Article 1 sur un total de 2 pour la série :

A Propos de quelques Miracles de Jésus


A PROPOS DE QUELQUES MIRACLES DE JESUS : RESURRECTIONS ET MIRACLES DITS « DE LA NATURE »

PREMIERE PARTIE : Etude Historico-Critique selon John P. MEIER


A propos de l’auteur

Thibault HEIMBURGER est Médecin et passionné  de théologie. De confession catholique, il participe activement aux discussions sur ce blog concernant les rapports entre la science et la foi.

Comme invité sur ce blog, les propos de TH n’engagent pas Science & Foi. Nous avons précisé « ce que nous croyons » dans cette rubrique.


PRESENTATION

(Marc Fiquet – Science & Foi)

Les sciences bibliques se sont considérablement développées tout au long du XXe siècle. Ces travaux académiques sont souvent mal connus du grand public en tout cas en France où la séparation entre les domaines de la science et de la religion est bien marquée par la loi de 1905 dans bien des consciences. D’autre part pour de nombreux croyants, une démarche académique se prête peu à l’analyse des textes sacrés, elle s’apparente pour beaucoup, à une « profanation du temple ».

En ce sens, certains chrétiens qui ne sont pas au courant de ces investigations se sentiront peut-être bousculés par le contenu de ces articles, mais il serait certainement dommageable de refuser de s’informer de l’avancée des recherches et profitable de réfléchir à ce que nous pouvons en retirer surtout dans le cadre de nos échanges avec nos contemporains.

En effet, dans nos différentes discussions à propos des Preuves historiques de l’existence de Jésus  nous avons vu qu’il existait une grande confusion dans l’esprit de plusieurs de nos lecteurs à propos de la fiabilité des sources chrétiennes (les évangiles) et sur la manière dont les chercheurs travaillent aujourd’hui sur ces textes.

La question est venue également sur les récits des miracles dont les évangiles font mention. Un historien, n’est pas un théologien, comment appréhende-t-il ce sujet ? C’était l’occasion également de présenter un des outils principaux de l’exégèse moderne : la méthode historico-critique et de faire le point sur les connaissances actuelles concernant la composition des Evangiles.

Merci à Thibault HEIMBURGER pour sa suggestion d’articles à ce propos.

Gardons à l’esprit que malgré les soucis d’intégrité que tout chercheur poursuit dans son travail, (et ça sera également le cas du lecteur dans son évaluation critique) il est difficile de se défaire de ses préjugés (croyant ou non-croyant, de telle sensibilité théologique, etc..) pour accéder aux données de la manière la plus neutre possible.

C’est ce que rappelle très  justement l’exégète protestant Daniel Marguerat (Le Monde de la Bible, no 222,‎ septembre-octobre 2017, p. 138).

toutes reconstructions du Jésus de l’histoire sont imprégnées de l’idéologie du chercheur. Toutes correspondent à la vision que l’historien a de la société. Et toutes se basent sur des éléments historiques qui ne sont pas des faits nus, mais des témoignages, des faits déjà interprétés.

Sur ce, je vous laisse en compagnie de Thibault pour la suite, et vous souhaite une bonne lecture…


Pour ceux qui veulent en savoir plus, les livres de Meier sont disponibles partout, Amazon bien sûr, mais aussi chez XL6 pour ceux ont l’habitude de cette librairie chrétienne, ou directement chez l’éditeur (Cerf) qui fait des promos sur les premiers volumes… 😀 


INTRODUCTION

Cette série d’articles provient de ma lecture personnelle et approfondie des deux premiers livres de John P. Meier[1], considéré aujourd’hui comme l’un des plus grands exégètes contemporains[2].

JP Meier (babelio.com)

Mais pourquoi choisir Meier plutôt qu’un autre parmi les dizaines d’autres exégètes contemporains, de différentes « écoles » ?

