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Adam et Eve ont-ils existé? Réponse aux arguments évangéliques


Daras est « titulaire d’un master en théologie, chrétien de sensibilité protestante, et habite Bruxelles. »

Son blog  » exégèse et théologie » « a pour but principal d’ouvrir une fenêtre sur des questions exégétiques, historiques et théologiques, relatives au monde biblique. .. »

A la lecture de plusieurs articles, on découvre que Georges Daras n’est pas un « évangélique traditionnel », et ne se qualifie pas d’évangélique d’ailleurs, mais que son parcours l’a amené à pousser la réflexion dans des domaines qui touchent de près les lecteurs de ce blog.

Je livre donc à votre réflexion cet article que Georges Daras a accepté de publier sur ce blog, espace où des arguments contradictoires peuvent s’exprimer. Ses propos n’engagent que lui et sont le témoins des débats théologiques et bibliques qui animent le monde protestant à propos des origines de l’homme.

« II.  LE RÉCIT: OBJECTIONS ET PROBLÈMES

Dans le fond, il y a encore une objection majeure au maintien de l’historicité d’Adam et du récit de la Genèse. C’est qu’après avoir commencé à historiciser Adam, il faut alors se mettre à historiciser tous les éléments du récit, y compris les éléments que nous considérons quasi spontanément comme symboliques. En effet, il n’est écrit nulle part où commence et où s’arrête le symbolisme. Selon quelle légitimité un évangélique se permettrait de faire un tri?

 

  • Il faut supposer que le jardin d’Eden avait un emplacement géographique réel, localisable, dont l’accès est actuellement gardé par des chérubins: où est donc ce jardin?; où sont ces chérubins? On me dira que les chérubins sont invisibles… Très bien. Alors que l’on m’indique le chemin qui mène au jardin. Pour nous aider, le texte précise: “à l’est d’Eden”. Très bien! Où ça, puisque tout est historique! Pourquoi des chérubins pour garder le chemin qui mène à un jardin si ce jardin est introuvable et les chérubins invisibles? Il faut peut-être supposer que ce jardin s’est peu à peu détérioré, qu’il fut recouvert au fil des âges, qu’il a fini englouti par le paysage naturel… Allez! Tous à nos pelles, entamons les fouilles archéologiques à la recherche du jardin perdu (mais après avoir découvert l’arche de Noé bien entendu)!

 

  • Qu’est-ce que, historiquement parlant, un “arbre de la connaissance du bien et du mal”

 

  • Ensuite, il faut, historiquement parlant, se figurer un serpent qui parle et qui entame la conversation avec Ève. Certains disent même qu’il devait avoir des pattes ou qu’il se tenait debout, puisqu’après avoir été maudit par Dieu, il fut condamné à se déplacer sur son “ventre”… Il faut aussi se demander pourquoi le serpent était le plus rusé des animaux. A-t-il été créé ainsi? Pourquoi? Était-il le seul de son espèce, ou bien tous les serpents du jardin partageaient ses qualités? Il faut peut-être chercher dans ses antécédents éducatifs, psychologiques, sociaux, qui l’ont conduit à entretenir la ruse et la malice (et à apprendre à parler…)! D’où vient qu’il soit ainsi porté à jouer le rôle de tentateur? Pourquoi donc Dieu a-t-il créé un tel animal portant le mal en lui? Plus énigmatique encore, cet animal n’est pas seulement doué de langage mais il sait qu’il y a un Dieu et il s’y oppose d’emblée, entraînant le premier couple dans son jeu. Selon le récit biblique, les serpents parlent (il n’est pas question de “miracle” dans le texte). Où a-t-on jamais observé un serpent parler? Le serpent aurait perdu ses pattes, aurait-il aussi perdu sa langue? Pourtant le jugement porté par Dieu sur le serpent n’envisage pas une telle éventualité.

 

  • Ensuite, il faut supposer, historiquement parlant, que la manducation d’un fruit “ouvre les yeux” et fait prendre conscience de la “nudité”,qu’avant que leurs yeux soient ouverts, Adam et sa femme les avaient fermés (dans la même logique que le serpent qui marche), et qu’en les ouvrant, ils se virent nus comme des vers, ce qui suppose simplement qu’ils ne portaient pas de vêtements. Belle leçon!

 

  • Un autre problème se pose pour les animaux. Étaient-ils tous herbivores? Qu’en est-il des prédateurs? Qu’en est-il du venin des serpents, des dents du lion, de la mâchoire puissante du crocodile, des griffes et des cornes d’animaux, de la toile d’araignée (qui capture les insectes), et de tout ce dont les animaux sont dotés en matière de défense et d’armes naturelles? Quelle était alors la physionomie des animaux? Y a-t-il eu des mutations? Elles devaient être considérables alors! Qu’en était-il de l’équilibre du monde animal et de celui de tout l’écosystème? L’homme et les animaux mouraient-ils un moment donné? Les végétaux pourrissaient-ils? Comment imaginer un Adam cultivant le sol du jardin, où l’on verrait des plantes croître sans supposer qu’à un certain moment elles se flétrissent? Si les hommes et les animaux ne mourraient pas, où donc trouver la place suffisante sur terre pour tout ce beau monde? Y aurait-il eu assez de place dans le jardin? La terre était-elle donc différente quand Dieu la créa, plus grande, plus vaste, apte à accueillir l’immortelle vitalité du vivant? Et le soleil, au commencement, était-il lui aussi immortel? Ne devait-t-il pas s’éteindre une fois ses combustibles épuisés, comme nous le disent les scientifiques? Et que se passerait-il alors? La vie continuerait son cours pénard, ou bien Dieu ferait le plein de combustibles et hop!, magique, c’est reparti?

