Article 2 sur un total de 5 pour la série :

Adam et Eve ont-ils existé? Réponse aux arguments évangéliques


Georges Daras est « titulaire d’un master en théologie, chrétien de sensibilité protestante, et habite Bruxelles. »

Son blog  » exégèse et théologie » « a pour but principal d’ouvrir une fenêtre sur des questions exégétiques, historiques et théologiques, relatives au monde biblique. .. »

A la lecture de plusieurs articles, on découvre que Georges Daras n’est pas un « évangélique traditionnel », et ne se qualifie pas d’évangélique d’ailleurs, mais que son parcours l’a amené à pousser la réflexion dans des domaines qui touchent de près les lecteurs de ce blog.

Je livre donc à votre réflexion cet article que Georges Daras a accepté de publier sur ce blog, espace où des arguments contradictoires peuvent s’exprimer. Ses propos n’engagent que lui et sont le témoins des débats théologiques et bibliques qui animent le monde protestant à propos des origines de l’homme.


Cet article est la suite du précédent!

 

« 3. Le parallèle que Paul opère entre le Christ et Adam (Rm 5) exigerait un Adam historique.

Beaucoup d’évangéliques pensent que tout le raisonnement de Paul tombe à l’eau si l’on ne conçoit pas nécessairement Adam comme une personne historique4. C’est ce que je conteste fermement. Même si, à son époque, Paul pouvait spontanément penser qu’Adam fut un personnage historique, rien ne nous oblige aujourd’hui, avec les avancées des connaissances scientifiques et bibliques, à tenir pareille affirmation. Comment dès-lors concevoir le parallèle opéré entre Adam et le Christ, sans rien ôter de sa puissance et de sa vérité?

Il faut souligner la complexité de la question et la difficulté à en saisir les rouages, quand l’on est résolu à écarter les solutions simplistes.

REMARQUES PRÉLIMINAIRES

1. Paul ne dit rien sur l’historicité d’Adam (je l’ai déjà noté → I.1.). La question n’est pas posée, ce qui n’a rien d’étonnant à l’époque. Pour qu’un problème soit soulevé, il faut que les conditions nécessaires y poussent. Qu’est-ce qui en matière de science et d’histoire aurait pu, à l’époque de Paul, rendre inévitable la question de l’historicité d’Adam? Pas grand-chose. Tandis qu’à notre époque et depuis l’essor des sciences humaines et la progression des connaissances scientifiques, la Bible a été vue sous un angle nouveau et des questions inédites surgirent. Cette constatation préliminaire doit nous rappeler la distance historique et culturelle qui nous sépare de Paul et de son temps.Ensuite, Paul ne parle pas d’un supposé Adam historique, comme je l’ai également signalé (→ I.1.), mais se pose en interprète-théologien du récit de la Genèse.

2L’historicité d’Adam est présupposée. Si le raisonnement paulinien ne part pas de l’historicité d’Adam ni ne l’affirme, il faut néanmoins admettre qu’il s’agit d’une présupposition 5. La question qui se pose alors est de savoir si, dans notre contexte actuel, il est nécessaire de maintenir cette présupposition ou s’il est possible de s’en passer, sans pour autant invalider la démonstration de Paul.

Précisons qu’il ne s’agit pas de trouver une alternative faute de mieux! Au contraire, je pense que l’approfondissement suscité par la difficulté rencontrée contribue à améliorer notre compréhension du texte et de sa portée théologique. Les évangéliques s’imaginent souvent que la valeur d’un texte est amoindrie, voire sapée, si l’on évacue son caractère historique. Je pense au contraire que c’est l’historicisme qui entraîne un appauvrissement. Bien entendu, il ne s’agit pas d’évacuer allègrement toute historicité de la Bible, mais de ne pas tomber dans l’excès qui consiste à voir de l’histoire partout et en tout ce qui à l’évidence ne doit pas être considéré comme tel. Chez les évangéliques, l’historicité est élevée au rang de principe à cause de son implication étroite, même structurelle, dans la “vérité” de la Bible, telle qu’ils la conçoivent 6.

VERS UNE RÉSOLUTION DU PROBLÈME

Si la pensée de Paul dans ce texte est réputée difficile et complexe, la résolution de notre problème ne l’est pas autant. En effet, il ne s’agit pas de faire l’exégèse du texte dans ses moindres articulations, mais de proposer un changement de perspective: au lieu de partir d’Adam pour aller au Christ, partir du Christ pour aller vers Adam. On passe d’un point de vue chronologique à un point de vue christologique.

Procédons par étapes:

