Article 11 sur un total de 12 pour la série :

La terre n'a pas 6000 ans, et alors? ♥♥♥


 

Tous entrèrent. Ils prirent place autour de la table où l’on avait disposé autant de petites bouteilles d’eau et de verres que de conférenciers, comme dans toutes les conférences bien organisées. Les costumes étaient bien coupés, les mines sérieuses sans être graves. Une brochette de spécialistes comme on dit, qu’on se réjouissait à l’avance d’écouter pendant les 2 heures à venir.

Ayant attendu que le brouhaha se dissipe, l’organisateur pris la parole pour présenter les conférenciers. Tous affichaient un CV au-dessus de tout soupçon. Deux docteurs en physique, un géographe, un ingénieur, et pour compléter le tout, un sociologue ayant accepté avec joie de jouer le rôle de Candide, tant apprécié des spectateurs il y a fort longtemps dans « Les Dossiers de l’Ecran ».

Enfin, l’expert assis au centre ouvrit le débat : « Bonsoir à toutes et à tous. Je me réjouis de cette soirée durant laquelle nous pourrons examiner les preuves que l’Australie mesure 1,75 mètres d’Est en Ouest, au lieu des 4000 km que nous vends la science officielle. » Applaudissements. Durant 2 heures, les témoignages des experts se succédèrent. Tous dénoncèrent «  le mythe des 4000 km » et la dictature d’une pensée unique censurant sans vergogne quiconque s’y opposait. Où donc était l’esprit scientifique, s’il n’était plus possible de questionner le consensus ?

Bien sûr, de nombreuses preuves furent présentées. La salle fut particulièrement frappée par des photos du pays prises depuis la Station Spatiale Internationale lors d’un passage au-dessus du Pacifique: chacun pouvait y constater comment l’Australie offrait une dimension Nord-Sud respectable, tandis que son extension Est-Ouest se réduisait à un filet sur l’image. Et dire que certains persistaient à nier l’évidence !

Vers le milieu du débat, le Candide s’aventura à dire que certes, un livre qu’il respectait beaucoup donnait l’impression que l’Australie avait bien cette taille, mais que de là à le prouver scientifiquement, il y avait peut-être un pas qu’on franchissait hâtivement. Le reste du panel s’empressa alors de lui répondre qu’il y avait des preuves irréfutables, telles la photo satellite que l’on venait de montrer, et qu’il n’y avait aucune raison de ne pas les diffuser massivement pour que le monde dans l’erreur apprenne enfin la vérité.

Apres la traditionnelle séance de questions, la plupart des auditeurs restèrent sur place un moment pour discuter entre eux, ou avec les conférenciers. Le géographe et l’un des physiciens se firent une joie de dédicacer le livre qu’ils avaient écrit sur le sujet. « Le livre des 101 Preuves », ouvrage recensant 101 preuves de la taille de l’Australie, connut un franc succès. La plupart des gens repartirent confortés dans leurs convictions et perplexes sur l’aveuglement du reste du monde, adepte aveugle du « mythe des 4000 km ».

 

Retour sur terre. Quoi que…

Vous aurez bien sûr saisi où je veux en venir. Toute proportion gardée, prétendre que l’univers a 6000 ans au lieu de 13,7 milliards d’années revient à prétendre que l’Australie mesure 1,75 mètre d’Est en Ouest, au lieu de 4000 km : 175 centimètres ! Je crois que le parallèle suffit à mettre en valeur l’énormité de la thèse. Pourtant, ce n’est pas elle que je veux dénoncer ici. Je comprends tout à fait que l’on puisse se sentir bibliquement contraint de prendre les premiers chapitres de la Genèse au pied de la lettre, et d’en conclure que l’univers fut créé il y a environ 6000 ans. Prétendre que l’univers doit avoir 6000 ans puisque « la Bible le dit » est tout à fait compréhensible et respectable. Je ne suis pas d’accord, mais je n’ai aucune raison de ne pas comprendre, ni de ne pas respecter.

En revanche, soutenir mordicus qu’il existe des preuves scientifiques d’un univers jeune est aberrant. Cet article n’est donc en rien une charge contre l’opinion biblique que l’univers est jeune. C’est en revanche une charge contre l’affirmation qu’il existe des preuves scientifiques de ce jeune âge. Ma cible ici, est ce que l’on appelle le « créationnisme scientifique ».

 

Quel amour de la vérité ?

A la lecture de ma petite histoire en introduction, vous vous êtes surement dit que la petitesse de l’Australie vue depuis le Pacifique est un effet d’optique. Que si les intervenants ou les auditeurs se demandaient à quoi ressemble une photo prise à la verticale du pays, ils se rendraient bien compte de la vérité. Rien de bien sorcier. En fait, ils n’ont pas seulement un problème avec la géographie. Ils en ont un avec le souci de la vérité.