 

  • Il y aurait encore la question du péché. Qu’est-ce donc que le péché? Comment se transmet-il? Que nous dit le récit “historique” de la “chute”? De quelle “chute” est-il question? Dans le récit de la “chute”, il n’est indiqué nulle part qu’Adam ait acquis une sorte de maladie appelée “péché”; il n’est même pas dit qu’il avait acquis un penchant mauvais. Il est simplement dit qu’Adam est devenu comme l’un de nous pour la connaissance du bien et du mal (3.22). Il n’est même pas dit que le jugement de l’homme inclinerait désormais vers le mal ou quoi que ce soit.

 

  • Autre épineuse question ayant été soulevée: qu’en est-il des rapports consanguins, incestueux? Ils se mariaient et avaient des rapports entre frères et sœurs? Le texte de Genèse n’en parle pas, comme si la question ne se posait pas. Alors, soit il faut encore supposer que Dieu a permis cela avec sa bénédiction (qu’est-ce qui l’empêchait de créer plusieurs couples?), soit que dans un récit qui ne se veut pas historique on ne se pose pas ce genre de question, tout comme il est “normal” de voir un serpent faire son apparition sur la scène et se mettre à parler. »

 

  • Je peux encore mentionner quelques “hasards” historiques tout à fait suspects: ainsi, comme par “hasard”, c’est le premier couple qui pèche entraînant ainsi toute l’humanité à sa suite. Ce n’est ni à la 3e, ni à la 5e, ni à la 27e génération que tout flanche. Non, c’est le premier couple, à la racine de l’humanité. Hasard… Comme par “hasard”, l’animal rusé qui s’adresse à la femme est un serpent. Pourquoi pas un koala ou un zèbre? Non! Un serpent, figure ambivalente ô combien chargée de symbolisme dans le monde moyen-oriental, et pas seulement. Hasard… Comme par “hasard”, le nom du premier homme est “l’humain”, et celui de la première femme est “Vie”, “mère des vivants”… Rien de symbolique là-dedans, juste deux noms, comme ça, pour faire joli. Hasard… Ces “hasards” historiques, qui sont bien entendu totalement indépendants du rédacteur qui ne fait qu’observer et rapporter les faits, me laissent toutefois perplexe…

Admettre l’historicité d’Adam conduit logiquement à admettre aussi celle du récit qui en parle et qui raconte son histoire, ainsi que celle des éléments qu’il renferme. Comme on le constate, il y a une foule d’absurdités qui apparaissent si l’on maintient cette idée jusqu’au bout.

 

Dernier sursaut et coup de grâce

 

Toutefois, Blocher estime qu’il est possible de maintenir les deux: les éléments symboliques et “l’historicité de fond”: ”la combinaison d’un fond historique et d’un revêtement parabolique, ou symbolique, est un genre littéraire connu de l’Écriture” (La doctrine, p. 72). Mais depuis quand l’historicité (quel que soit le degré de celle-ci) participe-t-elle au “genre littéraire”? Le genre littéraire dit bien ce qu’il veut dire: il concerne l’aspect littéraire. Le “fond historique” dont parle Blocher est juste une supposition qu’il ajoute, rien de plus. Il reproche ensuite à Edward J. Young, qu’il qualifie de “grand savant évangélique” (Révélation, p. 152), son excès de zèle littéraliste (16). Que fait Blocher? Je me limite à un seul exemple: le serpent “c’est le diable” (p. 147), il “figure la séduction de la religion païenne et de ses sortilèges” (p. 149), il est “la figure de l’esprit mensonger qui anime le paganisme” (p. 150). Soit! Mais qu’en est-il de l’historicité du récit? “Historicité de fond”, ok, mais qu’est-ce que cela veut dire? Blocher ne répond pas et nous laisse dans le brouillard. Est-ce qu’il y avait un serpent dans le jardin d’Eden, oui ou non? S’est-il mis à converser avec Ève, oui ou non? Que s’est-il passé? Pour ajouter à ma confusion, Blocher évoque la thèse d’une possession du serpent par le diable, estimant qu’il n’y aurait “rien d’inconcevable” à cela. Seule la Bible, qui ne suggère rien de la sorte, l’empêche de l’envisager. J’en déduis donc que pour Blocher il y avait bien un serpent, qu’il ait été possédé ou pas! Quelle est donc cette lecture symbolique prônée par Blocher, et en quoi consiste cette historicité de fond? Est-ce symbolique comme la flamme d’une bougie bien réelle peut être symbolique? Ou bien est-ce symbolique comme p. ex. la figure du loup (qui parle lui aussi, mais ne se montre pas très rusé!) dans les contes populaires et l’imaginaire folklorique? Blocher vacille entre l’un et l’autre, car il évoque également “le monde des légendes et des fables populaires” et parle du “style des contes folkloriques” dont l’auteur de Genèse 3 partage la “naïveté de langage” (p. 146). Je reste dans le brouillard.

 

Note:

16.On peut trouver les analyses de Young des trois premiers chapitres de la Genèse dans le numéro 158 de La Revue Reformée, 1987, intitulé “Au commencement Dieu. Genèse 1 à 3 et l’autorité de l’Écriture” (1re éd. angl. 1976) (infos clic). Une telle initiative de traduction et de publication montre l’importance qui est accordée à la lecture littéraliste.


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