  • Étape 1: Puisque Paul se pose en lecteur-interprète de la Genèse, il importe d’abord de montrer que le récit de la faute peut être lu de manière non historique. C’est le sujet d’un autre article auquel je renvoie le lecteur: “Si Adam n’a pas existé…“. Dans cet article, je montre que si la représentation du péché d’Adam en Genèse 3 est fictive, ce que l’auteur véhicule par le moyen de cette représentation ne l’est pas. J’ajoute que l’historicité que l’on chercherait vainement en Adam, il faut la situer chez cet autre “Adam” qu’ est l’auteur du récit (individuel et collectif; de même que tout lecteur), dans son historicité et son humanité, accueillant dans sa conscience et sa foi la révélation de Dieu à laquelle il est rendu participant en tant que témoin. Ainsi, l’historicité d’Adam consiste dans l’historicité de la condition humaine devant Dieu, à la lumière de la révélation. J’insiste: l’historicité n’est pas niée, elle est déplacée; la réalité de la faute n’est pas niée, elle est située dans la profondeur.
  • Étape 2: Il importe maintenant de prendre connaissance du mouvement qui anime la comparaison du Christ et Adam en Romains 5:Le point de départ de Paul est le Christ et le salut qui est opéré par lui, à la lumière desquels le récit de la Genèse et la figure d’Adam sont interprétés. C’est le Christ Sauveur qui commande en retour l’affirmation de l’Adam pécheur, non l’inverse; l’universalité du péché en Adam découle de l’universalité du salut en Christ, non l’inverse; le rôle d’Adam en tant que père d’humanité et cause du péché est (ré)affirmé à partir du rôle du Christ, chef de file d’une humanité nouvelle et cause de son salut. Adam devient “le répondant tout entier négatif de l’oeuvre salvifique du Christ7“. Le théologien bénédictin Jean-Michel Maldamé écrit à ce propos: “C’est parce qu’il sait que le Christ est le sauveur de toute l’humanité qu’il reprend le texte de la Genèse. Le chemin de la Révélation n’est pas allé de la faute au Rédempteur, mais de la reconnaissance de l’action de Dieu sauveur à l’intelligence de la nature du salut et donc du péché qu’il surmonte. Pour en dire la dimension universelle, la référence à Adam est éclairante.” (Le péché, p. 197) En bref: La démonstration que Paul construit en Romains 5 est théologique; l’historicité d’Adam est celle que lui confère Paul à partir du récit de la Genèse (texte → histoire), dans un mouvement similaire mais inversé à celui de “l’auteur” de ce même récit, qui exprime son expérience historique dans un récit narratif fictif (histoire → texte).

Si je pense avoir montré que, d’une part, Paul ne tente pas d’établir l’historicité d’Adam et, d’autre part, que ce dernier n’est mis en relief qu’à la lumière du Christ, la question du rapport entre les deux reste encore posée et demande un éclaircissement supplémentaire. Ce sera l’étape suivante.

Notes:

4.Gleason Archer: “Dans Romains 5, Adam est mis en contraste avec Christ. Par conséquent, si Christ a réellement vécu dans l’histoire, Adam lui-même doit avoir été un individu historique; ou alors, l’apôtre inspiré s’est trompé.” (Introduction, p.225-226) Blocher: “L’argument de saint Paul en faisant le lien entre les deux Adams, entre le Chef selon l’alliance originelle et le Chef selon l’alliance nouvelle, précisait justement cette logique: à péché historique, rédemption historique. […] Les deux fois il a dû s’agir d’un acte réel, sinon le second Adam n’aurait pas pu réparer l’oeuvre du premier.” (Révélation, p. 166)

Blocher va plus loin, puisqu’il attribue à “l’interprétation mythiste” des conséquences théologiques inacceptables. Contrairement aux mythes du Proche-Orient ancien, le récit de la Genèse attribue au mal un commencement historique qui exclut toute intégration dans l’ordre et l’être du monde. Renier l’historicité de la faute conduit soit à l’inconséquence soit à l’inacceptable. L’inconséquence consiste à maintenir le sens biblique de la faute “sans le commencement historique” (Révélation, p. 164, l’auteur souligne); l’inacceptable c’est faire du mal un élément intégrant de l’ordre créé et de l’humanité. Je pense que l’erreur de Blocher dans son analyse et dans la critique qu’il adresse à Paul Ricoeur, c’est de présupposer que le récit biblique et l’histoire se trouvent sur le même plan, que le sens du récit renvoie à l’événement réel, de sorte que renier l’historicité sur le plan de l’histoire c’est forcément altérer le sens du récit, tandis que maintenir les deux simultanément est illégitime. Je pense toutefois qu’il est possible et même nécessaire de distinguer les deux plans, biblique et historique, sans quoi l’on tombe dans les invraisemblables excès évoqués dans cet article. Quand, de manière récurrente, une information biblique ne correspond pas à la réalité, ce n’est pas la réalité qu’il faut changer mais la manière de lire et de comprendre la Bible. Il me semble par ailleurs que pour Blocher et les évangéliques, ce qui vaut pour le récit d’Adam vaut également pour des récits moins “fondamentaux”. Que ce soit la Genèse, la conquête de Canaan (Josué) ou l’histoire de Jonas, le même principe est appliqué. Ce qui tend, à mon avis, à l’affaiblissement de l’argument avancé par Blocher en faveur de l’historicité de la faute, puisqu’à côté du caractère “décisif” qui rend l’historicité incontournable on retrouve l’application du principe selon lequel la Bible dit vrai “à tous les niveaux” et donc “aussi en histoire” (Blocher dans “Histoire, vérité et foi chrétienne“, Théologie évangélique vol 7, n°2, 2008, p. 134). En ce sens, tout est décisif, puisque le principe en dépend. Certes, Blocher admet “la possibilité de fictions inspirées», mais ce n’est que pour y cantonner “au moins quelques paraboles de Notre Seigneur […]” (Texte et historicité, p. 186). Autant dire pratiquement rien! Admettre que “quelques paraboles” soient de la fiction c’est en quelque sorte comme admettre qu’un texte écrit en alexandrins soit un poème.

5. “Cet homme est l’individu Adam, premier homme et père de l’humanité entière.” (Simon LégasseRomains, p. 361.) Les exégètes “critiques” ne doivent évidemment jamais chercher de “pauvres échappatoires”, comme le note justement Blocher (Révélation, p. 160-161) contre Leenhardt qui, dans son commentaire de Romains 5, nous assure que pour Paul, Adam “c’est l’humanité”. Voir aussi la critique de Légasse p. 361 de son commentaire.

6.  Voir à ce sujet mon article “La Bible affirme, les sciences confirment“, note 1.

7.  Gustave MarteletLibre réponse à un scandale, Paris, Cerf, 1986, p. 48. »

A suivre


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