J.-P. Willaime (dir.), Théorie de l’évolution et religions (p.171-181), Riveneuve éditions, Paris, 2011


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