C’est exactement la même réflexion qu’inspirent les sempiternelles listes des « preuves » d’un univers jeune. Les preuves d’un monde vieux de plus de 6000 ans émanent de la géologie, de l’astronomie, de la glaciologie, de la dendrochronologie… et j’en passe[1]. Des centaines de millions d’étoiles et de galaxies sont cataloguées, distantes de beaucoup plus de 6000 années lumières, chacune étant une preuve indépendante des autres que le monde a plus de 6000 ans.

Face à ces observations, le créationnisme scientifique se contente de rabâcher les mêmes arguments mille fois réfutés sur la toile[2]. Je ne peux résister à l’envie d’en citer certains pour relever leur inanité :

  • Andy MacIntosh, une star du créationnisme, affirme dans son livre « Genesis for Today » que la méthode géométrique dite de la parallaxe ne permet pas de mesurer la distance à des étoiles plus lointaines que 300 années-lumière[3]. C’est totalement faux. Le livre a été publié en 2010. On connaissait à cette date au moins 20 objets célestes mesurés à plus de 6000 années-lumière par la méthode de la parallaxe[4]. Alors 300, imaginez…

 

  • En 1950, l’astronome Hollandais Jan Oort a montré que les comètes à période longue ont une orbite instable. En clair, au bout d’un certain temps, elles devraient disparaitre. Comme il savait que le système solaire était vieux et que l’on voit toujours de telles comètes, il a postulé l’existence, très loin au-delà de l’orbite de Pluton, d’un réservoir de comètes. On l’appelle le nuage de Oort, et on ne l’a pas encore observé. Le créationnisme scientifique s’est emparé de l’affaire. Le raisonnement est simple : Si on n’a pas observé le nuage, c’est qu’il n’existe pas (sic). S’il n’existe pas, c’est que le système solaire est jeune puisqu’au bout d’un « certain temps » ce type de comètes disparait. CQFD. Problème ? Qu’entendait Oort par « un certain temps » ? 1 ou 2 millions d’années[5]. Pas du tout 6000 ans. Il fallait lire tout l’article (sans compter que le système solaire pourrait être jeune, sans que l’univers le soit).

 

  • Un petit dernier : un autre scientifique créationniste explique que « tous les atomes radioactifs d’origine naturelle émettent de l’hélium lors de leur désintégration ». L’atmosphère devrait donc être saturée d’hélium si cela dure depuis des milliards d’années. CQFD. Mais si ce personnage avait raison, nous devrions tous être gonflés à l’hélium. En effet, notre corps comporte du potassium-40 d’origine tout à fait naturelle, et qui est radioactif. Emet-il de l’hélium quand il se désintègre (en calcium) ? Pas du tout. Il existe des atomes radioactifs qui émettent de l’hélium lors de leur désintégration. Tout à fait. Mais il en existe un nombre immense qui émettent tout autre chose (c’est le cas du potassium-40). Le début même de l’argument est complètement faux[6].

Le niveau de rigueur de ces propos supposés scientifiques, explique qu’aucun d’eux n’a jamais réussi à passer le barrage de la relecture par un expert, dans les journaux à comité de lecture sérieux[7]. Pour les plus-tout-jeunes, on pourrait dire que la science créationniste est à la science ce que le Canada-Dry était au whisky.

Comment des gens d’habitude si honnêtes et si intègres, j’en suis persuadé, peuvent-ils se transformer en de tels pirates intellectuels ? Comment peut-on se soucier aussi peu de rigueur et de vérité quand par ailleurs on adhère à la Bible ? Mystère. Quoi qu’il en soit, ces propos ont des conséquences désastreuses.

 

Des conséquences désastreuses

Le créationnisme scientifique nuit aux croyants. Il les maintient dans l’ignorance. Il attise le conflit science/foi d’une façon complètement inutile. Certains chrétiens, élevés dans une Église adepte de telles thèses, perdront la foi en entrant à l’université[8]. D’autres, pourtant remarquablement doués, n’étudieront jamais, convaincus qu’ils sont que les professeurs ne veulent que saper leur foi.

Le créationnisme scientifique nuit aussi aux non-croyants. Le 3 avril 2013, on trouvait en homepage du site Lemonde.fr un article intitulé « Des conservateurs américains nient la relativité d’Einstein ». S’en suivait un papier ravageur dénonçant la page en question du site Conservapedia, ardent partisan du créationnisme scientifique. Lemonde.fr, c’est environ 2 millions de visites par jour[9]. Le site américain énonçait une série de 48 délires selon lesquels la relativité est fausse (si seulement l’un des 48 avait été correct, on aurait appris quelque chose). Pouvez-vous imaginer l’impact sur les non-croyants ? Est-ce vraiment de cela dont Jésus parlait quand il voulait que notre lumière luise devant les hommes ?