Pour plusieurs bonnes raisons à mes yeux :

La série de livres sur le Jésus historique qui constitue sa collection « Un certain Juif Jésus- Les données de l’Histoire » (le tome 5 vient de paraître en mars 2018 en français) constitue la seule et, à ma connaissance, unique collection embrassant la totalité de la question du « Jésus historique ». Ses livres sont d’un abord facile pour le non spécialiste et les notes, qui prouvent l’érudition gigantesque de l’auteur, sont regroupées à la fin de chaque livre, ce qui facilite la lecture.

Le point le plus important, qui saute d’emblée aux yeux de tout lecteur, est la conjonction d’une grande prudence et d’une grande modestie dans les conclusions avec une rigueur implacable dans l’application des critères d’authenticité utilisés pour chaque parole, fait ou geste attribués à Jésus dans les Evangiles.

Beaucoup d’exégètes modernes utilisent les mêmes critères d’authenticité que Meier (il n’en n’est pas l’inventeur) mais, comme Meier le montre à de nombreuses reprises, ils s’en affranchissent trop facilement dans tel ou tel cas qui pourrait les gêner. Ce n’est jamais le cas pour Meier lui-même pour autant que je puisse en juger.

Un dernier point d’importance concerne la place de Meier dans l’histoire, infiniment riche, de l’étude moderne des « textes sacrés ». Il se situe clairement dans que l’on appelle la « deuxième quête du Jésus historique », historiquement et un peu artificiellement située entre les années 1950 et 1985[3]

Cependant, Meier, dans ses ouvrages, fait très souvent référence aux recherches des auteurs de « la première quête » pour les commenter, les critiquer et les analyser avec finesse.

Quant à « la troisième quête » (de 1985 à nos jours), développée particulièrement par le « Jesus Seminar » [4], Meier ne l’ignore pas. Il l’intègre aussi dans ses réflexions et critiques, en particulier pour ce qui concerne l’utilisation, pour le moins discutable, de certains évangiles apocryphes par cette Ecole.

Enfin, Meier, bien que prêtre catholique américain, ne fait jamais appel dans ses ouvrages et ses analyses à aucun des dogmes de l’Eglise catholique et s’en explique très clairement.

En résumé, il semble bien qu’il n’existe à ce jour aucune autre synthèse moderne, accessible à tous, basée sur la méthode historico-critique dans sa forme la plus rigoureuse, résumant l’ensemble des connaissances actuelles sur le Jésus historique.

C’est pourquoi, cet article et les suivants seront basés uniquement sur les ouvrages de Meier, en tenant compte du fait que ceux-ci intègrent de façon critique les données des autres approches, celles de la génération précédente (la « première quête ») comme celles de la génération suivante (la « troisième quête »).

A LA RECHERCHE DU JESUS DE L’HISTOIRE

Les Evangiles sont notre principale source de connaissance sur le Jésus historique, les autres documents du Nouveau Testament, en particulier les Epitres de Paul, ne s’intéressant que très peu à la vie-même du Jésus historique.

Nous n’aborderons pas ici les quelques sources non chrétiennes qui évoquent Jésus, bien que Meier les étudie longuement, et en particulier les écrits de Flavius Josèphe (Chapitre 3, Tome 1). Nous noterons simplement qu’il attache une grande importance à ces écrits.

Si la seule source d’importance sur le Jésus historique (ses paroles et ses actes concrets) provient des Evangiles, nous avons un problème majeur. Car, comme l’affirme très clairement Meier et toute la recherche historique depuis le 18ème siècle, il n’est que trop évident que les Evangiles ne sont en aucun cas une biographie de Jésus. Ils ne sont pas non plus des œuvres de fiction comme peuvent l’être les romans et ils ne sont pas davantage des récits purement mythologiques. Ils ne rentrent dans aucune catégorie bien définie : ils sont d’abord et avant tout consciemment écrits pour annoncer et fortifier la foi des premiers chrétiens en Jésus, Christ, Fils de Dieu et Sauveur.

Pouvons-nous, dans ces conditions avoir la moindre chance de dire quelque chose du Jésus historique ?

