Je suis rentré chez moi ce samedi 23 janvier avec le sentiment d’avoir vécu une journée historique dans l’histoire du mouvement évangélique français. Plus d’une centaine de chercheurs, étudiants, enseignants…ou tout simplement des  personnes intéressées ont participé à une série de conférences de haut niveau traitant de la compatibilité entre la théorie de l’évolution et la foi évangélique. La journée était organisée par le réseau des scientifiques évangéliques chapoté par les GBU. Le message était clair et convergent : il existe une complémentarité entre la science et la foi, et nous ne devrions en aucun cas opposer ces deux manières d’aborder la réalité physique et spirituelle.

Quelques temps fort de cette journée :

Matthieu Richelle, professeur assistant d’Ancien Testament à la faculté de Vaux sur Seine a abordé l’interprétation de Genèse 1. Il a défendu l’interprétation littéraire soutenue par un nombre croissant de théologiens : celle d’une « prose poétique » très structurée en deux séries parallèles de  trois jours qui n’ont pas vocation à décrire une séquence chronologique des évènements. Genèse 1 est un cadre permettant à l’auteur inspiré une description anthropomorphique accessible au peuple hébreux. J’étais particulièrement content d’entendre Matthieu Richelle se détacher de tout concordisme scientifique, c’est-à-dire de la volonté de chercher dans le récit de la création une correspondance anachronique entre les avancées de la science actuelle et le texte biblique. Matthieu Richelle a même parlé de l’existence du firmament (dôme solide évoqué dans la séparation des eaux de Genèse 1:6,7) …Il a aussi évoqué le fait que Genèse 1 n’est pas le meilleur passage pour parler de la création ex nihilo. L’évocation des mythes des peuples environnants a été très instructive. Matthieu a bien pris soin de montrer à la fois la reprise de certains motifs dans la Genèse, mais surtout le caractère polémique et démythologisateur du texte biblique. Bref, c’est l’interprétation que les fondateurs du site www.scienceetfoi.com soutiennent. J’aurais simplement aimé que Matthieu Richelle avance encore plus clairement sur le fait que le Saint Esprit a permis que l’auteur de Genèse 1 s’exprime avec les connaissances scientifiques de son époque (« selon leur espèce… « ), ce qu’il a largement sous entendu.

Des liens sur ce thème sur le site science et foi : https://scienceetfoi.com/images/fichier/23genesenonconc.pdf
https://scienceetfoi.com/images/fichier/16bibleenseigneastronomie.pdf
Pascal Touzet, généticien  et cofondateur du site www.scienceetfoi.com s’est ensuite exprimé sur les preuves biologiques de l’évolution. Il a pris soin de bien définir les termes, en particulier le concept d’évolution, la notion de théorie scientifique (pas une spéculation…). Il a évoqué les fossiles et autre espèces de transition et a surtout marqué les esprits par des exemples récents et pointus tirés de son domaine de prédilection : la génétique. Je ne suis pas sur que les non spécialistes aient saisi tout ce qu’il a voulu apporter, mais chacun a compris que les découvertes récentes de la génétique confortaient de manière spectaculaire l’origine commune des espèces et les mécanismes génétiques qui la sous tendent, même si il reste beaucoup à accomplir dans ce domaine. Beaucoup ont été impressionné par la clarté et le professionnalisme de son intervention. Merci Pascal !

https://scienceetfoi.com/images/fichier/11genetique2.pdf

Sébastien Fath, sociologue s’est exprimé sur l’histoire et l’impact du créationnisme et plus généralement sur les réactions suscitées par la théorie de Darwin dans les milieux évangéliques français, principalement baptistes. Après avoir souligné que certains baptistes français ont accueilli favorablement la théorie de l’évolution au 19ème siècle, il a montré que finalement, cette question n’a joué qu’un rôle marginal parmi toutes les controverses théologiques qui ont agitées les milieux évangéliques français. Ce n’est qu’après 1945 et sous l’influence de quelques missionnaires américains qu’une certaine influence créationniste s’est manifestée. Sébastien a ensuite souligné l’importance des deux ouvrages complémentaires de Henri Blocher et de Jean Humbert publiés à la fin des années 1980, en montrant que ces deux auteurs évangéliques avaient clairement pris position, le 2ème plus franchement encore que le 1er , en faveur d’un mécanisme créateur évolutif, s’opposant ainsi ouvertement à la thèse créationniste de la jeune terre. Sébastien Fath a souligné la diversité d’opinion qui subsiste dans le monde évangélique, citant le site www.scienceetfoi.com comme exemple pour ceux qui pensent que l’évolution et la Bible ne sont pas en opposition, et le site www.aucommencement.net comme exemple de site créationniste francophone. Sébastien n’a pas caché qu’il considérait que les créationnistes étaient plus que des « anti-scientistes » (une formule d’Henri Blocher), mais des « anti-scientifiques ». Il a conclu par un appel à l’unité et au respect réciproque parmi les chrétiens dans ce débat. Bravo et merci Sébastien !