Peu de temps avant, le 3 mars 2013, un pasteur espagnol reconnu dans le pays, docteur en philosophie, écrivait sur ProtestanteDigital.com que le soleil tourne autour de la terre et que la science ne peut pas prouver le contraire. Comme quoi, on peut être docteur en quelque chose et raconter n’importe quoi. On parle ici d’environ 700 000 visites par mois[10]. Plus de 20 000 par jour.

Ces deux exemples ne sont hélas pas isolés. Le créationnisme scientifique se donne en spectacle abondamment, et entraine le reste du monde chrétien dans son ridicule. Combien de lecteurs des articles que je viens de citer n’ouvriront jamais la Bible à cause de cela ?

 

Que l’on se moque de nous car nous croyons Jésus ressuscité, d’accord. Que l’on se moque de nous car nous croyons qu’il y a un Dieu, et qu’en plus, il nous aime, re-d’accord. Que l’on se moque de nous car notre espoir ne s’arrêtent pas à la mort. Soit. Les raisons ne manquent pas de souffrir comme chrétiens. Mais « que personne d’entre vous… ne souffre comme meurtrier, ou voleur, ou malfaiteur, ou pour s’être ingéré dans les affaires d’autrui » (1 Pierre 4.15). L’Eglise ne devrait pas souffrir parce que certains de ses membres étalent leur ignorance sur internet ou dans les bibliothèques.

Au-delà de l’église en effet, c’est la Bible, c’est le christianisme même qui souffre les conséquences du créationnisme scientifique. En Luc 17.1-2, Jésus a des paroles très dures envers quiconque place des obstacles devant la foi d’autrui. Et même si c’est involontaire, le créationnisme scientifique est un obstacle sur le chemin des croyants, et sur celui des non-croyants. Le créationnisme scientifique est donc une occasion de chute.

 

Alors, me direz-vous, si j’ai vraiment l’impression que la Bible enseigne que le monde est jeune, tandis qu’un nombre immense d’observations montre le contraire. Si le créationnisme scientifique auquel  j’espérais me raccrocher n’est que fumée, comment concilier le message de la Bible avec celui de l’observation de la nature? Vous pouvez tout d’abord vous dire que Dieu n’est pas vicieux, et que lui a forcement la solution. Et puis en attendant qu’il vous éclaire, vous pouvez donner à vos questions la plus noble, la plus respectable et la plus humble des réponses : « je ne sais pas ». Ce serait infiniment plus souhaitable que de céder aux sirènes du créationnisme scientifique, qu’une remarque de CS Lewis décrit à merveille[11]:

Une science dévoyée dans les intérêts de l’apologétique serait un péché et une folie

 


 

Notes

[1] Mon but n’est certainement pas de les énumérer ici. Il y en a plus que 101… millions (littéralement). L’article Wikipedia sur l’âge de l’univers (ou de la terre) est un excellent point de départ pour des années de lecture.

[2] http://www.oldearth.org/youngministry.htm, http://la-terre-est-elle-jeune-exemples-de-reponse-a-quelques-faux-arguments/ , https://scienceetfoi.com/ressources/terre-jeune-ancienne-age/

[3] Genesis for Today, Andy McIntosh, Creation Points, 2010, p. 189.

[4] The World Is Not Six Thousand Years Old – So What? Antoine Bret, Cascade Books, 2014, p. 49.

[5] The structure of the cloud of comets surrounding the Solar System and a hypothesis concerning its origin, Oort, J. H. Bulletin of the Astronomical Institutes of the Netherlands, vol. 11, p. 91-110 (1950). En ligne ici http://adsabs.harvard.edu/abs/1950BAN….11…91O

[6] Ce n’est hélas pas le seul problème qu’il a. Mais on va s’arrêter là.

[7] La plupart des références “scientifiques” citées à l’appui de ces arguments proviennent de journaux du monde créationniste scientifique. Pour publier dans Origins, Journal of Creation, Creation, CRSQ, Creation Research Quarterly ou bien Creation Matters, vous devez souscrire au créationnisme scientifique.

[8] La confrontation avec les enseignements de la science moderne est aux USA l’une des principales raisons pour lesquelles les jeunes quittent l’église. Voir Finding Faith, Losing Faith: Stories of Conversion and Apostasy, Scot McKnight, Hauna Ondrey.

[9] Voir http://www.ojd.com/Support/lemonde-fr

[10] Voir http://protestantedigital.com/editorial/31492/Protestante_Digital_mas_de_55_millones_de_paginas_y_900_mil_visitas_en_un_mes

[11] En anglais “Science twisted in the interests of apologetics would be sin and folly”. CS Lewis, God in the Dock, Wm. B. Eerdmans Publishing, 2014, p. 91.


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