Pour le grand exégète protestant allemand Rudolf Bultmann et son Ecole de la critique des formes (Formgeschichte) qui clôt la « première quête », la réponse est clairement : non. Le Jésus historique est à jamais inatteignable :

Les diverses formes sous lesquelles se présentent les matériaux évangéliques montrent qu’ils ont été élaborés en vue des diverses fonctions de la vie de l’église ; ils y sont si étroitement adaptés qu’il serait chimérique de prétendre en dégager un noyau historique.

 (Henry Maurice Goguel).

Heureusement la « deuxième quête » est arrivée, avec des exégètes et historiens nombreux et prestigieux. Ils intègrent les acquis de leurs illustres prédécesseurs mais, contrairement à eux, pensent pouvoir dégager au moins certains éléments historiques à partir des Evangiles.

Nous verrons plus loin les méthodes utilisées par ces chercheurs et remarquablement décrites et mises en œuvre par Meier.

Auparavant, il nous faut décrire ce que nous savons de l’histoire de l’élaboration des traditions aboutissant aux Evangiles canoniques.

BREVE HISTOIRE DES EVANGILES

Au commencement étaient les « péricopes ».

Les premières communautés chrétiennes n’avaient aucune trace écrite, aucun « journal » écrit de la vie de Jésus.

Dans les prédications dans une communauté donnée, comme dans les premiers rassemblements cultuels (le baptême, le repas du Seigneur), les prédicateurs devaient donc utiliser des éléments de la vie de Jésus transmis directement par les témoins oculaires ou leurs premiers disciples. Ces éléments ou « traditions » devaient nécessairement faire sens en eux-mêmes. Les péricopes sont ces « unités de sens », indépendamment du moment et du contexte dans lesquels ces paroles ou ces actes ont été dits ou faits par le Jésus historique.

Dès ce stade très primitif, à savoir la tradition orale de l’Eglise primitive (30-70 après JC), on comprend que chaque communauté a utilisé et agencé ces péricopes en fonction des besoins propres à celle-ci (époque, milieu judéo-chrétien ou de la diaspora etc.)

Cependant, ces traditions n’étaient pas limitées à une communauté donnée. Les premières communautés dites chrétiennes (le terme de « chrétien » n’apparaitra que vers 43 à Antioche) seront progressivement fondées, à partir de Jérusalem, dans les villes du bassin méditerranéen, par Pierre lui-même, d’autres disciples de Jésus, Paul et Barnabé, ainsi que par les premiers « hellénistes », à savoir des Juifs palestiniens hellénisés (les disciples d’Etienne, par exemple).

Ces « traditions » devaient circuler entre les différentes communautés, sous forme orale et probablement écrite.

En résumé :

Les témoins oculaires (apôtres et disciples du Jésus historique) ont dû raconter de mémoire dans leurs communautés certains événements-clef de leur vie avec le Jésus historique. Dès ce stade, ils avaient nécessairement médité et réinterprété les gestes et paroles de leur Maître à la lumière de la Résurrection.

Ces éléments ont été rassemblés, ici ou là, sous forme de péricopes, ensemble de paroles ou gestes de Jésus, faisant sens en eux-mêmes, facilement mémorisables et utilisés dans les communautés pour la prédication.

A partir des années 70, avec la disparition des témoins oculaires, le besoin se fait sentir, dans diverses communautés, de rassembler ces traditions en un texte suivi : ce sera la naissance de nos Evangiles actuels.

– Marc : selon la grande majorité des exégètes (Meier compris), l’Evangile de Marc fut le premier écrit (vers 70) à partir de diverses collections orales et peut-être écrites.

Il est établi, dès les années 1920 par la critique des formes, que Marc avait déjà regroupé ses collections de traditions orales ou écrites par formes (types), thèmes ou mots-clefs, indépendamment de la chronologie des événements.

Luc et Matthieu composèrent leurs Evangiles, indépendamment l’un de l’autre, très probablement entre 80 et 90.