https://scienceetfoi.com/images/fichier/14differentesreactionsalatheorieevolution.pdf

J’ai choisi d’assister au carrefour consacré au mouvement de l’Intelligent Design. L’exposé d’Alain Lombet était très équilibré. Il a surtout replacé ce mouvement dans son contexte et son objectif principal : celui de pouvoir faire passer le créationnisme sous une forme déguisée en tant que théorie scientifique dans les écoles publiques américaines. Il a donc mis en évidence l’aspect philosophique d’un mouvement qui s’affirme sans étiquette religieuse, et la pauvreté de la démarche « scientifique » qui la sous tend. Je suis sur que de telles initiatives permettront à plusieurs d’ouvrir les yeux sur cette dernière forme « d’avatar de créationnisme « scientifique » », selon sa formule.

https://scienceetfoi.com/intelligent-design.html
Certains sont venus à cette rencontre avec des idées déjà favorables aux idées qui ont été exprimées, d’autres étaient visiblement plus en recherche. L’exposé d’Henri Blocher a donc fourni quelques arguments bien sentis à ceux qui pensent que l’évolution est en contradiction fondamentale avec la révélation biblique. Il a montré que si dans les faits, cette théorie semble effectivement fournir des arguments à ceux qui veulent s’en servir contre le christianisme, cette appropriation idéologique est illégitime de droit. Le récit biblique n’est pas en conflit avec la science puisqu’il n’a pas vocation à nous décrire comment Dieu s’y est pris pour créer. La question des « bricolages de l’évolution » est également un faux problème puisqu’il repose sur une conception illégitime des méthodes de création de Dieu. Dieu a agi comme il l’a voulu, et d’ailleurs le résultat est plutôt impressionnant ! Le problème de la mort animale et de la souffrance des espèces impliquées dans le processus évolutif relève pour M Blocher d’une projection anthropomorphique de sentiments sur des êtres sans conscience d’eux-mêmes. L’ordre carnivore fait partie de la vision biblique de la création (Paumes 104). Henri Blocher pense donc que l’évolution en tant que théorie scientifique doit faire ses preuves comme toute théorie (en particulier à propos  des mécanismes qui la gouvernent), mais qu’elle est soutenue par un faisceau significatif de preuves, en particulier dans le domaine génétique. C’est toujours avec une jubilation particulière que j’écoute Henri Blocher, un moment de grande qualité.

https://scienceetfoi.com/images/fichier/24objectionstheologiques.pdf
La table ronde a réuni les principaux intervenants, sous la lecture des questions de David Brown, secrétaire général des GBU. La question de l’historicité d’Adam et Eve a été évoquée, et les intervenants n’ont pas caché qu’ils tenaient à cette historicité, qu’elle était difficile mais pas impossible à relier au schéma évolutif. Henri Blocher a souligné que la foi sait attendre sans avoir toutes les réponses à ses interrogations. Pascal Touzet a souligné que cette existence devait bibliquement être datée au néolithique…ce qui pose un certain nombre d’interrogations à propos du monogénisme auquel certains tiennent encore (cette dernière remarque est personnelle). Au détour d’une intervention Matthieu Richelle a souligné que nous pouvons interpréter le récit de la création d’Eve comme un récit figuratif, et que les âges des patriarches ayant vécu plusieurs centaines d’années sont probablement le reflet d’un usage symbolique des chiffres au Proche Orient Ancien.
Conclusion : Merci au RSE et à tous ceux qui ont fait de cette journée une vraie réussite à propos d’un débat tellement important pour l’image de la foi évangélique en France, pour l’éducation de nos enfants, et pour la cohérence de la foi de chacun. Je réalise le décalage entre ce qui a été apporté et l’image  trop répandue parmi les chrétiens d’une science moderne en contradiction avec leur foi. Nous avons encore du pain sur la planche pour que tout ceci atteigne le plus grand nombre !