Pour cela, ils utilisèrent chacun trois sources :

  1.  L’Évangile de Marc
  2. Une autre source ancienne (vers l’an 50 ?) appelée « source Q », de Quelle=source en allemand, à savoir un ensemble de péricopes absentes de Marc mais présentes parallèlement chez Luc et Matthieu[5]. Cette source Q est essentiellement un ensemble de « Logia » ou paroles attribuées à Jésus par cette tradition ancienne [6].
  3.  une source particulière à chacun, appelée L pour celle de Luc et M pour celle de Matthieu. Ce troisième type de sources, bien que n’étant pas à négliger, ne peut, par définition, pas faire l’objet de comparaisons, puisque particulière à un auteur.

C’est pourquoi cette hypothèse dite « des 2 sources (Marc et Q) est l’hypothèse de travail adoptée par la majorité des chercheurs, dont Meier, même si elle reste l’objet de débats entre spécialistes[7].

Qu’en est-il de l’Evangile de Jean, le plus tardif (entre 80 et 110, sans doute en plusieurs phases) ?

La question de savoir si Jean constitue une source indépendante des synoptiques reste débattue. La majorité des spécialistes, dont Meier, semble se ranger à l’avis qu’il s’agit bien d’une source indépendante.

Au total, Meier base son travail sur l’étude comparative de 3 sources indépendantes principales : Marc, Q et Jean et 2 sources secondaires : M et L définies plus haut.

LA METHODE HISTORICO-CRITIQUE ET SES LIMITES

La méthode historico-critique utilisée par Meier et beaucoup d’autres a donc pour but de tenter de dégager dans les Evangiles, ce qui

  1. provient du Jesus historique de ce qui
  2. provient de l’élaboration de l’Eglise primitive et
  3. des choix rédactionnels et théologiques des auteurs évangéliques finaux.

Néanmoins, Meier nous met en garde :

Ce travail ne peut jamais aboutir à une biographie (au sens moderne du terme), même partielle, de l’homme Jésus.

Le « Jésus de l’histoire » (c’est-à-dire celui que l’on peut analyser avec les méthodes historiques modernes) ne peut être qu’une « abstraction », une « reconstruction intellectuelle » : « le Jésus historique [=de l’histoire] peut nous fournir des éléments de la personne « réelle » [sa personnalité, sa vie, ses paroles et gestes concrets] mais rien de plus », nous rappelle Meier.

Même dans les cas, assez rares, où l’analyse nous permet de savoir avec certitude que telle parole remonte bien au Jésus historique, il est impossible de connaître avec certitude le contenu mot-à-mot de celle-ci.

Des faits attestés comme réellement « historiques » comme les paroles de la dernière Cène, le Notre Père, les béatitudes, sont toujours présentés sous des formes variées dans les différentes sources. Même dans ces cas, comme le dit Meier,

 des décennies d’adaptation liturgique, de développement homilétique [ce qui concerne la prédication], d’activité créatrice de la part des prophètes chrétiens, ont laissé leur marque sur les paroles de Jésus dans les quatre évangiles.

Et de conclure :

Il nous faudra donc nous contenter d’un contenu fondamental et de la version la plus ancienne à notre disposition, que celle-ci remonte ou non à Jésus .

La méthode historico-critique repose donc sur l’application de « critères d’authenticité » que nous détaillerons plus loin. C’est l’application rigoureuse de ces critères qui permettra de dire, toujours de façon prudente, que tel fait ou telle parole remonte bien au Jésus historique (au sens limité défini plus haut). Le résultat s’exprimera sous forme d’une quasi-certitude, d’une forte probabilité, d’une simple possibilité ou d’un « non liquet » (impossibilité de se prononcer). Inversement l’utilisation de ces critères peut permettre de dire, toujours avec plus ou moins de certitude, que tel élément ne remonte pas au Jésus historique mais à des ajouts/modifications ou créations de l’Eglise primitive et/ou des évangélistes eux-mêmes.

Le dernier point capital à garder en mémoire est qu’une opinion basée sur un seul critère, même convaincant, ne peut suffire. C’est la conjonction des critères qui permet d’approcher au plus juste la vérité du moment, elle-même toujours sujette à débat et révision, comme dans toute démarche scientifique.

LES CRITERES D’AUTHENTICITE

Meier distingue 5 critères principaux et 5 critères secondaires (ou douteux)

LES CRITERES PRINCIPAUX

Le critère d’embarras : il repose sur l’idée logique que l’Eglise primitive n’aurait certainement pas inventé des matériaux qui l’auraient mise dans l’embarras vis-à-vis de ses propres fidèles ou de ses contradicteurs.

Beaucoup d’épisodes des Evangiles sont « candidats » à ce critère d’embarras : le baptême de Jésus par Jean, la « non-connaissance » de Jésus de la fin des temps, la fuite des disciples et le reniement de Pierre etc.

Meier en profite pour en tirer un corollaire important : l’Eglise primitive n’était pas un grand fourre-tout où les prophètes chrétiens pouvaient dire n’importe quoi. « Le fait que l’on trouve encore ces matériaux embarrassants à l’époque de la rédaction des Evangiles, nous rappelle que la tradition évangélique, à côté d’un dynamisme créateur, connaissait aussi une force de conservation »

La limite principale de ce critère est que ce qui peut nous sembler aujourd’hui rétrospectivement embarrassant pour l’Eglise primitive ne l’était peut-être pas forcément (exemple : le cri de déréliction de Jésus sur la croix).

Le critère de discontinuité (ou d’originalité) : ce sont les paroles et actes de Jésus racontés dans les Evangiles qui ne peuvent dériver ni du judaïsme du 1er siècle, ni de l’Eglise primitive.

Ce critère peut être utilisé aujourd’hui de façon plus fine, étant donné les récents progrès des connaissances sur ces milieux. Il entraîne néanmoins l’inconvénient de « grossir » les divergences et entraîne le risque de présenter un Jésus en rupture totale avec son milieu, ce qu’il ne pouvait pas être.

En d’autres termes ce critère est légitime pour la recherche du « Jésus historique » mais ne peut prétendre à lui seul donner une image complète de celui-ci.

Le critère d’attestations multiples : il s’agit des matériaux qui sont retrouvés dans plusieurs sources indépendantes (par exemple dans Marc, Q, Paul et Jean) et/ou dans plusieurs formes littéraires différentes (paraboles, aphorismes, récits, prophétie etc.).

Un exemple bien connu est l’expression « Royaume de Dieu (ou des Cieux) » qui se retrouve dans Marc, Q, M, L, Jean et, rarement, Paul) et dans diverses formes littéraires (paraboles, béatitudes, récits de miracle, prières et aphorismes). Cette expression provient donc certainement du Jésus historique. Inversement, lorsqu’une parole ne se trouve que dans une seule source, cela ne prouve pas qu’elle ne soit pas authentiquement une parole de Jésus. Ainsi l’expression « Abba » ne se trouve que dans Mc 14, 36 mais d’autres critères (non détaillés ici) permettent d’affirmer avec quasi-certitude qu’elle remonte bien à Jésus.

On comprend mieux ici toute la subtilité de ce type de recherches.

Le critère de cohérence : il s’agit des matériaux qui sont en cohérence avec la « base de données » des matériaux supposés authentiques sur la base des critères précédents.

Ce critère est donc plus fragile dans la mesure où il dérive de recherches précédentes. Il est possible d’imaginer des membres de l’Eglise primitive inventant des paroles de Jésus cohérentes avec le message général de celui-ci. Elles seraient authentiquement le reflet du message de Jésus sans être d’authentiques paroles de celui-ci.

Le critère du rejet de Jésus : ce critère est différent des autres dans la mesure où il se base sur le fait historiquement certain que Jésus a été rejeté et crucifié. Meier le définit ainsi : « il s’agit de vérifier quels mots ou quels actes historiques de Jésus sont susceptibles d’expliquer son procès et sa crucifixion comme « Roi des Juifs » ».

Et d’ajouter : « Un Jésus qui ne s’aliènerait pas les gens par ses paroles et ses actes, et en particulier les puissants, n’est pas le Jésus historique ».

Ce critère ne permet pas, à lui seul, de décider si tel matériau est authentique mais renforce la probabilité de l’authenticité (si les autres critères principaux sont remplis) des matériaux les plus susceptibles de déranger ses contemporains.

LES CRITERES SECONDAIRES (OU DOUTEUX) :

Il s’agit de critères très débattus que Meier considère comme moins importants voire parfois sans véritable intérêt scientifique. Au mieux, dans certains cas, ils viennent seulement renforcer la probabilité.

Je ne les détaillerai pas sauf le premier.

Le critère des traces d’araméen : hypothèse : puisque Jésus parlait habituellement l’araméen, tout matériau trouvé dans les Evangiles (écrits en grec) contenant d’une façon ou d’une autre des traces d’araméen (vocabulaire, grammaire, syntaxe, rythme) sont des signes d’authenticité.

Pour Meier ce critère, à première vue « scientifique » se heurte à plusieurs problèmes :

– Un grand nombre des premiers chrétiens étaient des juifs palestiniens de langue araméenne et ce tout au long du premier siècle. Comment donc distinguer par ce seul critère une « parole » de Jésus prononcée en araméen d’un matériau provenant d’un de ces premiers chrétiens ?

– De nombreux chrétiens de langue grecque connaissaient très bien la Septante, traduction grecque de l’Ancien Testament. Ils pouvaient donc donner à une composition en langue grecque une « coloration sémitique ». De tels chrétiens existaient déjà dans la communauté primitive de Jérusalem.

– Les recherches les plus récentes suggèrent que des expressions du Nouveau Testament, jadis considérées comme des « sémitismes » seraient en fait le reflet du grec de la « Koinè »[8], une forme de grec parlé par les couches les moins instruites de la population.

Meier conclut :

« ce critère des traces d’araméen peut, au mieux, conforter un argument en faveur de l’historicité, mais seulement dans le cas où d’autres critères ont déjà permis de déceler dans les matériaux en question des signes d’authenticité ».

Les autres critères secondaires ou douteux sont : le critère d’environnement palestinien, le critère de la narration vivante, le critère des développements de la tradition synoptique, le critère de la présomption d’authenticité.

Nous ne les développerons pas ici car ils sont considérés par Meier, qui s’en explique, comme des critères douteux et de peu d’intérêt.

CONCLUSION

Dans cette première partie j’ai présenté très succinctement les méthodes de la recherche historico-critique selon John P. Meier qui réalise, selon moi, la meilleure synthèse disponible à ce jour, reconnue comme telle par la grande majorité des exégètes.

Le but principal de toute cette recherche est de tenter de remonter au plus près des témoignages des témoins oculaires des événements historiques (premier filtre : les faits et gestes de Jésus de Nazareth relus à la lumière de la Résurrection), tout en tenant compte des élaborations des premières communautés chrétiennes (second filtre) et, finalement, de leur utilisation par les auteurs des Evangiles (troisième filtre).

Dans une deuxième partie, nous résumerons ce que Meier peut dire, à partir de cette méthode, de certains miracles de résurrections opérées par Jésus.

Dans une troisième partie, nous verrons quelques miracles dits de la Nature, passés au crible de la méthode historico-critique.

Dans la quatrième et dernière partie je donnerai quelques éléments de conclusion sur les rapports entre le « Jésus de l’Histoire » et le « Jésus de la Foi » selon Meier et ma propre approche.


Notes

[1] John P. Meier : « Un certain juif Jésus. Les données de l’histoire ». Volume.1 : « les sources, les origines, les dates ». Les éditions du Cerf, 2004. Volume 2 : « la parole et les gestes ». Les éditions du Cerf, 2005.

[2] https://fr.wikipedia.org/wiki/John_Paul_Meier

[3] https://fr.wikipedia.org/wiki/Quête_du_Jésus_historique

[4] https://www.westarinstitute.org/projects/the-jesus-seminar/

[5] https://fr.wikipedia.org/wiki/Source_Q

[6] http://homes.chass.utoronto.ca/~kloppen/iqpqet.htm

[7] https://www.cairn.info/revue-etudes-theologiques-et-religieuses-2011-2-page-145.htm

[8] https://fr.wikipedia.org/wiki/Koin%C3%A8_(grec)

Crédit  photo : babelio.com


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